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Full text of "L'Action canadienne-française"

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University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/lactioncanadienn03ligu 


TROISIÈME  ANNÉE 
1919 


j^rançaise 


% 


ù  ^ 


T^evue  paraissant  le  25 
de  chaque  mois. 


Volume  III 


LIGUE  DES  DROITS  DU  FRANÇAIS 

IMMEUBLE  DE  LA  SAUVEGARDE 
MONTRÉAL 


110  4  4  4  6 


hikx 


JMPRIiMÉ  AU  DEVOIR 
43,  rue  Saint-Vinoont 

MON'TBÉAb 

1919 


LES  CLOTURES 


Clôturer    qui,    dans    la    plaine, 
Découpez    de    larges^  champs 
Où  le  semeur  se  promène, 
Et  sème  en  marchant  ; 

Et   toi  qui   longes   l'école 
Et    qui-  semblés   faite    exprès 
Pour  les  merles,   qui  s'envolent, 
Dès    qu'on    est    trop    près  ; 

Et   toi,    la   clôture   en   pierre, 
Tout    autour    du    grand    verger. 
Où    Marianne,    à    Jean-Pierre, 
Promet    d'y    songer  ; 

Et    toi,    petite    clôture 
Qu'on   ouvre   pour   recevoir, 
Le  dimanche,   la  voiture. 
Les  vaches,   le  soir  ; 

Et  toi,   près  du   presbytère. 
Devant  laquelle,   à   pas   lents, 
Le    curé    va,    solitaire. 
Sous    ses    cheveux    blancs  ; 


Vol.  III,  No  1.  janvier  1919 


-    L  ACTION   FRANÇAISE 

0  VOUS  les   clôtures,   toutes 
Les    clôtures    du    pays 
Dont  vous  parcourez  les  routes 
Et  qu'on  envahit  : 

Soyez-nous    une    cuirasse 
Contre   le   vil   assassin 
Qui   voudrait   voir   notre   race 
Un    poignard    au    sein  ! 


Jean  Nolin. 


Les  Précurseurs 

ERROL  BOUCHETTE 

et  r  Indépendance  économique  du 
Canada  français 


Errol  Bouchette  est  plus  qu'un  précurseur,  non  pas 
mieux.  Pour  plusieurs,  il  est  un  maître;  et  qu'il  ait  prêché 
dans  le  désert  le  grandit  davantage  à  leurs  j'eux.  Jj' Action 
française  lui  rend  témoignage  avec  raison  en  plaçant  son 
nom  en  tête  de  1^  liste  qu'elle  a  dressée  pour  ceux  qui  de- 
meurent, comme  une  incitation  au  travail  et  aux  œuvres. 
On  songe  en  touchant  ces  morts  pour  réveiller  leur  pensée 
que  nul  effort  n'est  vain.  Ils  nous  corrigent  de  nos  défail- 
lances. Inattentifs  aux  querelles  qui  sont  chez  nous  de 
tradition,  ils  ont  préféré  obéir  à  la  vérité.  Ils  ont  bâti 
quelque  chose;  et,  à  cause  de  cela,  ils  méritent  de  vivre. 
L'avenir  d'ailleurs  les  distinguera  :  ils  auront  justice  en 
lui. 

Errol  Bouchette  a  vécu  la  dernière  partie  de  sa  vie 
à  Ottawa.  Il  était  attaché  à  la  Bibliothèque  fédérale  où 
il  poursuivait  ses  études  d'économie  politique  et  de  sociolo- 
gie. ^  Il  a  publié  plusieurs  ouvrages;  mais  sa  pensée  essen- 
tielle vit  dans  son  Indépendance  économique  du  Canada 
français.  Il  y  a  jeté  les  idées  jaillies  de  ses  longues  et  minu- 
tieuses observations.  C'est  là  que  se  trouve  la  formule  de 
sa  foi.     Aussi  bien  u'avons-nous  fait,  dans  cet  article,  que 

^  Mémoires  de  la  Société  royale,  1913:  Notice  sur  Errol  Bouchette 
par  M.  Léon  Gérin. 


6  L  ACTION   FRANÇAISE 

dégager  les  points  saillants  de  sa  doctrine  là  où  il  l'a  laissée. 
Car  la  mort  a  mis  fin  brutalement  à  la  carrière  de  l'auteur. 
Il  n'a  pas  pu  revoir  les  dernières  épreuves  de  son  livre  qu'il 
avait  cependant  remanié.  Dans  la  préface  ciu'il  avait  écrite, 
il  affirme  de  nouveau 'ses  intentions  et  son  but  :  éclairer 
l'opinion  sur  le  devoir  prochain.  Cette  préface  fut  com- 
posée d'un  trait,  avec  confiance  et  certitude.  Elle  est 
brève  :  elle  affirme  ce  que  l'expérience  réalise  chaque  jour. 
Elle  prévoit  le  danger  et  suggère  le  remède.  Nous  n'avons 
pas  fini  de  lutter  et  la  richesse  qui  vient  nous  apporte, 
avec  des  jouissances  ignorées  jusque  là,  l'obligation  d'ac- 
complir d'autres  conquêtes  et  de  nous  prêter  à  de  nouvelles 
générosités.  La  question  nationale  devient  une  question 
économique  et  notre  avenir  ne  sera  assuré  que  par  un 
effort  soutenu  vers  la  possession  des  industries  et  l'exploi- 
tation méthodique  des  ressources  de  notre  pays. 


On  connaît  l'étendue  du  territoire  canadien,  qui  compte 
3,745,000  milles  carrés,  soit  une  superficie  presque  égale  à 
celle  de  l'Europe.  M.  Errol  Bouchette  divise  cette  immen- 
sité en  trois  régions  :  le  Canada  oriental,  le  Canada  central, 
le  Canada  occidental. 

Le  Canada  oriental  comprend  le  groupe  des  provinces 
maritimes  (l'Ile  du  Prince-Edouard,  la  Nouvelle-Ecosse  et 
le  Nouveau-Brunswick),  et  la  province  de  Québec,  à 
laquelle  on  vient  d'adjoindre  l'Ungava.  C'est  dans  cette 
dernière  province  surtout  que  la  race  française  a  pris  racine 
et  s'est  développée.  En  1901,  le  Canada  oriental  renfer- 
mait plus  du  tiers  de  la  population  totale,  soit  2,542,326 
habitants.  Sur  cet  ensemble,  l'apport  de  l'élément  fran- 
çais  était,   la  même  année,   de   1,462,955.     En    1911,   la 


l'action  française 


population  du  Canada  oriental  était  de  2,940,667  âmes, 
soit  encore  plus  du  tiers  de  la  population  totale,  et  le  groupe 
français  atteignait  le  chiffre  de  1,768,815. 

«  Si  la  progression  numérique  est  un  facteur  impor- 
tant dans  l'économie  d'un  peuple,  écrit  Bouchette,  le 
degré  d'insti-uction  ne  l'est  pas  moins.  »  On  peut  se 
demander  si  l'instruction  répandue  dans  notre  province 
a  été  jusqu'ici  suffisamment  pratique  et  méthodique,  et 
si  elle  a  été  adaptée  aux  nécessités  de  notre  situation. 
Il  ne  suffit  pas  d'enseigner,  il  faut  aussi  former.  Si  le 
défaut  capital  des  Canadiens  français  est  le  manque  d'ini- 
tiative et  de  volonté,  il  convient  de  corriger  ce  penchant  à 
l'indolence  et  de  développer  chez  eux  le  sens  de  la  responsa- 
bilité, le  souci  de  l'action,  et  de  faire  que  l'instruction 
exerce  pleinement  sa  fonction  sociale.  Il  est  bon  d'orner 
l'esprit,  il  est  mieux  de  préparer  à  la  vie,  à  notre  vie.  Nous 
sommes  une  minorité  et  nous  devons  puiser  dans  l'ensei- 
gnement le  secret  de  conserver  nos  qualités  ethniques,  de 
défendre  nos  droits,  de  maintenir  nos  positions  acquises, 
de  grandir  notre  rôle,  d'exercer  en  pleine  connaissance  nos 
devoirs  de  citoyens,  d'acquérir  plus  de  force  en  acquérant 
plus  de  valeur.  N'allons  pas  surtout  rejeter  ce  que  nous 
avons  accompli  jusqu'ici.  Notre  système  d'éducation 
supérieure  nous  a  donné  des  hommes  de  mérite  et  qui  ont 
fait  triompher  notre  cause  :  ne  détruisons  pas  l'origine  de 
ces  énergies  précieuses.  «  Détruire,  écrit  Bouchetèe,  c'est 
presque  toujours  rétrograder.  Détruire  les  collèges  clas- 
siques, ce  serait  enlever  au  Canada  français  son  principal 
élément  de  supériorité,  ce  serait  le  décapiter  une  seconde 
fois;  négliger  l'école  primaire,  c'est  préparer  un  autre  genre 
de  destruction,  celle  qui  atteindra  l'influence  qu'exercent 
aujourd'hui  les  directeurs  de  l'enseignement  dans  notre 
pays.  »     L'instruction  doit  avant  tout  dégager  les  aptitu- 


8  l'action  française 

des  d'un  peuple,  utiliser  pour  le  bien  des  forces  qui  peuvent 
se  manifester  maladroitement,  ajouter  à  la  vigueur  physique 
de  la  race  plus  de  vigueur  morale,  et  donner  à  ceux  qui  se 
préparent  à  la  lutte,  non  seulement  pour  l'existence  mais 
aussi  pour  la  conquête,  des  raisons  profondes,  naturelles  et 
saines  qui  tiennent  en  éveil  leur  volonté,  qui  forment  leur 
personnalité  et  déterminent  leurs  attitudes. 

Le  Canadien  français  est  resté  fidèle  à  ses  origines. 
Dans  le  passé,  il  a  su  faire  preuve  d'une  merveilleuse  résis- 
tance. Il  obéissait  à  une  discipline.  C'est  qu'il  a  été  à 
l'école  de  l'adversité;  la  plus  dure  et  la  meilleure  qui  soit. 
Mais  depuis  que  l'évolution  économique  a  bouleversé  ses 
conditions  d'existence,  il  semble  ne  s'être  pas  suffisamment 
adapté  au  milieu  nouveau.  Il  n'a  plus  les  mêmes  motifs 
apparents  de  se  défendre.  L'agriculteur  est  intelligent 
et  bien  doué,  mais  il  se  laisse  trop  aller  à  la  routine,  au  goût 
du,  luxe,  à  l'insouciance.  Sa  famille  est  nombreuse  et 
robuste,  elle  n'est  pas  toujours  unie  :  les  enfants  quittent 
volontiers  la  terre  paternelle  et  le  dépeuplement  continue 
de  dévaster  nos  campagnes.  Quelques  hommes,  quelques 
esprits  d'élite,  tâchent  de  résister  au  courant  et  de  réveiller 
les  énergies  :  ils  ont  vite  fait  d'être  las,  «  devant  la  mortelle 
apathie  publique  ».  Et  pourtant,  nous  le  disions  plus 
haut,  la  race  canadienne-française  a  donné  naguère  de  belles 
leçons  d'endurance  et  de  crânerie  :  «  elle  a  donné  des 
preuves  éclatantes  de  patriotisme  et  d'esprit  public,  d'au- 
dace dans  les  conceptions  politiques,  de  sagesse,  de  mesure 
et  de  persévérance  dans  l'exécution  des  réformes  nécessaires 
à  la  nation  ».  Elle  a  manifesté  tout  cela,  mais  «  depuis 
lors,  ajoute  mélancoliquement  Errol  Bouchette,  elle  a  un 
peu  trop  dormi  sur  ses  lauriers  ».  Ils  se  peut;  mais  elle 
croit  encore  à  ses  destinées,  et  voilà  sans  doute  le  grain 
qui  lèvera  de  nouveau  dans  les  temps  à  venir.     Instinct 


l'action  française  9 

de  conservation,  volonté  de  survivance,  horreur  de  la  dis- 
parition possible,  sont  les  forces  latentes  de  cette  nation; 
elles  reposent  au  plus  profond  de  l'ânie  canadienne  et  l'édu- 
cateur a  reçu  la  tâche  magnifique  de  les  recueillir  et  de  les 
faire  servir  au  bien  de  tous,  au  salut  du  peuple. 


N'y  a-t-il  pas  un  remède  à  ce  malaise  que  l'on  constate 
chez  le  groupe  d'origine  française  ? 

Errol  Bouchette  recherche  et  distingue  les  éléments 
de  notre  puissance  économique.  Quelles  sont  nos  forces 
productrices?  Comment  est  répartie  la  population  active 
canadienne-française  ?  Il  répond  à  ces  questions  par  le 
tableau  suivant  : 

POPULATION    CANADIENNE-FRANÇAISE 

Classe  agricole  au  Canada 800. 000 

Professions  et  arts  usuels  au  Canada      400 .  000     1 .  200 .  000 

Classe  industrielle  (puissance  écono- 
mique en  partie  perdue) 450. 000 

Émigrés    aux    États-Unis    (puis- 
sance perdue) 1.000.000     1.450.000 

Si  l'industrie  agricole,  grâce  au  développement  de  l'in- 
dustrie laitière,  a  pris,  ces  temps  derniers,  un  essor  nouveau 
et  consolant,  il  reste  qu'une  partie  de  notre  population  est 
dans  un  état  d'infériorité  marquée.  L'industrie  manu- 
facturière, la  grande  industrie,  ne  s'étant  pas  encore  im- 
plantée au  Canada,  beaucoup  de  nos  travaillem's  ne  trouvent 
pas  d'occupation  qui  leur  permette  de  donner  leur  pleine 
activité.     L'émigration    nous    a    décimés    et    les    centres 


10  l'action  feançaise 

industriels  des  États-Unis  attirent  encore  nos  ouvriers. 
Au  sein  d'une  richesse  superbe  et  de  nombreuses  facilités, 
l'élément  français  est  comme  étouffé;  et  cela  offre  d'autant 
plus  de  danger  que  la  prépondérance  économique  du  groupe 
est  l'une  des  conditions  de  sa  survivance. 

Il  faudrait  donc  ouvrir  des  voies  nouvelles  et  multi- 
plier les  chances  de  succès,  en  organisant  l'industrie.  Or, 
le  Canada  oriental  est  merveilleusement  apte  à  ce  dévelop- 
pement, si  les  trois  grands  facteurs  de  l'économie  nationale, 
la  nature,  le  travail  et  le  capital,  y  peuvent  librement 
exercer   leur   influence. 

Le  milieu  est  riche.  Le  climat  est  favorable  à  la  cul- 
ture et  au  travail;  le  sol  recèle  de  précieuses  ressources 
minières;  la  terre  est  fertile;  les  forêts  fourniraient  au  besoin 
à  l'industrie  une  matière  première  abondante;  la  force 
hydraulique  est  quasi  inépuisable.  Et  le  territoire  exploité 
se  déplace  sans  cesse  vers  le  nord;  la  civilisation  pénètre 
de  nouveaux  centres;  des  terres  que  l'on  cro3"ait  sans  valeur 
à  cause  du  climat  et  des  neiges  sont,  au  contraire,  aussi 
riches  que  celles  qui  ont  été  défrichées.  «  Peu  de  régions 
au  monde,  conclut  Errol  Bouchette,  offrent  d'aussi  grands 
avantages  industriels.  » 

L'ouvrier  canadien  est  probe,  intelligent,  actif  et  dé- 
brouillard. M.  Charles  Levêque  écrivait  naguère  :  «  Les 
ouvriers  canadiens-français  sont,  de  l'aveu  de  tous,  les 
meilleurs  et  les  plus  habiles  travailleurs  de  l'Amérique.  Ils 
sont  très  recherchés  par  les  entrepreneurs.  Donnons-leur 
la  culture  :  cette  espèce  de  patriotisme  vaudrait  mieux  que 
beaucoup  d'autres.  »  L'instruction  professionnelle  et  tech- 
nique facilitera  à  nos  ouvriers  la  pratique  du  métier  et  leur 
permettra  de  développer  en  eux  les  qualités  de  goût  qui  les 
distinguent.  Ils  sont  très  portés  vers  les  arts  industriels; 
ils  ont  de  l'imagination,  de  la  facilité,  de  l'invention.     Les 


l'action  française  11 

élèves  de  nos  écoles  techniques  provinciales  ont  déjà  révélé 
les  plus  brillantes  aptitudes.  Ils  seront  en  mesure,  ayant 
acquis  des  connaissances  indispensables,  de  respecter  les 
traditions  d'art  et  d'élégance  que  nous  impose  notre  filiation 
française.     Ils  serviront  ainsi  doublement  leur  pays. 

Pour  ce  qui  est  du  capital,  nous  avons  déjà  analysé  la 
théorie  que  Bouchette  a  fondée  sur  cette  définition  :  «  Le 
capital  d'une  nation  est  l'ensemble  des  richesses  qu'elle 
possède  et  qui  peuvent  servir  à  fournir  des  produits  défini- 
tifs, c'est  la  somme  des  richesses  exploitables.  »  Des  auteurs 
américains  ont  formulé  la  même  doctrine.  Ils  considèrent 
que  toute  richesse  est  du  capital.  C'est  renoncer  à  la  dis- 
tinction classique,  entre  les  trois  facteurs,  et  réduire  la 
production  à  ces  deux  termes  :  le  capital  et  le  travail. 
Soit;  mais  à  la  condition  que  des  mots  nouveaux  distinguent 
les  fonctions  du  capital  ainsi  élargi.  M.  S.-J.  Chapman 
propose  les  expressions  capital-nature  et  capital  personnel 
(talent  et  culture),  ^  ce  à  quoi  nous  joindrions  le  capital  de 
mise  en  valeur.  Et  l'on  voit  déjà  que,  si  la  statistique 
officielle  nous  venait  en  aide,  nous  pourrions  déterminer 
la  masse  de  notre  patrimoine  accumulé  en  revêtant  ces 
notions  d'une  forme  mathématique. 

La  province  de  Québec  possède  un  capital  qui  est 
l'ensemble  imposant  de  ses  richesses.  Cela  pourtant  ne 
suffit  pas.  Les  ressources  naturelles,  si  vastes  et  si  nombreu- 
ses soient-elles,  demeurent  stériles  si  elles  ne  sont  pas 
exploitées.  Si  l'on  accepte  la  définition  ci-dessus,  il  faut 
convenir  c^ue  Robinson  dans  son  île  était  un  capitaliste 
superbe.  Il  l'était,  mais  en  puissance,  comme  disent  les 
philosophes.  Il  lui  manquait  les  moyens  de  mettre  en 
œuvre  ses  possessions  :  il  lui  manquait  le  «  capital  médiat  », 

1  Outlines  of  Political  economy. 


12  l'action  française 

le  capital  d'exploitation.  N'est-ce  pas  précisément  notre 
cas?  Propriétaires  d'un  domaine  abondant,  ne  sommes- 
nous  pas  empêchés,  faute  de  capital  Kquide,  de  profiter  de 
ses  générosités?  On  l'a  dit;  on  a  eu,  jusqu'à  un  certain 
point,  raison  de  le  dire  :  cependant  Bouchette  n'admet  pas 
que  nous  soyons  décidément  aussi  pauvres,  aussi  dépour- 
\ais.  Et  d'abord,  le  capital  médiat  peut  nous  venir  de 
l'étranger,  de  France,  par  exemple;  il  peut  encore  nous  venir 
de  chez  nous,  de  nous-mêmes,  de  nos  efforts,  de  notre 
travail,  de  notre  épargne,  de  notre  crédit  organisé;  il  peut 
enfin  nous  venir  de  notre  prévoyance.  De  fait,  nous  en 
avons  déjà  beaucoup  plus  que  nous  croyons  généralement. 
«  Voyez,  nous  disait  un  jour  ]M.  Anatole  Poindron,  voyez 
cette  carte  du  Canada  :  quel  ensemble  de  richesses  !  Votre 
pays  est  une  vérité  économique.  » 

—  Que  nous  manque-t-il  donc  pour  que  nous  sachions 
la  démontrer? 

—  Une  méthode. 

Bouchette  ne  dit  pas  autre  chose.  Nous  posséderons 
le  capital  le  jour  où  nous  saurons  le  créer  par  une  politique 
industrielle  systématique,  bien  orientée  et  victorieusement 
maintenue. 


La  concentration  industrielle  est  l'aboutissant  néces- 
saire de  l'évolution  économique.  Le  machinisme,  l'applica- 
tion de  la  science,  le  développement  des  moyens  de  commu- 
nication, l'organisation  du  crédit,  la  nécessité  pressante 
de  conquérir  de  nouveaux  marchés  et  de  fabriquer  en  vue 
de  l'exportation,  la  lutte  économique  internationale  et 
d'autres  influences  encore  ont  précipité  l'avènement  de 
la  grande  industrie  rendue  possible  par  l'agglomération 
des  capitaux  et  la  souplesse  de  ce  nouveau  rouage  commer- 


l'action  française  13 

cial  :  la  société  par  actions.  Les  trusts  aux  États-Unis 
et  les  kartels  en  Allemagne  sont  les  types  de  ces  associations 
dont  la  puissance  est  énorme  et  dont  les  résultats  n'ont  pas 
toujours  été  bienfaisants,  au  moins  pour  le  consommateur. 
Le  kartel  a  surtout  pour  but  de  faciliter  la  vente  des  mar- 
chandises et  de  réglementer  la  concurrence  sur  les  marchés 
en  répartissant  la  production  entre  ses  membres;  mais  les 
unités  qui  le  composent  conservent  une  certaine  indépen- 
dance. Au  contraire,  les  sociétés  qui  forment  le  trust 
s'absorbent  en  lui,  disparaissent,  se  fondent  dans  un  tout 
et  subissent  une  direction  unique. 

La  concentration  industrielle  multiplie  la  productivité 
du  capital.  Elle  permet  de  réaliser  une  économie  considé- 
rable sur  les  éléments  divers  du  prix  de  revient,  les  frais 
généraux,  l'achat  des  matières  premières,  les  transports,  et 
d'employer  des  procédés  de  fabrication  rapides  et  perfec- 
tionnés. Rien  de  tout  cela  qui  ne  soit  parfaitement  légi- 
time :  ces  avantages  sont  la  conséquence  logique  du  groupe- 
ment des  forces  productrices  et  si  le  trust  n'employait 
pas  d'autres  moyens  d'action  que  ceux-là,  l'opinion  n'aurait 
pas  raison  de  s'inquiéter,  d'autant  que  ces  avantages 
naturels  de  l'organisation  industrielle  moderne  provoquent 
souvent  un  abaissement  du  prix  de  vente  des  produits. 

Malheureusement  les  trusts  ont  abusé  de  leur  puis- 
sance pour  se  concilier  les  autorités  politiques  et  déclarer 
impimément  aux  initiatives  indépendantes  et  réfractaires 
une  guerre  à  outrance.  Ils  ont  fait  violence  aux  libertés 
les  plus  légitimes,  et  constitué,  en  dépit  des  lois  et  des 
arrêts  judiciaires,  de  véritables  monopoles  dans  le  but  avoué 
de  tuer  la  concurrence  et  de  s'approprier  le  marché.  Ainsi 
conçu  le  trust  est  nuisible;  il  fait  payer  vraiment  trop  cher 
les  compensations  qu'il  prétend  nous  donner  en  retour  d'une 
pareille  souveraineté.     S'il  pénétrait  librement  chez  nous, 


14  l'action  française 

il  aurait  vite  fait  d'exploiter  et  d'épuiser  nos  richesses  pour 
son  seul  Vjénéfice.  Aussi  bien  aurons-nous  recours  à  une 
niise  en  valeur  plus  rationnelle  de  l'ensemble  de  nos  res- 
sources; et  nous  éviterons  les  inconvénients  de  la  concen- 
tration en  préconisant  une  politique  industrielle  méthodi- 
que, prudente,  et  qui  soit  dans  le  sens  de  nos  aptitudes  et 
conforme  à  notre  génie  national. 

Que  sera  cette  politique?  Elle  ne  jaillira  pas  de  dis- 
cussions stériles  sur  les  conséquences  du  libre-échange  total 
ou  de  la  protection  absolue.  Notre  marché  est  restreint, 
et,  si  notre  industrie  veut  se  développer,  elle  doit  atteindre 
le  consommateur  étranger  :  c'est  dire  que  nous  avons 
besoin  de  débouchés  et  que  nous  aurions  mauvaise  grâce 
à  nous  montrer  peu  conciliants  lorsque  les  exigences  mêmes 
de  notre  situation  nous  ordonnent  de  l'être.  Cette  pohtique 
sera  plutôt  l'œuvre  immédiate  et  réfléchie  du  gouvernement 
qui  tiendra  compte  au  premier  chef  de  notre  puissance 
productrice  et   de  ses  éléments  propres. 

Il  ne  s'agit  pas  de  provoquer  l'essor  industriel  du 
Canada  français  aux  dépens  des  campagnes  dépeuplées,  et 
d'assurer  la  prédominance  de  l'industrie  sur  l'agriculture. 
Il  est  clair  que  cela  serait  une  erreur  capitale.  L'organisa- 
tion économique  est  complexe  et  les  forces  productrices 
doivent  être  maintenues  et  réparties  suivant  que  l'exigent 
les  capacités  et  les  aptitudes  de  la  nation,  et  de  façon  qu'elles 
s'équilibrent  et  se  complètent.  Mais  saurait-on  demander 
à  l'Ëtat  d'intervenir  aussi  directement  dans  le  domaine 
des  activités  économiques  et  d'exercer  une  influence  sur  le 
mouvement  des  lichesses?  La  liberté  des  initiatives  ne 
vaut-elle  pas  mieux  et  les  paj's  jeunes  n'ont-ils  pas  toujours 
compté  sur  l'effort  individuel  plutôt  que  sur  l'appui  de 
l'autorité  administrative  ?  N'ont-ils  pas  refusé  de  recourir 
aux  rouages  compliqués,  aux  lenteurs  coûteuses  de  l'étatis- 


l'action  française  15 

me?  Aussi  bien  n'est-il  pas  question  de  confier  au  gou- 
vernement la  haute  direction  des  opérations  industrielles 
ni  de  lui  remettre  en  pleine  propriété  les  instruments  de 
production  pour  qu'il  en  use  à  sa  convenance;  mais  on 
admettra  que  l'État  doit  veiller  à  la  conservation  des  res- 
sources d'une  nation  et  donner  son  concours  et  sa  protec- 
tion aux  organisations  diverses  formées  dans  le  but  de  mettre 
en  exploitation  le  patrimoine  national.  Gouverner  c'est 
prévoir  et,  dans  l'espèce,  c'est  empêcher  que  les  richesses 
ne  soient  dilapidées  à  plaisir  et  c^ue  les  énergies  ne  s'épuisent 
inutilement. 

Nous  pouvons  résumer  dès  maintenant  les  grandes 
lignes  d'une  telle  politique  : 

Intervention  modérée  de  l'État  en  vue  de  concilier  les 
bienfaits  de  la  concentration  avec  les  véritables  intérêts  du 
peuple  ; 

Instruction  professionnelle  à  tous  les  degrés; 

Conservation  de  la  propriété  sociale; 

Développement  sj'stématique  des  ressources  nationales; 

Encouragements  à  l'agriculture  et  à  l'industrie; 

Décentralisation  administrative  et  création  de  minis- 
tères provinciaux  appropriés  aux  nouvelles  fonctions 
du  gouvernement; 

Organisation  du  crédit. 

Dégageons  deux  articles  de  ce  vaste  programme  : 
l'exploitation  rationnelle  des  ressources  nationales  et  l'en- 
seignement professionnel. 

Au  point  de  vue  industriel,  notre  pays  n'est  pas  resté 
stationnaire.  Les  statistiques  officielles  du  recensement 
fédéral  de  1916  confirment,  et  au  delà,  les  prévisions  des 
économistes  qui  avaient  parlé  de  «  l'industrialisation  » 
du  Canada.  Le  phénomène  se  précise  dans  l'Ouest,  où 
non  seulement  les  usines  se  multiplient  mais  où  les  consé- 


16  l'action  française 

quences  de  l'industrialisme  se  font  déjà  sentir  :  les  syndicats 
ouvriers  s'organisent  et  les  grèves  augmentent  dans  les 
provinces  de  Manitoba,  d'Alberta  et  de  Colombie  Britan- 
nique.' 

Cependant  ces  résultats  ne  doivent  pas  nous  leurrer 
sur  l'extension  d'un  mouvement  industriel  encore  mal 
défini.  Un  fait  brutal  ressort  également  de  nos  statistiques  : 
nous  n'utilisons  pas  nos  matières  premières  et  nous  n'avons 
pas  organisé  notre  production  dans  le  but  d'exploiter  métho- 
diquement et  sur  place  les  richesses  que  le  sol  nous  fournit. 
Ne  serait-ce  pas  pourtant  un  moyen  assuré  de  distancer  nos 
concurrents  et,  pour  certaines  industries,  de  constituer  en 
notre  faveur  une  sorte  de  monopole  ?  Nous  avons  établi 
chez  nous,  non  sans  difiScultés,  les  industries  textiles.  C'est 
fort  bien;  mais  notre  situation  économique  et  les  ressources 
que  nous  procure  notre  milieu  ne  doivent-elles  pas  nous 
diriger  de  préférence  vers  d'autres  entreprises  où  notre 
succès  sera  plus  certain,  moins  précaire?  Comment 
lutterons-nous  contre  l'Angleterre  qui  produit  en  abondance 
et  à  bon  compte  des  cotonnades  et  des  lainages  de  qualité 
reconnue?  La  main-d'œuvre  est  chère,  au  Canada,  et  le 
prix  du  capital  est  élevé  :  il  nous  faut  chercher  une  compen- 
sation dans  la  matière  première  et  la  force  motrice.  Tour- 
nons-nous plutôt  vers  l'industrie  forestière  et  ses  dérivés, 
vers  l'industrie  des  métaux;  exploitons  les  produits  de  nos 
mines;  faisons  servir  à  la  production  nos  forces  hydrauli- 
ques; utilisons  nos  propres  matériaux.  «  Cultivons  d'abord 
dans  notre  jardin  national,  écrit  Bouchette,  celles  de  nos 
plantes  indigènes  que  les  autres  pays  ne  possèdent  point 
en  quantités  exploitables.  » 

Parmi  les  autres  moyens  qui  nous  y  aideront  puissam- 
ment, il  convient  de  mentionner  au  premier  chef  l'ensei- 
gnement professionnel.     Répandue  en   Europe,  l'instruc- 


l'actiok  française  17 

tion  technique  a  été  une  des  causes  du  progrès  économique 
des  grands  pays  producteurs.  Elle  a  transformé  l'atelier 
et  discipliné  l'armée  des  travailleurs.  La  France  a  voulu 
donner  aux  enfants  ayant  quitté  l'école  élémentaire  une 
instruction  plus  spéciaKsée,  mieux  adaptée  aux  circons- 
tances de  la  vie  moderne.  Elle  a  compris  l'importance 
d'une  bonne  formation  technique  pour  l'ouvrier.  Elle  a 
mis  l'instruction  à  la  disposition  des  hmnbles,  leur  ouvrant 
l'école  et  leur  permettant  d'assurer  par  une  étude  raisonnée 
du  métier  l'efficacité  de  leurs  qualités  innées  et  de  leurs 
dispositions  naturelles.  L'Allemagne  fut  encore  plus  éner- 
gique. Elle  institua  l'instruction  technique  obligatoire, 
la  faisant  ainsi  pénétrer  de  vive  force  dans  les  masses. 
Des  écoles  furent  disséminées  par  tout  le  pays,  avec  la 
collaboration  active  des  patrons. 

Dans  la  province  de  Québec,  le  mouvement  est  donné. 
Des  écoles  techniques  ont  été  créées,  qui  sont  fréquentées. 
En  peu  de  mois,  les  élèves  y  acquièrent  des  connaissances 
variées,  précieuses,  nécessaires;  ils  de\àennent  rapidement 
des  travailleurs  modèles;  ils  font  des  travaux  que  des 
ouvriers  plus  âgés,  et  qui  n'ont  guère  à  leur  acquit  que  les 
enseignements  de  la  pratique  et  de  la  routine,  seraient 
embarrassés  d'exécuter.  Que  si,  maintenant,  on  veut 
décupler  cet  enseignement  et  le  répandre  partout,  il  ne  sera 
pas  nécessaire  de  réorganiser  absolument  l'ensemble  de 
notre  système  scolaire.  Nos  universités,  explique  Bou- 
chette,  se  chargeront  de  l'instruction  supérieure  en  créant 
des  chaires  nouvelles;  nos  académies  pourront  donner 
l'enseignement  moyen  et  former  des  contremaîtres  d'atelier. 
A  tous  ces  élèves,  il  faudra  trouver  des  emplois  :  nos  fabri- 
ques réclament  déjà  une  main-d'œuvre  mieux  exercée,  et, 
plus  tard,  lorsque  l'expansion  industrielle  sera  chose  faite, 
les  ouvriers  trouveront  facilement  où  se  placer  et  pour  leur 


18  l'action  française 

plus  grand  avantage.  Enfin,  il  sera  touj  ours  possible  de  mul- 
tiplier les  écoles  techniques  élémentaires  et  de  les  adapter 
aux  besoins  des  différentes  régions.  Tout  cela  n'est-il  donc 
qu'une  utopie  ?  La  nécessité  d'une  instruction  qui  soit 
plus  pratique  se  fait  chaque  jour  sentir  davantage.  Il 
vaudrait  mieux,  évidemment,  qu'on  le  comprît  tout  de  suite; 
mais  la  force  des  choses  exigera  que  nous  accompHssions 
tôt  ou  tard  ces  réformes.  M.  Cohendy,  parlant  de  la  France 
écrivait  :  «  L'organisation  de  l'instruction  technique  n'est 
pas  une  simple  question  pédagogique;  c'est,  au  premier 
chef,  ime  question  vitale  pour  notre  pays.  »  Il  en  est  de 
même  pour  le  Canada. 


Les  grands  principes  de  la  politique  industrielle  que 
nous  venons  de  définir  ont  déjà  été  appliqués  dans  la  pro- 
\'ince  de  Québec  où  leur  réalisation  a  suscité  des  résultats 
merveilleux.  En  1882  fut  organisée,  avec  l'appui  du  gou- 
vernement, «  la  Société  d'industrie  laitière  de  la  province 
de  Québec  »,  dont  l'objet  est  de  provoquer  l'emploi  des 
meilleurs  procédés  d'exploitation,  de  faire  des  recherches 
scientifiques  et  de  seconder  l'initiative  des  syndicats  coopé- 
ratifs du  type  agricole.  Cette  société  est  à  l'origine  du 
remarquable  développement  de  l'industrie  laitière  dans  notre 
province.  En  1882,  cette  industrie  ne  comptait  guère. 
En  1891,  la  valeur  des  produits  laitiers  s'élevait  à  trois 
millions  de  dollars.  Elle  dépasse  aujourd'hui  vingt-trois 
millions.  '     C'est  une  somme. 

Le  développement  de  ces  industries  est  dû  à  une 
action  méthodique  et  réfléchie  de  la  part  des  syndicats 
agricoles  et  des  autorités  provinciales,  et  qui  a  eu  pour 

*  Annuaire  stalislique  du  Canada,  1916-1917,  p.  216. 


l'action  française  19 

conséquence  la  création,  en  peu  d'années,  d'une  source 
abondante  de  capital  et  de  revenu  pour  nos  cultivateurs. 
C'est  là  une  démonstration  éclatante  des  bienfaits  d'une 
politique  industrielle  éclairée.  Ces  résultats  intéressaient 
vivement  Errol  Bouchette  :  il  les  suivait  avec  attention; 
il  y  voyait  une  confirmation  de  ses  théories.  Aussi  bien 
a-t-il  voulu  appliquer  les  mêmes  principes  à  nos  industries 
forestières.  Il  consacre  à  ce  projet  d'organisation  indus- 
trielle les  deux  derniers  chapitres  de  son  livre. 

Les  forêts  constituent  notre  principale  richesse.  Elles 
ne  sont  pas  inépuisables,  mais  on  peut  les  conserver  et  les 
développer  par  une  culture  appropriée  et  rationnelle.  Elles 
fournissent  la  matière  de  nombreuses  industries  qui  pour- 
raient être  créées  chez  nous  et  nous  assurer  une  sorte  de 
monopole.  Le  Canada  deviendrait  ainsi  un  pays  d'indus- 
tries forestières.  En  1917,  nous  avons  exporté  pour  plus 
de  56  millions  de  dollars  ^  en  produits  forestiers  et  leurs 
dérivés.  La  plupart  de  ces  produits  sont  exportés  à  l'état 
brut  ou  à  l'état  semi-ouvré.  Nous  perdons  ainsi  l'avan- 
tage que  nous  offre,  au  point  de  vue  industriel,  l'abondance 
de  la  matière  première  considérée  comme  élément  du  prix 
de  revient  et  aussi  les  profits  additionnels  que  nous  pour- 
rions tirer  de  la  fabrication  sur  place  et  que  d'autres  pays 
touchent  pour  nous.  Voilà  un  des  points  précis  où,  par 
une  politique  industrielle  et  commerciale,  on  pourrait 
augmenter  notre  production  intériem'e  et  nos  exportations 
à  l'étranger.  Bouchette  conseille  de  recourir  à  la  consti- 
tution d'une  «  Société  des  industries  forestières  ))  ayant 
un  but  analogue  à  celui  de  la  «  Société  de  l'industrie  lai- 
tière »  et  disposant  des  mêmes  moyens  d'action  :  étude  des 
procédés  industriels,  organisation  d'un  enseignement  spé- 

1  Annuaire  statistique  du  Canada,  1916-1917,  p.  320. 


20  l'action  française 

cial,  recherches  scientifiques,  vulgarisation  des  meilleures 
méthodes,  organisation  de  syndicats  locaux  et  centralisa- 
tion des  produits  en  vue  d'en  faciliter  la  vente.  Ceux  que 
ces  questions  intéressent  plus  spécialement  liront  avec 
intérêt  les  pages  où  Bouchette  développe  son  projet.  Il 
serait  peut-être  d'une  exécution  assez  lente,  mais  il  repose 
sur  une  idée  féconde  :  l'utilisation  de  nos  ressources  immé- 
diates et  la  constitution  d'une  industrie  nationale. 


«  Si  le  groupe  français  du  Canada,  écrit  Errol  Bouchette, 
veut  conserver  sa  part  légitime  d'influence  dans  la  chose  publi- 
que, il  ne  doit  pas  se  contenter  de  vivre  dans  la  contemplation 
de  ses  gloires  passées. . .  Les  Canadiens  finançais  qui  ont 
déjà  la  gloire  d'avoir  dépassé  leurs  rivaux  dans  le  maniement 
de  la  constitution  britannique,  pourraient  les  vaincre  également 
sur  le  terrain  industriel  et  commercial,  acquérant  ainsi  la 
richesse  et  l'influence  nécessaires  à  l' accomplissement  de  leur 
œuvre  en  Amérique.  »  L'œuvre  d'un  peuple  n'est  jamais 
terminée  et  les  générations  qui  le  perpétuent  reçoivent 
chacune  une  mission  à  remplir.  Les  événements  qui  se 
précipitent  imposent  à  nos  énergies  une  orientation  nou- 
velle. Nous  avons  triomphé  naguère  dans  l'arène  poli- 
tique :  cette  victoire  nous  a  valu  des  droits  que  nous  devons 
maintenir.  Là  ne  s'arrête  pas  notre  effort,  ne  l'oublions 
pas.  Nous  nous  égarons  trop  volontiers  dans  des  discus- 
sions stériles,  et  nous  perdons  le  meilleur  de  nos  forces  à 
discourir  quand  d'autres  agissent.  Répétons-le  :  la  ques- 
tion nationale  est  devenue  une  question  économique.  Si 
nous  voulons  remplir  notre  rôle  et  sauvegarder  nos  origines, 
nous  devons,  comme  nous  avons  fait  autrefois,  lutter  avec 
les  armes  mêmes  dont  on  nous  menace.  Lorsque  nous 
aurons  acquis  la  richesse  nous  pourrons  développer  en  nous 


l'action  française  21 

la  culture  française  et  nous  tourner  vers  la  suprême  con- 
quête :  la  puissance  intellectuelle.  Xous  ne  survivrons  pas 
autrement. 

Errol  Bouchette  était  un  fervent  de  cette  philosophie 
idéaliste  de  l'action.  Il  était  optimiste,  mais  sans  fai- 
blesse. Il  n'épargnait  pas  nos  défauts.  Il  les  criblait  de 
traits,  mais  il  savait  envelopper  sa  pensée  pour  qu'elle 
ne  perdît  rien,  dans  son  exactitude,  de  la  distinction  qui 
sied.  Il  était  avant  tout  généreux  et  désintéressé.  Il 
accueillait  avec  une  grâce  ouverte  tous  ceux  —  et  ils  étaient 
nombreux  —  qui  venaient  le  consulter.  Il  aimait  ardem- 
ment son  paj's,  comme  une  chose  vivante.  Il  l'a  servi  et 
défendu,  par  l'idée,  jusqu'à  la  fin.  Il  est  parti  trop  tôt, 
emportant  ce  dernier  regret  de  n'avoir  pas  pu  terminer  son 
œuvre.  Sa  mort  a  passé  rapidement  parmi  nous.  Il  a 
laissé  bien  des  souvenirs  qui  ne  se  sont  pas  exprimés. 

Plus  tard,  ceux  qui  voudront  comprendre  nos  desti- 
nées et  chercher  une  raison  d'être  à  nos  efforts  de  demain, 
devront  demander  à  sa  pensée  les  arguments  qui  nous  sau- 
veront. Il  prendra  rang  parmi  tous  ces  penseurs  oubUés 
dont  le  tom-ment  superbe  fut  de  nous  aider  dans  notre 
existence  de  lutte,  en  multipliant  pour  nous  les  raisons  de 
croire  et  d'espérer;  tous  ces  écrivains  à  qui  notre  histoire  n'a 
pas  rendu  un  suffisant  hommage,  et  qu'une  génération 
affairée  néglige  d'honorer  comme  ils  le  méritent;  tous  ces 
hommes  qui  possédaient  l'inaltérable  amour  de  la  race  et 
qui,  émerveillés  des  gestes  accomplis  par  nos  ancêtres, 
cherchaient  à  en  dégager  une  pensée  inspiratrice,  à  tirer  de 
la  grande  leçon  des  faits  un  principe  de  vie,  une  volonté  de 
survivance,  à  renfermer  dans  une  formule  féconde  la  belle 
vigueur  et  la  discipline  victorieuse  de  notre  histoire  fran- 
çaise. 

Edouard  Mgntpetit. 


LES  PRECURSEURS 


L'Action  française  a  terminé  en  décembre  son  enquête 
sur  Nos  forces  nationales.  Nos  collaborateurs  de  Van 
dernier  ont  surtout  considéré  le  présent  pour  préparer  V avenir. 
Cette  année  nous  irons  vers  le  passé.  Puisqu'il  n'est  point 
de  périodes  indépendantes  dans  la  vie  d'un  peuple,  toutes 
doivent  s'adapter  afin  de  se  soutenir.  Et  l'on  n'édifie  intelli- 
gemment le  présent  que  si  on  l'appuie  sans  cesse  sur  ce  gui 
était  avant  lui. 

Dans  ce  passé  nous  irons  chercher,  pour  les  faire  compa- 
raître et  les  faire  papier  et  agir  encore,  ceux  qui  autrefois,  par 
leurs  idées,  leurs  initiatives,  leur  action,  ont  été  quelque  peu 
les  artisans  de  l'époque  que  nous  vivons,  parce  qu'ils  ont  posé 
des  pierres  d'attente  en  songeant  au  lendemain.  Et  ce  sera 
la  contribution  des  «  précurseurs  »  à  l'œuvre  de  /'Action 
française. 

Nous  appelons  «  précurseurs  »  ceux-là  des  ancêtres  qui, 
dans  les  divers  domaines  de  la  pensée  et  de  l'action,  ont  élaboré 
les  premiers  les  programmes  ou  les  entreprises  que  nous 
essayons  d'exécuter  ou  de  développer  aujourd'hui.  Les  uns, 
esprits  plus  hardis,  ont  pris  les  devants  et  ils  ont  vu  loin  dans 
l'avenir.  Pendant  qu'autour  d'eux-  on  s'enfermait  dans  les 
préoccupations  de  chaque  jour,  eux  s' efforçaient  de  prévoir  ; 
ils  accomplissaient  leurs  devoirs  de  chefs  et  d'éclaireurs  en 
ouvrant  des  voies  nouvelles,  en  s'assu7-a7ît  les  conquêtes  essen- 
tielles, en  préparant  pour  les  générations  prochaines  des 
instruments  de  travail  et  de  succès.  D'autres,  plus  récents, 
laissaient  leurs  contemporains  s'agiter  dans  les  œuvres 
vides,  et  phis  particulièrement  dans  les  passions  sonores  77iais 


1 


l'actiox  française  23 

stériles  de  la  politique.  Ils  se  vouaient,  malgré  le  silence  et 
quelquefois  malgré  le  mépris,  à  la  défense  des  intérêts  plus 
élevés,  aux  entreprises  de  bienfaisance  pratique;  ils  mainte-^ 
naient  le  souci  des  choses  nationales,  ils  servaient  et  défendaient 
nos  croyances,  ils  nous  rapprenaient  nos  vieilles  attitudes. 
Quelques-uns  même  bravaient  l'indifférence  universelle  et  se 
donnaient  aux  préoccupations  de  V esprit,  aux  recherches  de  la 
science,  aux  travaux  d'art.  Presque  tous  humbles  isolés, 
incompris  presque  toujours,  ils  personnifiaient  cet  élément 
d'immortalité  qui  survit  en  toute  race;  ils  étaient  la  «  mèche 
qui  fume  encore  »  quand  on  croyait  l'idéal  éteint.  Leur 
force  ce  fut  d'interroger  constamment  la  tradition  pour  la 
mieux  servir  et  d'aller  aux  œuvres  pratiques,  à  celles  qui 
construisent.  Puis,ils  faisaient  quand  même  leur  rude  journée, 
patiemment,  pour  satisfaire  leur  conscience,  avec  une  secrète 
intuition  parfois  que  leur  modeste  effort  ne  serait  pas  vain, 
qu'ils  étaient  des  semeurs  d'avenir. 

Leur  espérance  n'aura  pas  été  trompée.  Nous  voulons 
que  leur  pensée,  leur  expérience  reviennent  éclairer  les  nôtres. 
Pour  qu'il  en  soit  ainsi  nous  avons  demandé  à  nos  collabo- 
rateurs de  mettre  en  relief,  dans  la  vie  et  l'œuvre  de  ces  ancêtres, 
l'idée  maîtresse,  l'inspiration  de  fond  sans  doute,  mais  aussi 
les  réalisations  pratiques  commencées  par  eux  et  les  obstacles 
que,  pour  agir,  ils  avaient  dû  briser. 

Après  avoir  été  des  précurseurs,  ils  reviendront  ainsi 
collaborer  au  travail  qu'ils  n'ont  pu  achever  ;  ils  nous  seront 
des  auxiliaires.  Notre  génération  devait,  du  reste,  cet  hom- 
mage à  ceux  qui  n'ont  jamais  désespéré,  qui  furent,  en 
quelque  manière,  les  a^gents  de  la  survivance. 

Voici  la  liste  des  «  précurseurs  ))  qui  feront  l'objet  d'une 
étude  ;  l'on  trouvera  en  regard  le  nom  de  nos  collaborateurs  : 

Errol  Bouchette Edouard  Moxtpetit. 

Napoléon  Bourassa Abbé    0.    Maurault. 


24 


L  ACTION   FRANÇAISE 


Dr  Jacques  Labrie Abbé  Georges  Courchesne 

Edmond  de  Nevers Antonio  Perrault. 

Pierre  Bédard Léon-Mercier  Gouin. 

Mgr  Adélard  Langevin Abbé  Philippe  Perrier. 

Ferdinand  Gagnon Henri  d' Arles. 

J. -Adolphe  Ckicoyne Abbé  Emile  Chartier. 

Calixa  Lavallée Arthur  Letondal. 

L'abhé  L.  Provencher Frère  Marie-Victorin. 

Jules  Tardivel Henri  Bourassa. 

Le  Père  Lefébvre Un  AcaIjien. 

Nos  lecteurs  peuvent  s^en  rendre  compte  :  nous  leur 
promettons  des  études  substantielles  et  d'une  tenue  et  d'une 
perfection  qui  ne  le  céderont  en  rien  aux  articles  de  Van 
dernier.  L'Action  française  entend  ainsi  continuer  son 
œuvre  qui  est  d'aller  chercher  dans  les  inspirations  tradition- 
nelles, une  direction  sûre  et  efficace  pour  le  présent. 

Lionel  Groulx,  ptre. 


Des  numéros  de  mars  1917 
demandés. 


Poui"  compléter  des  collections  de  V Action 
française  de  1917,  réclamées  par  nombre  de 
nouveaux  abonnés,  notre  revue  recevrait  avec 
reconnaissance  les  numéros  du  mois  de  mars 
1917  s'il  peut  s'en  trouver  de  disponibles  chez 
nos  lecteurs. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Le  COmifieïCe        En   temps   de   guerre   les   sen-ices   varient.     Le 

Qfigldis  ^^^  capricieux  des  circonstances  impose  au  soldat 

de  courir  soudainement  à  tel  point  menacé,  d'opérer 

ici  une  reconnaissance  rapide,  de  précipiter  là  quelque  attaque  impré\'ue. 

Hier,  alors  que  le  commerce  —  ce  champ  de  bataille  où  la  langue 

française  subit  au  Canada  de  si  rudes  assauts  —  était  li^Té  à  l'activité 

des  fins  d'année,  je  suis  allé  explorer  quelques  grands  magasins  anglais 

de  la  métropole. 

En  quête  de  papeterie  et  de  li\Tes,  j'ai  hardiment  dirigé  mes  pas 
vers  Almy,  Morgan,  Goodinn,  persuade  que  j'en  rapporterais,  sinon 
les  articles  voulus,  du  moins  une  assez  riche  moisson  d'obser\'ations 
intéressantes.     Mes  pré\-isions  se  sont  réalisées. 

Attitudes  Chez  Almy  —  bien   qu'on  n'y  trouve    aucun    li\Te 

difféTeflteS  f^'^oÇ^'is  —  le  bUingulsme  est  ^Taiment  en  honneur. 
Au-dessus  de  chaque  étalage,  inscriptions  en  français 
et  en  anglais  :  non-seulement  les  inscriptions  permanentes,  largement 
imprimées,  mais  aussi  celles  qu'une  main  d'artiste  a  hâtivement  des- 
sinées à  l'occasion  des  fêtes.  Même  constatation  pour  le  personnel. 
On  semble  y  parler  couramment  les  deux  langues;  du  moins  il  y  a  tant 
d'employés  français  mêlés  aux  anglais  qu'on  se  sent  dans  une  maison 
bilingue. 

Chez  Morgan,  tout  le  contraire.  J'ai  beau  regarder  et  regarder  : 
aucime  inscription  française.  Mais  après  tout,  je  n'ai  que  deux  yeux; 
quelque  chose  peut  m'échapper.  J'en  appelle  à  ceux  de  mon  compa- 
gnon, ils  font  le  même  rapport  :  rien  à  l'œil  nu.  J'avise  une  espèce , 
de  majordome  et  lui  demande,  dans  ime  langue  qui  ne  lui  semble  pas 
famihère,  —  bien  qu'elle  soit  l'une  des  langues  officielles  de  ce  pays  et 
celle  que  parle  la  majorité  des  habitants  de  cette  ville, —  si  je  pourrais 
me  procurer  des  Mxxes  français.  Il  me  regarde  d'un  air  embarrassé, 
se  fait  répéter  ma  question,  puis,  souriant,  s'excuse  en  anglais  de  ne  pas 
me  comprendre  et  me  prie  de  le  suivre.  Bientôt  je  l'entends  héler  un 
de  ses  confrères  qui  passe  et  lui  dire  que  son  french  langvage  est  requis. 


26  l'action  française 

Celui-ci  s'amène,  puis  me  conduit  à  la  librairie  où  je  constate  que  les 
livres  en  vente  sont  aussi  unilingues  que  le  personnel. 

Quelques  bonnes  bouffées  d'air  pur  respirées,  dans  la  rue,  avec 
volupté,  et  nous  sommes  déjà  chez  Goodwin.  C'est  le  milieu  entre 
Almy  et  Morgan.  Un  certain  nombre  d'inscriptions,  pas  toutes,  pas 
la  majorité,  dans  les  deux  langues.  De  même  parmi  les  commis  quel-- 
ques-uns  seulement  sont  bilingues.  Le  premier  à  qui  je  m'adressai  ne 
l'était  pas,  mais  il  se  retourna  vivement  vers  sa  voisine  qui  sut  me 
comprendre.    EUe  ne  put  cependant  me  donner  les  livres  désirés. 

Rôle  des  Nous  parlions  dans  notre  dernière  chronique  de  ce 

fpfyjfyjfc  que  la  femme  canadienne-française  peut  faire  pour 
sa  langue  au  foyer  domestique.  C'est  là  son  principal 
champ  d'action;  ce  n'est  pas,  on  le  conçoit,  le  seul.  Presque  toutes 
les  femmes  sont  ou  acheteuses  ou  vendeuses.  Des  premières,  le  devoir, 
est  clair  et  simple.  Constamment,  où  qu'elles  soient,  qu'elles  s'adres- 
sent en  français  au  commis.  S'il  ne  peut  pas  répondre,  eUes  auront  au 
moins  montré  qu'il  y  aurait  avantage  pour  lui  à  savoir  le  français, 
qu'il  satisferait  ainsi  plus  complètement  sa  chentèle.  Les  vendeuses, 
elles,  sont  obligées  de  tenir  compte  de  la  langue  de  leur  cUent.  Et  de 
même  que  nous  voulons  être  servais  en  français,  nous  comprenons  que 
d'autres  veulent  être  servis  en  anglais.  Mais  avec  les  nôtres,  ou  avec 
les  personnes  dont  elles  ignorent  la  langue,  que  les  vendeuses  n'hésitent 
pas  im  instant  à  parler  français.  N'est-ce  pas  là  du  patriotisme  ration- 
nel et  de  bon  aloi  ? 

Je  crains  bien  cependant  que  plusieurs  n'aient  pas  cette  mentalité, 
qu'elles  conçoivent  leur  rôle  autrement,  ou  plutôt  qu'elles  n'aient  jamais 
songé  à  cela,  qu'elles  n'en  soupçonnent  même  pas  l'importance,  et  que, 
plongées  dans  une  atmosphère  anglaise,  elles  s'en  imbibent  et  suivent 
docilement  le  courant  qui  les  porte  à  néghger  leur  langue. 

La  Fédération  Nationale      ii  y  a  là  toute  une  éducation  à 
Saint-Jean-Baptiste       ^^'^^'  p^^^  f^"^^'  ^°  générai,  qu'on 

ne  croit,  mais  délicate  et  qui  doit 
être  poursuivie  avec  constance.  Qui  pourrait  l'entreprendre  aussi  bien 
que  la  Fédération  nationale  Saint-Jean-Baptiste  ?  Dirigée  par  des 
Canadiennes  françaises  de  bonne  trempe,  elle  groupe  un  grand  nombre 
de  jeunes  fiUes  employées  dans  les  usines,  les  bureaux,  les  magasins,  et 
exerce  sur  elles  une  influence  profonde.  Qu'elle  leur  enseigne  ce 
qu'exige  leur  patriotisme  et  peu  s'y  refuseront. 


l'action  française  27 

Nous  sommes  heureiLX  de  pouvoir  dire  que  ce  travail  est  déjà 
commencé.  Les  directeurs  de  la  Ligue  des  Droits  du  français  ont  eu  le 
plaisir  de  rencontrer,  il  y  a  quelques  mois,  la  distinguée  présidente  de  la 
Fédération  nationale  et  quelques-imes  de  ses  conseillères.  Après  un 
échange  de  vues  fructueux,  un  comité  d'action  française  a  été  fondé 
au  sein  de  la  Fédération  et  confié  à  des  personnes  dévouées  et  actives. 
L'une  d'entre  elles  dira  sans  doute,  avant  longtemps,  à  nos  lecteurs 
quel  est  leur  travail  et  quels  fruits  en  résultent. 

Le  vieux  L'époque  des  fêtes  avait  l'habitude  de  ramener 

SOfltCl  ClttUS  ^  Montréal  le  vieux  Santa  Clans.  On  le  voyait 
à  tous  les  coins  de  rue.  Il  est  revenu  cette  année, 
mais  invité  par  les  maisons  anglaises  seulement.  Les  maisons  françaises 
ont  trouvé  qu'il  sentait  trop  le  Boche  et  lui  ont  fermé  le\irs  portes. 
J'entends  les  maisons  françaises  de  Montréal,  car  je  vois  qu'un  grand 
magasin  de  Québec  lui  a  donné  de  nouveau  une  chaude  hospitalité. 
C'est  une  faute.  Je  sais  bien  qu'on  a  tenté  de  prouver,  voici  deux  ou 
trois  ans,  que  le  vieux  gâteux  avait  ime  origine  chrétienne.  Mais  outre 
que  les  preuves  n'ont  pas  paru  probantes,  qui  oserait  soutenir  que  son 
nom  et  sa  physionomie  actuels  commandent  le  respect  et  s'harmonisent 
avec  notre  mentalité  ?  Ne  peut-on  trouver  dans  nos  traditions  catho- 
Uques  et  françaises  un  autre  personnage  que  celui-là,  qui  apporte 
aux  enfants  sages  des  jouets  et  du  bonheiu:  ?  La  plupart  des  marchands 
et  des  pères  de  famille  ont  fini  par  le  comprendre  :  à  Santa  Clans  ils  ont 
heureusement  substitué  le  Bonhomme  Noël,  saint  Nicolas,  l'Enfant- 
Jésus. 

CuïtCS  cl  Cette  première  réforme  devrait  en  amener  d'autres. 

COlcndïieTS  ^^  P^^^  ^^  plus,  il  faut  nous  efforcer  de  redonner  aux 
différentes  formes  de  notre  activité,  à  tout  ce  qui 
manifeste  notre  vie,  une  teinte  bien  française.  Je  signale  aussitôt, 
puisqu'ils  font  surtout  leur  apparition  à  l'époque  des  fêtes,  les  cartes 
et  les  calendriers  qui  s'échangent  alors.  Pendant  longtemps  ils  ont 
été  de  facture  et  d'inscriptions  anglaises.  Une  importante  Hbrairie 
de  Montréal  a  voulu  éditer  cette  année  des  cartes  postales  artistiques 
françaises.  Elles  portent  en  effet  des  souhaits  dans  notre  langue  : 
Joyeux  Noël  —  Heureuse  année  —  Tous  mes  vœux  pour  votre  fête  — 
Malheureusement  on  Ut  au  verso  :  Post  Card.  Correspondence.  Address. 
Place  Postage  stamp  hère,  et  pas  un  mot  de  français. 


28  l'action  française 

Encore  un  coup,  on  ne  saurait  trop  dire  combien  il  est  regrettable 
que  nous  laissions  ainsi  en  anglais,  dans  un  grand  nombre  d'entreprises, 
ce  qu'on  pourrait  appeler  la  partie  matérielle  ou  commerciale.  C'est 
cela  qu'on  remarque  à  l'étranger  et  par  quoi  souvent  on  nous  juge. 
La  librairie  qui  a  édité  ces  cartes  le  sait  bien.  Tout  récemment  encore 
un  prêtre  de  France,  auteur  d'un  excellent  catéchisme,  lui  envoie  son 
ouvrage,  en  ajoutant  :  «  Je  vous  autorise  à  le  traduire  dans  votre 
langue.  »  Dans  notre  langue. . .  ?  En  quoi  diffère-t-elle  de  la  vôtre. 
Monsieur  l'abbé  ?  —  Mais  de  vrai,  nous  ne  l'avons  pas  volé.  Et  si  l'on 
nous  prend  ailleurs  pour  des  Anglais,  les  principaux  responsables  c'est 
nous. 

P aySQëCS  Pom-  les  calendriers,  un  immense  progrès  a  été 

de  chez  flous  ^^^^^^^-  P^^  de  maisons  canadiennes-françaises  en 
offrent  maintenant  avec  les  noms  des  jours  et  des 
mois  en  anglais.  Or  cela  se  pratiquait  communément  il  y  a  quelques 
années.  Une  amélioration  importante  reste  cependant  à  accomplir. 
La  plupart  des  gravures  qui  ornent  ces  calendriers  représentent  des 
personnages  ou  des  paysages  pris  hors  de  chez  nous.  Cela  s'explique. 
Ces  gravures  viennent  des  États-Unis.  Mais  ne  pourrait-on  les  fabri- 
quer ici  comme  on  fabrique  l'autre  partie  du  calendrier?  Il  y  aurait 
même  là  une  très  belle  occasion  de  mieux  faire  connaître  notre  pays, 
ses  sites  enchanteurs,  les  grandes  scènes  de  son  histoire.  M.  Mont- 
petit  a  révélé  dernièrement  Percé  à  plusieurs  Montréalais.  Si  la  gra- 
vure continuait  maintenant  et  ampUfiait  son  œuvre?  Si  des  milliers 
de  calendriers  popularisaient  le  rocher  merveilleux,  les  hautes  falaises, 
la  plage  aux  horizons  infinis  ?  Et  que  d'autres  paysages  canadiens,  que 
de  scènes  historiques  ou  familiales  qu'accompagnerait  une  brève 
légende  et  dont  la  simple  vue  rattacherait  au  sol  les  gens  de  chez  nous, 
on  pourrait  ainsi  répandre  dans  les  foyers  :  le  Ruisseau  de  Rivard,  un 
Soir  du  mois  de  Marie  à  la  vieille  croix  du  Bois-Vert,  tel  que  l'a  décrit 
l'abbé  Groulx,  la  vieille  fontaine  qu'a  chantée  Blanche  Lamontagne  : 

Il  est  au  paijs  de  chez  7ious 
Dans   les    herbages    de    la    plaine, 
Près  du  grand  champ  de  trèfles  roux, 
Une  vieille  et  belle  fontaine. 

Je  m'arrête.  Mille  sujets  affluent  à  ma  mémoire,  les  compositions 
de  Julien,  les  croquis  que  contenait  le   dernier  Souvenir   annuel   du 


L  ACTION    FRANÇAISE 


29 


Collège  Sainte-Marie,  les  jolies  illustrations  de  VAlmanach  de  l'Action 
sociale  catholique,  etc.,  etc.  Il  y  a  là  une  mine  à  exploiter.  Des  con- 
cours intéressants  pourraient  s'organiser.  Le  patriotisme  y  gagnerait. 
Et  surtout  nous  serions  débarrassés  des  American  Beauiies,  des  Sky- 
scrapers,  des  Stars  and  Stripes,  et  autres  gravures  du  même  genre. 

Cdidlo^UCS  Je  signale  d'un  mot.  en  terminant,  deux  catalogues 
bilingues  ^^^  m'ont  été  envoyés  et  font  vraiment  honneur  aux 
maisons  qui  les  ont  publiés  :  la  maison  J.-D.  Camirand 
de  Montréal,  et  la  fabrique  de  pianos  Lesage  de  Sainte-Thérèse.  Ceux 
qui,  au  point  de  vue  de  l'art  ou  pour  quelque  autre  raison,  s'insurgent 
contre  le  biUnguisme,  feraient  bien  de  feuilleter  ces  catalogues.  Ils 
modifieraient  probablement  leurs  idées. 

Pierre  Homier. 


Al// S 

À  NOS  CORRESPONDANTS 


Sauf  dans  le  cas  de  communications  per- 
sonnelles, nos  amis,  lecteurs  et  clients  sont  priés 
de  toujours  adresser  leurs  correspondances  soit 
à  l'Action  française,  soit  à  La  Ligue  des  Droits 
du  français,  bureau  32,  immeuble  de  la  Sauve- 
garde, Montréal.  Autrement,  par  suite  d'ab- 
sence ou  d'autres  raisons,  il  en  résulte  des 
retards. 

L'Action  française. 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 


Notre  REvrE  —  Notre  re\nie  fait  naturellement  le  centre  de  ce 
que  l'on  pourrait  appeler  la  \-ie  de  Y  Action  française.  C'est  à  sa  fon- 
dation que  devaient  aboutir  nos  premières  publications,  les  nouvelles 
la  complètent,  eUe  reste,  entre  nos  amis  et  nous,  le  grand  moyen  de 
communication  et,  par  là,  le  principe  de  la  plupart  de  nos  progrès. 
Aussi  bien,  c'est  sur  elle,  sur  sa  rapide  diffusion,  qu'il  importe  de  faire 
porter  ime  grosse  partie  de  nos  efforts.     Elle  entraînera  le  reste. 

Nous  n'avons  certes  pas  à  nous  plaindre  .  Aucime  re\'ue  n'a  peut- 
être  chez  nous  cormu  un  tel  succès.  Mais  il  reste  encore  beaucoup  à 
faire,  et  ce  beaucoup,  si  chacun  y  voulait  mettre  la  main,  ne  serait  paô 
très  difficile  à  réaUser.  Que  chacun  loyalement  s'interroge  et  combien 
pourront  dire  qu'il  ne  leur  serait  pas  assez  facile  de  nous  trouver  un 
nouvel  abonné  ?  Et,  pour  un  certain  nombre  qui  peuvent  être  incapa- 
bles de  cet  effort,  combien  qui  pourraient  nous  amener  deux,  trois, 
quatre  abonnés  ou  plus?  Il  suffirait  parfois,  pour  déclencher  ime 
adhésion  nouvelle,  d'un  mot.  Ce  mot,  pourquoi  hésiteriez-vous  à  le 
dire? 

L'Action  française  n'est  pas  tout  ce  que  nous  la  voudrions,  mais  il 
nous  semble  que,  telle  quelle,  elle  vaut  un  peu  plus  que  la  piastre  que 
nous  réclamons  annuellement.  Quelle  revue,  chez  nous,  a  publié  ime 
série  d'articles  supérieurs  à  l'enquête  sur  Nos  forces  nationales  qui  s'est 
achevée  avec  l'étude  de  Mgr  Béliveau?  En  est-il  une  qui  promette 
quelque  chose  de  mieux  que  cette  série  sur  Les  Précurseurs,  qu'inaugure 
ce  mois-ci  M.  Edouard  Montpetit?  Quelle  autre  fait  à  l'information 
documentaire  une  aussi  large  part  ?  Laquelle  suit  d'aussi  près  la  lutte 
pour  la  langue  ?  D'autres  accompUssent  une  œuvre  que  nous  sommes 
heureu-\  de  louer  à  l'occasion,  mais  nous  avons  notre  besogne  à  part  et 
î'on  veut  bien  reconnaître  que  nous  ne  nous  en  acquittons  pas  trop  mal. 
Et  comme,  ni  les  uns  ni  les  autres,  nous  n'y  trouvons  de  bénéfice  per- 
sonnel, nous  sommes  en  excellente  posture  pour  demander  à  tous  ceu.\ 
qui  jugent  que  nous  faisons  un  travail  utile  de  nous  donner  un  coup  de 
main. 

Ce  coup  de  main,  on  peut  l'apporter  sous  bien  des  formes.  Nous 
prions  qu'on  sonee  pareillement  à  l'annonce  et  à  l'abonnement.     Nous 


l'action  française  31 

nous  adressons  à  un  public  qui,  pour  certaines  spécialités,  fait  assuré- 
ment de  nos  annonces  un  article  fort  désirable.  C'est  un  motif  à 
faire    valoir,  à  côté  de  l'argument  de  sympathie. 

Nous  tenons  à  la  disposition  de  nos  amis  qui  voudront  bien  l'uti- 
liser une  pancarte  que  l'on  peut  afficher  dans  les  bureaux  et  qui  est  ime 
invitation  permanente  à  l'abonnement.     On  n'a  qu'à  nous  la  réclamer. 


Nos  CONFÉRENCES  —  L'œuvTe  des  conférences  prend  un  développe- 
ment dont  nos  amis  se  réjouiront  avec  nous.  La  série  du  Monument 
National  obtient  un  éclatant  succès.  Inaugurée  par  M.  Henri  Bourassa, 
sous  la  présidence  de  M.  l'abbé  Perrier,  elle  s'est  poursui\'ie  avec 
M.  Léon  Lorrain,  sous  la  présidence  de  M.  le  sénateur  Belcourt,  et  M. 
Antonio  Perrault  (présidence  de  M.  Aimé  Geoffrion).  Elle  se  con- 
tinuera, le  19  février,  avec  le  R.  P.  Louis  Lalande,  S.  J.,  pour  se  ter- 
miner, en  mars  et  a\Til,  avec  MM.  Armand  Lavergne  et  Edouard 
Mont  petit. 

On  aura  remarqué  que,  très  différente  spar  leur  objet  immédiat,les  six 
conférences  serattachent  à  ime  pensée  maîtresse.  M.  Bourassa  indiquait 
les  hens  qui  rattachent  à  la  lutte  pour  la  foi,  la  lutte  pour  la  langue. 
M.  Lorrain  montrait  comment  la  lutte  pour  la  langue  est  un  élément 
de  supériorité  économique,  AL  Perrault  a  rattaché  à  la  lutte  géné- 
rale pour  notre  surx'ivance  nationale  la  défense  de  nos  lois  françaises. 
Les  conférences  suivantes  illustreront  d'autres  aspects  du  problème. 

La  conférence  de  ]\L  Bourassa  est  aujourd'hui  pubhée  (nous  en 
parlons  ailleurs),  celles  de  MM.  Lorrain  et  Perrault  seront  bientôt 
remises  à  l'imprimeur.  Elles  pourront  ainsi  prolonger  l'effet  bienfai- 
sant qu'elles  ont  déjà  produit.  On  imprimera  de  même,  nous  l'espérons, 
celles  qui  compléteront  la  série. 

Nous  avons  à  peine  eu  le  temps  de  signaler  l'autre  mois  la  con- 
férence que  venait  de  donner  M.  Léon  Lorrain.  Il  faut  au  moins 
ajouter  qu'elle  constitue  un  plaidoyer  que  beaucoup  seraient  heureux 
de  voir  entre  les  mains  de  toiLS  les  élèves  des  classes  supérieures  de  nos 
collèges  commerciaux.  On  a  suggéré  à  ce  propos  que  d'anciens 
élèves  des  différentes  maisons  profitent  de  l'occasion  pour  faire  un 
cadeau  à  leurs  jeunes  camarades.  L'idée  mérite  d'être  retenue  et. . . 
appliquée.     La    brochure    contiendra    naturellement    l'allocution,    de 


32  l'action  française 

facture  si  vigoureuse,  prononcée  le  même  soir  par  M.  le  sénateur  Bel- 
court. 

L'étude  de  M.  Antonio  Perrault  sur  nos  lois  françaises,  donnée  le 
15  janvier,  est  probablement  le  travail  le  plus  complet  qui  ait  encore  été 
fait  sur  le  sujet.  Un  professeur  de  Droit  français,  de  réputation  inter- 
nationale, disait  après  la  séance  :  C'est  une  construction  puissante. 
Le  président  d'honneur  de  la  soirée,  le  distingué  bâtonnier  du  barreau 
de  Montréal,  déclarait  de  son  côté  que  l'autevir  avait  à  peu  près  épuisé 
le  sujet.  On  voudra  lire  et  répandre  cette  étude  puissante,  qui  s'appuie 
à  la  fois  sur  l'histoire  nationale  et  sur  la  philosophie  du  Droit  et  dont 
M.  Aimé  Geoffrion  a  résumé,  en  la  faisant  sienne,  la  pensée  inspira- 
trice :  Nous  devons  défendre  nos  lois  françaises  parce  qu'elles  sont  un 
rempart  contre  les  attaques  de  l'ennemi  assimilateur. 

Aucun  de  ceux  qui  l'ont  entendu  n'oubUera  l'accent  qui  marquait 
les  dernières  paroles  du  conférencier  et  révélait  tout  l'esprit  de  son 
travail  : 

«  Que  si  d'aventure,  Von  s'étonne  de  cette  attitude,  répondons  que  les 
Canadiens  français  voient,  dans  la  persistance  à  maintenir  tout  ce  qui 
leur  fut  légué  par  la  tradition,  le  motif  de  leur  fierté  et  l'un  de  leurs  InUs 
de  vivre. 

«  Vous  vous  rappelez  les  termes  de  la  lettre  que  Maurice  Barres 
adressa  à  Frédéric  Masson  et  dont  il  fit  la  préface  de  son  livre  Colette  Bau- 
-doche.  Rappelant  que  Colette  Baudoche  était  la  sœur  de  Paul  Ehrmann, 
e  héros  du  livre  Au  Service  de  l'Allemagne,  Barres  ajoutait  :  «  J'ai 
Voulu  décrire  les  seritiments  des  récentes  générations  d'Alsace,  de  Lorraine 
ft  de  Metz  à  l'égard  des  vainqueurs.  J'admire  en  elles  ce  qui  me  parait 
le  signe  d'une  humanité  supérieure  •  la  volonté  de  ne  pas  subir,  la  volonté 
de  n'accepter  que  ce  qui  s'accorde  avec  leur  sentiment  intérieur.  Ces 
captifs  et  ces  captives  continuent  d'ajouter  au  capital  cornélien  de  la 
France.  » 

«  La  constance  et  la  fierté  qui  font .  si  grandes  les  populations  de 
l'Alsace  et  de  la  Lorraine  ne  peuvent  pas  être  chez  les  Caijadiens  français 
une  preuve  d'infériorité.  Que  si  ces  sentiments,  développés  ici  depuis 
150  ans,  n'ont  pas  encore  réussi  à  nous  gagner  l'admiration  des  autres, 
que,  du  moins,  ils  nous  soient  une  force,  une  raison  de  vie.  C'est  sous  cet 
aspect  que  se  présente  la  lutte  pour  le  maintien  de  nos  lois,  l'un  des  signes 
distinclifs  de  notre  race.  C'est  pour  ne  pas  amoindrir  notre  caractère  que 
îwus  les  voulons  conserver.  Avec  elles  nous  sotnmes  entrés  dans  la  Con- 
fédération, avec  elles  nous  y  resterons.  » 


l'action  française  33 

M.  Perrault  avait  précédemment  lancé  une  proposition  qui  fait 
le  plus  grand  honneur  à  l'Action  française,  encore  qu'elle  pxiisse  im  peu 
l'eflfrayer  par  son  importance,  et  qu'elle  étudiera  sûrement  avec  un.  très 
vif  intérêt.  «  La  condition  du  succès  ,  disait-il,  c'est  la  coordination  des 
efforts.  Qui  prendra  la  direction  du  mouvement  ?  Pour  que  celte  soirée 
se  termine  de  façon  tout  à  fait  utile  à  la  survivance  de  notre  système  de  lois, 
je  suggère  à  Z' Action  française  de  constituer  une  commission  dont  les 
membres  se  proposeraient  surtout  de  surveiller,  du  point  de  vue  qui  nous 
occupe,  la  législation  fédérale  et  celle  dé  la  Législature,  de  préparer  les 
amendements  jugés  nécessaires  à  nos  lois  civiles,  d'encourager  les  jeunes 
et  les  aînés  à  poursuivre  les  études  juridiques  et  à  augmenter  en  cette  pro- 
vince le  nombre  des  thèses  et  des  ouvrages  de  droit.  Placé  sous  la  direction 
de  i'Action  française,  ce  groupe  aurait  chance  défaire  œuvre  forte  et  dura- 
ble. Il  recevrait  de  vous,  mesdames  et  messieurs,  sympathie  et  encourage- 
ment. Connaissant  mieux  nos  lois,  les  aimant,  vous  seriez  prêts  à  joindre 
vos  sacrifices  à  ceux  qui  se  dévoueraient  pour  les  conserveY.  » 

Il  y  a  sûrement  quelque  chose  à  faire  en  ce  sens. 


Au  DEHORS  —  Qu'on  nous  permette  d'ajouter  à  ce  propos  que 
l'Action  française  n'entend  point  borner  à  la  série  du  ]Monimaent  National, 
pour  brillante  qu'elle  soit,  son  action  par  la  conférence.  Nous  sommes 
à  la  disposition  de  ceux  de  nos  amis  qui  veulent  organiser  à  Montréal  ou 
en  dehors  de  Montréal  des  conférences  particulières.  Qu'ils  veuillent 
bien  communiquer  avec  notre  secrétariat  (32,  Immeuble  de  la  Sauve- 
garde), exposer  leurs  desseins  et  nous  nous  efforcerons  de  lem-  donner 
satisfaction.  Nous  poin-rons  fournir  des  conférenciers  qui  traiteront 
de  l'Action  française  elle-même  ou  des  sujets  qui  se  rattachent  à  nos 
campagnes. 

C'est  un  service  que  nous  nous  proposons  de  développer. 


L'Almanach  —  La  plus  ancienne  de  nos  publications  périodiques, 
c'est  l'Almaruich  de  la  langue  française.  Elle  fut,  au  début,  notre  plus 
sûr  moyen  de  communication  avec  le  public.  Elle  reste  l'une  de  nos 
œuvres  préférées,  car  elle  pénètre  plus  profondément  que  les  autres 


34  l' ACTION    FRANÇAISE 

dans  les  couches  populaires.  La  rapidité  de  son  succès  a  été  l'une  des 
meilleures  preuves  de  l'opportunité  de  notre  œuvre  et  des  puissantes 
sympathies  qu'elle  suscite. 

Cette  année,  cependant,  nous  éprouvions  quelques  inquiétudes. 
Un  concours  de  circonstances  malheureu.ses  avait  retardé  notre  pubU- 
cation,  la  hausse  du  papier  et  de  la  main-d'œuvre  nous  avait  contraints 
d'élever  nos  prix.  Nous  nous  demandions  si  tout  cela  ne  paralyserait 
pas  l'élan  ancien. 

Or  le  succès  a  été  foudroyant,  presque  embarrassant, et  fort  désa- 
gréable pour  certains  de  nos  amis  dont  nous  n'avons  pu  exécuter  les 
commandes.  En  quelques  jours  nos  25,000  exemplaires  ont  été  enlevés 
et,  comme  il  était  matériellement  impossible  de  réimprimer,  nous  avons 
dû  décevoir  plusieurs  de  nos  amis.  Nous  nous  en  excusons  et  nous 
les  prions  d'agréer  avec  nos  excuses  nos  meilleurs  remerciements. 

Cette  campagne  de  VAbnanach  nous  a  révélé  des  merveilles  de 
dévouement  et  d'ingéniosité.  Elle  nous  a  démontré  que  les  mêmes 
méthodes  généralisées  obtiendraient  des  résultats  auxquels  nous  n'osions 
songer  que  dans  nos  rêves  les  plus  ambitieux. 

Il  y  faudra  penser  tout  au  cours  de  cette  année.  De  notre  côté, 
nous  nous  proposons  bien  de  faiïe  V Almanach  de  1920  plus  varié,  plus 
populaire  encore,  que  ses  prédécesseurs.  . 


Les  Refrains  de  chez  nous  —  De  toutes  nos  publications,  les 
Refrains  de  chez  nous  sont  assurément,  avec  V Almanach,  celle  qui  peut 
atteindre  la  plus  large  diffusion.  La  chanson  intéresse  tout  le  monde, 
elle  peut  pénétrer  partout.  Alors  que  le  tirage  de  certaines  brochures 
est  forcément  limité  à  quelques  milliers,  il  n'y  a  point  de  raison  pour 
que  celui  des  Refrains  n'atteigne  ou  ne  déi)asse  les  cent  mille.  Si  k' 
chiffre  vous  jîaraît  excessif,  songez  au  nombre  de  fox^ers  d'Amérique  où 
l'on  chante  en  français. 

La  propagande  des  Refrains  de  chez  nous  est  très  facile,  l'ne 
trentaine  de  chansons,  paroles  et  musique,  sous  une  élégante  couvertiu'c, 
cela  n'est  vraiment  pas  cher.  Les  réductions  consenties  par  quantités 
laissent  aux  propagandistes  ime  marge  raisonnable.  Comme  toute 
notre  série  orange  (La  Fierté,  Pour  Z' Action  française,  La  Veillée  des 
berceaux),  les  Refrains  de  chez  nous  se  vendent  10  sous  l'exemplaire. 


l'action  française  35 

■SI  la  douzaine,  $8  le  cent,  $70  le  mille,  frais  de  port  en  plus.  On  peut, 
dans  les  commandes,  mêler  les  diverses  brochures  et  bénéficier  des 
mêmes  réductions  que  si  l'on  n'en  commandait  qu'une. 


La  série  orange  —  Cette  série  orange,  par  laquelle  fut  inaugurée 
notre  Bibliothèque  et  qui  se  prolongera,  comprend  actuellement,  ainsi 
que  nous  l'indiquions  plus  haut,  la  Fierté,  presque  épuisée,  en  dépit 
d'un  triple  tirage  de  11,000,  Pour  V Action  française  et  la  Veillée  des 
berceaux.  Pour  l'Action  française,  de  M.  l'abbé  Lionel  Groulx,  est  un 
exposé  du  programme  et  des  projets  de  l'Action  française  :  ce  sont  des 
pages  nécessaires  à  qui  veut  connaître  ou  faire  connaître  notre  œuvre 
et  qui  sont  du  reste  rédigées  avec  le  haut  souci  d'art  habituel  à  M.  l'abbé 
Groulx.  La  Veillée  des  berceaux  est  la  plus  prenante  étude  sur  la  mor- 
talité infantile,  ses  causes,  et  ses  remèdes,  qui  ait  encore  été  publiée 
chez  nous.  Elle  contient  une  série  de  tableaiux  et  de  statistiques  qu'on 
ne  trouvait  jusqu'ici  que  dans  les  publications  officielles  et  les  revues 
techniques.  Elle  devrait  être  lue  par  tous  ceux  qui  s'intéressent  à 
l'avenir  de  notre  race.  M.  Edouard  Montpetit  a  mis  là,  avec  ses 
liabitudes  d'économiste  et  son  aptitude  à  manier  les  chiffres,  le  meilleur 
(le  son  cœur. 

A  la  série  orange  se  rattachent  naturellement  deux  publications 
hors  cadre,  du  même  prix  :  les  Refrains  de  chez  nous,  déjà  nommés, 
et  les  Choses  de  chez  nous,  c^ui  reproduisent  la  sul)stance  de  l'Almanach 
de  1917,  l'un  des  plus  intéressants  que  nous  aj^ons  publiés.  La  série 
elle-même  s'enrichira  probablement  d'ici  quelques  semaines  de  la 
Valeur  économique  du  français,  de  M.  Léon  Lorrain,  de  Ce  qui  fait 
la  grandeur  d'une  race,  du  R.  P.  Louis  Lalande,  de  Si  Dollard  revenait. . . 
de  M.  l'abbé  Lionel  Groulx,  et  de  la  Caravane  passe. . . ,  de  M.  Edouard 
Montpetit. 

On  voit  cjue  nous  avons  du  pain  sur  la  planche,  et  la  série  orange 
est  pourtant  devenue  insuffisante.     Il  a  fallu  lui  donner  des  sœurs. 


«  La  Langue,  gardienne  de  la  Foi  » —  La  Langue,  gardienne  de 
la  Foi,  inaugure  brillamment  la  série  verte.  Cette  brochurette  de 
quatre-vingt-six  pages,  format  de  l'Action  française,  contient  le  texte 


36  l'action  française 

intégral  de  la  grande  conférence  donnée  par  M.  Bourassa  sous  les 
auspices  de  V Action  française  —  de  l'aveu  de  tous,  l'ime  des  plus  solides 
et  des  plus  brillantes  qu'il  ait  encore  prononcées  —  ainsi  que  le  texte 
latin  et  la  version  française  de  la  lettre  Litteris  Apostolicis,  les  commen- 
taires qu'ont  faits  de  cette  lettre  Mgr  L.-A.  Paquet  et  le  R.  P.  Rouleau, 
O.  P.,  une  consultation  du  R.  P.  Leduc  :  Langue  et  Religion  et  une 
allocution  de  M.  l'abbé  Perrier.  Le  tout  forme  im  petit  volume  du 
plus  haut  intérêt,  excellent  comme  instrument  de  propagande.  Prix  : 
25  sous  l'exemplaire,  $2.50  la  dou2aine,  S20  le  cent,  S175  le  mille,  port 
en  plus.  Au  moment  où  nous  allons  sous  presse,  2,000  exemplaires  de 
cette  brochure  sont  déjà  vendus. 

C'est  très  probablement  dans  cette  série  verte  que  paraîtra  le 
plaidoj'er  de  M.  Antonio  Perrault  Pour  la  défense  de  nos  lois  françaises. 
Une  autre  série,  de  format  plus  considérable,  sera  inaugurée  par  La 
naissance  d'une  Race,  de  'SI.  l'abbé  Groulx  et  VAu  Service  de  la  Tradition 
française  de  M.  Edouard  Montpetit. 


L'hommage  a  Paul- Emile  L.\jiarche  —  Le  mois  prochain  verra 
paraître  le  volume  que  l'Action  française,  d'accord  avec  les  amis  de 
Lamarche,  consacre  à  la  mémoire  de  ce  serviteur  insigne  de  la  cause 
française.  Ce  volume  contiendra  les  principales  études  de  Lamarche 
et  les  articles  pubhés  à  son  sujet.  Le  tout  couvrira  300  pages  environ  et 
réimira  quelques-uns  des  noms  les  plus  cormus,  les  mievux  notés  de  notre 
pays. 

Paul-Émile  Lamarche  (Oeuvres-Hommages)  se  vendra  SI  franco  ; 
$10  la  douzaine,  S75  le  cent,  port  en  plus. 


1917-1918 


11  ne  nous  reste  plus  de  collections  de  l'Action  française  de  1917. 
Nous  réussissons  parfois,  grâce  au  retour  de  vieux  numéros,  à  cons- 
tituer une  ou  deux  collections.     Elles  se  vendent  alors  de  S3.00  à  $3.50. 

L'année  1918,  déjà  très  rare,  se  vend  $2.  Elle  contient  l'enquête 
sur  Nos  forces  nationales.  On  peut  se  procurer  au  prix  de  15  sous  un 
certain  nombre  de  livraisons  détachées. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


LA  PUISSANCE  DU  CANADA^ 


C'est  le  titre  que  M.  l'abbé  Groulx  a  donné  à  la  cinquième  et 
dernière  de  ses  conférences  sur  la  Confédération.  Tout  le  monde  sait 
que  ces  mots  traduisent  assez  improprement  la  formule  anglaise  Domi- 
nion of  Canada;  et  c'est  bien  le  cas  de  répéter  la  boutade  célèbre  :  les 
traductions  ne  sont  jamais  que  de  belles  infidèles.  Je  me  demande  si, 
en  adoptant  ces  vocables  ambitieux,  et  en  les  faisant  figurer  en  tête 
de  l'étude  finale  et  svTithétique  où,  ramassant  toutes  les  données  éparses 
dans  les  études  précédentes,  il  en  tire  les  conclusions  nécessaires,  l'auteur 
n'y  a  pas  mis  ime  intention  d'ironie.  Car  il  ressort  ceci  de  son  œuvre  : 
que  le  Canada  confédéré  n'a  jamais  été  xme  puissance,  bien  plus,  qu'il 
ne  le  deviendra  jamais  sous  ce  régime,  lequel  a  suffisamment  fait  ses 
preuves.  Xi  les  hommes  qui  ont  présidé  à  sa  formation  n'ont  été  assez 
grands  politiques,  ni  ils  n'ont  eu  assez  d'élévation  d'esprit  et  de  vues 
d'avenir,  ni  ils  n'étaient  animés  tous  d'un  sens  assez  profond  de  justice 
et  de  désintéressement,  dans  les  questions  de  race  et  de  religion,  pour 
doter  cet  organisme  d'une  vie  riche  et  ample,  qui  se  fût  accrue  avec  son 
fonctionnement,  et  qui  se  fût  conditionnée  aux  problèmes  nouveaux  que 
le  temps  et  les  progrès  du  paj's  devaient  faire  éclore.  Les  constitutions 
ne  sont  pas  des  théories  pures  et  abstraites,  comme  une  République  de 
Platon;  elles  sont  élaborées  et  ordonnées  en  vue  de  la  pratique;  elles  sont 
en  puissance  prochaine  d'action.  Et  leur  mise  en  œu\Te  est  la  pierre 
de  touche  où  se  juge  leur  valeur.  A  la  lumière  de  ce  principe,  que  faut-il 
penser  de  la  confédération  canadienne  dans  l'ensemble  ?  «  Quand  je 
considère  à  la  fois  les  anciennes  espérances  et  les  résultats  actuels,  ai-je 
le  droit  de  m'étonner  si  quelques-uns,  regardant  à  certaines  pièces  de 
l'entreprise,  prononcent  les  mots  très  graves  de  fiasco  et  de  faillite  ?  »  ^ 
L'auteur  ne  prend  pas  précisément  à  son  compte  ces  mots  «  très  graves  ». 

^  Abbé  Lionel  Groulx,  La  Confédération  canadienne,  conférences 
prononcées  à  l'Université  Laval  de  Montréal,  1917-18,  264  pages. 
2  P.  237. 


'  38  l'action  française 

Mais  la  leçon  qui  se  dégage  de  ses  considérations  générales  est  que  la 
confédération  avait  au  moins  un  vice  radical  et  originel,  puisque,  établie 
pour  porter  le  Canada  vers  une  forme  de  vie  de  plus  en  plus  personnelle 
et  autonome,  sinon  indépendante,  et  pour  le  faire  entrer  dans  la  société 
des  nations,  elle  a  au  contraire  abouti  à  cette  régression  :  «  le  régime 
malfaisant  de  l'ancien  Colonial  Office.  »  ^  Dira-t-on  que  ce  retour, 
cette  marche  en  arrière  dont  nous  sommes  plus  que  menacés,  est  unique- 
ment la  faute  des  hommes  et  des  circonstances  ?  Ceci  est  une  pauvre 
excuse.  Si  la  cQnstitution  que  les  «  Pères  »  nous  ont  donnée  eût  été 
d'une  trame  plus  solide  et  plus  serrée,  que  son  but  de  nationaUsation 
eût  été  plus  nettement  défini,  et  les  moyens  d'y  parvenir  honnêtement 
marqués,  il  se  fût  formé,  au  cowis  des  cinquante  années  qui  se  sont 
écoulées  depuis  sa  mise  en  vigueur,  un  état  d'esprit  public  à  décourager 
toute  tentative  pour  nous  faire  retomber  en  tutelle.  Si  l'arche  sainte 
de  nos  lois  avait  été  véritablement  bâtie  par  des  maîtres-ouvriers,  elle 
eût  brisé  les  hommes  assez  hardis  pour  oser  y  porter  la  main  et  la  plier 
à  leurs  desseins  réactionnaires.  Au  lieu  de  cela,  que  n'a-t-on  pas  vu, 
en  maintes  circonstances?  La  période  qui  va  de  1898  jusqu'à  l'heure 
présente,  notamment,  a  été  marquée  par  des  concessions  toujours  plus 
larges  à  l'idée  impériaUste,  en  sorte  que  le  coloniaUsme,  loin  de  se  dis- 
soudre dans  une  vie  nationale  riche  de  réalités  et  de  promesses,  a  pris 
au  sein  même  d'un  système  qui  devait  lui  donner  le  coup  de  grâce,  une 
reviviscence  qui  déroute  le  penseur.  11  semble  bien  que  nous  soyons 
plus  enserrés  dans  les  mailles  britanniques  qu'avant  la  Confédération. 
D'autre  part,  il  paraît  prouvé  que,  dans  la  pensée  de  ses  fondateurs, 
cette  forme  de  gouvernement  était  destinée  à  produire  un  résultat  tout 
autre.  Par  quel  hasard  leurs  espérances  ont-elles  été  trahies  ?  N'est-ce 
pas  que,  dans  les  rouages  de  cet  organisme,  il  y  avait  quelque  chose  de 
foncièrement  défectueux  qui  devait  se  manifester  à  l'exercice?  Les 
historiens  français  sont  unanimes  à  dire  que  le  plus  grand  grief  que  la 
postérité  ait  fait  aux  deux  Napoléon  a  été  d'avoir,  l'un  et  l'autre,  laissé 
la  France  plus  petite  qu'ils  ne  l'avaient  prise.  Elle  leur  eût  pardonné 
tout  peut-être,  excepté  cela.  Or,  la  confédération  canadienne  a  amoin- 
dri le  Canada,  non  pas  sans  doute  matériellement,  non  pas  dans  ses 
frontières,  qui  sont  intactes,  non  pas  dans  ses  richesses  économiques, 
qu'elle  a  au  contraire  développées  beaucoup,  mais  dans  ses  légitimes 
aspirations  vers  une  existence  plus  libre  d'entraves.     Le  régime  même 

'Page    230. 


l'actiox  feaxçaise  39 

qui  devait  détendre,  jusqu'à  les  supprimer  pratiquement,  les  Uens  avec 
la  Métropole,  a,  par  un  renversement  des  choses,  accentué,  et  re^du  plus 
étroite  notre  sujétion.     Et  ceci  autorise  l'historien  indépendant  à  con- 
clure que  ce  régime  est  éminemment  transitoire,  qu'il  a  donné,  en  bien- 
faits, tout  ce  que  l'on  en  pouvait  attendre.     Il  a  probablement  assez 
vécu.     S'il  doit  se  prolonger  encore,   ce  ne  peut  être  indéfiniment. 
Etant  donné  le  recul  moral  qui  se  constate  après  un  demi-siècle  d'action, 
il  ferait  mentir,  en  durant  beaucoup  encore,  la  loi  éternelle  qui  veut  que 
le  progrès  soit  la  condition  de  la  vie.     Il  n'est  donc  pas  téméraire  de 
prévoir  sa  disparition  plus  ou  moins  prochaine  ou  une  évolution  politi- 
que qui  en  soit  l'équivalent.     Mais  l'on  ne  détruit  que  ce  que  l'on  rem- 
place.    Et  quelle  forme  s'instaurera  pour  reprendre  le  cours,  interrompu, 
si  non  brisé,  de  nos  destinées  nationales  ?     C'est  le  secret  de  l'avenir,  ou 
mieux  de  la  Providence.     Dans  les  élaborations  futures,  il  j'  a  un  élé- 
ment qui  de^Ta  compter  pour  beaucoup,  et  c'est  le  nôtre.     Nous  nous 
sommes  considérablement  accrus,  durant  les  cinquante  dernières  années. 
Et  ceci  n'est  sans  doute  pas  l'effet  direct  de  la  Confédération,  mais  ceci 
s'est  produit  sous  la  Confédération,  et,  en  un  certain  sens,  peut  être  mis 
à  son  actif.     Et  voici  une  vue  historique  qui  a  été  contestée,  qui  le  sera 
encore,  hélas  !  bien  que,  dans  la  réahté,  à  la  distance  où  nous  sommes 
de  toutes  les  querelles  de  factions,  avec  cette  sérénité  de  jugement  que 
donne  la  perspective  lointaine,  elle  nous  semble  incontestable  :  le  mou- 
vement nationaliste  a  imprégné  les  masses  populaires  d'idées  qui  seront 
un  facteur  puissant  dans  le  système  politique  de  l'avenir.     Nous  défi- 
nirons d'un  mot  le  nationahsme  :  il  nous  a  donné  conscience  de  nous- 
mêmes.     Et  cela  de-\Tait    suffire  à  le  faire    bien  venir  de  tous.     Mais, 
comme  le  vent  fait  les  chênes,  les  oppositions  qu'il  rencontre  ne  l'aident 
qu'à  pousser  plus  profondément  ses  racines  dans  le  sol.     Une  faveur  trop 
générale  dès  l'origine  l'eût  probablement  mal  ser^d.     La  lutte  lui  permet 
de  développer  ses  principes  féconds  et  d'étendre  son  emprise  dans  les 
âmes,  se  préparant  ainsi  des  réser\-es  de  plus  en  plus  nombreuses,  qui 
inter\'iendront  eflBcacement  quand  l'heure  fixée  par  la  Providence  pour 
ses  grands  desseins  sera  arrivée. 


C'est  ainsi  que  le  hvre  de  M.  l'abbé  Groulx,  se  ferme  sur  une 
parole  d'espérance.  Nous  venons  de  repenser  les  idées  générales  qui  en 
découlent,  et  dans  l'expression  desquelles  l'auteur  s'élève  à  la  plus  haute 


40  L'ACTtON   FRANÇAISE 

philosophie  historique.  Comme  tous  les  voyants,  M.  l'abbé  peut 
s'attendre  à  heurter  des  états  d'âme  qu'il  ne  fait  pas  bon  déranger. 
C'est  le  sort  commun  aux  prophètes  de  toujours  venir  trop  tôt.  Les 
esprits  éminemment  intuitifs  ne  sont  d'abord  compris  que  d'un  petit 
nombre.  Mais  le  temps  travaille  pour  eux.  Et  d'aUleurs,  les  intuitions 
lumineuses  dont  fourmille  la  synthèse  de  cet  ouvrage  sont-elles  autre 
chose  que  la  résultante  d'un  examen  minutieux,  précis,  impartial  de 
la  confédération  canadienne?  Et  c'est  pourquoi  il  nous  paraît  si  dif- 
ficile d'échapper  à  leur  impitoyable  logique.  Cependant,  cet  ouvrage, 
à  peu  près  définitif,  n'a  pas  reçu,  de  la  part  de  nos  critiques  plus  ou  moins 
oflBciels,  l'accueil  qu'il  méritait,  pour  bien  des  raisons  qui  n'ont  rien  à 
voir  avec  sa  valeur  intrinsèque.  Et  d'abord,  tel  est  l'empire  des  mots 
chez  nous  !  Au-dessous  du  titre,  siu*  la  couverture,  il  y  a  :  Conférences 
prononcées  à  V  Université  Laval.  Et  tout  de  suite,  en  certains  miUeux 
l'on  s'est  redressé,  l'on  s'est  mis  en  garde.  Et  pourquoi  ?  A  cause  du 
mot  :  Conférences.  L'on  a  vu  là  de  l'éloquence,  de  cette  éloquence 
dont  Pascal  a  dit  :  «  l'éloquence  continue  ennuie  »  ;  l'on  a  imprimé 
ceci  :  «  en  certains  endroits  l'oratevu:  fait  oubUer  l'historien  ».  Un 
autre  critique  n'a  loué  l'auteur  que  de  ses  dons  d'artiste  et  d'écrivain,  — 
ce  qui,  en  l'espèce,  était  médiocrement  obhgeant.  Bref,  l'on  a  passé 
vite,  tout  comme  s'il  se  fût  agi  d'un  simple  exercice  oratoire,  d'une  œuvre 
de  rhétoricien.  Certes,  l'on  a  raison  de  se  méfier  d'im  certain  genre 
d'éloquence  qui  a  fait  chez  nous  assez  de  ravages.  Dieu  merci  !  Et  il 
faut  lire  dans  l'Avenir  du  Peuple  canadien-français  de  ce  pauvre  Edmond 
de  Nevers  les  pages  où  il  parle  avec  tant  de  verve  de  ce  qui  a  sévi  dans 
notre  province,  à  l'état  de  fléau  :  l'éloquence  pohtique,  les  discours  de 
huslings.  Mais  il  y  a  éloquence  et  éloquence.  Éloquent  ?  M.  l'abbé 
Groulx  l'est,  à  la  manière  des  grands  écrivains.  Dans  ces  conférences, 
par  exemple,  il  l'est  comme  l'a  été  Sainte-Beuve,  dans  son  Port-Royal. 
Le  grand  critique  a  aussi  parlé  ce  hvre  avant  de  l'imprimer.  Dira-t-on 
cependant  que  l'orateur  y  fait  oubher  le  critique  ?  Et  M.  l'abbé  Groulx 
a  également  parlé  son  cours.  Et  cela,  certes,  ne  l'a  pas  empêché  de  s'y 
montrer  avant  tout  historien,  par  l'abondance,  la  diversité,  la  sûreté  de 
l'information,  la  souple  et  impartiale  discussion  des  textes,  la  fine 
psychologie  des  personnages  qui  posent  devant  ses  yeux/  et  la  philoso- 
phie qu'il  tire  des  événements.     Cela  lui  a  seulement  permis,  —  et 

*  Cf.  p.  139-140  les  portraits  de  Cartier  et  MacDonald,  c'est  de  la 
grande    peinture. 


l'action  française  41 

c'est  tout  à  sa  gloire,  —  de  donner,  d'insuffler  à  cette  matière  qu'il 
remuait  et  sculptait,  la  vie,  la  vie  de  l'art.  Pas  de  déclamation  !  Pas 
de  périodes  creuses  ou  ampoulées  !  l'éloquence,  oui,  le  genre  d'élo- 
quence que  comportait  le  sujet,  cette  éloquence  universitaire,  à  laquelle 
M.  l'abbé  Groulx  aura  apporté  une  remarquable  contribution,  en  même 
temps  qu'il  aura  donné  à  notre  Histoire  l'un  de  ses  plus  solides  et  dura- 
bles travaux^.  Pour  être  prophète  à  mon  tour,  j'ose  annoncer  que 
La  Confédération  canadienne  deviendra  un  ouvrage  classique.  Que 
parlé-je  de  le  devenir?     Mais  elle  l'est  d'ores  et  déjà  ! 

Henri  d' Arles. 


A  PROPOS  D'INSTRUCTION  OBLIGATOIRE  ^ 


Ce  volimae,  grand  format,  de  cent  vingt  pages,  contient  une  série 
d'études  sur  la  situation  scolaire  de  la  province  de  Québec,  envisagée 
surtout  en  fonction  des  projets  d'instruction  obligatoire.  Deux  des 
appendices  se  rattachent  de  façon  particuhère  aux  grands  thèmes 
traités  dans  notre  revue  :  Le  status  scolaire  des  catholiques  de  langue 
anglaise  dans  la  province  de  Québec  et  le  status  scolaire  de  la  minorité 
protestante  dans  la  province  de  Québec  (réponse  à  M.  J.-A.  Nicholson,  de 
l'Université  McGill). 

Ce  nouveau  livre  de  M.  Magnan  se  vend  50  sous  l'exemplaire, 
franco;  à  la  douzaine,  $5;  au  cent,  $3ô,  frais  de  port  en  plus. 

1  Nous  ferons  ime  petite  remarque  à  propos  d'un  passage  de  la 
page  205  :  l'auteur  y  loue  les  «  Pères  »,  Cartier  en  particulier,  d'avoir 
introduit  la  religion  dans  nos  Lois,  et  il  oppose  leur  conduite  sur  ce 
point  aux  «  Pères  »  de  la  constitution  américaine  qui  est  neutre  devant 
les  dénominations  religieuses,  et  tout  à  fait  un-sectarian,  comme  on  dit. 
Et  c'est  juste.  Mais  l'auteur,  à  cet  endroit,  parle  de  l'athéisme  officiel, 
comme  si  cela  se  rapportait  aux  États-Unis,  ou  du  moins  l'on  peut 
presque  inférer,  à  cause  du  contexte,  qu'il  s'agit  des  États-Unis.  Ce  ne 
fut  jamais  sa  pensée,  puisque  les  États-Um's,  officiellement,  reconnaissent 
l'existence  de  Dieu  et  l'invoquent.  Chaque  congrès  s'ouvre  par  une 
prière.  Dans  une  prochaine  édition,  l'auteur  voudra  sans  doute  dis- 
siper ce  qui  peut  prêter  ici  à  vm  malentendu. 

2  A  PROPOS  D'INSTRUCTION  OBLIGATOIRE.— La  situa- 
tion SCOLAIRE  DANS  LA  PROVINCE  DE  QuÊBEC,  suivics  d'appeudices 
docuinentaires,  par  C.-J.  Magnan,  Québec,  1919. 


42  l'actiox  française 

L'ANGLAIS  ET  LE  FRANÇAIS 
M.  l'abbé  Henri  Beaudé  {il  n'j-  a  guère  d'indiscrétion  à  noter  que 
tel  est  le  nom  véritable  de  notre  collaborateur  Henri  d'Arles,)  a  récem- 
ment prononcé  devant  une  assemblée  des  représentants  du  comité 
d'américanisation  du  New  Hampshire  et  de  l'association  dite  Canado- 
américaine,  un  important  discours  dont  nous  extrayons  le  passage 
ci-dessous  : 

«  La  vérité  est  dans  cette  thèse,  d'une  justesse  absolue,  irrécusable, 
et  développée  au  long,  avec  preuves  à  l'appui,  dans  rou\Tage  magistral 
de  M.  Jusserand,  ambassadeur  de  France  auprès  des  États-Unis,  et 
intitulé  «  Histoire  Littéraire  du  Peuple  anglais.  »  ^L  Jusserand 
démontre  ce  point  d'histoire  à  savoir  :  que  la  langue  anglaise  est  née 
de  la  langue  française.  Pendant  les  trois  siècles  qui  ont  sui\n  la  con- 
quête de  l'Angleterre  par  les  Normands,  le  français  a  été  parlé,  non 
seulement  à  la  cour  et  parmi  les  nobles,  mais  dans  toute  l'étendue  du 
roj'aiime.  Et  n'est-il  pas  également  prouvé  que  toute  l'Ecosse  s'était 
francisée  d'elle-même  sous  la  douce  et  pacifique  influence  de  l'infortunée 
reine  Marie  Stuart  '?  Puis,  par  l'effet  d'une  de  ces  évolutions  mysté- 
rieuses qui  sont  à  la  base  de  tous  les  parlers  des  peuples  modernes,  le 
français  qui  régnait  et  florissait  en  Grande-Bretagne  a  subi  peu  à  peu 
une  lente  tran.sformation;  il  a  en  quelque  sorte  été  jeté  dans  le  creuset 
populaire  et  3'  a  rencontré  un  apport  plutôt  faible  de  mots  saxons; 
et  c'est  du  mélange,  de  la  fusion  de  ces  deux  idiomes  qu'est  sorti  ce 
que  l'on  appelle  l'anglais.  Mais  le  français  a  prédominé  dans  la  création 
de  ce  nouveau  verbe  qui  est  venu  varier  la  physionomie  hnguistique 
de     l'Europe. 

L'anglais  est  en  puissance  du  français.  Et  de  même  que  les  plus 
grands  philologues,  un  Ferdinand  Bnmot  par  exemple,  définissent  ainsi 
le  français  :  «  Le  français,  c'est  du  latin  parlé  »,  —  nous  pouvons 
définir  l'anglais  :  «  L'anglais,  c'est  dufrattçais  prononcé  dijjéremmeiit.  » 
Dans  le  vocabulaire  anglais,  l'on  compte  jusqu'à  25,000  mots  qui  ont 
été  empruntés  au  nôtre  et  qui  ont  passé  dans  le  parler  britannique  sans 
presque  subir  de  modification.  En  sorte  que  la  langue  anglaise  est 
tributaire  de  la  nôtre  dans  son  existence  et  sa  formation.  Et  ceci 
explique  que  celui  qui  sait  le  français  puisse  si  facilement  apprendre 
l'anglais.  Possédant  le  français,  il  maîtrise  les  éléments,  les  principes 
tlesquels  l'anglais  a  jailU,  il  est  à  la  source  de  ce  parler,  et,  pour  arriver 
à  le  connaître,  il  n'a  plus  qu'à  se  laisser  aller  au  courant  et  qu'à  descen- 
dre avec  le  flot  originel.     De  même  que  celui  qui  sait  le  latin  tient  la 


l'action  fkançaise  43 

clef  qui  lui  permet  de  pénétrer  de  plain-pied  dans  l'édifice  du  français, 
de  même  celui  qui  sait  le  français  a  l'instrument  qui  lui  ou^Te  les  portes 
de  l'anglais.  Et  l'on  remarque  que  tous  ceux  des  écrivains  anglais 
qui  se  sont  donné  une  culture  française  ont  une  maîtrise  de  leur  langue 
qui  leur  confère  une  supériorité  éclatante  sur  les  autres.  Et  pour- 
quoi ?  Si  ce  n'est  parce  qu'ils  se  sont  donné  la  peine  de  remonter  à 
la  source  même  de  leur  langue  et  de  leur  art.  Voici  deux  nations  ger- 
maniques :  l'Angleterre  et  l'Allemagne.  L'une  produit  son  plus 
grand  poète  —  Shakespeare,  —  arrive  à  la  suprême  efflorescence  de 
son  génie  national  dès  l'époque  de  la  Renaissance;  —  l'autre  ne  produit 
le  sien  —  Goethe  —  que  trois  siècles  plus  tard,  à  la  fin  du  XVIIIe.  — 
Pourquoi  le  développement  intellectuel  de  l'une  a-t-il  été  si  hâtif,  et 
pourquoi  l'autre  a-t-elle  été  si  lente  avant  d'atteindre  au  sommet  ?  La 
raison  en  est  que  l'Angleterre,  grâce  à  la  conquête  normande,  a  été 
pénétrée  de  bonne  heure  de  ce  génie  latin  qui  a  mis  en  effervescence 
le  génie  national;  dans  ce  contact  prolongé  avec  une  civilisation  héritiè- 
re de  toutes  les  richesses  classiques,  son  âme  s'est  réveillée,  assouplie, 
ouverte  à  la  Beauté  antique,  et,  à  une  heure  donnée,  Shakespeare  a 
paru  qui  a  incarné  et  synthétisé  tout  ce  que  la  race  saxonne  devait  au 
monde  gallo-romain.  Tandis  que  l'Allemagne,  qui  n'avait  pas  eu  cette 
chance  de  subir  les  infiltrations  lumineuses  et  excitatrices  d'un  génie 
supérieur,  l'Allemagne,  abandonnée  à  sa  lourdeur  native,  n'a  donné  sa 
plus  belle  fleur  de  Beauté  que  des  siècles  plus  tard. 

«  Cela  étant,  je  dis  que  votre  comité,  messieurs,  n'arrivera  jamais 
plus  sûrement  et  plus  directement  à  ses  fins.  —  répandre  la  connais- 
sance de  l'anglais,  langue  officielle  du  pays,  —  qu'en  nous  laissant  bien 
libres  d'enseigner  à  nos  enfants  le  français,  tout  comme  auparavant,  et 
même  plus  largement  encore.  » 

Ce  discours,  avec  quelques  autres  pièces,  sera  prochainement 
publié  en  tract  par  la  Ligue  du  Ralliement  franco-américain  et  sera  en 
vente  à  nos  bureaux,  aux  prix  ordinaires  de  notre  série  orange  :  10  sous 
l'exemplaire,  SI. 00  la  douzaine,  $8.00  le  cent,  frais  de  port  en  plus. 


RENO  UVÊLLEMENT 
Xos  abonnés  sont  priés  de  ne  pas  oublier  de  renouveler  le  plus  tôt 
possible  leur  abonnement  pour  1919.  On  est  aussi  prié,  en  faisant  les 
remises,  d'indiquer  s'il  s'agit  d'un  renouvellement  ou  d'im  nouvel 
abonnement.  Ceux  qui  n'ont  pas  encore  soldé  leir  abonnement  de  1918 
voudront  bien  s'acquitter  au  plus  tôt. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LA  LOI  LAVERGNE  ET  LES  TRIBUNAUX 


Le  19  décembre  dernier,  la  Cour  de  Révision  composée  de  MM. 
les  juges  Lajontaine,  Tellier  et  Lorangei-  a  rendu,  dans  une  cause  de 
Jolicœur  contre  la  Dominion  Express,  un  jugement  important,  oîi  la  loi 
Laverçne  est  invoquée.  On  trouvera  ci-dessous  le  texte  des  notes  de  M.  le 
ju^e  Tellier,  dont  le  tribunal  a  adopté  les  conclurions.  Pierre  Homier, 
dans  Z' Action  française  d'avril,  avait  commenté  la  décision  du  tribunal 
de  première  instance  dans  cette  même  affaire. 

COUR     DE     RÉVISION 

Province  de  Québec  

District  de  Montréal 

No  2768 

OMER  JOLICŒUR  Demandeur 

vs 

DOMINION  EXPRESS  COMPANY       Défenderesse 


NOTES  DU  JUGE  TELLIER 


Le  13  août  1917,  le  Demandeur  confia  à  la  Défenderesse,  à  L'Epi- 
phanie, une  malle  que  celle-ci  s'obligea  de  lui  transporter  à  Montréal 
au  no  279  de  la  rue  Chapleau.  Le  sous-agent  de  gare  qui  reçut  la  malle 
la  pesa  et  fit  payer  40  sous  au  Demandeur  en  lui  disant  que  ce  prix-là 
était  proportionné  à  la  pesanteur  de  la  malle;  puis  il  lui  remit  ensuite 
un  reçu  de  consignation  ou  lettre  de  voiture. 

La  malle  se  perdit  en  route  et  ne  fut  pas  retrouvée.  De  là  la  pré- 
sente action  pour  la  somme  de  S150.00,  valeur  alléguée  de  la  malle 
et  de  son  contenu. 

La  Défenderesse  a  d'abord  plaidé  X)ar  ime  dénégation  générale, 
et  la  cause  fut  inscrite  au  rôle  pour  instruction,  après  contestation  liée. 


l'action  française  45 

La  Défenderesse  se  ravisa  plus  tard  cependant  et  produisit  une 
confession  de  jugement  pour  $50.00  avec  dépens  d'une  action  de  ,ce 
montant  réglée  après  production  de  la  défense.  Le  Demandeur  refusa 
cette  confession,  tout  en  prenant  jugement  pour  autant  sous  rései-ve. , 

La  Défenderesse  produisit  alors  une  défense  où  elle  plaide  qu'elle 
n'est  pas  responsable  au  delà  de  $50.00,  à  cause  d'une  condition  spéciale 
de  la  lettre  de  voiture  qui  limite  à  ce  chiffre-là  sa  responsabilité.  La 
lettre  de  voiture  qui  est  toute  en  langue  anglaise  contient,  en  effet,  à 
sa  face,  la  clause  ou  condition  suivante  : 

«  Liabnity  limited  to  $50.00  unless  higher  value  is  declared  bj' 
shipper  and  inserted  herein,  in  which  case  an  extra  charge  is  made 
depending  upon  the  value  declared.  Xo  extra  charge  if  value  declared 
under  $50.00.  » 

Le  Demandeur  répond  qu'il  n'a  rien  connu  de  cette  clause  au 
moment  du  contrat;  que  personne  ne  lui  en  a  parlé;  qu'il  manque 
d'ailleurs  d'expérience  à  ce  sujet,  n'étant  qu'un  simple  ouvrier;  qu'il 
sait  lire  le  français,  mais  pas  l'anglais;  que  la  loi  obligeait  la  Défenderesse 
à  lui  donner  un  reçu  imprimé  en  français  et  en  anglais;  que  le  sous- 
agent  de  gare  ne  lui  a  pas  du  tout  parlé  de  la  valeur  de  sa  maUe;  que 
le  dit  sous-agent  l'a  plutôt  induit  à  penser  que  la  valeur  de  la  malle 
n'importait  aucunement,  vu  qu'il  lui  a  représenté  que  le  prix  du  trans- 
port était  proportionné  à  la  pesanteur;  et,  en  un  mot,  que  la  dite  clause 
ne  lie  pas  le  Demandeur. 

II  s'agit  donc  de  savoir  si  la  clause  en  question  libère  la  Défende- 
resse au  delà  du  montant  de  sa  confession  de  jugement. 

La  règle  générale,  c'est  que  les  voitiu-iers  sont  tenus  de  recevoir  et 
transporter  les  effets  qu'on  leur  offre  à  transporter,  et  qu'ils  sont  res- 
ponsables de  la  perte  et  des  avaries  des  effets  qui  leur  sont  confiés 
(C.  c.  1673-4-5).  Pour  limiter  leur  responsabilité,  les  voituriers  ont 
besoin  du  consentement  des  intéressés.  Ce  consentement  peut  être 
exprès  ou  présumé.  Il  est  exprès  lorsqu'on  s'exprime  formellement 
à  ce  sujet.  Il  est  présumé  lorsqu'un  intéressé  connaissant  la  limita- 
tion, n'y  objecte  pas  en  contractant.  C'est  par  fexemple  ce  qui  ressort 
de  l'article  1576  du  Code  civil. 

«  1576.  Les  avis  par  les  voituriers  de  conditions  spéciales  limitant 
leur  responsabilité,  ne  Uent  que  les  personnes  qui  en  ont  connaissance . .  » 

Dans  le  cas  qui  nous  occupe,  il  me  paraît  é^^dent  que  le  Demandeur 
n'a  rien  su  au  moment  du  contrat  de  la  clause  limitative  que  la  Défen- 
deresse invoque  aujourd'hui  contre  lui.     Le  sous-agent  ne  lui  en  a  pas 


46  l'actiox  française 

parlé,  et  ne  s'est  même  pas  enqiiis  de  la  valem-  de  la  malle.  Nous  en 
avons  la  preuve  non  seulement  dans  le  témoignage  du  Demandeur,  mais 
aussi  par  le  reçu  lui-même  où  l'on  voit  que  l'espace  réservé  pour  l'indica- 
tion de  la  valeur  de  roV)jet  consigne  est  resté  en  Ijlanc.  Le  sous-agent 
ne  s'est  occupé  que  d'une  chose,  la  pesanteur.  Pui.sque  la  valeur  de 
la  malle  importait,  ne  devait-il  pas  la  demander?  N'était-ce  pas  son 
devoir  d'avertir  le  Demandeur  de  la  clause  limitant  la  responsabilité 
de  la  Défenderesse  ?  Au  moins,  s'il  lui  eût  remis  ime  lettre  de  voiture 
imprimée  en  français  et  en  anglais,  comme  la  loi  le  lui  prescrivait, 
article  16S2c  du  Code  ci\'il  : 

«  Doivent  être  imprimés  en  français  et  en  anglais  les  billets  des 
voyageurs,  les  bulletins  d'enregistrement  des  bagages,  les  imprimés  pour 
lettres  de  voiture,  connaissements,  dépêches  télégraphiques,  feuilles  et 
formules  de  contrat  faits,  fournis  ou  délivrés  par  une  compagnie  de 
chemin  de  fer,  de  na\-igation,  de  télégraphe,  de  téléphone,  de  transport 
et  de  messageries  ou  d'énergie  électrique,  ainsi  que  les  avis  ou  règle- 
ments, affiches  dans  ses  gares,  bateaux,  usines  ou  ateliers.  » 

Au  lieu  de  cela,  c'est  une  lettre  de  voiture  imprimée  en  anglais 
seulement  que  le  sous-agent  a  remise  au  Demandeur.  Comment 
veut-on  que  celui-ci  ait  eu  connaissance  de  la  clause  limitative  de  la 
Défenderesse,  puisqu'il  ne  lit  pas  l'anglais?  Et,  s'il  n'en  a  pas  eu 
connaissance,  peut-on  la  lui  opposer  ?     Il  me  semble  que  non. 

Je  suis  donc  d'avis  que  le  jugement  du  tribunal  de  première 
instance  fait  erreur,  et  je  l'infirmerais.  Puis  procédant  à  rendre  le 
jugement  auquel  a  droit  le  Demandeur,  je  condamnerais  la  Défen- 
deresse à  lui  payer  $150.00,  valeur  de  la  malle  et  de  son  contenu,  avec 
intérêt  depuis  l'assignation  et  les  dépens  tant  en  première  instance 
qu'en  révision,  moins  cependant  le  montant  déjà  alloué  par  le  jugement 
rendu  sur  la  confession  de  jugement  de  la  Défenderesse. 


LA  SASKATCHEWAN 


Voici,  d'après  le  Patriote  de  l'Ouest,  In  version  française  de  l'ancien 
et  du  nouveau  texte  qui  visent  la  situation  scolaire  du  français  en  Sas- 
katche^can  : 

1  —  L'ANCIEN  ARTICLE  177 

L'enseignement  dans  toutes  les  écoles  se  donne  en  langue  anglaise, 
mais  il  est  loisible  à  la  commission  de  \m\\  arrondisse  iuput  d'établir 
un  cours  primaire  en  langue  française. 


l'action  française  47 

(2)  La  commission  de  tout  arrondissement,  peut,  subordonnémen 
aux  règlements  du  département,  employer  une  ou  plusieurs  personnes 
compétentes  pour  donner  des  leçons  en  toute  langue  autre  que  l'anglais 
dans  l'école  de  l'arrondissement  à  tous  les  élèves  dont  les  parents  ou  les 
tuteurs  ont  exprimé  le  désir  qu'ils  reçoivent  un  tel  enseignement,  mais 
cet  enseignement  ne  doit  pas  remplacer,  ni  gêner  en  quoi  que  ce  soit, 
l'enseignement  de  l'instituteur  chargé  de  l'école,  ainsi  que  le  requièrent 
les  règlements  du  département  et  la  présente  loi. 

(3)  La  commission  a  le  pouvoir  de  prélever  les  sommes  d'argent 
qiii  peuvent  être  requises  pour  payer  les  appointements  de  ces  person- 
nes, et  tous  les  frais,  charges  et  dépenses  de  cet  enseignement  sont  per- 
çus au  moyen  d'une  taxe  spéciale  qui  est  imposée  aux  parents  et  aux 
tuteurs  des  élèves  qui  en  profitent. 

II  — LE  NOUVEL  ARTICLE  177 

177.  (1)  Sauf  tel  que  stipulé  ci-dessous,  l'anglais  sera  la  seule  langue 
d'instruction  dans  toutes  les  écoles  et  aucune  autre  langue  que  l'anglais 
ne  sera  enseignée  durant  les  heures  de  classe. 

(2)  Le  français  peut  être  employé  comme  langue  d'instruction 
mais  cet  usage  du  français  ne  sera  pas  continué  au  delà  du  grade  1,  et 
dans  le  cas  de  tout  enfant,  ne  sera  pas  continué  au  delà  de  la  première 
année  de  l'assistance  à  l'école  de  cet  enfant. 

(3)  Quand  le  bureau  d'un  district  adopte  une  résolution  à  cet 
effet,  la  langue  française  peut  être  enseignée  comme  sujet  d'étude  pen- 
dant ime  période  n'excédant  pas  vme  heure  par  jour,  comme  faisant 
partie  du  cours  scolaire.  Cet  enseignement  comprendra  la  lecture 
française,  la  grammaire  française  et  la  composition  française. 

(4)  Là  où  la  langue  française  est  enseignée  d'après  les  stipulations 
des  sous-sections  (2)  ou  (3),  tous  les  élèves  des  écoles  qui  ne  désirent 
pas  recevoir  cette  instruction  seront  profitablement  employés  à  d'autres 
travaux  scolaires  pendant  qu'on  donne  cette  instruction. 

De  ce  texte,  le  R.  P.  Auclair,  directeur  du  Patriote,  écrit  d'abord  dans 
s<i  livraison  du  25  décembre  191S  : 

«  A  considérer  la  nouvelle  législation  en  elle-même,  d'après  ce  qui 
devrait  être,  on  la  trouvera  bien  étroite  et  bien  mesquine.  Une  année 
seulement  d'enseignement  dans  la  langue  maternelle  et  ensuite  une  heure 
de  français  par  jour,  à  condition  encore  que  la  commission  scolaire 
l'exige,  c'est  bien  peu. 


48  l'actionTfrançaise 

«  Le  français,  nous  le  répétons,  a  les  mêmes  droits  que  l'anglais  dans 
notre  pays.  C'est  ce  principe  qui  devrait  être  à  la  base  de  toute  la 
législation  scolaire  dans  chaque  province.  En  fait  que  voit-on  ?  Seule 
la  province  de  Québec  a  l'esprit  assez  large  poiu:  donner  une  pleine 
mesure  de  justice  et  rester  fidèle  à  l'esprit  sinon  à  la  lettre  de  la  Cons- 
titution. Partout  ailleurs  on  nous  place  dans  une  position  d'infériorité 
pour  l'unique  raison,  très  prussienne,  que  nous  ne  sommes  qu'une 
minorité.  Cet  état  de  choses  durera  tant  que  la  majorité  ne  sera  pas 
convertie  à  des  idées  plus  justes  et  plus  larges,  à  l'idée  véritablement 
canadienne. 

«  C'est  dire  combien  en  thèse  absolue  nous  ne  pouvons  pas  nous 
déclarer  satisfaits  et  combien  nous  devons  travailler  encore  à  éclairer 
l'opinion  anglaise,  à  démoUr  les  préjugés  invétérés,  pour  qu'vm  jour 
enfin,  justice  complète  nous  soit  rendue.  La  tâche  est  herculéenne. 
Elle  ne  doit  pas  cependant  décourager  des  cœurs  vaillants.  Nous 
devons  continuer  à  lutter  sans  défaillance.  Il  a  fallu  quatre  années  de 
guerre  pour  refouler  les  Allemands;  il  en  faudra  bien  davantage  pour 
faire  disparaître  de  la  mentalité  anglo-canadienne  toute  trace  de  ce 
prussianisme  qui  la  domine  et  dont  la  plupart  du  temps  elle  ne  se  rend 
pas    compte.  » 

Puis,  le  R.  P.  Auclair  ajoute  : 

«  Maintenant,  si  l'on  compare  la  nouvelle  législation  scolaire  à 
l'ancienne,  on  peut  dire  qu'en  pratique,  la  position  du  français  reste 
sensiblement  la  même.  Il  est  vrai  que  le  «  cours  primaire  »,  si  mal 
défini  jusqu'ici,  est  réduit  à  une  aimée,  mais  d'autre  part  le  français,  sur 
la  recommandation  des  commissaires,  peut  s'enseigner  une  heure  par 
jour  dans  tous  les  grades.  Comme  matière  de  classe  officiellement 
reconnue,  les  inspecteurs  devront  en  tenir  compte  et  ne  devront  plus 
placer  cet  enseignement  sur  le  même  pied  que  celui  des  langues  étran- 
gères. Logiquement  aussi  le  gouvernement  devra  pourvoir  à  la  for- 
mation d'un  personnel  d'instituteurs  bilingues  et  c'est  un  point  sur  le- 
quel il  sera  bon  d'insister. 

«  Tout  imparfaite  que  soit  la  loi,  aujourd'hui  comme  hier,  nous 
pouvons  encore  en  tirer  parti  et  nous  croyons  que  le  devoir  de  l'heure 
présente  est  d'en  tirer  tout  l'avantage  possible.  » 


UNE  LETTRE  DE  SON  ËMINENCE 
LE  CARDINAL  BËGIN 


Son  Éminence  le  Cardinal  Bégin  a  daigné  adresser  aux 
directeurs  de  la  Ligue  des  Droits  du  français  la  lettre  sui- 
vante : 

Archevêché  de  Québec 

Québec,  S  février  1919. 

A  MM.  les  Directeurs  de  la 

«  Ligue  des  Droits  du  français  », 

Montréal. 
Messieurs, 

Vous  avez  eu  la  bienveillance  de  m'offrir  en  homrrmge  un 
exemplaire  de  la  Langue  gardienne  de  la  foi,  bonne  et  belle 
brochure  où  les  relations  de  la  langue  française  avec  la  conser- 
vation de  la  foi  catholique  sont  étudiées  par  M.  Henri  Bourassa 
de  la  façon  la  plus  complète  et  la  plus  lumineuse. 

Je  vous  remercie  de  cet  hommage  et  je  profite  de  V occasion 
pour  vous  féliciter  de  V  œuvre  tout  à  la  fois  patriotique  et  reli- 
gieuse à  laquelle  vous  vous  consacrez. 

La  Ligue  des  Droits  du  français  à  Montréal,  le  Rallie- 
ment catholique  et  français  à  Québec  n'ont  certes  pas  pour 
but  d'empiéter  sur  les  droits  d'autrui.    Il  s'agit  de  conserver  à 


Vol.  III.  No  2,  rtvBiBB  1919 


60  l'action  française 

la  langue  française,  dans  notre  pays,  la  place  qui  lui  est  due. 
C'est  donc  une  œuvre  de  justice  d  laquelle  la  religion  est  inté- 
ressée, que  Sa  Sainteté  Benoît  X  V  vient  de  reconnaître  comme 
très  légitime,  mais  qu'il  faut  accomplir  avec  chanté  et  avec  le 
noble  dessein  de  grouper  toutes  les  forces  catholiques  canadien- 
nes sur  des  bases  de  respect  mutuel  et  de  bonne  entente. 

C'est  bien  ainsi,  Messieurs,  que  vous  comprenez  votre  rôle 
et  je  ne  puis  que  vous  en  louer. 

Recevez  donc,  avec  mes  remerciements  et  mes  félicitations, 
tous  mes  vœux  de  succès. 

Votre  sincèrement  dévoué  en  N.  S.,' 

(Signé)     L.-N.  Card.  BÉGIN, 

arch.  de  Québec. 


Les  Précurseurs 


NAPOLEON  BOURASSA 


Napoléon  Bourassa  naquit  à  Lacadie,  au  sud  de  Mont- 
réal, le  21  octobre  1827.  Son  enfance  fut  bercée  par  mille 
récits  de  ce  «  Grand  Dérangement  »  qui  avait  peuplé  son 
village  d'héroïques  réfugiés  :  il  ne  fera  plus  tard,  en  écri- 
vant Jacques  et  Marie,  que  fixer  ces  histoires,  plus  émou- 
vantes encore  que  les  contes  de  fées. 

A  treize  ans,  il  entra  au  Collège  de  Montréal,  où  il  resta 
jusqu'en  1848,  subissant  diverses  influences,  surtout  celle 
de  M.  Barbarin,  musicien  de  talent  et  passionné  pour  les 
belles-lettres.  Les  âmes  de  ces  deux  hommes  se  compri- 
rent et  l'artiste  forma  son  élève  à  son  image.  L'enfant 
était  d'ailleurs  très  bien  doué,  et  s'il  aima  l'étude  de  la  phy- 
sique, il  aima  par-dessus  tout  la  littérature.  Il  acquit  dans 
cette  matière  un  bon  goût  et  une  maturité  qui  frappèrent 
beaucoup  à  cette  époque  professeurs  et  élèves,  Hector  Fabre 
nous  en  est  garant. 

Sa  philosophie  terminée,  il  commença  son  droit.  Mais 
sa  vraie  vocation  le  travaillait  :  un  jour  il  la  déclara.  Il 
voulait  être  artiste.  On  le  mit  à  l'atelier  de  M.  Théophile 
Hamel,  le  meilleur  portraitiste  du  temps.  Le  maître  lui 
reconnut  un  grand  talent,  et  aidé  de  l'abbé  Charles  Laroc- 
que,  ami  de  la  famille,  décida  le  père  à  envoyer  son  fils  en 
Europe.  Napoléon  Bourassa  partit  en  1852  pour  l'Italie, 
séjourna  à  Rome  et  à  Florence,  et  se  fit  disciple  d'Oerbeck. 

De  retour  au  Canada,  en  1856,  il  épousa  bientôt  la 
fille  de  Louis-Joseph  Papineau.  Et  alors  commença  cette 
carrière,  toute  vouée  à  la  diffusion  des  arts  et  des  lettres 


52  l'action  française 

dans  son  pays.  S'il  est  quelque  part  une  initiative  en  ces 
matières,  soyons  sûrs  qu'il  en  est  l'auteur  ou  peu  s'en  faut.  .  . 
Cabinet  de  Lecture  paroissial,  Art  Association,  Artisans 
Canadiens-français,  Union  catholique,  Société  Saint-Jean- 
Baptiste,  Soirées  Canadiennes,  Revue  Canadienne,  Conseil 
des  Arts  et  Métiers,  Académie  des  Beaux- Arts;  à  toutes 
ces  entreprises,  son  nom  est  mêlé.  Et  Napoléon  Bourassa 
n'était  pas  seulement  un  fin  connaisseur  :  il  enseigna  et  il 
écrivit.  Écrivain  et  professeur,  il  fut  encore  peintre,  et 
comme  tel  produisit  de  nombreuses  œuvres;  il  fut  archi- 
tecte et  construisit  des  églises.  Les  grands  projets  qu'on 
fit  miroiter  à  ses  yeux  et  qui  lui  échappèrent  sont  plus  nom- 
breux que  ceux  qu'il  put  mener  à  bonne  fin;  mais  ce  qu'il 
fit  est  assez  pour  lui  assurer  une  renommée  du  meilleur  aloi. 
L'âge  vint,  avec  l'âge  des  deuils  douloureux.  Il  com- 
mença à  se  préparer  à  mourir,  et  mourut  en  effet,  à  Lache- 
naie,  le  27  août  1916. 


Parmi  ceux  qui  firent  l'éloge  de  ce  gentilhomme,  il  en 
est  un  qui  écrivit:  «  Le  pays  n'a  jamais  possédé  en  un  seul 
indi\'idu  une  complexion  mentale  plus  complète.  . .  »  Cela 
est  vrai.  Napoléon  Bourassa  était  un  homme  cultivé, 
d'une  culture  universelle,  pour  qui  rien  d'humain  n'était 
étranger.  Il  joignait  à  ces  quahtés  de  l'esprit,  les  dons 
exquis  du  cœur.  Hector  Fabre,  qui  s'y  connaissait  en  amé- 
nité, nous  a  dit  combien  son  ami  était  affable  et  toujours 
homme  de  bonne  compagnie.  Ceux  qui  l'ont  connu  dans 
l'intimité,  s'accordent  à  lui  reconnaître  tous  les  traits  du 
parfait  gentilhomme  canadien  :  chrétien,  patriote,  large 
d'esprit  et  fin. . .     A  nous  qui  l'étudions  dans  sa  vie  pu- 


l'action  française  53 

blique  et  dans  ses  œuvres,  s'ouvre  un  vaste  champ  d'étude  : 
il  fut,  avons-nous  dit,  tout  à  la  fois  écrivain,  peintre,  ar- 
chitecte et  professeur.  Précurseur  en  toutes  ces  voies,  il 
l'a  été  surtout  dans  la  dernière. 


Napoléon  Bourassa  nous  a  laissé  un  roman  et  des  cri- 
tiques d'art.  Charles  Guérin  de  Chauveau  avait  paru  en 
1853,  les  Anciens  Canadiens  de  Gaspé  dix  ans  plus  tard, 
Jean  Rivard  de  Gérin-Lajoie  de  1862  à  1864,  Une  de  perdue, 
deux  de  trouvées  de  Boucherville  en  1865,  et  c'est  en  1866 
que  la  Revue  Canadienne  publia  Jacques  et  Marie.  Na- 
poléon Bourassa  fait  donc  partie  de  ces  romanciers  d'avant- 
garde  qui  semblaient  préparer  une  magnifique  floraison 
du  genre,  mais  qui,  au  contraire,  n'eurent  presque  pas  de 
descendants.  Son  livre  est  une  idj-'lle  touchante  qui  se 
détache  sur  le  fond  sombre  de  la  dispersion  des  Acadiens. 
L'étude  des  âmes  n'y  est  assurément  pas  négligée,  mais 
cette  œuvre  est  d'un  peintre  et  vaut  sans  doute  surtout 
par  les  tableaux.  Quelques  longueurs  l'empêchent  d'être 
un  parfait  chef-d'œuvre;  néanmoins,  il  eut,  chez  nos  pères, 
un  très  grand  succès,  et  contribua  beaucoup  à  gagner  des 
sympathies  à  ce  peuple  frère. 

L'homme  de  cœur  avait  beau  jeu  dans  ce  roman;  l'hom- 
me d'esprit  et  de  goût  se  livre  tout  entier  dans  ses  cause- 
ries et  ses  critiques  d'art.  Il  en  est  de  deux  sortes  :  celles 
où  il  trace  de  vigoureux  raccourcis  de  l'histoire  de  l'art  en 
Europe.  Les  larges  vues  et  les  aperçus  ingénieux  y  abon- 
dent. Ses  vastes  connaissances  et  son  don  de  généralisa- 
tion s'y  révèlent.  D'autres  de  ses  articles  nous  intéressent 
encore  plus  que  ceux-là,  parce  qu'ils  touchent  à  l'histoire  de 
l'art  au  Canada.     Il  faut  lire  ses  critiques  de  nos  premières 


54  l'action  française 

expositions,  ses  appréciations  de  nos  églises  (que  ce  soit 
Notre-Dame,  Saint-Jacques  ou  Saint-Patrice).  L'entrain 
et  l'esprit  jaillissent  sous  sa  plume,  et  le  plus  piquant  de 
l'affaire,  c'est  que  cet  écrivain  semble  écrire  pour  nous, 
Canadiens  de  1919.  Le  mal  a  la  vie  dure,  les  erreurs  «  ar- 
tistiques »  aussi.  En  parcourant  ce  qu'il  dit  des  «  com- 
pétences ))  qui  martjTisent  l'artisan  d'art,  je  croyais  avoir 
entre  les  mains  une  livraison  du  Nigog  :  toute  la  différence 
tient  en  ceci  que  Napoléon  Bourassa  assistait  à  V invasion 
du  mauvais  goût  et  que  nous,  nous  vivons  au  milieu  de  son 
magnifique  épanouissement.     Qu'on  me  pardonne  ! 


On  a  souvent  reproché  aux  critiques  d'art,  de  notre 
continent  et  d'Europe,  de  n'être  pas  des  hommes  du  mé- 
tier. ^L  René  Bazin  réfutait  naguère  ce  grief  avec  esprit. 
Quoi  qu'il  en  soit.  Napoléon  Bourassa  ne  l'encourut  point  : 
il  était  peintre  et  il  était  architecte. 

Certes,  les  peintres  n'étaient  pas  nombreux  de  son 
temps.  Quand  on  a  nommé  Théophile  Hamel,  son  maître, 
excellent  portraitiste,  et  Plamondon,  artiste  bizarre  non 
sans  valeur,  il  semble  qu'on  n'oubUe  presque  personne. 
Si  Napoléon  Bourassa  ne  fut  point  le  premier  en  date,  il 
fut  le  premier  par  le  talent.  Il  s'était  formé  en  Itahe  et 
avait  goûté  surtout  la  Renaissance;  sa  peinture  de  chevalet 
s'en  ressent;  il  n'était  d'ailleurs  pas  encore  question  d'im- 
pressionnisme. .  .  Dans  SCS  portraits,  il  n'apportait  pas 
non  plus  nos  préoccupations.  Gâtés  que  nous  sommes  par 
l'exactitude  de  la  photographie,  nous  demandons  main- 
tenant au  portrait  peint  la  révélation  du  caractère  :  tout 
cela  est  venu  beaucoup  plus  tard.     Mais  Napoléon  Bou- 


l'action  française  55 

rassa  est  toujours  jeune  et  vraiment  grand  dans  son  œuvre 
décorative. 

Porté,  en  toutes  choses,  vers  ce  qui  est  le  plus  élevé 
et  le  plus  noble,  il  avait  mis  sa  prédilection  dans  la  pein- 
ture murale.  Procédant,  dans  sa  technique,  d'Ingres  et 
de  Flandrin,  il  avait,  en  plus,  des  idées  très  personnelles 
qu'il  exprimait  volontiers  :  on  en  trouvera  quelques-unes 
dans  sa  diatribe  contre  Saint-Patrice.  .  .  Instruit  de  l'his- 
toire de  l'art,  il  voulait,  comme  les  artistes  du  Moyen-Age, 
que  l'église  fût  le  livre  illustré  de  ceux  qui  ne  savent  pas 
hre.  Et  peut-être  il  est  vrai  que  Napoléon 'Bourassa  eut 
des  déboires  dans  sa  longue  vie,  et  peut-être  beaucoup  de 
ses  projets  ont-ils  avorté;  en  tout  cas,  une  fois  au  moins 
il  put  décorer  en  paix  une  église,  son  éghse,  du  haut  en  bas, 
et  cela  est  unique  chez  nous.  Il  faut  en  parler,  d'autant 
plus  que  ce  monument  seul  suffirait  à  la  gloire  de  notre  ar- 
tiste. 

Nous  y  avons  passé  dernièrement  un  avant-midi  de 
dimanche,  très  lumineux,  et  nous  avons  pu  en  jouir  plei- 
nement, au  milieu  du  silence.  L'impression  générale  est 
harmonieuse.  Rarement  on  a  l'occasion,  chez  nous,  de 
contempler  un  ensemble  si  bien  composé,  tant  du  point 
de  vue  des  idées  que  de  celui  de  l'art  picturaire.  Cette 
chapelle  fut  élevée  à  la  gloire  de  l'Immaculée-Conception  : 
U  n'est  pas  une  inscription,  pas  un  tableau  qui  ne  s'y  rap- 
porte. La  nef,  jusqu'à  l'entrée  du  chœur  est  consacrée 
à  l'Ancien  Testament,  à  la  préparation  de  l'incomparable 
privilège.  Au  sommet  des  voûtes,  quatre  grisailles  re- 
présentent des  figures  de  la  gloire  de  Marie.  De  cliaque 
côté,  en  couleur  sur  fond  d'or,  les  prophètes.  Plus  bas, 
sous  les  fenêtres,  des  écussons  illustrant  les  litanies.  Dans 
le  transept  et  le  chœur,  voûtés  en  cul-de-four  à  leur  extré- 
mité, l'artiste  a  placé,  au-dessus  du  maître-autel  l'Annon- 


56  l'action  française 

dation,  dans  la  voûte  de  droite  la  Visitation,  dans  celle 
de  gauche  l'Adoration  des  bergers  et  des  mages.  Au-des- 
sous de  ces  deux  compositions  du  transept,  et  répondant 
aux  prophètes  de  la  nef,  on  compte  une  douzaine  de  grands 
saints  du  Nouveau  Testament,  qui  ont  parlé  de  l'Imma- 
culée-Conception.  Dans  le  rond-point  du  chœur,  de  cha- 
que côté  de  l'autel,  on  admire  deux  grandes  toiles  :  l'As- 
somption et  le  Couronnement.  Si  maintenant  vous  levez 
les  yeux  vers  le  dôme,  quatre  anges  ornent  les  pendentifs. 
Dans  le  fond  de  la  coupole  trône  Marie  parmi  les  anges; 
tout  autour,  en  grisaille,  se  déroule  une  admirable  proces- 
sion de  papes,  d'évêques,  de  militaires  :  c'est  la  proclama- 
tion du  dogme  de  l'Immaculée-Conception-.  D'autres 
tableaux  devaient  compléter  cet  ensemble  déjà  si  beau 
et  l'artiste  méditait  de  rempUr  les  huit  grands  panneaux 
du  bas,  actuellement  azm'és,  de  scènes  historiques.  Il  ne 
l'a  pas  fait,  nous  ignorons  pourquoi.  Ce  que  nous  pos- 
sédons constitue  néanmoins  la  meilleure  œuvre  du  genre 
au  pays.     Voici  comment  un  critique  la  jugeait  naguère. 

«...  Les  moyens  les  plus  simples  et  les  plus  directs 
«  sont  les  seuls  nécessaires  à  l'expression,  et  l'idée  est  d'au- 
«  tant  plus  accessible  à  la  foule  à  qui  elle  s'adresse,  qu'elle 
«  s'embarrasse  moins  de  subtiles  recherches  de  couleurs 
«  ou  de  pittoresque.  Bourassa  le  comprit  si  bien  qu'il  ne 
«  se  servit  de  couleurs  que  tout  juste  ce  qu'il  fallait  pour 
«  modeler  ses  figures  et  leur  donner  les  accents  de  la  vie. 
«  Son  attention  se  porta  principalement  sur  le  dessin,  sur 
«  le  contour  fermement  appuyé  de  la  forme,  et  encore  de 
«  cette  forme  il  ne  retint  que  les  lignes  essentielles  et  vrai- 
((  ment  caractéristiques.  Les  fonds  d'or  sur  lesquels  elles 
«  se  profilent  ordinairement  ajoutent  encore  à  leur  séche- 
«  resse.  Mais  toujours,  par  une  savante  dégradation  de 
«  teintes  délicates  et  fondues,  Bourassa  sauvait  le  «  mor- 


l'action  française  57 

«  ceau  »  et  de  ce  qui  aurait  dû  produire  une  impression 
«  de  dureté,  il  tirait  la  plus  suave  harmonie.  » 

Nous  avons  d'autres  preuves  de  cette  maîtrise  dans  les 
projets  de  décoration  pour  la  cathédrale  de  Saint-Hyacin- 
the, œuvre  qui  ne  fut  jamais  exécutée;  dans  sa  chapelle 
de  Nazareth;  dans  sa  restauration  si  heureuse  de  l'é- 
glise de  la  Rivière-du-Loup  ;  et  surtout  dans  son  im- 
mense toile  :  r«  Apothéose  de  Colomb  ».  Ce  tableau  a 
son  hjistoire,  vraiment  lamentable.  S'il  est  vrai  que 
l'artiste  fut  parfois  sur  le  point  de  décorer  les  murs 
des  temples  et  finalement  en  fut  empêché,  plus  souvent 
encore  il  espéra  orner  nos  salles  profanes  et  nos  palais  lé- 
gislatifs et  se  vit  frustré  de  son  rêve.  Depuis  le  jour  où 
on  lui  laissa  entendre  qu'il  pourrait  bien  couvrir  de  couleur 
la  nouvelle  salle  du  Cabinet  Paroissial,  en  1860,  jusqu'à 
celui  où  il  parut  le  seul  capable  d'orner  l'Hôtel  du  Gouver- 
nement, à  Québec,  Napoléon  Bourassa  fut  hanté  par  de 
sublimes  compositions  et  notamment  par  cette  «  Apo- 
théose ».  L'esquisse  des  soixante  personnages  en  fut  exposée 
à  l'exposition  universelle  de  Paris  en  1867;  il  entreprit  de 
l'agrandir,  la  travailla  longtemps,  spécialement  de  1904 
à  1912,  et  l'abandonna  quand  les  forces  lui  manquèrent. 
Elle  nous  reste,  témoignage  émouvant  et  grandiose  de  la 
puissance  de  conception  de  ce  puissant  artiste. 


La  peinture,  même  décorative,  n'offrait  pas  un  champ 
assez  vaste  à  son  activité;  Napoléon  Bourassa  rêvait  d'un 
art  plus  complet  :  il  fut  architecte.  Non  content  de  cou- 
vrir avec  son  pinceau  de  larges  espaces,  il  voulut  les  cons- 
truire, les  créer  à  sa  guise.  Il  y  avait  eu  des  architectes, 
au  Canada,  avant  lui,  et  il  y  en  avait  de  son  temps.     A  Que- 


58  l'action  française 

bec,  les  Baillargé,  de  père  en  fils  depuis  trois  ou  quatre  gé- 
nérations, étaient  architectes  et  sculpteurs.  Les  premiers 
avaient  été  formés  en  Europe,  le  dernier  au  Canada.  Dans 
la  région  de  Montréal,  au  moment  où  Napoléon  Bourassa 
revint  d'Italie,  nous  avions  Bourgeau  et  Ostéll,  l'un  de  for- 
mation indigène,  l'autre  de  formation  anglaise.  Le  pays 
tout  entier  a  été  couvert  des  constructions  de  cette  demi- 
douzaine  d'architectes.  Quels  que  soient  leur  talent  et  le 
nombre  de  leurs  productions,  aucun  ne  nous  a  légué  une 
œuvre  aussi  complète  que  cette  chapelle  de  Lourdes  dont 
nous  avons  parlé  tout  à  l'heure.  Napoléon  Bourassa  en 
a  dessiné  les  plans  et  il  en  a  surveillé  la  construction.  La 
façade  n'est  peut-être  pas  de  marbre  blanc  comme  il  au- 
rait fallu,  les  deux  petites  coupoles  qui  devaient  la  surmon- 
ter sont  encore  à  venir,  les  quatre  tourelles  qui  accompa- 
gnent le  dôme  sont  en  ferblanc  :  soyons  sûrs  que  l'archi- 
tecte a  été  forcé,  à  son  corps  défendant,  de  subir  ces  ava- 
nies. De  plus,  grâce  à  cette  indifférence  absolue  à  l'égard 
de  la  perspective,  qui  caractérise  notre  ville,  cette  cha- 
pelle est  enfouie  parmi  des  maisons  trop  hautes,  et  son 
dôme  rivalise  avec  une  cheminée  de  brique  tout  auprès. 
Mais  il  reste  que,  à  l'examen,  elle  apparaît  ce  qu'elle  est 
vraiment  :  correcte,  élégante  et  originale. 

Nous  devons  encore  à  Napoléon  Bourassa  le  couvent 
des  Dominicains,  à  Saint-Hyacinthe,  la  petite  église  de 
Montebello,  «  une  de  ses  plus  charmantes  créations  »,  et 
l'église  Sainte-Anne  à  Fall-River,  cette  dernière  dessinée 
à  soixante-quatorze  ans.  Ce  sont  des  œuvres  très  diffé- 
rentes les  unes  des  autres  et  très  étudiées. 


Il  faudrait  peut-être  parler  ici  de  Bourassa  sculpteur  : 
il  fut  en  effet  le  premier  maître  de  Philippe  Hébert.     Mais 


l'action  française  59 

passons,  pour  en  arriver  au  trait  de  son  talent  où  il  appa- 
raît vraiment  et  sans  conteste  un  précurseur  :  Napoléon 
Bourassa  fut  l'apôtre  de  l'enseignement  des  arts  chez  nous. 

Nous  savons  que  dès  la  fin  du  XVIIe  siècle,  une  École 
des  Arts  et  ^Métiers,  fondée  par  ]Mgr  de  Laval,  existait  à 
Saint-Joachim.  Cette  école  ne  vécut  qu'un  an,  mais  les 
cours  de  sculpture,  peinture  et  architecture  furent  conti- 
nués au  Petit  Séminaire  de  Québec,  pendant  le  XVIIIe 
siècle.  Nous  savons  en  outre  que,  sous  la  supériorité  de 
Messire  Jérôme  Demers,  l'architecture  religieuse  était  en- 
seignée au  Séminaire  de  Québec.  Nous  ne  savons  rien  de 
plus.  Peut-être,  ici  et  là,  dans  quelque  maison  de  la  pro- 
vince, y  eut-il  des  cours  de  dessin,  intermittents,  comme  au 
Collège  de  Montréal.  ]\Iais  sûrement,  dans  son  ensemble, 
l'enseignement  des  arts  plastiques  était  nul. 

Quand  Napoléon  Bourassa  revint  d'Italie,  il  se  trouva 
donc  dans  une  société  peu  capable  d'apprécier  les  tableaux. 
Et  s'il  est  vrai  qu'en  ce  temps-là  il  existait  une  critique  ht- 
téraire  qui  jugeait  les  œuvres  selon  le  parti  politique  au- 
quel les  auteurs  appartenaient,  on  peut  dire  que  la  critique 
artistique  était  encore  plus  insignifiante.  Notre  artiste 
comprit  que,  avant  de  faire  de  la  peinture  chez  nous,  il  fau- 
drait former  un  miheu  capable  de  la  comprendre,  ime  am- 
biance qui  pourrait  à  la  longue  faire  naître  des  talents  nou- 
veaux. A  cette  œuvre,  il  se  consacra  :  elle  devait  être  le 
labeur  de  sa  longue  vie.  Ce  travail  ingrat  et  si  peu  récom- 
pensé lui  a  mérité  non  pas  seulement  notre  admiration,  —  ce 
serait  trop  peu,  —  mais  aussi  notre  profonde  reconnais- 
sance. Lors  d'une  exposition  de  ses  œu^Tes,  —  quand 
son  ateHer  passa  en  d'autres  mains,  —  M.  Jean-Baptiste 
Lagacé,  qu'il  avait  un  jour  appelé  «  son  fils  spirituel  »,  fit 
ressortir,  dans  une  conférence,  jusqu'à  quel  point  il  avait 
été  un  précurseur,  un  sagace  initiateur.     Ce  texte  ferait 


60  l'action  feançaise 

ici  fort  bien  l'affaire  :  il  remplirait  avec  une  compétence 
que  je  n'ai  pas  la  tâche  que  je  me  suis  fixée. 

((  En  étudiant  l'histoire  de  la  Renaissance,  disait  le  con- 
((  férencier  de  M.  Bourassa,  il  avait  été  frappé  de  ce  fait  in- 
((  discutable  que  la  cause  fondamentale  du  merveilleux  dé- 
«  veloppement  de  l'art  à  cette  époque  avait  été  le  sentiment 
«  religieux;.  .  .  ce  sentiment  était  encore  augmenté  de  l'amour 
«  de  la  cité  que  tous  voulaient  grande  et  belle;  de  là  les  ca- 
«  thédrales  de  marbre  ou  de  pierre  et  les  palais  publics  parés 
«  de  toutes  les  séductions  de  la  peinture  et  de  la  sculpture. 
((  Dans  cette  œuvre  d'orgueil  salutaire  et  bienfaisant,  laïcs 
«  et  ecclésiastiques  unissaient  leurs  efforts  et  leurs  ressour- 
((  ces. .  .  ))  Et  Napoléon  Bourassa  crut  que  cette  œuvre  était 
possible  au  milieu  de  la  jeune  civilisation  canadienne  du 
XIXe  siècle.  Il  se  jeta  dans  la  mêlée  avec  entrain  et  se 
heurta  bientôt  à  toutes  les  difficultés  que  devaient  rencon- 
trer après  lui,  les  autres  artisans  d'art.  Loin  de  se  décou- 
rager et  de  prendre  le  parti  d'aller  vivre  en  Italie,  il  resta 
fidèle  toujours  au  but  qu'il  s'était  proposé. 

Il  eut  la  bonne  fortune  de  rencontrer  dans  ses  débuts 
un  abbé  qui  le  comprit.  . .  M.  Verreau  lui  laissa  enseigner 
le  dessin  à  l'École  Normale.  Au  bout  d'un  an  le  ministre 
qui  payait  cette  classe,  s'étant  informé  si  le  nouveau  pro- 
fesseur était  un  «  rouge  »,  celui-ci  ne  daigna  pas  répon- 
dre. .  .  et  les  subsides  furent  supprimés.  Mais  les  «  motifs 
puissants  »  qu'on  avait  eus  d'établir  ce  cours  subsistaient. 
Napoléon  Bourassa  les  avaient  exposés  dans  une  «  lecture  »  ; 
il  continua  de  les  répandre  par  sa  parole  et  surtout  par  sa 
pratique.  N'ayant  plus  à  sa  disposition  de  cours  payés, 
il  en  fonda  de  gratuits.  Six  ans  après  son  amusante  mé- 
saventure politique,  il  devenait,  en  1868,  professeur  de  des- 
sin aux  classes  du  soir  des  «  Artisans  Canadiens-français  ». 
Trois  ans  plus  tard,  on  le  rémunéra,  et,  en  1874,  il  fut  nommé 


l'action  française  61 

directeur  de  ce  cours  qui  exigeait  alors  plusieurs  profes- 
seurs. En  1877,  pour  répondre  à  ses  appels  réitérés  en 
faveur  des  écoles  de  dessin  au  Canada,  le  gouvernement 
provincial  lui  confia  la  mission  d'aller  s'enquérir  en  Franqe, 
des  écoles  d'arts  et  métiers  :  fonctionnement,  programmes, 
personnel.  Sa  correspondance  avec  les  autorités  ne  nous 
est  pas  connue,  mais  nous  savons  qu'après  avoir  visité  plu- 
sieurs établissements  français,  il  fit  un  choix  de  modèles 
pour  l'étude  de  la  mécanique  et  du  dessin  industriel  et  d'ou- 
vrages concernant  l'enseignement  dans  ces  écoles.  Le 
«  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  »  lui  prépara  une  série 
de  dessins  que,  à  son  retour,  il  remit  au  gouvernement,  ainsi 
qu'un  mémoire  sur  les  méthodes  de  ventilation,  d'éclai- 
rage et  de  chauffage  en  usage  en  France.  Tous  ces  rap- 
ports sont  bien  faits,  pratiques  et  clairvoyants.  L'écri- 
vain ne  se  borne  pas  aux  écoles  d'art,  il  prévoit  la  néces- 
sité des  écoles  techniques  et  il  en  recommande  la  fonda- 
tion aux  autorités  civiles.  Il  devance  son  temps,  et  ré- 
clame des  bourses  pour  permettre  aux  jeimes  gens  d'aller 
étudier  dans  les  vieux  pays. 

Malgré  tous  ces  travaux,  le  spirituel  critique  qu'il  était 
trouvait  le  moyen  de  donner  à  la  Revue  Canadienne  de  fines 
chroniques  sur  nos  Salons  de  peinture,  sur  nos  constnic- 
tions,  sur  l'état  des  arts  au  pays.  Son  autorité  en  ces  ma- 
tières était  incontestée,  et  sa  voix  se  faisant  entendre  pres- 
que seule,  il  était  considéré  par  tous  comme  le  champion 
de  la  haute  culture  artistique.  Cette  situation  était  si 
bien  reconnue  que,  en  1880,  lorsque  le  Marquis  de  Lorne 
fonde  l'Académie  des  Beaux-Arts,  Napoléon  Bourassa  en 
est  élu  vice-président. 

Et  le  musée  désiré  par  lui  depuis  si  longteînps  allait 
donc  recevoir  un  commencement  de  réalisation  !  Ce  n'était 
pas  trop  tôt.     Décidément  notre  province  est  réfractaire 


62  l'action  française 

aux  musées.  De  nos  jours  même,  n'est-il  pas  étonnant 
qu'une  métropole  de  l'importance  de  Montréal  ne  possède 
pas  son  Musée  d'histoire  naturelle,  par  exemple,  son  Jardin 
zoologique,  son  Musée  d'Arts  et  Métiers  (nous  avons  des 
embryons  de  tout  cela,  mais  rien  en  rapport  avec  notre 
population) .  Et  pourtant,  il  y  a  des  années  qu'on  en  parle  ! 
Quand  Napoléon  Bourassa  commença  sa  carrière  artis- 
tique, Mgr  Bourget  avait  souhaité  que  ses  toiles  «  mar- 
quassent le  point  de  départ  d'un  musée  national  »,  et  l'on 
exprimait  le  vœu  que  le  gouvernement  «vînt  en  aide  à  une 
entreprise  qui  ne  pom'rait  qu'honorer  notre  pays.  »  Bou- 
rassa n'y  cherchait  pas  un  moyen  de  soigner  sa  propre  ré- 
putation :  bien  plutôt  un  instrument  nécessaire  d'éduca- 
tion. Il  put  voir,  de  son  vivant,  des  Galeries  de  Beaux- 
Arts  s'ouvrir  dans  nos  villes  :  c'est  à  peine  si  quelques-unes 
de  ses  toiles  y  figurent.  Mais  il  a  laissé  de  nombreux  ta- 
bleaux et  de  nombreux  dessins,  —  de  l'immense  Apothéose 
de  Colomb  jusqu'à  ses  projets  de  décoration  d'église.  Cette 
œuvre  à  elle  seule  formerait  un  musée  ou  du  moins  rem- 
plirait toute  une  salle  dans  quelque  vaste  bâtiment.  Nous 
souhaitons  qu'un  jour  elle  trouve  le  palais  où  elle  serait 
mise  en  valeur.  .  . 

Cependant  ne  nous  plaignons  pas  trop  :  Napoléon 
Bom-assa  eut  quelques  aubaines  dans  sa  vie.  S'il  est  un 
précurseur  dans  bien  des  voies,  notamment  dans  celles  des 
désappointements  et  des  désillusions  où  tant  de  nos  artistes 
se  sont  engagés,  il  faut  dire  que,  une  fois  au  moins,  il  eut 
l'occasion  d'appliquer  ses  vues  et  de  produire  une  œuvre 
satisfaisante.  Bien  d'autres  n'ont  pas  eu  cette  consolation. 
Nous  voulons  parler,  —  c'est  la  quatrième  fois,  mais  il 
faut  y  revenir,  —  de  la  chapelle  de  Lourdes. 

«  L'histoire  de  l'art,  avait-il  écrit,  n'a  qu'un  ensei- 
«gnement. ..     La  vraie  école    a  été,  dans  tous  les  temps, 


l'action  française  63 

((l'atelier  et  V œuvre  du  maître,  c'est-à-dire  renseignement 
«avec  la  pratique;  la  science  acquise  avec  l'expérience; le 
«  talent  et  le  caractère  éprouvés  par  la  tâche  de  tous  les  jours; 
«  la  carrière  ouverte  sous  l'œil  rigoureux  du  patron,  pour- 
((  suivie  à  côté  de  lui  dans  de  grands  travaux  publics,  et  con- 
«  tiaués,  après  lui,  avec  les  traditions  et  l'esprit  de  suite  d'une 
«  véritable  et  puissante  famille.  VoUà  la  source,  véritable- 
«  ment  féconde  et  vigoureuse  d'où  sont  sorties  ces  puissantes 
«  écoles  de  Sienne,  de  Florence,  de  Pérouse,  de  MUan,  de 
«  Rome  et  de  Venise.  )> 

Une  école  de  Montréal  !.  .  .  Il  fit  ce  rêve,  et  vrai- 
ment à  lire  comment  il  construisit  et  décora  cette  chapelle 
de  Lourdes,  on  se  croirait  transporté  dans  quelque  ateher 
florentin  du  XVe  siècle.  Alaître  et  élèves  travaillent  de 
concert  !  On  a  cité  trop  de  fois  la  conférence  dans  laquelle 
l'artiste  a  révélé  à  ses  admirateurs  cette  intimité  de  quel- 
ques mois  avec  de  jeunes  artistes  qu'il  initiait  aux  secrets 
de  l'art  :  qu'il  nous  sufi&se  de  la  résumer. 

Pendant  qu'il  s'occupait  de  la  construction,  il  formait 
ses  apprentis  au  dessia.  Quand  le  temple  fut  ^l'prêt  à  re- 
cevoir la  décoration,  il  entreprit  d'y  faire  travailler  ses  élè- 
ves. Très  au  fait  des  difficultés  de  tels^ou  tels  motifs,  il 
ne  les  confiait  qu'à  des  élèves  capables  demies  exécuter.  Au 
moyen  d'une  gradation  très  pédagogique,  intelligente  aussi, 
et  en  même  temps  source  d'émulation,  il  fit  passer  ces  jeunes 
gens,  ces  enfants,  de  l'ornement  simplement  plaqué,  à  la 
figure  humaine  en  grisaille,  de  la  grisaille  à  la  couleur,  etc. 
Évidemment  ce  sj-stème  exigeait  une  surveillance  constante 
de  la  part  du  patron  et  l'obligea  à  maintes  retouches  fati- 
gantes. Mais  pendant  que  le  maître  corrigeait,  les  élèves 
s'instiTiisaient,  et  cette  chapelle  une  fois  terminée,  ceux-ci 
purent  gagner  leur  vie  en  se  servant  des  connaissances  qu'ils 
y  avaient  acquises.     Qui  sont-ils  donc  ces  élèves  que  Na- 


64 


l'action  française 


poléon  Bourassa  néglige  de  nommer  ?  M.  Lagacé  les  con- 
naît peut-être,  car  il  leur  reproche  d'avoir  oublié  les  leçons 
de  sobriété  et  de  goût  que  leur  avait  données  le  maître.  Pas 
tous,  évidemment,  puisque  l'un  d'entre  eux  —  Philippe 
Hébert  —  a  atteint  la  gloire. 


Arrêtons-nous  ici  :  nous  ne  saurions  tout  dire  et  nous 
risquerions  de  répéter  les  excellents  articles  pubUés  à  l'oc- 
casion de  la  mort  de  notre  artiste;  ou  plutôt,  finissons  par 
une  citation  de  l'un,  de  ces  auteurs  anonymes  qui  veut  ran- 
ger ce  grand  peintre,  «  père  des  beaux-arts  au  Canada  », 
parmi  les  pionniers  de  notre  gloire  nationale.  «  Napoléon 
Bourassa  a  été,  dit-il,  pour  son  vaste  domaine,  ce  que  Gar- 
neau  a  été  pour  l'histoire,  Crémazie  pour  la  littérature, 
le  curé  Labelle  pour  la  colonisation,  l'abbé  Tanguay  pour 
l'arbre  généalogique  de  notre  race.  Il  fut,  jusqu'à  l'abné- 
gation, l'effacement  et  les  sacrifices  pécuniaires,  l'apôtre 
de  l'esthétique  au  Canada.  »  Nous  avons  le  devoir  de  nous 
en  souvenir  ! 

OUvier  Maurault,  p.  s.  s. 


LES  NUMEROS 


Comme  il  arrive  que  des  numéros  de  l'Action  française  sont  perdus  j 
au  cours  de  la  distribution,  nous  invitons  désormais  nos  lecteurs  à  faire  j 
leur  réclamation  pas  plus  tard  qu'un  mois  après  la  publication  de  la] 
livraison  égarée.  Ainsi,  pour  le  numéro  de  février,  publié  à  la  fin  duj 
même  mois,  on  aura  jusqu'à  la  fin  de  mars  pour  réclamer.  Ces  contre-] 
temps,  du  reste,  tendent  de  plus  en  plus  à  disparaître,  par  suite  du  re-| 
maniement  que  nous  sommes  à  faire  subir  à  nos  listes  d'abonnés. 


LA  NATIONALISATION  DE  NOTRE 
LITTERATURE 

par  l'étude  de  noire  histoire 


L'Action  française  publie  cette  étude  avec  plaisir — pour 
sa  valeur  intrinsèque  et  comme  témoignage  de  l'état  d'esprit 
d'une  partie,  tout  au  moins,  de  la  jeune  génération.  U auteur 
est  étudiant  à  la  Faculté  de   Droit,  à  Laval  (Montréal). 

La  littérature  canadienne-française  trouvera  son  exis- 
tence et  sa  perfection  dans  l'originalité  de  notre  âme 
nationale.  Sans  cette  originalité,  point  d'assises  à  une 
manifestation  intellectuelle  indigène.  Il  faut  prendre  cons- 
cience de  nos  diversités  profondes,  les  aimer  et  les  dire  avec 
la  saveur  particulière  que  donneront  à  notre  style  et  à 
notre  pensée  les  qualités  de  notre  génie. 

C'est  une  tâche  difficile.  Gardant  une  intime  ressem- 
blance avec  la  patrie  dont  elle  est  détachée,  toujours  sou- 
mise à  son  influence  intellectuelle  et  morale,  notre  race  n'a 
pas  la  perception  vive  de  ce  qui  la  distingue,  et  ses  livres, 
peu  nombreux,  ne  lui  rendent  pas  le  témoignage  net  d'une 
individualité  propre. 

Il  paraît  bien  que  le  premier  devoir  littéraire  de 
l'heure  est  l'affirmation  de  notre  personnalité  distincte. 
Prouver  qu'il  existe  en  notre  peuple  cet  équilibre,  ce 
dosage  particuUer  des  facultés  de  l'intelligence  et  des  qua- 
lités du  cœur  par  quoi  diffèrent  les  races,  c'est  poser  les 
fondements  mêmes  de  notre  littérature.  H.  Taine  apprit, 
autrefois,  à  ses  compatriotes  en  mal  de  systèmes  pohtiques 
imités  de  Londres,  que  «  l'âme  d'un  Français  n'est  point 


66  l'action  française 

l'âme  d  un  Anglais  ».  Les  écrivains  du  terroir  nous  rendent 
un  service  de  cette  sorte  en  dégageant  certains  éléments 
de  notre  originalité.  Leur  talent  nous  rend  l'âme  canadien- 
ne-française attrayante  et  sympathique. 

L'histoire,  non  seulement  expose  les  influences  forma- 
trices qui  altèrent  le  tempérament  du  colon  français,  mais 
elle  offre  en  regard  les  événements  et  les  séries  de  faits  qui 
attestent  la  réahté  de  ces  influences  et  leur  profondeur. 
Dans  l'éloignement  des  siècles,  nous  distinguons  bien  leur 
action  eflScace  et  les  singularités  qu'elles  produisent.  La 
même  page  qui  suggère  l'hypothèse  sert  à  la  vérification. 
La  grande  loi  de  l'adaptation,  de  la  formation  des  races 
par  le  milieu  physique,  le  cKmat,  les  circonstances  histori- 
ques, renferme  le  secret  de  notre  âme  nouvelle.  L'homme 
est  un  être  matériel  sUr  lequel  une  empreinte  se  grave; 
il  est  inteUigent  et  comprend  la  cause  des  événements, 
compare  et  juge;  ensuite,  il  est  un  être  volontaire  qui 
façonne  énergiquement  sa  nature  poiir  la  mjeux  approprier 
au  succès.  S'adapter,  c'est  toujours  subir,  dans  une  cer- 
taine mesure,  et  pais,  c'est  réagir. 

Des  conditions  particuhères  de  vie  physique,  intellec- 
tuelle ou  morale  enveloppent  la  race  française  au  Canada. 
Inefficaces  sur  les  colons  venus  directement  de  France, 
elles  modifient,  peu  à  peu,  les  générations  nées  en  terre 
canadienne.  Elles  constituent  un  moule  où  l'âme  française 
se  modèle,  dans  le  temps,  des  traits  et  des  caractéristiques 
singulières.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'exposer  ici  ces  con- 
ditions, ni  de  dire  dans  quel  sens  et  sur  quels  éléments 
humains  elles  ont  agi.  M.  l'abbé  Groulx  célèbre  cette 
année  l'avènement  de  notre  nationalité,  et  nul  mieux  que 
lui  n'est  qualifié  pour  cette  tâche  de  gloire. 

Un  agent  vivant  de  transformation  collabore,  plus 
tard,  avec  ceux-là  :  la  race  anglaise  s'établit  parmi  nous. 


l'action  française  67 

Une  autre  organisation  politique  et  civile  remplace  les  ins- 
titutions anciennes;  elle  comporte  des  mœurs  et  des  habi- 
tudes nouvelles.  Désormais  condamnés  à  vivre  sous  le 
même  toit,  les  deux  adversaires  historiques  n'oublient  pas 
les  griefs  accumulés,  et  la  lutte,  commencée  au  fond  des 
siècles,  se  poursuit  en  champ  clos.  Toujours  sur  la  défen- 
sive, nous  adoptons  les  armes  que  les  ennemis  ont  choisies; 
n'ayant  pas  la  triste  initiative  de  l'attaque,  le  lieu  de  la 
bataille  nous  est  imposé.  Notre  volonté  de  survivance 
inflexible  ordonne  les  disciplines  opportunes,  provoque  les 
réformes  appropriées,  commande  les  œuvres  qui  sauvegar- 
dent notre  intégrité.  Le  mouvement  économique,  le  réveil 
pohtique  ou  historique  contemporain  sont  inspirés  par  une 
pensée  de  résistance,  impérative  comme  l'instinct  de  con- 
servation. Mais,  par  le  contact  quotidien,  subi  ou  voulu, 
se  produit  l'infiltration  des  idées  et  des  sentiments  qui 
changent  notre  mentahté. 

Une  plante  étrange  croît  dans  les  régions  tièdes  de 
l'Equateur;  ses  branches  se  courbent,  touchent  le  sol  et 
poussent  des  racines  qui  donnent  naissance  à  des  tiges 
nouvelles;  chaque  arbuste  reçoit  de  la  terre,  d'abord,  une 
sève  nourricière,  puis,  par  les  mille  canaux  entrecroisés, 
une  circulation  de  la  même  vie  rayonne  à  travers  la  forêt. 
C'est  un  symbole  révélateur  de  noti-e  «  âme  locale  et  fran- 
çaise tout  à  la  fois  »,  selon  l'expression  de  M.  Gabriel 
Hanotaux.  Après  avoir  pris  racine  au  sol  canadien,  nous 
y  avons  vécu,  nous  y  avons  souffert.  Cela  ne  va  pas  sans 
créer  des  liens  entre  les  vivants  et  les  morts,  entre  les  hom- 
mes et  les  choses.  Aujourd'hui  nous  sentons  bien  que  le 
Canada  est  notre  patrie,  nous  savons  que  notre  peuple 
forme  une  entité  ethnique,  avec  ses  préoccupations  politi- 
ques ou  sociales,  ses  besoins  et  ses  aspirations  uniques,  ses 
problèmes  complexes  qui  résultent  de  causes  particulières. 


68  l'action  française 

Oserais-je  affirmer  aussi  que  notre  idéal  n'est  subordonné  à 
celui  d'aucune  nation  étrangère  ?  que  nous  n'avons  d'autre 
but  national  que  nous-mêmes,  c'est-à-dire  la  grandeur  et 
la  gloire  de  notre  race  ?  que  nos  goûts,  nos  devoirs,  nos  pré- 
férences, ne  nous  sont  imposés  par  personne?  Nous 
n'abandonnons  pas  aux  étrangers  le  soin  d'ordonner  l'orien- 
tation de  nos  activités.  Un  peu  intolérante  et  farouche  à 
la  façon  du  jeune  homme  passionné  de  Maurice  Barrés, 
notre  nationaHté  croit  que  rien  ne  vaut  ses  idées,  ses  pas- 
sions, son  patrimoine;  elle  les  étudie,  et  les  affirme,  avec  une 
belle  audace,  «  sous  l'œil  des  Barbares  »,  et  sent  une  révolte 
instinctive  en  face  des  autres  peuples  qui  veulent  garder  son 
âme  en  tutelle,  ou  substituer  leurs  caractéristiques  aux 
siennes. 

D'où  l'on  voit  que  de  l'action  simultanée  des  circons- 
tances extérieures  et  de  sa  volonté  sur  elle-même,  une  race 
est  née  qui  possède  une  âme  originale,  inexploitée,  une  âme 
opulente  d'austères  et  rayonnantes  beautés.  Ce  qu'elle 
a  de  vivace  et  de  particuher  est  à  l'intelligence,  comme  aux 
lèvres  un  goût  nouveau  et  frais,  comme  aux  yeux  un  paysage 
clair  et  pur.  Nul  n'a  le  secret  des  chants  qui  l'émeuvent 
autant  que  les  passionnés  qui  ont  empli  leur  cœur  de  son 
amour. 

Mieux  étudier  notre  âme  nationale,  c'est  mieux  la 
connaître;  et  si  mieux  la  connaître  n'est  pas  nécessairement 
mieux  l'exprimer,  il  n'en  demeure  pas  moins  vrai  qu'on  ne 
peut  la  bien  exprimer  sans  la  bien  connaître.  Or,  rien  ne 
supplée  l'histoire  pour  nous  en  donner,  avec  la  connaissance 
précise,  l'amour  ou  le  sentiment  de  ses  particularités.  La 
littérature  nous  manque  qui  est  le  miroir  où  se  contemplent 
et  s'examinent  les  peuples.  Il  n'est  pas  indifférent  que  nous 
ignorions  cette  âme,  puisque  se  dire  complètement,  pour  un 
écrivain,  c'est  toujours  dire  l'âme  nationale  qui  est  au 


l'action  française  69 

fond  de  lui-même.  L'éducation  doit  tendre  à  la  libérer. 
Elle  doit  tendre  à  la  fortifier  aussi,  à  l'enrichir  selon  ses 
préférences,  toutes  choses  que  la  nôtre  n'accompht  pas. 

Une  race,  en  effet,  se  rencontre  un  jour,  que  des  disposi- 
tions initiales  modifiées  par  des  circonstances  historiques 
prédisposent  à  l'idéal  d'une  certaine  beauté,  à  l'amour  de 
formes  d'art  particulières.  Elle  tient  de  là  un  caractère  et 
des  tendances  propres.  Chaque  indi\'idu  de  cette  nation 
est  une  reproduction  plus  ou  moins  parfaite  de  cette  pre- 
mière image  :  il  en  a  toujours  les  traits  essentiels.  Des 
méthodes  spéciales  sont  nécessaires  pour  développer  cet 
être  spécial.  Lorsqu'il  s'agit  de  la  sensibilité  et  de  l'intelli- 
gence d'un  écrivain  surtout,  instruments  déhcats,  les  con- 
séquences d'un  vice  de  culture  sont  désastreuses  et  de 
longue  portée.  Trois  éléments  forment  un  tempérament 
littéraire  et  lui  procurent,  en  même  temps,  la  matière  et 
le  canevas  de  son  œuvre  :  l'éducation,  les  lectures  et  le 
milieu.  Les  leçons  du  professeur;  les  influences  de  la 
société,  l'enseignement  des  livres  doivent  intensifier  dans 
l'adolescent  toutes  les  caractéristiques  de  sa  race  qui  sont 
ses  vertus  profondes.  Ils  doivent  travailler,  dans  une 
intimité  étroite,  à  l'élaboration  de  vérités  et  de  sentiments 
qui  ne  se  contredisent  point,  mais  s'ajoutent  les  uns  aux 
autres,  dans  une  belle  harmonie.  Parce  que  tout  individu 
est  de  sa  race  et  de  son  temps,  il  a  besoin  d'une  éducation, 
de  lectures  et  d'un  milieu  national  pour  son  développement 
complet  et  normal. 

Cette  théorie  est  un  peu  abstraite,  mais  l'étude  de  notre 
situation  l'illustrera  bien.  Autrefois,  nos  écrivains  n'eurent 
pas  une  cultiue  littéraire  assez  forte  pour  oser  une  forme 
personnelle.  Comme  des  débutants,  ils  imitent  des  auteurs 
parfaits;  ou  bien,  ils  racontent  les  faits,  aridement,  et,  sans 
apprêts,  disent  lem-  pensée.     Toutes  ces  œuvres,  nées  du 


70  l'action  française 

désir  louable  de  servir  une  cause,  furent  utiles  en  leur  temps. 
Aujourd'hui,  elles  ont  ce  tort  de  tendre,  au-dessus  des 
choses  canadiennes,  un  voile  terne  qui  en  dérobe  la  secrète 
nouveauté.  Habitués  aux  perfections  de  la  littérature 
française  qui  nous  rendent  sympathiques  des  objets  étran- 
gers, nous  ne  nous  plaisons  plus  dans  la  contemplation  de 
nous-mêmes,  et  les  beautés  de  notre  pays  nous  sont  indif- 
férentes, presque  inconnues.  Nous  n'avons  pas  de  littéra- 
ture canadienne-française  parfaite  et  riche.  Les  livres 
français  sont  l'unique  ahment  de  notre  esprit.  «  Au  heu 
de  choish"  dans  la  pensée  de  France  et  de  l'accueillir  comme 
une  éducatrice,  nous  nous  en  sommes  forgé  un  vasselage  », 
suivant  la  formule  de  M.  l'abbé  Groulx.  Notre  originahté 
ne  peut  s'épanouir.  C'est  une  lacune  dans  la  formation 
Uttéraire  du  Canadien  français,  et,  par  ce  fait,  tous  les 
talents  subissent  un  amoindrissement. 

La  littérature  française,  en  effet,  n'est  pas  la  fleur 
spontanée  de  notre  civilisation.  Elle  ne  cultive  pas  les 
parties  canadiennes  de  l'adolescent,  ses  «  réserves  hérédi- 
taires )),  et  lui  impose,  du  dehors,  des  qualités  étrangères. 
Au  lieu  d'être  un  levain  intimement  mêlé  à  la  substance 
elle  est  un  ferment  disséminé  à  des  endroits  divers,  et  qui  ne 
produit  pas  ailleurs  son  effet.  Presque  tout  ce  qui  est 
canadien  en  lui  reste  inculte.  D'où  un  affaiblissement  de 
personnalité  encore  accru  par  les  mauvaises  habitudes 
intellectuelles  contractées.  Si  la  faculté  d'oBservation  lui 
manque,  si  une  lecture  le  laisse  trop  passif  et  que  les  juge- 
ments des  auteurs  lui  semblent  des  apophtegmes,  ne  le 
doit-il  pas  aux  livres  français  qui  l'obligent  à  toujours 
regarder  dans  son  imagination  pom^  reconstituer  les  paysages, 
les  tableaux  de  vie  sociale  ou  politique,  exposent  des  sujets 
dont  il  ignore  tout  et  aboutissent  à  des  conclusions  qu'il  ne 
peut  vérifier? 


l'action  française  71 

Ces  lectures  préparent  mal  le  jeune  littérateur  à  dire 
ce  qui  lui  chante  au  fond  de  l'âme.  Par  cela  seul  que 
nous  vivons  dans  une  société  et  dans  un  pays,  que  nos  ancê- 
tres ont  subi  les  mêmes  influences,  nous  sommes  déterminés 
à  exprimer  toutes  ces  choses  dont  nous  avons  l'impression, 
la  perception  quotidienne,  immédiate  et  directe.  La  vie, 
par  ses  multiples  contacts,  les  répète  et  les  grave  dans  notre 
sensibilité,  toujours  identiques,  depuis  l'enfance  jusqu'à  la 
vieillesse.  Lorsque  nous  en  prenons  conscience,  il  nous  est 
loisible  de  nous  exposer,  de  nouveau,  à  l'atmosphère  d'un 
lieu,  de  refaire  l'expérience  ou  de  recommencer  l'enquête 
pour  fortifier  la  pensée,  raviver  la  sensation  ou  recueillir 
de  plus  abondants  renseignements.  L'exercice  est  fruc- 
tueux, car  personne  ne  nous  vaut  pour  pénétrer  notre  race, 
et  la  nature  qui  nous  entoure  nous  livre  ses  beaux  mystères. 
Dans  l'intérêt  de  leur  gloire,  les  écrivains  doivent  utiliser 
ces  riches  trésors  déposés  en  eux.  Ils  excelleront  seulement 
dans  l'expression  de  tous  ces  sentiments  et  de  toutes  ces 
pensées,  longtemps  amassés  et  couvés  avec  une  inquiétude 
ardente. 

Mais  nos  lectures  françaises  exclusives  ne  renforcent  pas 
ces  émotions,  ni  elles  n'augmentent  ces  connaissances  pré- 
cises. Elles  ne  provoquent  pas  leur  méditation,  ni  une 
activité  mentale  qui  les  étudie,  les  coordonne  et  les  éclaire; 
elles  ne  nous  excitent  pas  sur  les  sujets  qui  nous  sont  connus. 
Elles  nous  imposent  d'autres  émotions  et  d'autres  connais- 
sances :  c'est  une  culture  en  surface  et  non  en  profondeur. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  grave  encore,  la  littérature  française,  par 
sa  force  attractive,  nous  détache  des  choses  qui  nous  sont 
chères  et  nous  attache  à  des  objets  étrangers.  Troublés 
par  ces  voix  de  sirènes,  les  auteurs  canadiens  dédaignent  les 
sources  puissantes  qui  jaillissent  en  eux  pour  creuser  des 
puits  artificiels.     Les  choses  canadiennes  sont  sans  attraits. 


72  l'action  française 

Il  en  résulte  une  apathie  singulière  et  l'indifférence  pour 
toutes  les  préoccupations  de  leurs  contemporains,  et  le 
mépris  qui  oublie  que  la  race  canadienne-française  est  aussi 
digne  que  la  race  française,  que  le  monde  canadien  est  aussi 
beau  que  le  monde  français,  même  si  nos  écrivains,  empê- 
chés par  des  circonstances  plus  fortes  qu'eux,  n'ont  pas  su 
les  décrire  avec  une  perfection  pareille. 

Encore  s'il  était  possible  de  construire  solide  sur  ces 
bases  exotiques.  Mais,  qu'on  le  sache  et  qu'on  le  retienne, 
l'observation  passagère  et  fragmentaue,  l'impression  unique 
et  subite,  toutes  les  réminiscences,  les  sentiments  livresques 
n'ont  jamais  produit  et  ne  produiront  jamais  que  des  œu- 
vres sans  consistance,  sans  vérité  et  sans  vie.  Elles  pour- 
ront avoir  la  beauté  mignarde  des  plantes  de  serre,  mais  non 
la  vigueur  saine  des  grands  chênes  dans  le  ciel.  Une 
imagination,  des  sentiments  sm-menés,  une  invention  totale 
des  paysages  et  des  décors,  un  échafaudage  de  théories  sur 
des  faits  imparfaitement  connus  et  mal  interprétés  n'ont 
pas  la  force  qui  soulève  et  anime  les  talents. 

On  peut  conclure  que  les  lectures  françaises  exclusives 
produisent  ceci  :  le  désaccord  entre  la  formation  par  les 
livres  et  la  formation  par  le  milieu  et  l'éducation;  le  désac- 
cord ou  plutôt  la  dissemblance  entre  les  émotions,  les  infor- 
mations des  livres,  et  les  impressions  et  les  connaissances 
acquises  par  l'éducation  et  dans  le  milieu;  la  tendance, 
pour  l'écrivain,  à  exprimer  des  choses  étrangères,  ce  qu'il 
ne  peut  faire  avec  puissance,  et  le  dédain  pour  les  choses 
canadiennes  qu'il  dirait  avec  tant  de  bonheur.  Et  cela 
produit  les  «  déracinés  »  intellectuels.  Sans  racines  pro- 
fondes dans  la  société  où  ils  vivent,  sans  racines  dans  le 
passé  de  leur  race,  sans  racines  dans  la  terre  qui  les  porte, 
ils  n'ont  pas  l'avantage  des  sèves  généreuses  et  vivaces  qui 
hâtent  les  frondaisons  merveilleuses.     Ils  s'amusent  aux 


l'action  française  73 

féeries  légères  et  brillantes.  Le  déracinement,  c'est  la 
grande  maladie  envahissante  dont  souffrent  les  intellec- 
tuels canadiens,  et  qui  dissout  des  forces  utiles  et  nécessai- 
res.   ■ 

n  ne  faudrait  pas,  de  ces  conclusions  un  peu  sévères, 
déduii'e  qu'il  faille  rejeter  toute  littérature  française.  Ce 
serait  une  entreprise  absurde  qui  tournerait  à  notre  détri- 
ment. Outre  qu'elle  est  l'universelle  informatrice  des 
doctrines  et  des  idées,  elle  nous  apprend  encore  des  méthodes 
et  la  technique  de  l'art.  ]Mais  ce  qu'il  faut  à  tout  prix, 
c'est  un  contrepoids  à  nos  lectures  françaises.  Elles  ne 
doivent  plus  être  exclusives.  Et  comme  la  marque  nationa- 
le est  profonde  en  nous,  un  ensemble  solide  de  lectures 
canadiennes  suffirait,  avec  les  influences  du  milieu,  pour  la 
maintenir  distincte  et  claire. 

Notre  histoire,  parce  qu'elle  forme  la  partie  la  plus 
considérable  de  notre  Uttérature,  la  plus  attrayante  et  la 
mieux  appropriée  au  but  désiré,  détruira  les  inconvénients 
de  notre  situation  anormale.  Elle  contrebalancera,  de 
manières  diverses,  les  conséquences  d'une  formation  désas- 
treuse. Reconstituer  autour  de  son  âme  l'ambiance  his- 
torique qui  enveloppa  notre  peuple  au  cours  de  sa  vie, 
c'est  créer  l'atmosphère  propre  à  le  fortifier  dans  ses  ins- 
tincts et  ses  quaUtés  héréditaires,  à  l'orienter  dans  la  Ugne 
de  ses  tendances  secrètes.  Et  s'il  est  vrai  qu'un  homme 
ne  prend  dans  les  hvres  que  ce  qui  s'accorde  avec  ces 
mêmes  tendances,  une  œuvre  d'un  auteur  de  sa  race  offre 
toujours  plus  d'aliments  pour  les  fortifier.  Les  mots  sont 
alors  chargés  de  plus  de  sens,  de  plus  de  souvenirs,  de  plus 
d'évocations.  Affermir  en  nous  notre  personnalité  cana- 
dienne-française, l'imprégner  de  tous  les  effluves  d'atavisme 
qui  assainissent,  la  rendre  si  vigoureuse  qu'elle  soit  capable 
d'assimiler  tous  les  éléments  étrangers,  me  semble  un  travail 


74  l'action  française 

préparatoire  nécessaire  sans  lequel  notre  intelligence  risque 
d'être  asservie.  Aurons-nous  la  crainte  d'opposer,  même 
aux  Français,  notre  individualité,  et  de  l'enrichir  de  ce 
qu'ils  nous  offrent?  Ayons  l'ambition  de  n'être  les  serfs 
de  personne  et  de  vivre  sur  notre  fonds. 

La  méditation  de  notre  histoire  nous  rendra  cet  autre 
service  d'égale  importance,  de  nous  donner  un  système 
d'idées  et  de  sentiments  sur  notre  peuple  et  notre  pays. 
Lorsque  nous  sommes  jeunes,  dans  l'aventure  de  notre 
personne  à  travers  les  Uvres  et  la  vie,  des  pensées  se  dépo- 
sent en  nous.  Plus  tard,  elles  s'ordonnent  et  s'organisent 
de  manière  à  constituer  comme  la  structure  mentale  de 
notre  cerveau.  C'est  un  cadre  où  viendront  se  placer  les 
connaissances  et  les  émotions.  Il  importe  que  ce  système 
soit  national  afin  de  bénéficier  de  l'enseignement  journalier 
des  hommes  et  des  choses.  Autrement,  nos  observations 
nous  occupent  un  moment,  et  s'échappent.  Peut-être 
aussi  que,  préoccupés  de  théories  que  nous  nous  voudrons 
apphquer  ou  dont  la  vérification  doit  être  faite,  nos  regards 
sauront  mieux  voir  notre  société  et  l'observer  avec  minutie. 

Tous  les  problèmes  contemporains  ont  aussi  des  élé- 
ments historiques.  Le  présent  n'est  qu'un  effet  dont  le 
passé  est  la  cause.  Nos  annales  nous  indiquent  les  mouve- 
ments pohtiques,  intellectuels  ou  religieux,  les  mouvements 
sociaux  et  économiques,  elles  nous  inspirent  le  désir  d'en 
suivre  le  cours  et  l'évolution,  elles  nous  les  révèlent  même 
dans  le  temps  présent.  Il  est  impossible  de  comprendre 
et  de  résoudre  sûrement  toutes  les  questions  discutées  sans 
connaître  leur  origine  et  leur  développement.  Autrement 
on  préconise  les  initiatives  vaines,  ou  l'on  porte  des  juge- 
ments inexacts.  Une  lumière  s'épanche  du  fond  de  l'his- 
toire qui  éclaire  notre  miheu  social.  C'est  pourquoi  les 
amants  du  passé  nous  paraissent  les  meilleurs  observateurs 


l'action  française  75 

du  temps  présent,  ceux  qui  voient  le  plus  clair,  le  plus  juste 
et  le  plus  de  choses,  et  que  l'on  peut  suivre  avec  foi. 

Si  les  historiens,  en  général,  sont  des  sociologues  ou  des 
politiques  avertis,  ils  sont  aussi  des  patriotes  convaincus. 
Ils  appuient  de  faits  leur  instinct,  et  le  nourrissent  de 
raisons.  Ils  connaissent  les  causes  des  infériorités  de  leur 
race  que  les  conditions  difficiles  de  sa  croissance  ont  occa- 
sionnées, et  les  mâles  angoisses  de  sa  vie  sont  lourdes  à  leur 
cœur.  Notre  nationalité  a  besoin  de  tous  les  talents  : 
jamais  une  aube  ne  lui  présage  une  journée  pacifique,  et 
pour  le  travail  national  les  forces  communes  suffisent  à 
peine.  Les  écrivains  canadiens-français  ont  besoin  de  ce 
patriotisme  profond.  Principe  extra-littéraire  si  l'on  veut, 
mais  qui,  comme  toute  passion  maintient  l'attention  sur 
son  objet,  sur  les  idées  et  les  faits  qui  l'animent.  Un  écri- 
vain patriote  se  considère  comme  une  fonction  de  sa  race, 
son  interprète  véridique  ou  son  héraut  retentissant.  Il 
aspire  à  dire  la  fierté  ou  la  douceur  calmante  de  ses  rêves, 
à  formuler  ses  aspirations  et  ses  besoins.  Rien  ne  lui  est 
inconnu  des  inquiétudes  qui  la  troublent,  et  il  impose  une 
austère  discipline  à  sa  vie,  afin  que  sa  gloire  rayonne  en 
lui,  et  que  par  lui,  magnifique,  elle  s'épande  sur  le  monde. 

Que  les  auteurs  fatigués  des  redites  banales  aillent 
puiser  dans  notre  histoire  les  idées  neuves,  l'inspiration  des 
sentiments  lumineux  et  la  fraîcheur  des  émois  d'une  race 
nouvelle  dans  l'immensité  béante  d'un  monde  nouveau. 
Rien,  d'aUleurs,  n'égale  la  valeur  fécondante  d'une  lecture 
nationale.  Elle  remue  les  observations,  les  émotions  accu- 
mulées. Traitant  de  choses  connues,  elle  tient  l'esprit  en 
éveil  et,  par  une  comparaison  instinctive  entre  la  pensée 
de  Fauteur  et  la  nôtre,  nous  contrôlons  ses  jugements;  des 
aspects  neufs  nous  découvrent  des  perspectives  d'idées  qui 
soUicitent  au  travail  notre  intelhgence. 


76  l'action  française 

Par  ces  voies  nombreuses,  l'étude  et  la  méditation  de 
notre  histoire  nous  conduisent  au  nationalisme  littéraire. 
Le  nationalisme  littéraire,  c'est  l'expression  de  notre  âme 
nationale,  de  notre  société,  de  notre  milieu  physique; 
c'est,  dans  nos  Uvres,  non  seulement  notre  âme  ancienne, 
les  mœurs  du  temps  passé  ou  les  souvenirs  héroïques  qui 
s'en  exhalent,  mais  encore  notre  âme  contemporaine,  avec 
ses  ardeurs  et  ses  fiertés.  Quelques-uns  le  nommeront 
régionahsme,  mais  c'est  un  régionalisme  élargi,  plus  compré- 
hensif  et  capable  d'embrasser  plus  de  choses.  Nos  écrivains 
doivent  se  rendre  compte  que  les  écrivains  de  tous  les  pays 
sont  des  nationalistes  Httéraires.  Ils  ne  cherchent  pas  en 
terre  étrangère  la  matière  de  leurs  œuvres,  si  ce  n'est  à  titre 
d'information  ou  de  curiosité.  Nous  sommes  destinés  à  dire 
le  «  canadianisme  »,  par  hasard  de  naissance  si  l'on  veut, 
mais  surtout  pour  ne  pas  nous  diminuer.  Et  c'est  le  devoir 
de  la  jeunesse  à  l'heure  où  beaucoup  de  nos  intellectuels  en 
ont  le  dédain,  de  pubher  cette  vérité  avec  crânerie,  de  la 
défendre,  même  avec  un  peu  de  fracas,  pour  qu'il  en  reste 
quelque  chose. 

En  pratiquant  cette  discipline,  on  étabUt  une  Httérature 
canadienne-française.  On  lui  donne  des  bases  solides,  une 
âme  nationale.  Canadienne  par  la  sensibihté,  les  idées  et 
les  objets,  par  la  psychologie  des  consciences,  les  questions 
étudiées,  par  son  fonds  enfin,  elle  s'élancera  d'un  jet  puissant 
«  vers  la  supériorité  ».  Certes,  nous  écrirons  toujours  en 
français;  mais  qui  ne  voit  que  la  langue,  pour  être  la  diffé- 
rence la  plus  matérielle  entre  les  littératures,  n'est  pas  la 
plus  forte,  ni  la  plus  concluante?  Ce  n'est  pas  un  travail 
qui  se  puisse  retarder  :  les  groupes  français  disséminés  dans 
l'Amérique  ont  plutôt  notre  caractère  et  notre  tempéra- 
ment. Nos  origines  sont  communes  :  il  est  naturel  qu'ils 
reçoivent  de  nous  la  vie  intellectuelle.     Il  faut  que  la  vieille 


l'action  française  77 

province,  comme  un  cœur  fort,  aux  pulsations  victorieuses, 
refoule  jusqu'à  l'extrémité  de  ses  veines  un  sang  régénéra- 
teur et  abondant. 

Que  les  jours  soient  proches  où  les  enfants  pourront 
s'émouvoir  aux  seuls  livres  de  leurs  pères.  Notre  histoire 
n'apprend  pas  à  craindre  l'existence  de  pionniers  intellec- 
tuels. Celle-ci  est  pourtant  bien  décevante  et  bien  rude  en 
notre  pays.  Les  écrivains  usent  leurs  forces  dans  le  double 
souci  du  pain  quotidien  et  du  travail  littéraire.  La  tristesse 
leur  est  commune  de  réussir  à  moitié  dans  leurs  deux  tâches 
et,  dévoyés,  conscients  de  ne  pouvoir  manifester  jamais  la 
meilleure  partie  d'eux-mêmes,  et  la  plus  riche  et  la  plus 
noble.  Acculés  à  cette  impasse,  aux  moments  d'amère 
sohtude,  qu'ils  se  souviennent  des  défricheurs  hardis, 
autrefois,  à  l'heure  du  crépuscule  d'hiver.  Une  angoisse 
s'épanche  de  la  forêt  hostile  qui  se  détache  sur  la  blancheur 
de  la  neig©  et  le  bleu  trop  dur  du  ciel  ;  on  dirait  que  la  nature 
immobile  subit  la  souffrance  indicible  du  froid,  que  les 
choses  ont  des  plaintes,  que  le  pressentiment  d'une  douleur 
surhumaine  envahit  les  êtres.  Isolé  dans  son  abri  de  billots 
équarris,  seul  avec  la  femme  dont  il  aime  l'apaisante,  la 
silencieuse  douceur,  le  colon  français,  pénétré  de  toute  la 
mélancolie  immense  de  la  terre,  sentant  l'insécurité  de  sa 
vie,  de  son  amour  et  de  son  rêve  triomphant,  s'abandonne 
à  la  nostalgie  troublante  de  la  France,  cependant  qu'au 
dehors  le  vent  soulève  la  neige  en  larges  nappes  qui  claquent 
comme  des  voiles. 

Il  a  persévéré,  malgré  tout,  le  Français  nostalgique,  et 
la  pérennité  de  son  œuvre  témoigne  de  la  grandeur  de  ses 
sacrifices. 

Léo-Paul  Desrosiers. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Pût  oies  A-t-on  assez  remarqué,  dans  V  Action  française  de  dé- 
de  chef  cembre,  les  quelques  lignes  où  de  sa  haute  autorité,  l'émi- 
nent  archevêque  de  Saint-Boniface  signale  et  encourage 
cette  humble  mais  pviissante  lutte  «  par  les  détails  »,  d'où  est  née  la 
Ligue  des  Droits  du  français  et  qm  demeure  l'im  de  ses  principavix  ob- 
jectifs ? 

Le  digne  successeur  de  Mgr  Langevin  trace  d'abord,  en  quelques 
phrases  lapidaires  qu'on  croirait  tombées  des  lèvres  mêmes  du  «  grand 
blessé  de  l'Ouest  »,  tant  elles  rappellent  ses  nobles  accents,  les  directives 
de  la  lutte  pour  la  conservation  de  notre  langue  :  «  La  meiUevire  garan- 
tie du  français  au  Canada  c'est  qu'un  peuple  fier  veut  le  garder. —  Si 
nous  voulons  du  français  au  Canada,  c'est  à  nous  d'en  mettre. —  Remi- 
sons les  grandes  déclarations  sur  la  beauté  du  patriotisme,  si  nous  n'avons 
pas  le  courage,  chaque  fois  que  l'occasion  s'en  présente,  de  nous  montrer 
patriotes   agissants.  » 

ImpOïtanCB  Puis,  dégageant  de  ces  principes  les  conclusions 

des  détttils  pratiques,  ne  craignant  pas  d'entrer  dans  les  détails, 
s'y  arrêtant  même  avec  une  insistance  qvii,  de  la 
part  d'un  tel  chef,  dit  toute  leur  importance,  il  écrit  :  «  J'ai  ime  lettre 
à  adresser;  pourquoi  ne  pas  l'adresser  en  français?  Quelle  vétille,  di- 
ront un  grand  nombre  !  Quand  la  vétille  se  sera  répétée  dix  ou  douze 
millions  de  fois  au  cours  d'une  année,  la  résultante  sera-t-elle  vaine? 
Vous  écrivez  à  un  ministère  du  gouvernement  fédéral;  le  français  y  est 
officiel;  quelle  bonne  raison  pouvez-vous  avoir  d'écrire  en  anglais  ?  Votre 
dignité  personnelle  aussi  bien  que  l'avantage  des  vôtres  demandent 
l'emploi  du  français. 

«  Vous  avez  à  mettre  une  enseigne  au-dessus  de  votre  porte;  la  ville 
ou  le  village  que  vous  habitez  est  aux  trois  quarts  de  langue  française; 
sied-il  à  un  Canadien  français  conscient  des  droits  de  sa  langue,  d'em- 
ployer l'étiquette  anglaise?  Substituer  ainsi  l'anglais  au  français,  c'est 
infliger  à  sa  race  une  marque  d'infériorité  et  c'est  en  même  temps  donner 
aux  étrangers  l'impression  fâcheuse  qu'il  y  a  peu  de  français  au  Canada, 
ou  que  l'on  n'y  tient  pas.  » 


l'action  française  79 

Certes,  de  telles  paroles  sont  à  retenir.  EUes  consacrent  ouver- 
tement l'humble  campagne  menée  depuis  dexrx  ans  dans  cette  re^'ue. 
De  voir  ainsi  un  grand  évêque  la  prendre  sous  son  patronage,  en  sonner 
lui-même  la  charge,  lancer  vaillamment  ses  mots  d'ordre,  nous  est  un 
puissant    réconfort. 

Lq  pQTt  Nous  nous  permettons  d'ajouter,  puisque  l'occasion 
du  clCT^é  ^'^^  présente,  que  le  clergé  —  mieux  peut-être  que  tout 
autre  corps  social  —  a  su  comprendre  l'importance  de 
cette  lutte  et  y  coopérer.  Ce  qu'il  a  fait  pour  le  maintien  de  notre  na- 
tionalité sur  les  vastes  champs  de  bataille  où  se  jouait  son  existence, 
sur  le  terrain  de  la  paroisse,  de  la  colonisation,  des  écoles,  il  a  voulu  l'ac- 
compUr  aussi  dans  les  humbles  tranchées  de  la  \'ie  courante.  Là  comme 
ailleurs  on  le  trouve  au  premier  rang,  prêt  à  remplir  les  rôles  variés  qu'im- 
pose le  péril  qui  passe  :  sentinelle  \àgilante,  soldat  aux  rudes  randonnées, 
chef  même,  s'il  le  faut,  intrépide  et  clairvoyant  ! 

Ainsi,  n'est-ce  pas  vm  prêtre  —  un  prêtre,  dont  je  n'ai  pas  à  louer 
ici,  dans  ces  pages  de  V  Action  française,  le  patriotisme  actif  et  éclairé  — 
l'abbé  Lionel  Groulx,  qui  jetait  à  un  auditoire  vibrant  ces  énergiques 
paroles  :  «  Nous  voulons  qu'elle  (la  langue  française)  règne  en  ce  pays, 
partout  où  eUe  a  le  droit  de  régner,  depuis  le  discoiirs  du  trône  lu  par 
le  représentant  de  Sa  Majesté,  depuis  les  actes  officiels  du  parlement 
fédéral,  jusque  sur  l'effigie  du  timbre-poste,  jusque  sur  le  bUlet  de  che- 
min de  fer,  jusque  siir  la  correspondance  de  tramway.  »  Et  ces  autres  : 
«  Pouvons-nous  prétendre  à  la  qualité  de  race  française  \nvante,  nous 
qm  permettons  qu'on  ne  nous  ser\-e  presque  partout  que  des  affiches 
et  des  armonces  en  langue  anglaise,  excepté  poiu"  les  Défense  de  fumer 
ou  les  Défense  de  cracher  ?  qui,  sur  nos  chemins  de  fer,  svir  nos  compa- 
gnies de  bateau,  tolérons  qu'on  ne  nous  parle  qu'en  anglais;  qui,  jusqu'à 
ces  tout  derniers  temps,  ne  demandions  le  numéro  de  téléphone  qu'en 
anglais,  n'acceptions  des  compagnies  d'utilité  pubhque  que  de  la  cor- 
respondance en  anglais,  ne  Usions  dans  nos  cafés  et  nos  restaurants  que 
des  menus  en  anglais  ?  Croyez-voas  que  beaucoup  d'autres  races,  aj'ant 
l'orgueil  de  leiu:  origine  et  la  volonté  de  \-ivre,  toléreraient  longtemps 
chez  elles  un  pareil  régime  ?  » 

N'est-ce  pas  encore  un  prêtre,  l'abbé  Emile  Lambert,  chanceher 
du  diocèse  de  Montréal,  qui  faisant  écho  à  ces  fières  déclarations,  de- 
mandait en  juin  dernier,  aux  membres  de  l'A.  C.  J.  C,  réunis  en  con- 
grès, de  ne  pas  considérer  ces  détails  dans  la  lutte  pour  la  langue  comme 


80  l'action  française 

des  vétilles,  mais  de  leur  accorder  au  contraire  une  grande  importance, 
de  les  mettre  au  premier  rang  dans  leurs  préoccupations  patriotiques  ? 

Des  pQTOleS  VoUà  bien  —  car  nous  pourrions   apporter   plu- 

aUX  GCtCS         sJ-eurs  autres  témoignages  —  les  directions  du  clergé 
sur  ce  sujet.     Mais  il  ne  s'en  contente  pas,  il  veut 
lui-même  donner  l'exemple.     Aux  paroles  il  ajoute  les  actes,  il  agit  com- 
me il  demande  d'agir.     Quelques  faits  entre  mille. 

En  août  dernier  revenait  à  Québec,  après  im  séjour  d'une  dizaine 
d'années  en  Eiurope,  un  Canadien  français,  prêtre  de  la  Congrégation 
de  Saint-Vincent-de-Paul.  Il  alla  s'inscrire  aussitôt  afin  d'obtenir  un  cer- 
tificat d'enregistrement.  Ce  ne  fut  qu'au  bout  de  deux  mois  que  celui-ci 
lui  arriva  d'Ottawa.  Et  encore  il  n'était  pas  satisfaisant.  Le  nom, 
par  exemple,  du  destinataire  avait  été  lourdement  estropié.  Il  écrivit 
sans  tarder  la  lettre  suivante  : 

«  Monsieur  le  secrétaire  du  Bureau-chef  d'Enregistrement, 

Ottawa. 
«  Monsieur, 

J'ai  l'honneur  de  vous  renvoj^er  un  certificat  adressé  ici  sans  doute 
«  par  erreur.  Car  nous  ne  connaissons  pas  dans  notre  établissement 
«  de  Rev.  Jvles  John  Plamoundon.  Xous  n'avons  ici  que  le  Père  Jules- 
«  Joly  Plamondon  qui  s'est  fait  enregistrer  en  août  et  non  en  Aiigust 
«  dernier. 

«  Veuillez  avoir  la  bonté  de  m' expédier  im  certificat  aussi  sérieux 
«  que  celui-là,  sans  y  faire  deux  énormes  fautes  qui  sentent  VengJish  à 
«  plein  nez,  dans  le  nom  et  le  prénom,  et  daignez  pousser  la  délicatesse 
«  jusqu'à  remplir  eti  français  les  blancs  d'un  texte  français.  » 

Uîî  bon         Ah  !  si  tous  les  nôtres  avaient  le  courage  d'agir,  dans 
T exultai      ^^^  mêmes  circonstances,  aussi  vaillamment  que  ce  prêtre  ! 
Pour  lui,  sa  récompense  ne  se  fit  pas  attendre     Presque 
aussitôt  il  recevait,  signée  d'un  nom  bien  français,  la  lettre  suivante  : 

«  Mon  révérend  Père, 

J'ai  reçu  votre  lettre  ce  matin  et  j'ai  corrigé  les  deux  fautes  men- 
«  tionnées.  C'est  regrettable  que  ces  demoiselles  anglaises  ne  sachent 
«  pas  mieux  écrire  le  français.  Nous  recevons  souvent  plusieurs  lettres 
«  comme  la  vôtre,  et  par  malheur  ceux  qui  sont  en  tête  de  ce  départe- 
«  ment  ne  les  voient  pas.     Nous  sommes  chargés  de  répondre. 


l'action  française  81 

«  On  m'a  dit  de  corriger  votre  certificat  et  d'écrire  une  petite  note. 
«  Excusez-moi  si  cette  note  est  plutôt  longue.  Je  ne  voulais  pas  laisser 
«  votre  lettre  inaperçue. 

«  Veuillez  agréer  les  respects  d'ime  petite  Canadienne. 

«  VrVB  LA  liAXGUE  FRANÇAISE  !  !  t. 

Les  billets  X'est-ce  pas  que  voilà  une  démarche  fruc- 

dè  cheTniflS  d€  fCT  tueuse  !  Toutes  ne  donnent  pas  des  résul- 
tats aussi  rapides,  mais  aucune  n'est  stérile  : 
elles  préparent  au  moins  le  terrain  où  la  bonne  semence  finira  par  lever. 
Ainsi  la  suivante.  Il  s'agit  cette  fois  de  chemin  de  fer.  On  sait  que 
les  membres  du  clergé  reçoivent  du  gouvernement  un  certificat  leur 
permettant  de  voyager  sur  son  réseau  à  moitié  prix.  Cette  année,  im 
livret  contenant  ime  série  de  billets  a  remplacé  le  certificat.  On  l'ob- 
tient sur  demande  personnelle.  Or  il  est  rédigé  uniquement  en  anglais. 
Un  Père  du  Saint-Sacrement  s'e.st  hasardé  à  demander  si  on  ne  pour- 
rait lui  envoyer  un  Hvret  français.  «  Beg  to  adiise  that  we  hâve  not  any 
of  thèse  in  French  »,  fut  la  réponse.  —  Eh  bien  !  alors,  réphqua  le  Père, 
je  vous  retourne  celui  que  j'ai  reçu,  car  je  le  considère  plutôt  comme 
vme  injiire  que  comme  ime  faveur.  Et  je  ne  cesserai  de  protester  que 
vous  ne  m'ayez  donné  satisfaction. 

Voilà  qui  est  bien  fait.  D'autres,  m'a-tK)n  dit,  ont  agi  de  même. 
Que  le  mouvement  se  généralise,  que  des  protestations  soient  faites  en 
haut  heu,  et  justice  sera  rendue. 

AÏGTChdiîdS  Ces  deux  exemples  viennent  du  clergé  régulier. 

de  V OntCLTW       '^^  pourrais  en  citer  encore  plusieurs  dus  à  des  mem- 
bres    d'autres  ordres:  dominicains,  jésuites,  fran- 
ciscains, oblats.     Ils  prouvent  que  l'habit  religieux  n'étouffe  pas  le  pa- 
triotisme.    Mais  prenons  quelques  faits  chez  le  clergé  sécuher. 

Plusieiu^  maisons  de  commerce  ontariennes  ont  une  grosse  clien- 
tèle dans  notre  pro%'ince.  Elles  oubUent  trop  souvent  que  notre  langue 
est  le  français.  Telle  cette  maison  d'ornements  d'église  qui  envoyait, 
il  y  a  quelques  mois,  une  circulaire  uniquement  anglaise  à  im  bon  nom- 
bre de  nos  prêtres.  L'un  d'eux,  récemment  nommé  chanoine,  l'avertit 
charitablement  qu'elle  ne  devait  pas  songer  à  traiter  avec  les  Canadiens 
français  aussi  longtemps,  non  seidement  qu'elle  écrirait  en  anglais,  mais 
même  que  le  règlement  XVII  existerait  !  Si  tous  les  marchands  onta- 
riens,  ajoutait-il,  qui  ont  des  cHents  dans  notre  pro\ànce  voulaient 
exiger  le  retrait  de  cette  mesiue,  ils  l'obtiendraient.  Nous  attendrons 
leurs  actes  pour  les  encourager. 


82  l'action  française 

EtîQU€tt€S  P^r  contre,  des  épiciers  montréalais  dont  les  produits 

hilin^UeS  portent  des  étiquettes  bilingues,  ont  reçu  des  comman- 
des  de  plusieurs  curés,  nouveaux  clients  gagnés, 
avouaient-ils  eux-mêmes,  par  le  bilinguisme  qu'arboraient  enfin  les  boî- 
tes de  conserves  et  les  estagnons  d'huile  d'olive,  trop  longtemps  \inilin- 
gues. 

C'est  aussi  im  curé,  le  regretté  M.  Perron,  de  Sain  te- Anne-de- Belle- 
vue  qui,  dans  un  beau  geste,  décerna  une  médaille  aux  jeimes  du  collège 
de  Rigaud  pour  leur  ténacité  à  exiger  qu'vm  employé  de  chemin  de  fer  leur 
parlât  français.  Et  lorsque  nous  avons  signalé,  dans  cette  chronique, 
l'usage  habituel  que  font  nos  ouvriers  des  termes  de  métiers  anglais, 
le  premier  à  relever  nos  remarques,  à  suggérer  quelques  initiatives  pro- 
pres à  enrayer  cette  tendance,  fut  un  prêtre,  atunônier  des  unions  ou- 
vrières. 

Lg  lutte  Q^6  conclure  de  tout  cela  ?    Au  patriotisme  de  notre 

fléceSSQÎïe  clergé?  Oui,  certes;  mais  aussi  à  l'importance,  à  l'op- 
portimité,  à  la  nécessité  de  cette  lutte  par  les  détails. 
Tant  d'hommes  éclairés  ne  l'entreprendraient  point,  ne  s'astreindraient 
pas  aux  minuties,  aux  démarches,  aux  ennuis  qui  lui  sont  liés,  si  elle  ne 
s'imposait  impérieusement,  s'il  ne  fallait  réagir  contre  une  funeste  apa- 
thie. Chaque  jour  d'ailleurs  se  charge  d'apporter  de  nouvelles  preuves. 
Tout  récemment  encore,  les  administrateurs  de  cette  ville  que  fondèrent 
le  sang,  le  labeur,  l'idéal  français;  qui,  par  la  langue  et  les  traditions  de 
ses  habitants,  est  la  quatrième  ville  française  du  monde;  les  adminis- 
trat€iu"S  de  Montréal,  dont  quatre  sur  cinq  sont  de  descendance  fran- 
çaise, s'attiraient  d'un  officier  mihtaire  anglais  le  reproche  d'ignorer 
le  français  dans  un  de  leurs  actes  officiels. 

Et  ce  n'est  pas  la  première  fois.  Et  ce  ne  sont  pas  les  seuls  cou- 
pables. Qu'on  entre  actuellement  dans  les  gares  de  notre  métropole. 
On  y  verra  des  affiches  concernant  les  soldats  qui  reviennent  au  pays. 
Elles  sont  toutes  uniquement  en  anglais,  même  celles  posées  par  des  so- 
ciétés qui,  pour  les  payer,  ont  recueilU  de  l'argent  chez  les  Canadiens 
français  ! 

Sans  doute  la  campagne  énergique  et  constante  que  mène  un  petit 
groupe  est  efficace,  mais  pour  être  décisive  elle  devrait  être  appuyée 
par  vm  plus  grand  nombre  de  nos  compatriotes.  Qu'au  moins  tous  les 
lecteurs  de  l'Action  française  nous  apportent  cette  aide  ! 

Pierre  HoinER. 


\ 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


Les  «  Billets  du  soir  »  de  M.  Albert  Lozeau 


M.  Lozeau,  par  un  mérite  poétique  incontestable,  s'est  imposé  à 
l'attention  du  public  qui  ne  lui  a  pas  ménagé  ses  sympathies.  Ses  trois 
recueils  de  vers  :  L'Ame  solitaire  (1906),  Le  Miroir  des  jours  (1912), 
Lauriers  et  feuilles  d'érable  (1917)  lui  assui'ent  une  place  d'honneur  au 
Parnasse   canadien. 

Nous  n'avons  pas  dessein  d'étudier  ici  ces  ou\Tages.  Un  de  nos 
meilleurs  critiques  l'a  fait  avec  sa  déHcatesse  habituelle^.  M.  l'abbé 
Camille  Roy  a  rendu  pleine  justice  au  talent  de  l'écrivain  et  fait  res- 
sortir la  valeur  de  l'œuvre  publiée  jusqu'à  présent.  Notre  tâche  est 
plus  modeste  :  signaler  simplement  au  lecteur  la  troisième  série  des 
Billets  du  soir  et  parcourir  rapidement  les  trois  volumes.  Le  genre  sans 
doute  n'est  pas  nouveau,  et,  sans  parler  des  ouvrages  analogues 
en  France  :  Billets  du  matin  de  Jules  Lemaîtrç,  Carnets  d'un  sauvage 
de  Henry  Maret,  Billets  de  Junius,  dans  l'Écho  de  Paris,  plusieurs  vo- 
lumes semblables  ont  depuis  quelques  années  enrichi  notre  httérature 
canadienne.  Lettres  de  Fadette,  Autour  de  la  maison  de  Michelle  Le  Nor- 
mand, croquis  de  Bilodeau  et  de  Ginevra,  nous  avons  là  tout  un  recueil 
de  billets  dont  la  lecture  est  pleine  de  charme.  Chaque  page  ne  sau- 
rait prétendre  à  l'immortalité,  mais  il  y  a  des  morceaux  d'une  belle  ve- 
nue et  l'ensemble  est  agréable  à  parcourir. 

M.  Lozeau  reste  poète,  même  en  prose,  et  sent  parfois  le  besoin 
de  revenir  à  la  forme  ailée  du  vers.  Cela  ne  doit  pas  nous  surprendre. 
Il  l'avoue  lui-même  : 

Celui   qui   mil   un  jour   sa    lèvre, 
Poésie,    à   ton   vase   d'or, 
Dans  la  peine,  l'amour,  la  fièvre, 
Y  reviendra  jusqu'à  la  mort. 

(1ère  série,  p.  123). 

1  1ère  série  (1911);  2e  série  (1912);  3e  série  (1918)  —  Imprimerie 
du  Devoir,  Montréal. 

»  M.  Albert  Lozeau,  par  l'abbé  Camille  Roy,  dans  La  Nouvelle- 
France,  de  février  1917,  pp.  49-63. 


84  l'action  française 

C'est  ainsi  que,  sur  une  quarantaine  de  billets,  le  dernier  volume 
renferme  six  ou  sept  poèmes  badins  ou  gracieux  et,  dans  un  grand  nom- 
bre d'articles  en  prose,  on  sent  passer  le  souffle  divin  de  la  muse. 

Un  premier  trait  qui  nous  frappe  dans  les  Billets  du  soir,  c'est  l'hor- 
reur du  terre  à  terre  et  du  convenu.  Sur  un  ton  souvent  ironique  et 
qui  se  hausse  parfois  jusqu'à  l'indignation,  l'artiste  combat  tout  ce  qui 
lui  semble  xoilgaire.  Le  tintamarre  des  rues  et  le  cri  strident  des  auto- 
mobiles, le  papotage  des  salons  et  le  ridicule  des  modes  excitent  sa  verve. 
Relisez  Pages  intimes  (2e  série,  p.  81),  vous  y  trouverez  une  satire  trop 
vraie  pour  n'être  pas  attristante.  M.  Lozeau  déplore  le  sort  de  l'artiste 
«  condamné  à  pétrir  avec  son  sang  des  poèmes  plus  rouges  que  les  pom- 
mes des  pommiers  »  (3e  série,  p.  22.)  L'esprit  pratique  qui  contraint 
le  poète  à  faire  de  sa  plume  vm  instrument  banal  et  le  force,  pour  ga- 
gner son  pain,  à  consacrer  au  travail  de  la  traduction  ou  de  la  réclame 
des  heures  qu'il  voudrait  réserver  à  l'inspiration,  l'irrite  surtout.  Il  se 
contente  habituellement  de  railler  le  manque  d'esthétique  et  de  goût 
(1ère  série,  p.  50  :  L'art  souverain,  etc.),  mais  sous  l'ironie  un  peu 
amère  une  impression  piquante  se  dégage  de  certains  billets.  Dans 
L'art  souverain,  il  flétrit  justement  les  paroles  d'un  gros  pohticien 
qui  disait  de  Nelhgan  :  C'est  un  brave  garçon,  il  est  très  intelhgent, 
mais  il  a  la  manie  d'écrire  en  vers  (1ère  série,  p.  52).  Et  ailleurs  : 
«  Depuis  qu'un  labeur  mercantile  rempht  mes  jovirs,  même  aux  instants 
de  loisir  je  ne  lève  plus  les  yeux  au  ciel.  .  .  J'ai  perdu  la  faculté  de  me 
recueiUir  sur  autre  chose  qu'une  phrase  anglaise,  —  quand  je  traduis ...» 
(1ère  série,  p.  80).  Les  traits  semblables  abondent  dans  les  trois  vo- 
lumes :  le  sourire  ne  réussit  pas  toujours  à  dissimxiler  l'émotion  que  lui 
inspire  l'indifférence  générale  en  présence  des  œuvres  d'art  et  des  ar- 
tistes. 

M.  Lozeau  se  dégage  vite  de  ces  pensées  déprimantes  et  pour  se 
consoler,  il  contemple  la  nature,  comme  il  la  voit  autour  de  lui.  Ses 
voyages  ne  s'étendent  guère  plus  loin  que  le  Mont-Royal  et  le  parc  La- 
fontaine,  mais  il  sait,  dans  cet  horizon  restreint,  découvrir  l'incompa- 
rable beauté  des  choses.  Ce  qu'il  aime  surtout,  en  vrai  poète,  c'est 
l'automne  :  ne  lui  renvoie-t-il  pas  l'écho  de  son  âme  solitaire  f 

«  Dans  le  ciel  d'aujourd'hui,  il  voyage  un  peu  d'automne.  Une 
brume  aérienne  tamise  les  rayons  du  soleil,  le  vent  léger  est  frais,  et  les 
arbres  frissonnant  annoncent  l'envolée  prochaine  des  premières  feuilles 
mortes. . .  C'est  septembre,  un  mois  de  nuances  et  de  transition,  un 
mois  d'air  argenté,  de  lumière  adoucie.    La  fumée  traverse  dans  l'es- 


l'action  française  85 

pace  comme  fatiguée,  et  sa  teinte  gris  foncé  s'épand  sur  le  gris  pâle  de 
l'horizon  rapproché.     En  vérité  l'été  se  meiirt.  »    (2e  série,  p.  89). 

Relisez  Fin  d'automne  (3e  série,  p.  27)  et  Le  verd  d'automne.  (3e  série, 
p.  47)  et  surtout  Septembre,  octobre,  (3e  série,  p.  67)  et  vous  y  admi- 
rerez le  talent  de  l'auteur  : 

«  Septembre,  octobre,  quelquefois  novembre,  les  mois  les  plus  poétiques 
de  l'année,  les  plus  profonds  aussi  par  les  pensées  qu'ils  éveillent  et  les 
impressions  qu'Us  font  naître;  septembre,  octobre,  embués  d'argent, 
dorés  de  soleil,  aziu-és  de  ciel;  septembre,  octobre,  enguirlandés  de  feuilles 
multicolores,  éventés  de  brises  tièdes  et  langoureuses  aux  musiques  affai- 
blies; septembre,  octobre,  quand  ils  ne  pleurent  pas  sans  cesse,  donnent 
à  l'esprit  de  grandes  ailes  qui  planent  au-dessus  du  monde,  et  s'élèvent 
dans  l'infini  du  rêve  !  » 

L'hiver,  il  aime  de  son  balcon,  se  faire  ensevelir  sous  la  neige  qui 
rafale  {Dans  la  tempête,  3e  série,  p.  103),  ou  derrière  les  vitres  blanches 
contempler  «  les  images  dessinées  en  gi^Te  sur  la  vitre,  et  qui  sont  de 
toutes  les  flores,  de  toutes  les  formes.  Quand  la  fenêtre  a  reçu  l'im- 
pression de  l'hiver,  elle  présente  le  tableau  le  plus  délicat  à  l'œil  humain. 
Nul  pinceau  n'en  rendrait  la  nacre  mate,  le  glacis  immaculé,  ni  surtout 
cette  arrière-pensée  d'éblouissement  solaire.  L'azur  n'y  transparaît 
pas,  on  n'en  voit  pas  la  teinte,  mais  on  le  sent  mêlé,  fondu  comme  une 
couleur  dans  une  autre,  à  l'éclat  du  jour  vibrant  sur  la  \itre.  C'est 
un  rayonnement  apaisé,  pâle  et  clair,  qu'on  dirait  tamisé  par  d'invi- 
sibles rideaux,  pour  une  chambre  de  malade  qui  dort  »  (1ère  série,  p.  103). 

M.  Lozeau  aime  beaucoup  aussi  à  décrire  ce  qui  l'entoure,  à  racon- 
ter les  menus  faits  de  la  vie  quotidierme.  Il  a  beaucoup  d'obser\'ation 
et  pourrait  faire  siens  les  vers  de  Rostand  : 

J'écoute  d'une  oreille  artiste  et  qui  s'aiçuise 
Des  bruits  que  nul  ne  percevrait  que  mm. 

Sur  des  riens  il  brode  mille  détails  délicieux.  D'une  touche  déU- 
cate,  il  sait  ne  pas  appu}-er  et  nous  faire  sourire  d'un  incident  presque 
banal.  Nous  nous  intéressons  à  sa  chatte  «  blanche,  onduleuse  et  sim- 
ple, aux  yeux  de  phosphore  vert,  qui  rôde  silencieusement  par  la  maison 
et  fait  encore  moins  de  bruit  que  l'horloge  »  (1ère  série,  p.  13),  à  ses 
poissons  rouges,  que  la  chavix  va  faire  mourir  (3e  série,  p.  51).  La  pe- 
tite coiisine  et  sa  poupée  nous  sont  maintenant  familières  et,  comme 
M.  Lozeau,  du  toit  nous  écoutons  la  conversation  des  cantonniers  de 


86  l'action  française 

la  rue  (2e  série,  p.  81)  ou  des  gamins  heureux  de  voir  «  leurs  moines  qui 
donnent  avec  une  complaisante  paresse,  en  dévidant  longuement  un 
léger  bruit  de  soie  harmonieuse. . .»  (2e  série,  p.  19).  Le  cheval  qui 
passe  avec  son  chapeau  (2e  série,  p.  53),  le  moineau  qui  s'ébat  sur  la 
chaussée  (1ère  série,  p.  27),  la  femme  lourde  «  menant  gravement  en 
laisse  un  embrj-on  de  chien  »  (3e  série,  p.  37),  tout  cela  nous  réjouit  ou 
nous  agace.  Nous  aimons  surtout  les  entretiens  du  poète  avec  son  ami 
qui  lui  ressemble  comme  un  frère,  et  où  se  discutent  sous  la  forme  du 
paradoxe,  tant  de  vérités  profondes.  Nous  nous  attardons  à  rêver 
avec  le  maître  du  logis,  à  regarder  «  les  petites  cheminées  ayant  sans 
cesse  un  léger  panache  qui  flotte  »  et  dont  les  fvmaées,  «  dans  les  beaux 
soirs  d'été,  montent  droit  vers  les  étoiles,  aussi  invisibles  que  des  pen- 
sées »  (1ère  série,  p.  23).  Que  l'heure  soit  harmonieuse,  nonchalante 
ou  silencieuse,  nous  sommes  en  agréable  compagnie  pour  admirer  l'hi- 
rondelle qui  s'envole  vers  l'azur  et  prêter  l'oreille  aux  murmures  du 
vent  «  qui  tourne,  vole,  tel  qu'un  oiseau  rapide  et  se  précipite  où  nous 
allons  tous  :  vers  l'infini.  » 

Si  la  plupart  des  billets  nous  donnent  l'impression  de  fantaisies 
gracieuses,  de  bibelots  finement  ouvrés,  il  faut  bien  avouer  que  parfois 
le  trait  est  forcé,  la  plaisanterie  un  peu  lourde,  et  que  certaines  expres- 
sions étonnent  et  déplaisent  chez  un  poète  aussi  déUcat.  Comment 
ne  pas  regretter  aussi  que  l'amour,  chanté  souvent  avec  tant  de  dou- 
ceur, inspire  ailleurs  des  images  trop  réalistes?  Ce  sont  là  taches  lé- 
gères, et  combien  plus  fréquents,  même  dans  les  billets  badins,  sont 
les  coups  d'ailes  vers  l'idéal  ! 

En  reUsant  quelques  billets  on  ne  peut  s'empêcher  —  si  parva  lied 
componere  magnis  —  d'évoquer  la  manière  de  Hérédia  ou\Tant  au  der- 
nier vers  de  ses  plus  beaux  sonnets  une  perspective  presque  infinie.  Sou- 
vent aussi  chez  le  billellisle  du  Devoir,  après  une  description  détaillée 
et  même  minutieuse,  au  trait  final  l'horizon  s'élargit  et  la  pensée  stu- 
péfaite prend  son  essor  à  travers  l'immensité. 

Lisez  Deux  odeurs  (3e  série,  p.  13).  L'auteur  y  chante  l'odeur  du 
pain  «  à  la  croûte  souple  et  dorée,  qui  garde  encore  autour  d'elle,  pou- 
dre immaculée,  un  duvet  de  farine  »  et  l'odeur  «  retenue  et  persistante 
de  l'eau  antique,  de  l'eau  toujours  pareille  à  elle-même  qui  tombe  de- 
puis des  siècles  et  des  siècles,  imprégnant  la  terre,  depuis  qu'elle  tombe, 
de  son  parfum  vénérable,  unique,  universel  !  »     Et  voici  la  conclusion  : 

«  Vive  l'eau  !  et  gloire  éternelle  au  pain  quotidien,  force  des  corps, 
au  pain  qui  sent  aussi  bon  tjue  l'eau  et  dont  la  farine  auguste  compose 
le  petit  soleil  blanc  de  l'hostie  sur  les  autels  chrétiens  1  » 


l'action  française  87 

Et  plus  loin,  méditez  la  fin  de  l'hymne  au  printemps  intitulé  :  En 
marche  :  «  Dans  un  mois  beaucoup  d'hommes  naîtront,  beaucoup  d'hom- 
mes mourront;  mais  ce  sera  le  printemps  quand  même,  —  le  printemps 
fugitif  pour  ceux  qui  naissent,  le  printemps  éternel  pour  ceux  qui  meu- 
rent...» (3e  série,  p.  124). 

M.  Lozeau  aime  à  l'occasion  donner  de  fortes  leçons  de  vrai  pa- 
triotisme ou  de  philosophie  chrétienne.  Qu'on  relise  :  Au  feu  dans  la 
seconde  série,  Vive  contrariété,  S'oublier  et  surtout  le  billet  final  :  La  paix, 
dans  la  troisième  série,  on  y  trouvera  matière  à  réflexion. 

Quand  M.  Lozeaxi  délaisse  la  prose  pour  les  vers,  il  écrit  aussi 
de  gentils  billets.  L'étroite  colonne  de  journal  se  prêterait  mal^à  la 
gravité  de  l'alexandrin,  et  il  dit  lui-même  avec  esprit  : 

Si  la  colonne  était  plus  large 
J'écrirais    en    alexandrins  : 
On  vous  donne  si  peu  de  marge, 
Pauvres  vers  liés  en  quatrains  ! 

.  . .  D'ici    là     que    ces    rythmes    frêles 
Vou^    apportent    quelque    plaisir  : 
Comme  les  fleurs  ils  n'ont  point  d'ailes 
Et   vous    pourrez   mieux    les... saisir 

{Entravés,  1ère  série  p.  63) 

En  dépit  de  l'aflSrmation  du  poète  son  vers  a  souvent  des  ailes  et 
chante  gracieusement  ses  amours,  la  montagne  ou  le  jardin,  et  fait  l'éloge 
de  nos  beaux  érables  : 

Ceux-là    prodiguant     leur    richesse 
Car  toute   la    splendeur  des   ors 
Et  des  rouges    est  en  promesse 
Dans  leurs  rameaux  souples  et  forts. 

{La  montagne,  3e  série  p.  11). 

En  vers  et  en  prose,  M.  Lozeau  trouve  les  images  qui  frappent.  Il 
sait  peindre  avec  bonheur  en  peu  de  mots  et  donner  l'impression  de  la 
vie.  Il  fait  ainsi  ressortir  à  nos  yeux  les  scènes  qu'il  évoque.  Les  ex- 
traits que  nous  avons  cités  en  sont  la  preuve,  et  en  parcourant  les  trois 


88  .  l'action  française 

volumes  de  «  Billets  »  le  lecteur  en  trouvera  de  nombreuses  démonstra- 
tions. 

Peut-être  sent-on  çà  et  là  chez  l'auteur  une  trop  grande  facilité. 
Dégagé  de  l'entrave  du  vers,  il  ne  cisèle  pas  toujours  assez  la  phrase. 
Il  écrit  cependant  une  langue  harmonieuse  et  souple  qui  plaît  à  l'oreille. 
Il  ne  lui  en  coûtera  guère  de  lui  donner  une  forme  parfaite  et  d'ajouter 
ainsi  à  notre  Littérature  quelques  pages  qui  lui  feront  honneur.  «  Re- 
garder en  soi  passer  les  autres,  et  sans  en  rien  dire,  c'est  amusant  »,  a-t-il 
écrit  un  jour.  M.  Lozeau  aiirait  tort  de  taire  ses  impressions  sur  au- 
trui. . .  et  sur  lui-même.  Ce  serait  priver  ses  nombreux  lecteurs  d'un 
plaisir    réel. 

Alphonse  de  Grandpré,  c.  s.  v. 


L'INSTRUCTION  OBLIGATOIRE 

La  question  de  l'instruction  obligatoire  fait  éclore  toute  une  série 
de  pubUcations.  Après  le  livre  de  M.  Magnan,  que  nous  signaUons 
l'autre  jour,  et  qui  contient  son  examen  général  de  la  situation 
scolaire  de  la  province  de  Québec,  d'importantes  études  sur  le  status 
des  minorités  de  langue  anglaise  (catholique  et  protestante),  voici 
un  livre  du  P.  Hermas  Lalande,  S.  J.,  sur  l'Instruction  obligatoire — ■ 
Principes  et  conséquences  (40  sous,  plus  5  sous  pour  le  port)  et  la  réim- 
pression par  l'Oeuvre  des  Tracts  d'un  chapitre  de  Mgr  Paquet  sur  le 
même  sujet  (5  sous  l'exemplaire). 


LE  DROIT  DES  LANGUES 

Le  marquis  de  l'Estourbeillon,  député  du  Morbihan,  président  de 
l'Union  Régionaliste  bretonne^  dans  un  appel  aux  délégués  de  la  Con- 
férence de  la  paix  {Libre  Parole,  Paris,  31  janvier  1919),  demande  que 
le  futur  traité  de  paix  «  affirme  et  proclame  nettement,  en  l'établissant 
désormais  comme  une  règle  intangible,  le  droit  imprescriptible  des  peuples 
de  parler  et   d'enseigner  libremerit   leur   langue. . .  ». 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 


LaLigxje  des  Droits  du  français. — L'assemblée  générale  annuelle 
de  la  Ligue  des  Droits  du  français  est  toujours,  dans  la  vie  de  l'Action 
française,  un  événement  considérable,  puisque  c'est  la  Ligue  qui  publie 
l'Action  française  et  ses  filiales.  Cette  assemblée  a  eu  lieu  au  siège  so- 
cial de  la  Ligue,  32,  Immeuble  de  la  Sauvegarde,  le  samedi  1er  février. 
M .  Louis  Hurtubise,  secrétaire  général  de  la  Ligue,  a  présenté  le  rapport 
suivant  : 

«  Vous  connaissez,  sans  qu'il  soit  besoin  d'y  insister  beaucoup,  le 
'  bilan  de  notre  Ligue.  Organisée  de  la  façon  la  plus  modeste,  son  œu^Te 
s'est  développée  de  telle  sorte  que  deux  cent  miUe  brochures  et  brochu- 
rettes  portent  déjà  à*travers  l'Amérique,  et  jusqu'en  Europe,  notre  pen- 
sée et  nos  projets. 

«  Notre  première  publication  périodique,  VAlmanach  de  la  Langue 
française,  d'abord  tirée  à  10,000  exemplaires,  a  dû  presque  aussitôt  être 
portée  à  25,000.  Cette  année,  nous  craignions  l'effet  siu-  sa  diffusion 
de  retards  accidentels  et  de  la  hausse  du  prix,  imputable  à  l'augmen- 
tation du  coût  du  matériel  et  de  la  main-d'œuvre.  Le  succès  a  été  fou- 
droyant, déconcertant.  En  quelques  jours,  nos  25,000  exemplaires 
ont  été  enlevés.  Nous  n'avons  pu  répondre  aux  demandes  de  nos  amis; 
l'an  prochain,  il  faudra  tirer  à  40,000,  à  tout  le  moins. 

«  Notre  revue,  l'Action  française,  n'a  pas  encore  atteint  de  pareilles 
hauteurs;  mais,  si  l'on  tient  compte  de  son  caractère  particulier,  le  ré- 
sultat est  aussi  remarquable.  Alors  que  dans  notre  pays,  le  nécrologe 
des  revues  est  l'un  des  plus  riches  qui  soient,  nous  vivons  et,  dès  notre 
deuxième  année,  nous  avons  dû  porter  notre  tirage  de  2,500  à  4,000. 
Cette  année,  nous  passons  à  5,000  et  ce  n'est  qu'un  commencement. 

«  Vous  savez  qu'41  a  ïallu,  pour  compléter  l'action  de  la  revue,  créer 
un  nouveau  type  de  pubUcations  :  notre  Bibliothèque  de  l'Action  fran- 
çaise. Quatre  brochures  à  10  sous,  La  Fierté,  du  P.  Louis  Lalande,  S.  J., 
Pour  l'Action  française,  de  M.  l'abbé  Lionel  Groulx,  la  Veillée  des  ber- 
ceaux, de  M.  Edouard  Montpetit,  et  les  Refrains  de  chez  nous  ont  déjà 
paru  dans  cette  collection  orange.  D'autres  suivront,  notamment 
la  Valeur  économique  du  français,  de  M.  Léon  Lorrain,  et  Si  Dollard  re- 
venait. . .,  de  M.  l'abbé  Groulx.     Puis,  la  série  à  10  sous  ne  suflasant 


90  l'action  fe  ANC  aise 

point,  nous  avons  dû  aborder  des  formats  plus  coûteux  :  La  Langue, 
gardienne  de  la  Foi,  de  M.  Henri  Bourassa,  inaugurera,  sous  couleur 
verte,  une  collection  à  25  sous  où  paraîtra,  très  vraisemblablement,  le 
plaidoyer  Pour  la  Défense  de  nos  Lois  françaises,  de  M.  Antonio  Perrault. 
La  collection  à  75  sous  sera  inaugurée  par  VAu  Service  de  la  Tradition 
française  de  M.  Edouard  Montpetit  et  La  Naissance  d'une  Race  de  M. 
l'abbé  Groubc.  L'hommage  à  Paul-Émile  Lamarche,  qui  paraîtra  d'ici 
quelques  jours,  sera  peut-être  le  premier  numéro  d'une  série  à  ime  pias- 
tre. 

«  Vous  voyez  que,  de  ce  point  de  vue,  la  besogne  ne  manque  point. 
D'autres  projets  sont  d'ailleurs  à  l'étude. 

«  L'œuvre  de  la  revue  et  de  nos  publications  diverses  se  complète 
par  celle  des  conférences.  Vous  savez  quel  éclat  prend  la  série  du  Mo- 
nument National,  où  nous  avons  eu  le  plaisir  d'entendre  jusqu'ici,  sous 
la  présidence  de  M.  l'abbé  Perrier,  de  M.  le  sénateur  Belcourt  et  de  M. 
Aimé  Geoffrion,  MM.  Henri  Bourassa,  Léon  Lort-ain  et  Antonio  Per- 
rault. D'autres  conférences  s'ajouteront  à  celles-ci,  car  nous  n'enten- 
dons confiner  notre  effort  ni  au  Monument  National,  ni  à  la  ville  de 
Montréal. 

«  Conférences  et  brochiu-es  n'épuisent  point  cet  effort.  Nous  vi- 
sons à  une  action  plus  immédiate,  plus  directe  encore,  pour  assurer  au 
français  la  place  qui  lui  convient.  Le  travail  fait  de  concert  avec  un 
certain  nombre  de  fabricants  de  biscuits  et  de  bonbons,  et  qui  a  abouti 
à  la  constitution  de  catalogues  bilingues,  au  choix  de  noms  français,  etc., 
est  le  type  d'une  action  que  nous  espérons  bien  multiplier.  D'autres 
interventions  se  produiront  aussi.  Il  en  est  plusieurs  que  nous  avons 
dû  ajourner  parce  que  nous  n'avions  pas  le  moyen  matériel  de  les  mettre' 
à  exécution. 

«  Car,  il  en  faut  bien  revenir  là,  nos  ressources  sont  encore  très  li- 
mitées. Nous  n'avons  en  abondance  que  la  sympathie  et  le  dévoue- 
ment, et  c'est  par  ceux-ci,  presque  exclusivement,  que  nous  avons  pu 
vivre.  C'est  à  ceux-ci  que  nous  faisons  appel  pour  le  progrès  et  le  dé- 
veloppement de  notre  œuvre.  Il  n'est  personne  qui  ne  puisse  nous 
aider,  par  l'abonnement,  l'annonce,  la  diffusion  de  nos  livres  et  de  nos 
brochures,  aussi  bien  que  par  la  conférence  et  l'article.  Ce  qui  m'in- 
téresse parliculibrcmcnt  dans  votre  œuvre,  disait  un  jour  un  orateur  ami, 
c'est  qu'elle  offre  de  la  besogne  à  tout  le  monde.  Et  vous  avez  encore  dans 
l'oreille  le  comphment  que  voulait  bien  nous  adresser  M.  Aimé  Geof- 
frion :  Quand  d'autres  songent  à  agir,  V Action  française,  elle,  agit  ! 


l'action  française  91 

«  A  tous  ceux  qui  nous  ont  aidé  dans  le  passé,  à  tous  ceux  qui  nous 
aideront  dans  l'avenir,  nous  adressons  d'avance  le  plus  cordial  merci.  » 

Ce  rapport  a  été  adopté  par  l'assemblée,  en  même  temps  que  le 
compte  rendu  des  opérations  financières  de  l'année.  Deux  des  mem- 
bres du  comité  directeur  de  la  Ligue,  MM.  le  Dr  Joseph  Gauvreau,  an- 
cien secrétaire  général,  et  Pierre  Homier,  achevaient,  cette  année,  leur 
terme  d'office.  Leurs  noms  et  ceux  de  MIVL  l'abbé  Phihppe  Perrier 
et  Hervé  Roch,  avocat,  ont  été  présentés  au  choix  de  l'assemblée.  MM. 
Gauvreau  et  Homier  ayant  fait  savoir  que  leurs  occupations  ne  leur 
permettraient  pas  d'occuper  au  comité  des  fonctions  permanentes,  MM. 
l'abbé  Perrier  et  Roch  ont  été  élus  par  acclamation. 

La  Ligue  espère  que  INIM.  Gau^Teau  et  Homier,  deux  de  ses  fon- 
dateiurs  et  de  ses  plus  ardents  collaborateurs,  pourront  tout  de  même 
continuer  à  lui  apporter  le  fruit  de  levu*  travail  et  de  leiu*  expérience. 

SER^^CE  DE  LIBRAIRIE.  —  L' Action  française  vient,  sous  la  pres- 
sion des  circonstances,  d'instituer  un  service  qui  prendra  probablement 
une  importance  assez  considérable.  Beaucoup  de  ses  amis  profitaient 
de  leurs  lettres  à  l'administration  pour  réclamer  tel  ou  tel  volume  pubHé 
ailleurs,  mais  qui  se  rattachait  à  leurs  préoccupations  habituelles.  Nous 
avons  tôt  constaté  qu'il  }•  avait  là  l'occasion  de  rendre  à  nos  clients  ha- 
bituels de  multiples  services,  de  leur  épargner  des  lettres  et  des  frais 
inutiles.  Nous  avons  donc  décidé  de  régulariser  et  de  systématiser 
le  service  de  hbrairie  qui  s'était  établi  presque  tout  seul. 

Nous  serons  heureux,  à  l'avenir,  de  foiu-nir  à  nos  correspondants 
les  livres  et  brochures,  les  Canadiana  particuUèrem.ent,  dont  ils  pourront 
avoir  besoin.  On  trouvera  dans  l'une  des  pages  d'aimonce  l'indication 
de  quesques-uns  des  ouvrages  que  nous  tenons  présentement  à  leur  dis- 
position. Cette  hste  est  naturellement  fort  incomplète.  Nous  re- 
chercherons tous  les  h\Tes  qu'on  nous  demandera.  Nous  nous  ferons 
ime  spéciahté  de  la  difî'usion  des  œu\Tes  de  propagande  des  grandes 
sociétés  de  défense  nationale  du  Canada  et  des  États-Unis.  C'est  ainsi 
que  nous  avons  déjà  commencé  la  distribution  de  l'un  des  premiers  tracts 
de  la  Ligue  de  Ralliement  français  en  Amérique  :  Le  français  dans  nos 
écoles,  que  nous  signahons  le  mois  dernier.  Cette  pubHcation  se  vend 
10  sous  l'exemplaire,  SI  la  douzaine,  S8  le  cent. 

Nous  disposons  de  brochures  comme  les  Chroniques  de  M.  Léon 
Lorrain  (25  sous,  plus  2  sous  pour  le  port),  A  bout  -portant,  de  Nap.  Tel- 
lier  (même  prix),  A  -profos  d'Instruction  obligatoire  —  La  situation  sco- 
laire dans  la  province  de  Québec,  de  C.-J.  Magnan  (50  sous,  plus  5  sous 


92  l'action  française 

pour  le  port;  $5  la  douzaine  et  $35  le  cent,  port  en  plus)  l'Instruction 
obligatoire,  du  P.  Hermas  Lalande  (40  sous,  plus  5  sous  pour  le  port; 
S4  la  douzaine,  port  en  plus)  et,  d'une  façon  générale,  des  dernières  pu- 
blications parues. 

Les  membres  des  commissions  scolaires,  les  organisateiu-s  de  bi- 
bliothèques paroissiales,  trouveront  profit  à  se  mettre  en  relations  avec 
nous. 

Notons  en  passent  (que  la  Fierté,  l'une  de  nos  premières  publica- 
tions, est  aujoiu-d'hvii  épuisée.  Par  contre,  plusieiu-s  milliers  d'exem- 
plaires des  Refrains  de  chez  nous  viennent  d'être  réimprimés. 

L'aboxxbmbxt  DR  S5.  —  Sur  versement  de  So,  nous  adressons 
aux  souscripteurs,  sans  qu'ils  aient  à  le  demander,  toutes  les  publica- 
tions nouvelles  de  l'Action  française,  au  fur  et  à  mesiire  qu'elles  parais- 
sent. Si  le  client  désire  commander  plus  d'un  exemplaire  de  ces  pu- 
blications ou  d'autres  li\Tes,  il  n'a  qu'à  jeter  à  la  poste  une  carte  pos- 
tale. Les  S5  épuisées,  il  lui  suffit  de  renouveler  cette  provision  pour 
continuer  à  recevoir  les  nouveautés  et  commander  ce  qui  lui  plaît. 

Nos  CONFÉRENCES.  —  La  quatrième  conférence  de  la  série  du  Mo- 
nument National  a  obtenu  un  succès  très  considérable,  que  nous  ne 
pouvons  que  signaler  ici.  Le  Dr  G.-H.  Baril,  président  de-V Association 
de  la  Jeunesse,  le  R.  P.  Louis  Lalande,  S.  J.,  et  IMgr  Béliveau,  arche- 
vêque de  Saint-Boniface,  ont  successivement  pris  la  parole  dans  cette 
soirée,  l'une  des  plus  brillantes  que  nous  aj'ons  encore  eues.  Il  y  a  là 
la  matière  d'une  brochure  qui  sera  bientôt  pubUée. 

Le  prochain  conférencier  sera  ^L  Armand  Lavergne. 

Nos  COLLECTIONS.  —  Quelqucs  collections  de  1918  se  vendent  $2. 
On  réussit  parfois  à  former  des  collections  de  1917  qui  se  vendent  $3.50. 

Jean     BeauchexMix. 


FABRICANTS  DE  BONBONS  ET  BISCUITS 


Nos  fabricants  de  bonbons  et  de  biscuits  travaillent  ferme  de  ce 
temps-ci,  de  concert  avec  l'un  de  nos  comités,  pour  franciser  leurs  pro- 
duits.    L'ouvrage  sera  terminé  dans  quelques  jours.     Et  l'on  comnien 
cera  alors  une  vigoureuse  campagne. 


i 


TRIBUNE  DE  NOS  LECTEURS 


CALENDRIERS  FRANÇAIS 

Il  nous  vient  de  l'Ontario  un  appel  intéressant.  Plusieurs  braves 
gens  de  Sudbury  ont  cherché  en  vain  à  obtenir  des  calendriers  français. 
Plutôt  que  d'en  suspendre  dans  leiu^s  demeures  qui  soient  rédigés  en 
anglais,  Us  s'en  passeront,  mais. . .  si  quelques  maisons  de  Montréal  leiur 
faisaient  un  cadeau,  combien  ils  seraient  heureux.  Nous  recomman- 
dons cet  appel  aux  marchands  ou  aux  hommes  d'affaires  qui  publient 
des  calendriers  français  ou  encore  à  nos  amis  qui  en  auraient  de  trop. 
Qu'on  les  adresse  au  Collège  du  Sacré-Cœur,  Sudbury,  Ont;  —  X. 


MARS  1917  —  DECEMBRE  1918 


Nous  accusons  réception  avec  reconnaissance-  des  numéros  de  mars 
de  1917  de  Y  Action  française  qu'on  a  bien  voulu  nous  faire  parvenir. 
Ceux  de  nos  lecteurs  qui  possèdent  cette  Uvraison  en  double,  nous  ren- 
draient service  en  nous  la  faisant  tenir. 

De  même  le  numéro  de  décembre  1918  est  épuisé  et  ne  peut  plus 
être  vendu,  sauf  en  série  complète  avec  les  onze  autres  U\Taisons  de 
l'année,  à  ?2  franco  pour  la  collection.  Nous  recevrons  avec  plaisir  les 
numéros  de  décembre  1918  disponibles  chez  nos  lecteurs. 


AVIS  AUX  ABONNES 


Pour  mettre  nos  livres  en  ordre,  nous  prions  les  abonnés  de  l'Action 
française  qui  n'ont  pas  encore  versé  le  prix  de  leur  abonnement  de  1918 
de  bien  vouloir  nous  faire  tenir  leur  remise  par  le  prochain  courrier. 
Nous  les  prions  aussi  de  profiter  de  l'occasion  pour  nous  verser  l'abon- 
nement de  1919.  Cette  dernière  invitation  s'adresse  également  à  tous 
ceux  qui  n'ont  pas  payé  1919.  La  bande  d'abonnement  sert  d'indica- 
tion :  Jan.  1918  signifie  que  l'abonnement  est  dû  depuis  le  1er  jan\-ier 
1918;  Jan.  1919  indique  que  l'abonnement  est  dû  depuis  le  1er  janvier 
1919;  Jan..  1920  sert  de  reçu  pour  le  paiement  de  l'année. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LIGUE  DE  RALLIEMENT  FRANÇAIS  EN  AMÉRIQUE 

Cette  ligue  a  été  constituée  le  23  janvier  1919,  avec  ce  mot  d'ordre  : 
Tene  quod  habes.  Son  biu-eau  est  ainsi  constitué  :  président  d'honneur  : 
M.  l'abbé  G.-A.  RainAolle,  Salem,  Mass.;  président  :  M.  l'abbé  J.-J. 
Richard,  Nashua,'  N.-H.;  1er  vice-président  :  M.  l'abbé  J.-S.  Fortin, 
Woonsocket,  R.-I.;  2e  ^^ce-prcsident  :  M.  l'abbé  C.  VilHard,  Woon- 
socket,  R.-I.  j  secrétaire  général  :  M.  l'abbé  Henri  Beaudé,  Manchester, 
N.-H.;  asst .-secrétaire  :  M.  l'abbé  A.-O.  Poirier,  Manchester,  N.-H.; 
trésorier-général  :  M.  l'abbé  Horm.  Tetreau,  Nashua,  N.-H.  Le  co- 
mité des  finances  se  compose  de  M.  l'abbé  L.-J.-A.  Doucet,  Manches- 
ter, N.-H.;  M.  l'abbé  A.  Prince,  Woonsocket,  R.-I.;  M.  l'abbé  L.-C. 
Béland,  Beverly,  Mass.  Le  comité  des  relations  extérieures  se  com- 
pose de  l'honorable  Adélard  Archambault,  Woonsocket,  R.-L;  de  ^L 
l'abbé  J.-A.  Fauteux,  Woonsocket,  R.-I.  et  de  M.  WiKrid-J.  Lessard, 
Manchester,  N.-H.  Le  comité  de  censure  se  compose  de  M.  Henri 
d'Arles,  Manchester,  N.-H.;  de  M.  l'abbé  Geo.  Courchesne,  S.  Th.  D., 
Manchester,  N.-H.,  et  de  M.  Adolphe  Robert,  Manchester,  N.-H. 

La  Ligue  a  pubhé  l'appel  suivant  : 

LIGUE  DE  RALLIEMENT  FRANÇAIS  EN  AMÉRIQUE 

I.  L'heure  est  grave  pour  tous  les  Français  d'Amérique.  Nous 
sommes  menacés  dans  nos  intérêts  les  plus  chers.  Le  problème  qui 
se  pose  devant  nous  peut  se  définir  à  l'aide  des  mots  célèbres  :  Être  ou 
ne  pas  être.  L'n  vaste  mouvement  d'angUcisation  par  l'école  se  pré- 
pare :  en  certains  milieux,  il  est  déjà  lancé.  La  vague  d'assaut  s'en 
vient  et  ses  larges  ondulations  balaieront,  si  nous  n'y  prenons  garde, 
le  trésor  sacré  de  notre  langue  maternelle-.  C'est  au  nom  d'un  sophisme 
que  se  fait  cette  campagne  :  Sous  prétexte  de  nous  aynéricaniser,  l'on 
veut  nous  frapper  de  mort;  et  jamais  peut-être  le  noble  mot  de  patrio- 
tisme n'aura  été  davantage  profané,  car  il  sert  ici  à  couvrir  un  plan  qui^ 
est  la  négation  pure  et  simple  de  ce  sentiment. 


l'action  française  95 

II.  Que,  dans  un  pays  où  l'anglais  est  la  langue  officielle,  la  langue 
de  la  politique  et  des  affaires,  il  faille  apprendre  l'anglais,  nous  le  con- 
cédons, et  nous  l'avons  d'ailleurs  toujours  fait.  Qu'une  langue  com- 
mime  serve  de  terrain  d'entente  entre  les  diverses  races  qui  sont  venues 
chercher  aux  États-Unis  la  paix  dans  la  liberté,  et  puisse  favoriser  l'éclo- 
sion  et  l'expansion  d'un  état  d'esprit  national,  nous  l'admettons  égale- 
ment. Mais  que,  pour  arriver  à  cette  fin  légitime,  —  la  cohésion  en 
faisceaux  des  forces  ethniques  variées  disséminées  dans  toute  l'étendue 
du  territoire  américain,  —  chacim  des  éléments  hétérogènes  doive  re- 
noncer à  la  langue  de  ses  pères  pom-  s'en  tenir  uniquement  et  absolu- 
ment au  seul  parler  anglais,  —  voilà  le  sophisme  qui  insulte  au  bon  sens; 
et  toute  mesure  basée  là-dessus  est  à  la  fois  déraisonnable,  injuste,  op- 
pressive. 

III.  En  conséquence,  nous  Français  d'Amérique,  reconnaissons 
la  nécessité  d'organiser  \me  résistance  pacifique,  ferme,  loyale,  aux  ten- 
tatives d'assimilation  qui  se  voilent  sous  des  apparences  illogiques  et 
trompeuses.  Notre  patriotisme  a  toujours  été  au-dessus  de  tout  re- 
proche; notre  fidéUté  au  drapeau  étoile  a  été  scellée  dans  le  sang  de  nos 
fils  et  de  nos  frères;  notre  adaptation  à  la  langue  anglaise  s'est  toujom-s 
accomplie  avec  une  facihté  qui  a  étonné  ceux-là  seuls  qui  ignoraient 
que  la  langue  française  étant  la  source  et  comme  la  racine  de  l'anglais, 
savoir  le  français  donne  la  clef  du  parler  anglais  Quant  à  renoncer  à 
cultiver  notre  langue  maternelle  dans  nos  écoles,  quant  à  la  supprimer 
de  notre  enseignement  primaire,  cela,  non  possumus,  nous  ne  le  pou- 
vons pas,  pour  toutes  sortes  de  raisons  :  ce  serait  abdiquer  notre  âme, 
nos  traditions,  notre  passé;  l'apostasie  sur  ce  point  entraînerait  l'apos- 
tasie rehgieuse,  ou  en  tout  cas  une  grave  diminution  de  nos  convictions 
cathoHques,  notre  langue,  pétrie  de  catholicisme,  étant  la  gardienne  de  notre 
foi  ;  les  États-Unis  eux-mêmes  perdraient  à  cet  abandon,  parler  deux 
langues  valant  mieux  qu'en  parler  seulement  ime,  et  la  langue  française 
étant  considérée  unanimement  comme  la  plus  riche  et  la  plus  glorieuse 
de  toutes  les  langues  modernes,  comme  la  langue  de  la  diplomatie  et  des 
relations  internationales,  comme  la  plus  haute  expression  de  la  civili- 
sation hiunaine. 

IV.  Nous  ne  pourrions  pas,  sans  honte,  sans  nous  abaisser  à  nos 
propres  yeux,  souscrire  à  l'abdication  Unguistique;  et  le  pouvoir  public 
ne  pourrait  non  plus  légiférer  en  ce  sens,  et  d'ime  manière  absolue,  sans 


96  l'action  française 

violer  le  droit  naturel,  et  par  suite  sans  outrager  notre  conscience,  sans 
porter  atteinte  à  la  vraie  liberté  dont  le  drapeau  américain  est  le  sym- 
bole, sans  renier  l'idéal  au  nom  duquel  ce  drapeau  a  traversé  les  mers 
et  est  devenu  pour  tous  les  peuples  un  signe  d'espérance,  de  libération 
et  de  salut. 

V.  Forts  de  nos  droits  imprescriptibles,  nous  avons  fondé  la  Ligue 
de  Ralliement  français  en  Amérique,  pour  les  affirmer  respectueusement 
et  clairement  en  face  de  tous,  pour  travailler  à  les  restaurer  là  où  ils 
ont  été  méconnus,  à  les  maintenir  et  à  les  affermir  là  où  ils  nous  sont 
encore  assurés,  à  empêcher  qu'on  y  touche  là  où  l'on  n'a  pas  encore 
osé  le  faire. 

VI.  En  attendant  que  le  développement  de  notre  œuvre  nous  four- 
nisse des  moyens  d'action  plus  nombreux  et  plus  étendus,  notre  apos- 
tolat s'exercera  sous  forme  de  tracts  populaires,  traitant  sous  leurs  divers 
aspects  les  questions  les  plus  pressantes,  et  les  plus  essentielles  à  la  con- 
servation d'un  héritage  complexe  et  sacré,  qu'aucune  puissance  au  monde 
n'a  le  droit  de  nous  ravir,  et  qu'aucune  puissance  ne  pourra  nous  enlever 
effectivement,  pour  peu  que  nous  sachions  nous  défendre  à  la  limaière  des 
principes  éternels. 

VII.  La  signature  du  feuillet  ci-joint,  et  son  renvoi  au  bureau  cen- 
tral, constitueront  l'enrôlement  dans  la  Ligue  de  Ralliement  français 
en  Amérique,  et  l'engagement  personnel  de  promouvoir,  par  tous  les 
moyens  légaux  et  légitimes,  l'œuvre  pour  laquelle  elle  a  été  fondée.  Afin 
de  procurer  l'impression  et  la  diffusion  de  plus  en  plus  large  des  trads, 
tout  membre  de  la  Ligue  est  prié  de  vouloir  bien  faire  parvenir  à  notre 
Trésorier-Général,  en  même  temps  que  la  feuille  d'enrôlement,  une  con- 
tribution dont  le  montant  est  laissé  à  sa  générosité  et  à  son  patriotisme. 

Pour  la  Ligue  de  Ralliement  français  en  A  mérique, 

Lb  Comité  Exécutif. 


A  LA  MEMOIRE 


DE 


CHARLES   GILL 


Tous  les  deux,  nous  aimions  les  arbres  vénérables 
Qui,  sur  notre  montagne,  élèvent  leur  beauté  ; 
Mais,  toi,  tu  les  peignons  avec  fidélité  : 
Ormes,  saules,  bouleaux,  peupliers,  pins,  érables. 

Ton  fin  pinceau  traçait  les  branches  admirables, 

Tu  saisissais  la  forme  en  sa  diversité. 

Tu  mariais  la  grâce  avec  la  majesté 

Et  tu  savais  capter  les  couleurs  innombrables. 

Et  maintenant,  mon  vieil  ami,  tu  dors  en  paix 
Tout  près  des  troncs  rugueux  et  des  rameaux  épais 
Dont,  avec  tant  d'amour,  tu  fixais  la  mémoire. . . 

Dors  !. . .  Le  mont  familier  jamais  ne  t'oubliera  ! 
Quand,  dans  les  cœurs  humaine,  ton  nom  s'effacera, 
Lui,  par  ses  grandes  voix,  rappellera  ta  gloire  ! 

Albert  Lozeau. 


Vol.  III.  Xo  3,  M.^n.s  l'Jl'J 


Les  Précurseurs 


LE  DOCTEUR  JACQUES  LABRIE 


((  C'est  en  montrant  ce  qu'ont  été  nos  ancêtres,  que 
l'on  peut  inspirer  à  la  génération  présente,  comme  à  celles 
qui  la  suivront,  le  désir  de  les  imiter  dans  tout  ce  qu'ils  ont 
fait  de  bon  et  de  remarquable.  ^  ))  L'idée  n'est  pas  neuve, 
ni  l'expression.  Ce  qui  fait  honneur  au  docteur  Jacques 
Labrie,  c'est  de  s'être  fait  mourir  à  tâcher  de  donner  aux 
Canadiens  de  son  temps  la  leçon  qu'il  y  énonce.  Sa  vie 
tient  entre  les  dates  rapprochées  de  1784  et  1831.  Nous 
n'avons  de  lui  qu'une  brochure  signée,  de  quatre-vingts 
pages,  sur  les  Premiers  rudiments  de  la  Constitution  britan- 
nique ;  encore  n'est-ce  qu'une  traduction  libre  de  l'ouvrage 
The  fool  of  quality,  d'un  certain  Brooke,  augmentée  de  quel- 
ques pages,  à  la  vérité  substantielles,  de  la  plume  du  traduc- 
teur. Les  articles  qu'il  a  écrits  au  Courrier  de  Québec,  de 
janvier  à  juin  1807,  ne  sont  pas  signés  mais  son  biographe, 
l'abbé  Auguste  Gosselin,  n'hésite  pas  à  lui  en  attribuer 
qui  contiennent  les  idées  de  ce  publiciste  des  temps  héroï- 
ques. A  sa  mort,  il  laissait  en  manuscrit  une  Histoire  du 
Canada  qui  devait  remplir  trois  ou  quatre  volumes  in-octavo. 
Elle  a  péri  tout  entière  à  Saint-Benoît  dans  l'incendie 
allumé  par  les  Anglais,  en  1838.  Pour  le  dire  en  passant, 
quelqu'un  qui  voudrait  écrire  un  livre  attristant,  pourrait 
se  contenter  de  dresser  la  liste  rouge  des  œuvres  d'art  et  des 
monuments  historiques    de  toute  sorte  que  des  incendies 


'  Lettre  du  docteur  Jacques  Labrie  à  M.  Bibaud,  mars  1827 
Mémoires  de  la  Société  hislorique  de  Montréal,  5e  livraison,  page  24 


J 


l'action  française  99 

chroniques  ont  anéantis  dans  notre  pays,  simplifiant 
d'autant  la  tâche  sinistre  des  démolisseurs. 

Restent,  aux  archives  du  séminaire  de  Québec,  quel- 
ques-unes de  ses  lettres  à  des  contemporains  de  marque. 
Les  Mémoires  de  la  Société  historique  de  Montréal  (5e  livrai- 
son) en  contiennent  deux,  adressées  à  M.  Bibaud,  et  l'abbé 
Gossehn  cite  d'autres  lettres,  des  fragments  que  nous 
utiliserons  ici.  ^  C'est  tout.  Il  est  mort  pauvre,  à  47  ans, 
père  d'une  dizaine  d'enfants  qui  avaient  multiplié  ses  deuils 
en  mourant  presque  tous  jeunes.  L'aînée,  veuve  du  docteur 
Chénier,  dut  se  soumettre  à  l'épreuve  d'un  examen  pour 
brevet  d'institutrice,  afin  de  gagner  son  pain. 

C'est  une  vie  où  tout,  âge  et  œuvre,  apparaît  irrémé- 
diablement inachevé.  Et  malgré  cela,  plutôt  pour  cela, 
V Action  française  range  bravement  Jacques  Labrie  parmi 
ceux  qui,  le  long  de  notre  vie  nationale,  «  ont  posé  des  pierres 
d"attente  en  songeant  au  lendemain  ».  Encourageons- 
nous-en.  L'oubK  lamentable  où  croulèrent  parfois  des 
vies  brisées  sous  le  poids  même  du  devoir,  ne  sera  plus  autant 
offert  en  scandale  à  la  faiblesse  de  nos  jeunes  gens. 

«  Figure  distinguée,  encadrée  de  beaux  cheveux,  aux 
traits  fins  et  délicats,  à  l'œil  vif  et  intelligent,  au  sourire 
bienveillant  sur  les  lèvres  »  :  tel  est  le  portrait  que  l'abbé 
Auguste  Gosselin  a  vu  de  son  grand-oncle  maternel,  le  doc- 
teur Jacques  Labrie,  dans  la  grand'chambre  de  la  maison 
paternelle  de  ce  patriote,  à  la  rivière  Boj^er,  sur  le  chemin 
qui  mène  de  Saint-Charles  de  Bellechasse  à  Beaumont 
{Ouv.  cité,  p.  31).  Le  Bulletin  des  Recherches  historiques, 
à  la  page  50  du  volume  YIII,  contient  ce  portrait  en  ^dgnette. 
Ajoutons,   pour  situer  le  modèle  dans  son  époque,   qu'il 

^  Le  docteur  Jacques  Ijdbrie,  par  l'abbé  Auguste  Gosselin,  Québec, 
1907.     Vol.  de  244  pages  in-12. 


100  l'action  fkançaise 

paraît  y  avoir  la  trentaine,  qu'il  a  le  costume  empire, 
veston  sanglé,  cravate  touffue,  collet  et  faux-col  haut  mon- 
tés, cheveux  soigneusement  négligés,  comme  on  les  portait 
dans  les  deux  mondes  au  temps  du  romantisme  naissant. 
L'œil  porte  au  loin,  franc,  méditatif  et  doux. 

La  phj^sionomie  de  cet  ancêtre  intellectuel  déjà  loin- 
tain nous  aide  à  deviner  la  direction  de  sa  vie.  C'est  une 
belle  ligne  droite.  Quelques  idées  limpides,  désintéressées, 
généreuses,  à  la  française,  en  font  la  trame.  Il  n'y  a  pas 
une  heure  oisive.  Il  naît  une  vingtaine  d'années  après  la 
conquête,  comme  Philippe  Aubert  de  Gaspé.  Il  grandit 
dans  un  coin  de  pays  où  la  main  du  vainqueur  a  pesé 
lourdement,  pour  s'adoucir  ensuite,  sous  Carleton,  pas 
assez  toutefois  pour  enlever  des  cœurs  toute  amertume. 
En  1827,  il  estimera  que  ceux  qui,  en  1775,  prirent  les  armes 
contre  le  gouvernement,  furent  moins  nombreux  «  qu'ils 
eussent  dû  être  si  l'on  considère  la  manière  dont  ils  avaient 
été  traités.  UActe  de  Québec,  qui  réparaît  en  partie  le  mal, 
ne  leur  était  pas,  ni  ne  pouvait  pas  leur  être  encore  connu  ».  ' 
Il  a,  tout  jeune,  entendu  raconter  l'histoire  des  excommuniés 
de  1775.  Quelques-uns,  à  Saint-Michel  de  Bellechasse, 
moururent  révoltés.  On  les  a  lugubrement  enterrés  sur  le 
bord  des  routes,  privés  des  bénédictions  de  l'Église. 

Il  faut  penser  à  tout  cela  pour  se  représenter  le  travail' 
qui  doit  se  faire  dans  les  esprits  du  temps.     La  situatioiij 
de  nos  pères  n'est  pas  simple,  la  nôtre  non  plus,  d'ailleurs. 
L'angoisse  poétique  du  vieux  soldat  de  Carillon  : 

Dis-moi,  mon  fds,  ne  parai ssent-ih  pas  ? 

a  dû  s'exprimer  chez  nos  gens  d'une  façon  plus  pratique 
non  moins  aiguë.     Enfin,  faut-il  se  consumer  en  regreti 

'  Lettre  (lu  27    avril  à  Jacques    Viger,  citée  pur  l'abbé  Gosseliui 
p.  223. 


l'actiox  française  101 

pour  la  domination  française  perdue  ?  Ne  fei'ait-on  pas 
bien  d'ou\Tir  les  voiles  au  vent  de  liberté  qui  souffle  du 
sud  ?  Ou  bien  enfin,  pourquoi  ne  pas  tâcher  d'utiliser  le 
titre  de  sujet  britannique  avec  ce  que  la  logique  française 
en  peut  extraire  d'avantageux  ? 

La  première  influence  qui  agit  sur  l'esprit  du  jeune 
Labrie  est  celle  du  curé  Sarault.  Sa  paroisse,  pourtant 
limitrophe  de  Saint-Michel,  n'a  pas  connu  d'excommuniés. 
Instruit,  discret,  prudent  et  ferme,  il  a  contenu  ses  fidèles 
dans  les  limites  posées  par  Mgr  Briand.  Quand  Jacques 
Labrie  entre  au  séminaire  de  Québec,  vers  1798,  à  14  ans, 
il  apporte,  avec  l'instruction  élémentaire,  ce  que  l'on  pense 
dans  son  milieu,  ce  que  l'influence  du  clergé  a  inculqué  dans 
l'âme  populaire.      Voici  en  substance. 

L'allégeance  britannique  nous  lie  en  conscience  jusqu'à 
ce  qu'un  accord  mutuel  et  pacifique  nous  ait  relevés  des 
serments  de  la  capitulation.  Rien  pourtant,  sous  cette 
tutelle,  ne  nous  empêche  de  rester  tout  bonnement  nous- 
mêmes,  catholiques  et  français.  Toute  situation  où  l'on 
est  sans  sa  faute,  est  bonne  :  c'est  Dieu  qui  y  a  vu. 

JJActe  de  Québec,  concédé  de  peur  ou  non  en  1774, 
élargi  en  1784  par  le  privilège  de  l'habeas  corpus,  et  en 
1785  par  celui  des  procès  devant  jury,  nous  a  apporté 
l'essentiel  de  la  liberté  civile  avec  la  survivance  de  nos  lois 
françaises.  La  liberté  religieuse  s'en  vient.  Elle  a  des 
garanties  dans  le  même  document.  D'autres  tractations 
devront  vaincre  le  préjugé  anglican  et  obtenir  à  l'Église 
une  existence  légale,  par  la  reconnaissance  donnée  à  sa 
hiérarchie  comme  à  son  droit  de  posséder.  Reste  la  liberté 
politique. 

Le  régime  français  ne  nous  y  a  pas  ha])itués.  L'accep- 
tation du  régime  américain  serait  le  saut  dans  l'inconnu, 
sinon  pis  :  les  démocraties  ont  bien  leiu"  façon  de  tyranniser. 


102  l'action  française 

A  tout  prendre,  mieux  vaut  dépendre  d'une  démocratie 
lointaine,  occupée  de  ses  intérêts,  que  d'un  congrès  tout 
proche,  plus  porté  à  vouloir  tout  assimiler  à  la  majorité 
primitive  qu'il  incarne.  On  n'a  pas  si  tôt  oublié  le  ton 
rogue  de  ses  déclamations  de  1775  contre  le  papisme.  Et 
puis,  la  constitution  de  1791  est  un  progrès,  elle  achemine 
notre  peuple  vers  la  conquête  de  la  liberté  politique,  moins 
urgente  en  somme  que  les  deux  autres.  Laissons  à  l'in- 
telligence française  le  temps  de  prendre  connaissance  de  la 
constitution  britannique.  Elle  y  projettera  des  lumières 
encore  insoupçonnées  du  Family  compact.  La  logique 
latine  déduira,  des  principes  de  cette  merveilleuse  charte, 
d'humaines  applications  auxquelles  l'obstination  britanni- 
que ne  pourra  pas  finalement  se  dérober. 

Voilà,  sauf  erreur,  ce  qu'a  pensé  Mgr  Brian d.  C'est,- 
à  n'en  pas  douter,  le  sentiment  de  Mgr  Plessis.  Tout 
indique  que  l'on  ne  raisonne  pas  autrement  au  séminaire  de' 
Québec,  où  Jacques  Labrie  connaît  des  maîtres  comme  mes- 
sires  Antoine  Bédard  et  Jérôme  Deniers,  des  condisciples] 
comme  Louis- Joseph  Papineau,  Philippe  Aubert  de  Gaspé,> 
Louis  Plamondon,  Pierre-Flavien  Turgeon.  Il  ne  connaîtra] 
que  plus  tard  Denis-Benjamin  Viger,  plus  âgé  de  dix  ans,  e^ 
Antoine-Norbert  Morin,  plus  jeune  d'autant;  mais  de 
affinités  électives  auront  vite  fait  de  rapprocher  ces  âme 
distinguées. 

Puisque  nous  en  sommes  à  tenter  de  nous  reconstitue 
la  pensée  de  nos  devanciers  d'un  siècle,  il  peut  être  bon" 
d'ouvrir  une  parenthèse  sur  leur  façon  de  poser  le  problème 
de  nos  relations  avec  l'Angleterre  et  avec  la  France.  Ils  ont 
pris  leur  parti  de  garder  à  l'âme  canad'cnne  les  tra"ts  essen- 
tiels de  l'âme  française  :  respect  de  la  famille  basé  sur  la 
loi  chrétienne;  fidélité  aux  traditions  de  la  paroisse,  cette 
autre  famille,  image  agrandie  de  la  première;  respect  des 


l'action  française  103 

lois,  mais  sans  superstition  étatiste  :  la  famille  est  antérieure 
à  l'État,  et  c'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  laisser  périmer  les 
lois  civiles  françaises  qui  sauvegardent  la  gestion  et  la  pai- 
siljle  transmission  de  l'héritage  domestique;  respect  à  l'école 
et  aux  institutions  destinées  à  compléter  l'œuvi'e  de  la 
famille;  prudente  réserve  vis-à-vis  des  créations  fastueuses, 
institution  royale  ou  université  mixte,  dont  l'œuvre  serait 
le  sabotage  méthodique  des  petits  cerveaux  français  et 
catholiques;  clarté  et  franchise  dans  la  pensée,  avec  l'hor- 
reur des  équivoques  et  de  l'illogisme  protestant,  cette  vague 
de  l'esprit  poussif  des  Allemands  qui  a  inondé  la  pensée 
et  la  langue  anglaises,  ^  avant  d'embrouiller  la  langTie  des 
Français  du  X^'IIIe  siècle,  même  de  ceux  qui  ont  le  style 
le  plus  clair  :  formam  hahe  sanorum  verhorum;  respect  donc 
à  la  cultm'e  française  par  les  études  gréco-latines  qu'elle 
suppose,  et  par  la  pénétration  de  la  pensée  catholique,  sans 
laquelle  on  ne  saurait  expliquer  le  meilleur  de  la  littérature 
française  et  son  caractère  humain,  universel,  proprement 
classique. 

Tels  sont  les  traits  essentiels  de  l'âme  française.  Il  y  a 
la  part  des  accidents.  C'en  est  un  pour  elle  d'osciller  en 
Europe,  depuis  1789,  entre  les  dogmes  de  la  déclaration  des 
droits  de  l'homme  et  la  soumission  servile  au  génie  militaire 
de  Napoléon.  «  Jamais  le  plus  absolu  des  rois  de  France 
n'exerça  une  autorité  aussi  arbitraire  que  celle  qu'exerce  le 
parvenu  corse  ».  ^  Nos  pères  demandent  la  permission  de 
ne  pas  suivi-e  ces  fluctuations.  C'est  un  autre  accident 
ciui  leur  fait  une  situation  politique  toute  nouvelle.  On  a 
bien  soutenu  «  qu'avant  la  Révolution,  la  France  avait  une 

^  Xewman  a  dit  plus  tard  de  la  littérature  classique  anglaise  tout 
entière  :     Il  not  only  needs  to  be  expurgated,  it  must  be  exorcised. 

*  Article  du  Courrier  de  Québec  (1807),  attribué  au  docteur  Labrie 
par  son  biographe,  ouv.  cité,  p.  102. 


104  l'action  française 

constitution,  mais  cette  prétention  est  l'œuvre  inutile  d'un 
romancier,  panégyriste  du  vieux  régime  français.  »  ^  Ils 
n'avaient  rien  fait  pour  se  soustraire  aux  lisières  de  ce 
régime.  Ils  acceptèrent  la  situation  qui  leur  fut  faite  par 
la  force  majeure,  par  l'abandon  de  la  mère-patrie  distraite 
ailleurs,  et  beaucoup  par  un  dessein  déjà  manifeste  de  la 
Providence  sur  eux. 

Ils  ne  veulent  rien  oublier  de  ce  qu'ils  doivent  à  la 
France.  Ils  se  souviennent.  Mais  ils  se  croient  autorisés, 
sinon  à  perdre  de  vue  la  fortune  politique  de  la  France,  du 
moins  à  s'intéresser  d'abord  aux  choses  de  chez  eux,  en 
appliquant,  aux  problèmes  qui  les  sollicitent,  une  âme 
nationale  qui  n'est  point  passée  par  les  mauvais  rêves  de 
1793. 

Ils  ne  peuvent  pas  négliger  la  situation  matérielle  de 
leiu"  pays.  Sans  être  encore  surtout  une  question  écono- 
mique, la  question  nationale  dépend  largement  de  leur 
prospérité.  Il  faut  vivre,  pour  que  sm^vive  leur  pensée. 
Or,  «  qu'est  devenu  le  Canada  sous  un  gouvernement  si 
différent  de  celui  auquel  il  obéissait  sous  la  domination  de 
la  France?  La  population,  que  les  combats  ,3^  avaient 
diminuée,  s'est  accrue. . .  On  l'estime  à  trois  cent  mille. .  . 
C'est  la  paix  qui  a  produit  cet  heureux  événement.  En 
changeant  de  domination,  le  Canadien  a  oublié  ses  anciens 
penchants  »,  —  éléments  psychologiques  susceptibles  d'une 
évolution  légitime  —  «  les  exercices  de  la  guerre,  qu'il  ne 
faisait  plus,  ne  lui  ont  plus  semblé  mériter  son  attention; 
les  ressources  précaires  de  la  chasse  ont  été  laissées  de  côté, 
et  l'agriculture  qui  s'est  élevée  sur  leurs  ruines  a  fait  des 
progrès. . .      L'aisance  s'est  accrue,  et  le  pays  a  pu  exporter 

'  Premiers  rudiments  de  la  Conslilulion  britannique,  par  Jacques 
Lal)rie,  M. P. P.  Introduction,  p.  VII.  L'auteur  dcnonco  ainsi  une 
lirochuro  puhli(''o  en  1S27  sur  la  constitution  ot  signée  C.  D'K. 


l'actiox  française  105 

plusieurs  des  articles  qu'il  était  obligé  de  faire  venir  des 
marchés  étrangers,  sous  l'ancien  régime. .    »  ^ 

Au  reste,  ils  sont  une  colonie,  en  attendant  mieux.  Ils 
se  souviennent  toutefois  que  cette  colonie,  dès  1650,  a  déjà 
pris  l'initiative  d'envoyer  proposer  à  Boston  une  alliance 
offensive  et  défensive  entre  colonies,  avec  cette  entente 
qu'elles  garderaient  la  paix  même  si  les  deux  mères-patries 
allaient  encore  se  quereller  pom-  des  questions  européennes. 
Le  fait  qu'on  a  rebuté  dans  le  temps  leurs  envoyés,  ne  les 
empêche  pas  de  penser  que  leur  devoir  a  toujours  été  de 
travailler  au  bien  de  leur  pays  avant  tout  autre.  Ils  avaient 
des  traditions  politiques  avant  que  d'avoir  un  parlement  où 
elles  se  donneraient  des  formules. 

Ils  ont  hésité  en  1775.  Tenus  en  tutelle,  ils  estimaient 
n'être  pas  partie  dans  le  conflit  qui  divisait  les  Anglais  des 
deux  mondes.  De  par  la  constitution  de  1791,  ils  sont 
sortis  de  la  condition  de  mineurs;  on  ne  semble  plus  vouloir 
les  traiter  autant  en  étrangers  dans  leur  pays  :  ils  n'hésite- 
ront pas  à  en  défendre  la  possession  contre  un  agresseur, 
d'où  qu'il  vienne.  «  Ils  deviennent  sujets  du  roi,  a  prononcé 
A.mherst,  c'est-à-dire  qu'ils  partageront  le  sort  des  autres 
t  qu'ils  serviront  comme  eux  quand  le  bien  de  la  colonie 
oourra  le  requérir.  »  - 

C'est  un  autre  accident  pour  leurs  âmes  françaises, 
:iue  d'être  en  contact  avec  la  langue  anglaise.  Ils  l'appren- 
dront pour  ce  qu'exigent  leurs  relations  avec  l'élément 
mglais,  nouveau  venu.     Ils  se  réservent  de  penser  d'abord 

^  Aiticle  du  premier  numéro  du  Courrier  de  Québec  (janvier  1807), 
ité  par  l'abbé  Gosselin  (ouv.  cité  p.  95),  qui  attribue  cet  article  à 
Labrie. 

-  Lettre  de  Jacques  Labrie  à  M.  Bibaud  (1827).  Mémoires  de  la 
'société  historique  de  Montréal,  ôg  livraison,  p.  75.  Jacques  Labrie, 
dèle  à  .ses  principes,  servit  pendant  la  guerre  de  1812,  comme  médecin 
u  second  bataillon  de  milice. 


106  l'action  française 

en  leur  langue.  Le  jour  où,  par  une  aberration  servile,  ils 
croiraient  se  grandir  en  adoptant,  comme  langue  unique, 
celle  des  vainqueurs,  ils  seraient  dignes  de  la  servitude 
intellectuelle  où  ils  tomberaient.  D'ailleurs,  le  premier 
gouverneur  n'a  pas  «  prétendu  faire  à  l'ordre  de  choses  éta- 
bli avant  la  conquête  d'autres  changements  que  ceux  que 
requerraient  les  circonstances. . .  De  fait,  il  ne  pouvait  pas 
faire  davantage;  car  de  tous  les  principes  qui  servent  de 
règle  à  la  conduite  des  nations  civilisées,  il  n'en  est  point 
de  plus  universellement  respecté  que  celui  qui  prescrit  de 
laisser  à  un  peuple  conquis  ses  lois  et  ses  institutions  locales 
«  —  il  n'en  est  pas  de  plus  chère  que  la  langue  avec  la 
religion — »  et  de  se  contenter  de  son  allégeance.  Que  de 
flots  de  sang  ont  arrosé  les  plaines  de  l'Irlande,  parce  qu'on 
a  adhéré  à  des  principes  différents.  Elle  est  peut-être  pour 
toujours  destinée  à  languir  dans  la  misère  et  l'anarchie 
qu'y  entretient  la  mise  en  pratique  de  principes,  aussi 
erronés  qu'ils  sont  inhumains  et  se  ressentent  des  temps  de 
barbarie  où  ils  ont  pris  naissance.  ))  ^ 

On  ne  risque  rien  en  affirmant  que  cet  ensemble  d'idées 
a  été  inculqué  par  ses  professeurs  à  Jacques  Labrie  et  à  la 
pléiade  d'esprits  distingués  qui  l'entourent  au  temps  de 
ses  études. 

Frédéric  Le  Play  a  écrit  de  nous  :  «  Aucun  peuple 
n'a  mieux  mis  en  lumière  par  sa  propre  histoire  les  forces 
incomparables  que  l'humanité  trouve  dans  le  catholicisme 
quand  celui-ci  dispose  de  clercs  pauvres  et  dévoués  à  leur 
mission. . .  Au  milieu  des  souffrances  provenant  de  la  guerre, 
des  épidémies,  des  famines,  des  désordres  atmosphériques, 
puis  de  l'abandon  de  la  mère -patrie,  les  clercs  ont  constam- 
ment  soutenu   les   courages   et   conservé   l'esprit   national. 

^  Lettre  de  J.  Labrie  à  M.  Bibaud,  mars  1827.  Mémoires  de  la 
Société  hislorique  de  Montréal,  5e  liv.  pp.  26  et  27. 


l'actiox  française  107 

Quand  sont  venus  de  meillem-s  joui'S,  sous  la  domination 
britannique,  ce  sont  également  les  clercs  qui  ont  lié  indis- 
solublement à  la  langue  française  l'enseignement  de  la  religion, 
la  culture  des  arts,  des  sciences  et  des  lettres.  »  ^ 

Cet  éloge  servira  ici  à  expliquer  un  fait  important  : 
l'emprise  gardée  par  notre  clergé  sur  le  peuple  et  sur  les 
classes  dirigeantes,  en  dépit  du  terrible  vent  d'impiété  qui 
traverse  notre  province  au  moment  où  Jacques  Labrie  fait 
ses  études. 

Voltaire  circule  sous  le  manteau.  Il  s'étale  dans  des 
bibliothèques  privées.  Raynal  est  pris  au  sérieux.  Gar- 
neau  plus  tard  n'aura  pas  réussi  à  secouer  ce  fétiche.  Dès 
1794,  Mgr  Hubert  se  plaint  des  progrès  de  l'immoraHté 
dans  les  villes  et  s'en  prend  à  la  lecture  des  mauvais  H\Tes, 
à  l'abord  des  vaisseaux  étrangers,  à  la  résidence  d'une 
garnison  nombreuse. 

Louis-Joseph  Papineau  semble  avoir  été  déiste  à  \'ingt 
ans.  Denis-Benjamin  Viger,  qui  avait  étudié  à  ]\Iontréal, 
avouera  plus  tard  avoir  eu  à  lutter  dans  sa  jeunesse  contre 
l'incrédulité  et  l'immoralité,  répandue  surtout  au  sommet 
de  la  société.  (L'abbé  Aug.  Gossehn,  ouv.  cité).  Il  est  bon 
de  songer  à  ces  faits  pénibles  pour  comprendre,  sans  en  être 
choqué,  que  le  clergé  d'alors  parle  d'un  ton  un  peu  dégagé 
de  l'ancien  régime  et  des  importations  httéraires  qui  ont 
suivi  le  traité  de  Versailles. 

Le  clergé  accepte  la  situation  faite  à  la  nation;  il  la 
console,  non  sans  de  bons  motifs,  de  ce  qu'elle  a  perdu. 
Puis,  il  lui  ouvre  la  perspective  sur  ce  que  contient  en  puis- 
sance la  constitution  britannique  apphquée  au  Canada. 
Il  est  bien  difficile  de  soutenir  que  tout  cela  n'est  pas  le  bon 
sens  même. 

*  Frédéric  Le  Play,  Organisation  du  travail  (1872). 


108  l'action  française 

On  peut  (lire  que  c'est  le  moment  où  notre  esprit  public 
prend  conscience  des  nouvelles  tâches  qui  s'offrent  à  lui. 
Voici  que  des  tribunes  surgissent  où  les  laïques  vont  parler. 
Le  droit  d'assemblée  est  promulgué  avec  la  liberté  de  la 
presse,  cette  arme  à  deux  tranchants.  Qui  dira  que  nos 
laïques,  quand  ils  élèvent  la  voix  dans  le  Canadien  (1806), 
dans  le  Courriel  de  Québec  (1807),  ne  partagent  pas  la  pensée 
même  des  prêtres  qui  leur  ont  donné  l'éducation  ?  Voltaire 
a  beau  circuler,  son  cynisme  n'a  pas  détruit  chez  les  nôtres 
l'union  sacrée  du  patriotisme  et  de  la  religion.  Nous  som- 
mes sauvés  ! 

Le  grand  patriote  Papineau  est  personnellement 
incroyant  :  il  reste  quand  même  respectueux  de  la  foi  des 
siens.  Quelqu'un  finira  peut-être  par  éclaircir,  d'après  sa 
correspondance  encore  inédite,  le  mystère  de  cette  incroyan- 
ce. Si  cette  étude  attachante  se  fait,  enfin,  on  y  verra  quej 
le  respect  pour  l'Église  et  sa  mission  sociale  reste  che? 
Papineau  une  marque  de  haute  intelligence,  de  patriotisme* 
sensé,  et  un  bel  hommage  de  son  âme  à  la  valeur  intellec- 
tuelle et  morale  des  éducateurs  qui  furent  ses  maîtres. 

Ce  qui  ne  fait  pas  de  doute,  c'est  que  le  docteur  Jacques' 
Labrie  apporte  à  la  vie  publique  une  foi  intacte.  Papineau, 
à  force  d'intelligence,  devra  contenir,  dans  le  secret  de  son 
âme  ardente,  ime  incroyance  qu'il  ne  peut  pas  souhaiter  voir 
se  répandre  chez  les  nôtres.  Labiic  ne  connaît  pas  ce 
douloureux  duahsme,  qui  impose  une  immense  et  respec- 
tueuse commisération  à  nous  tous,  chez  qui  la  foi  n'a  pas 
connu   d'éclipsés. 

Et  c'est  pourquoi,  dès  le  début  de  sa  vie  publique, 
Labrie  se  livre  à  une  besogne  de  portée  sociale.  Il  s'y  met 
bien  avant  de  songer  à  faire  de  la  politique,  tandis  que 
Papineau,  sachant  que  toute  question  sociale  est  avant 
tout  une  question  religieuse,  ne  se  voit  pas  d'autre  théâtre. 


L  ACTIOX    FRANÇAISE 


100 


dès  sa  jeunesse,  que  le  terrain  toujours  plus  vague  de  la 
politique.  Il  est  regrettable  que  son  exemple,  dû  à  des 
circonstances  exceptionnelles,  ait  créé  chez  les  jeunes  gens 
de  notre  race  une  sorte  de  tradition  qui  dure  peut-être  trop. 

Ce  qui  presse,  pour  Labrie,  c'est  la  tâche  positive 
d'aider  le  clergé  à  instniire  le  peuple  de  ses  devoirs.  C'est 
de  lui  fournir  le  moyen  de  les  remplir.  Lui  suggérer  un 
prudent  triage  dans  ce  qui  vient  du  paj-s  de  ses  pères,  lui 
donner  à  lire  quelque  chose  qui  soit  dans  le  sens  de  ses  des- 
tinées, voilà  la  meilleure  façon  d'enrayer  les  ravages  des 
mauvais  livres  venus  d'ailleurs.  Améliorer  son  sort 
économique,  relever  son  niveau  intellectuel  par  les  écoles, 
ce  sera  le  mieux  l'aider  à  donner  tout-e  sa  valeur  dans  le 
monde  politicpe.  Ceci  suppose  cela,  mais  ne  saurait  le 
devancer. 

Il  étudie  la  médecine  chez  le  docteur  Blanchet  qui, 
après  trois  ans  de  journahsme  au  Canadien,  avec  Pierre 
Bédard  et  Taschereau,  aura  les  honneurs  de  la  prison  sous 
Craig. 

Sans  tarder,  Labrie  fonde  lui-même,  avec  F.  Perreault 
et  Louis  Plamondon,  le  Courrier  de  Québec.  On  peut  dis- 
cuter l'opportunité  de  cette  création.  Elle  di\àse  les 
forces  dès  le  début.  Il  y  a  des  nuances  dans  ces  esprits. 
Labrie  a  déjà  du  goût  pour  le  calme  des  discussions  qui 
conviennent  à  son  futur  métier  d'historien.  Pour  lui  la 
constitution  est  une  admirable  machine.  Il  n'est  que  de 
s'en  bien  servir.  Pas  de  \dolences.  Il  faut  accepter  ce 
qu'on  nous  cède,  pour  continuer  à  réclamer  «  par  séries  ». 
On  n'ose  pas  risquer  à  son  sujet  le  mot  opportunisme  qui  a 
couvert  de  si  discutables  progranmies.  En  1831,  à  la  veille 
de  mourir,  il  accepte  en  principe  la  réserve  de  la  liste  civile 
prise  sur  le  budget,  sans  contrôle  de  la  chambre.  C'est 
se  séparer  de  Papineau.     On  sent  qu'il  y  a  parenté  d'esprit 


110  l'action  française 

entre  lui  et  D.-B.  Viger.  Eût-il  approuvé  l'esprit  de  con- 
ciliation de  ce  dernier  jusqu'à  le  féliciter  de  son  attitude 
sous  Metcalfe?     On  peut  en  douter. 

Dans  le  courant  qu'alimente  le  Courrier  de  Québec, 
les  idées  se  pressent  moins  violentes  qu'au  Canadien. 
Elles  sont  plutôt  parallèles  que  divergentes.  A  distance, 
ces  nuances  ne  nous  semblent  pas  un  mal.  La  sympathie 
des  tempéraments  groupe  les  hommes  autour  de  chefs  qui 
servent  une  même  cause  avec  une  sincérité  égale  et  d'iné- 
gales ardeurs.  Le  tort  des  modérés  en  l'espèce  est  souvent 
de  mettre  de  la  violence  à  blâmer  les  violents,  de  se  tailler 
une  réputation  de  largeur  d'idées  à  même  le  manteau  des 
leurs,  sans  grand  profit  pour  la  cause  commune. . .  Jac- 
ques Labrie  ne  donne  pas  dans  ce  travers.  Dans  sa 
galerie  historique,  M.  Dionne  le  range  à  côté  de  Pierre 
Bédard  parmi  les  défenseurs  des  libertés  constitutionnelles, 
mais  il  lui  trouve  moins  de  caractère.  ^  Le  mot  est  proba- 
blement juste  :  le  docteur  Labrie  l'eût  accepté  doucement 
et  se  serait  remis  à  travailler. 

La  fondation  du  Courrier  ne  paraît  pas  avoir  autrement 
brouillé  le  docteur  Blanchet  et  son  élève.  On  pense  que 
ce  maître  généreux  fournit  au  jeune  Labrie  les  ressources 
d'un  voyage  d'études  médicales  dans  la  capitale  de  l'Ecos- 
se. ^ 

L'étudiant  n'a  eu  que  le  temps  de  mettre  en  marche  le 
journal.  Il  revient  d'Edimbourg  un  an  après.  Le  gagne- 
pain  l'oblige  au  souci  de  sa  profession.  Sa  santé  un  peu 
frêle  lui  fait  choisir,  après  un  court  essai  à  Montréal,  le 
village  de  Saint-Eustache  (1809).  Là  commence  pour  lui 
une  vie  excessivement  prise,  une  vie  de  Médecin  de  campa- 
gne, où  le  travail  social  occupe  autant  de  place  que  dans  le 

1  Pierre  Bédard  et  ses  fils,  p.  78. 
'  Abbé  Gosselin,  ouv.  cité,  p.  108. 


l'action  française  111 

récit  de  Balzac,  avec,  en  plus,  beaucoup  d'œuvres  de  cha- 
rité et  d'éducation  chrétiennes  dans  l'esprit  qui  les  anime. 
Déjà  absorbé  par  sa  profession,  il  subit  l'assaut  des  clients 
qui  recourent  à  son  équité  dans  leurs  différends.  Il  vit 
avec  économie  «  pour  apphquer  ses  épargnes  à  l'ouvertiu^e 
des  chemins  de  colonisation  et  au  secours  des  pauvres  ».  ^  Il 
établit  dans  la  paroisse  «  deux  écoles  supérieures,  l'une  pour 
les  garçons,  tenue  par  M.  Rochon,  l'autre  pour  les  filles.  »  ^ 
Cette  dernière  est  une  école  normale.  Choix  des  sites, 
embelhssement,  confort,  programme  d'études,  tout  y 
répondrait  aux  plus  modernes  exigences.  Le  clergé,  qui 
se  charge  d'ordinaire  de  ces  initiatives^^  sait  qu'elles  sont 
peu  payantes.  Il  faut  savoir,  en  outre,  que  le  docteur 
Labrie  voit  à  rédiger  des  manuels  d'histoire  du  Canada  çt 
de  géographie.  Il  prépare  des  scènes,  des  drames  destinés 
à  intéresser  le  pubhc  aux  séances  de  fin  d'année  qui  devien- 
nent un  événement  dans  la  région.  Et  cependant  ce 
médecin,  que  l'on  consulte  de  loin,  tient  sm'  le  métier  une 
Histoire  du  Canada  qui  remplirait  trois  ou  quatre  volumes. 

En  1829,  en  pleine  fièvre  de  travail,  il  lance  le  pro- 
gramme d'une  revue.  Le  coin  du  feu,  jom-nal  pohtique, 
industriel,  rehgieux  et  littéraire,  qu'il  rédigera  avec  A.-N. 
florin.  Le  projet  est  arrêté  par  la  transformation  de  la 
Bibliothèque  canadienne  de  i\I.  Bibaud. 

Si  paradoxal  que  cela  paraisse,  souvent,  pour  qu'une 
besogne  soit  bien  faite,  il  faut  la  confier  d'm'gence  à  qui  a 
déjà  trop  à  faire.  En  tout  cas  il  arrive  au  peuple  de  juger 
ainsi.  Le  comté  des  Deux-Montagnes  (York)  confie  donc 
à  ce  laborieux  docteur  Labrie  un  mandat  de  député.  Or, 
1827,  c'est  l'année  de  la  crise  provoquée  par  Dalhousie. 

^  Éloge  de  J.  Labrie  à  la  Chambre,  par  M.  Tessier  (1831). 
^  Le  docteur  Meilleur,  Mémorial  de  l'éducation. 


112  l'action  française 

Le  nouveau  député  est  préparé.  Il  publie  justement  Les 
premiers  rudiments  de  la  Constitution  britannique,  «  ouvrage 
utile  à  toute  sorte  de  personnes,  et  principalement  destiné 
à  l'instruction  politique  de  la  jeunesse  canadienne  »  :  c'est 
une  partie  du  titre  de  sa  brochure. 

La  question  aiguë,  c'est  celle  des  subsides.  Par 
derrière,  il  y  a  celle  du  Conseil  législatif,  dont  on  dénoncera 
bientôt  sans  douceur  «  les  vieillards  malfaisants  ».  Plus 
haut  encore,  il  3^  a  celle  de  la  responsabilité  des  ministres  qui 
tiennent  l'oreille  du  gouverneur,  l'indisposent  contre  la 
(^hambre  et  le  précipitent,  au  péril  de  sa  dignité  et  de  la 
paix,  dans  les  petitesses  de  la  cabale  électorale.  Là  est 
le  nœud  de  la  question.  Jacques  Labrie  l'a-t-il  bien  saisi  ? 
Pense-t-il,  comme  les  auteurs  des  92  résolutions  plus  tard, 
que  tout  le  mal  est  dans  la  composition  du  Conseil  législa- 
tif, et  le  remède,  dans  le  système  électif  appliqué  à  ce  corps  ? 
Ce  n'est  pas  tout  à  fait  sa  thèse. 

Il  met  le  doigt  sur  le  vice  constitutionnel  du  régime  : 
«  C'est  à  cette  époque  reculée  (1791),  à  celle  qui  a  vu 
former  le  premier  conseil,  qu'il  faut  rapporter  la  réunion 
des  pouvoirs  exécutif  et  législatif,  par  celle  des  personnes  qui 
en  étaient  revêtues  et  qui  les  exerçaient  simultanément 
toutes  pour  le  mieux,  souvent  pour  le  mal  de  la  colonie.  »  ^ 

A-t-il  vu  plus  outre?  A-t-il  compris,  ce  qu'aucun 
Anglais  du  pays  ne  semblait  soupçonner,  ce  que  Downing 
Street  s'obstinait  à  ne  pas  comprendre,  que  le  vrai  mal  tenait 
à  ce  que  le  gouverneur  n'avait  pas  de  conseillers  exécutifs 
ou  de  ministres  responsables  à  la  Chambre  et,  par  là,  au 
peuple  ? 

Dans  sou  upuscule,  il  rappelle  la  décision  du  roi 
(îeorges  IV,  que  «  les  gouverneurs  sont  responsables     de 

'  Les  /»•(•/;/ (Vcx  riidiinfuls,   p.  43. 


l'action  française  113 

leur  conduite  ».  Il  la  croit  constitutionnelle,  il  y  trouve 
l'avantage  de  nous  permettre  «  de  diriger  tout  le  poids  de 
la  critique  contre  l'administration  du  gouverneur  »,  et  le 
désavantage  «  d'enhardir  ses  conseillers  à  être  moins  cir- 
conspects, et  à  le  précipiter  dans  des  excès  criminels  dont 
tout  l'odieux  retombe  sur  lui,  et  non  sur  eux,  les  vrais  coupa- 
bles. »  Il  conclut  :  «  Par  les  dictées  du  bon  sens,  ces 
conseillers  doivent  être  responsables  du  mal  qu'ils  font 
faire,  autant  de  fois  qu'on  pourra  prouver  de  leur  part  une 
participation  active  dans  les  délibérations  qui  l'ont  causé  ». 

Il  faut  laisser  à  Pierre  Bédard  le  mérite  entier  d'avoir 
formulé  avec  précision,  dès  1810,  toute  la  doctrine  de  la 
responsabilité  ininistérielle  et  d'avoir  pour  cela  tâté  du 
cachot.  Ces  principes  ne  devaient  triompher  que  plus 
tard,  grâce  à  l'énergie  de  La  Fontaine,  annulant  du  coup 
la  question  des  subsides  et  les  pires  méfaits  de  l'Union. 

Labrie  semble  croire,  en  1827,  qu'il  faudrait  commencer 
par  réformer  le  Conseil  législatif,  en  quoi  il  partage  l'opinion 
de  Papineau.  Mais  son  projet  de  réforme  est  moins 
radical.  Il  suffirait  que  la  couronne  n'appelât  à  ce  sénat 
canadien  que  des  hommes  indépendants  de  fortune.  Ils  y 
siégeraient  pour  l'honneur  et  sans  emplois  lucratifs.  Le  sens 
de  leur  dignité  et  l'amour  instinctif  de  l'ordre  suffiraient 
à  inspirer  à  ces  bourgeois  cossus  des  conseils  sages.  Ils 
seraient  investis  du  coup  de  la  majesté  des  pairs  d'Angle- 
terre. Bref,  il  y  a  dans  tout  cela  des  vues  très  justes  sur 
les  principes  et  une  belle  candeur  dans  l'idée  que  tout  serait 
bien  dans  la  pratique,  si  tout  allait  comme  en  Angleterre. 
Il  ne  faut  pas  oublier  qu'on  est  alors  dans  l'enthousiasme 
de  la  découverte  de  la  Constitution  et  du  régime  parle- 
•mentaire. 

Labrie  ne  passe  pas  pour  un  orateur.  Son  travail  au 
parlement  se  fait  dans  les  comités  où  s'élabore  la  législa- 


114  l'action  française 

tion  et  s'en  rédigent  les  textes  qui  subiront  le  feu  des  dis- 
cours. C'est  un  ou%Tier  actif,  averti.  Les  lois  sur  la 
sécurité  de  la  route  fluviale,  sur  les  grands  chemins  de  colo- 
nisation, sur  la  réglementation  de  la  profession  médicale, 
sur  l'instruction  élémentaire  dans  les  paroisses  (1829),  le 
trouvent  parmi  les  plus  ardents  travailleurs.  Il  a  payé  de 
sa  personne  à  Saint-Eustache,  sans  attendre  l'État.  Il 
continue  à  travers  son  comté;  il  va  de  paroisse  en  paroisse 
catéchiser  ses  électeurs  sur  les  sacrifices  que  requiert 
l'éducation,  afin  de  gagner  par  la  persuasion  que  la  loi  de 
1829  porte  effet.  C'est  dans  ime  de  ces  courses  éreintantes 
qu'il  prendra  son  coup  de  mort,  dans  l'automne  de  1831. 

La  question  des  biens  du  séminaire  de  Saint-Sulpice 
pend  depuis  la  conquête.  Mgi'  Plessis  l'a  traitée  à  Lon- 
dres en  1819.  Les  convoitises  anglaises  la  ravivent  en 
1827.  L'éducation  supérieure  est  en  cause.  L^n  jour  on 
apprend  que  le  vénérable  M.  Roux,  de  guerre  lasse,  a  parlé 
de  transiger.  Le  docteur  Labrie  s'alarme  de  «  ces  démar- 
ches indiscrètes  ».  Si  le  gouvernement  recommence  «  à 
nous  dépouiller,  oïl  s'arrêtera-t-il  ?  »  Il  pense  que  le  meil- 
leur argument  serait  l'unanimité  avec  laquelle  les  habitants 
du  paj's  parleraient  en  faveur  de  la  possession  du  séminaire. 
Il  donne  le  branle.  Un  pétitionnement  s'organise.  «  J'es- 
père que  nous  réussirons,  quoiqu'il  soit  peut-être  tard.  »  * 
Il  n'était  pas  trop  tard,  le  vol  fut  empêché. 

Entre  temps  le  député  poursuit  son  Histoire  du  Canada. 
Il  utilise  la  documentation  du  collectionneur  émérite  de  lai 
Saberdache,  Jacques  Vigcr.     A  Québec,  en  pleine  session,, 
il  veille  tard,  et  dépouille  les  liasses  que  lui  passent  M.] 
Cazeau,    du    séminaire,  et    M.    Portier,    de    l'archevêché. 
C'est   le   beau   temps  !     L'n   groupe   de   chercheurs  est   à] 

*  Lettre  à  M.  Fortier,  de  l'archevêché  de  Québec. 


l'actiox  française  115 

l'œuvre  :  Bibaud  père,  les  deux  Viger,  Dominique  Mon- 
delet,  Louis  Plamondon,  F.  Perreault.  On  s'échange  des 
compliments  sans  réserve  académique  :  «  M.  Bibaud, 
permettez-moi  de  vous  féliciter  de  l'intérêt  croissant  qu'ac- 
quiert la  Bibliothèque  canadienne. . .  Et  pour  commencer 
par  la  Saberdache,  quelle  délicatesse  dans  les  pensées, 
quelle  élégance  !  »  Pas  la  moindre  jalousie  de  métier. 
On  se  félicite  de  ce  que  les  Canadiens  soient  «  sortis  depuis 
peu  de  leur  condamnable  apathie  pour  les  choses  de  leur 
pays  ».  ^  On  discute  les  textes  que  l'on  s'échange  sur  le 
Règne  militaire.     C'est  entremêlé  de  citations  classiques  : 

Qui  manet  in  patria  et  'pairiam  cognoscere  temnit, 
Is  mihi  non  civis,  sed  peregrinus  est. 

Puis,  au  milieu  d'une  dissection  de  textes,  on  se  laisse 
aller  à  des  effets  de  style  figuré,  d'un  goût  à  la  vérité  bien 
rance.  C'est  le  pseudo-classicisme  qui  sévit.  Il  s'agit  de 
l'ukase  royal  de  1764  qui  supprimait  les  lois  civiles  fran- 
çaises :  «  Muse  de  l'histoire,  tire  le  rideau  sur  la  surprise 
extrême  où  cette  nouvelle  jeta  tous  les  nouveaux  sujets  de 
sa  IMajesté,  déjà  portés  d'inclination  vers  un  gouverne- 
ment qui  s' étsiit  nationalisé  ))  —  le  mot  est  juste — «par 
quatre  années  d'une  administration  qui  avait  su  respecter 
leur  religion,  leur  langue,  leurs  lois  civiles;  dérobe  à  nos 
regards  les  sensations  déchirantes  qu'éprouvèrent  nos 
ancêtres  lorsque  Thémis  commença  à  leur  parler  un  lan- 
gage inconnu  » .  - 

Tirons  le  rideau  à  notre  tour.  Pendant  leurs  humani- 
tés,  les  écoliers   parodient   quelquefois  le  mot-à-mot   des 

^  Lettre  de  J.  Labrie  à  M.  Bibaud,  mars  1827.    Mém.  de  la  Société 
historique  de  Montréal,  oe  li^Taison. 
»  là. 


116  l'action  française 

traductions  pour  se  donner  le  plaisir  d'être  irrévérencieux 
envers  les  vénérables  classiques.  On  voudrait  être  cer- 
tain que  Labrie  a  de  même  souri  à  part  lui  en  commet- 
tant ces  na\Tantes  prosopopées.  D'autres  passages  nous 
donnent  une  meilleure  idée  de  ce  qu'eût  été  sa  vraie  manière 
dans  VHistoire.  Voici,  par  exemple,  son  jugement  sur 
l'Acte  de  Québec  et  sur  la  constitution  de  1791  : 

«  Cet  acte,  bon  pour  régler  nos  droits  privés,  nous 
dépouilla  du  plus  important  de  nos  droits  constitutionnels, 
celui  d'avoir,  aussitôt  que  les  circonstances  le  permettraient, 
un  corps  représentatif. . .  Accueilli  pour  ce  qu'il  avait  de 
bon,  il  excita  des  plaintes  pour  ce  qu'il  avait  de  vicieux. . 
Après  plusieurs  années  de  souffrances  la  présente  Cons-- 
titution  fut  enfin  accordée  aux  vœux  des  habitants  du  pays, 
qui  la  jugèrent  de  suite  pour  ce  qu'elle  était,  savoir,  pom* 
moins  parfaite  que  celle  de  la  mère-patrie,  moins  favorable 
que  celle  qu'ils  avaient  demandée,  mais  infiniment  préfé- 
rable à  celle  qu'elle  remplaçait  ».  ^ 

C'est  au  moins  plus  sobre,  si  ce  n'est  pas  encore  d'un 
artiste  consommé.  Il  a  dû  s'improviser  historien,  comme  il 
s'était  improvisé  journahste.  Il  dut  écrire  trop  vite  aussi. 
A  Saint-Eustache,  il  rédige  :  «  Mais  un  homme  qui  a  une 
profession,  une  famille,  des  terres,  et  qui  est  de  plus  astreint 
à  remplir  plusieurs  devoirs  publics,  n'a  pas  tout  le  loisir 
qu'il  désirerait  ».  -  Il  est  décidément  victime  de  sa  tâche. 
Il  a  trop  vu,  et  dans  trop  de  domaines,  ce  qu'il  y  aurait  à; 
faire.  Pour  ces  clairvoyants,  le  malheur  est  que  si  la  mois- 
son abonde,  les  ouvriers  sont  toujours  trop  peu. 

Les  matériaux  manquent,  qui  nous  permettraient  des' 
hypothèses  sur  sa  domination  française.     Elle  n'eût   pas' 

^  Les  premiers  rudiments,  p.  36. 

^  Lettre  à  M.  Cazeau,  citée  par  l'abbé  Gosselin,  ouv.  c.  p.  207. 


l'action  française  117 

sensiblement  différé  de  celle  de  Bibaud,  depuis  longtemps 
dépassée.  Les  préjugés  gallicans  qui  infirment  cette  partie 
de  rœu\Te  de  Garneau,  même  dans  les  éditions  corrigées, 
n'auraient  probablement  pas  déparé  l'œuvre  de  Labrie. 

Pour  la  période  anglaise,  ce  dernier  apportait  des 
aperçus  alors  nouveaux  sur  le  régime  militaire  (1760-1764), 
sur  la  part  des  nôtres  en  1775,  sur  l'aventure  de  Burgoyne, 
sur  les  mérites  de  Murray  et  de  Carleton.  Sans  être  un 
légiste,  il  a  prononcé  sur  l'imperfection  des  lois  civiles 
anglaises  un  jugement  qui  mérite  d'être  retenu  :  «  Ce 
droit  (civil  anglais)  nous  semble  offrir  l'étonnant  phénomène 
d'un  peuple  qui,  dans  le  même  temps  qu'il  a  devancé  les 
autres  nations  européennes  dans  l'amélioration  de  ses  lois 
constitutionnelles  et  criminelles,  est  demeuré  en  arrière  de 
la  plupart  d'entre  elles,  dans  le  perfectionnement  de  son 
droit  ci\'il  ».  ^  Ceci  a  bien  encore  son  actualité.  Admira- 
teur de  la  Constitution  britannique  bien  appliquée,  il  ne 
dirait  peut-être  pas  ce  que  Garneau  écrivait  de  Londres,  en 
1832,  à  un  ami  :  «  La  domination  étrangère  est  le  plus 
grand  mal  dont  un  peuple  puisse  être  frappé  )).-  Il  y  a 
chez  lui  un  optimisme  tenace  qui  l'eût  rangé,  s'il  eût  vécu, 
dans  l'école  politique  d'Etienne  Parent  et  du  Canadien 
seconde  manière.  Garneau  en  était  là,  en  1845,  quand  il 
mit  la  dernière  main  à  son  œu\Te.  Rien  ne  prouve,  toute- 
fois, que  Labrie  eût  encouru  les  reproches  adressée  à  Bibaud 
père,  qui  «  penche  trop  du  côté  bureaucratique  ».  ^ 

On  n'avait  pas  encore  fait  de  l'histoire  exclusivement 
une  science  désintéressée,  sans  patrie,  à  ce  titre,  comme 
l'art  et  la  science.     Prenons-y  garde,  d'ailleurs,  ces  défini- 

^  Les  premiers  rtidiments,  p.  35. 

'  Lettre  à  M.  Winter,  citée  par  P.-J.-O.  Chauveau,  Vie  de  F.-X. 
Garneau. 

*  Chauveau,  Vie  de  F.-X.  Garneau,  Introduction,  p.  X. 


118  l'action  franc aisb 

lions  qui  entendent  en  faire  une  science  amorale,  servent 
souvent  à  ceux  qui  monopolisent  «  l'histoire  impartiale  » 
pour  faire  des  histoires  partiales  contre  quelqu'un.  Il 
est  de  même  de  braves  gens  qui,  au  nom  du  catholicisme, 
prêcheraient  volontiers  1  abdication  nationale  à  des  races, 
dont  le  bon  sens  têtu  sait  bien  que  la  première  tâche  de 
r  Éghse  universelle  est  de  prêcher  le  respect  des  commande- 
ments de  Dieu,  sans  exclure  le  quatrième  :  Honore  tes  pères. 
Ceci  ne  fait  allusion  qu'aux  conflits  historiques  entre 
Polonais  et  Lithuaniens  ou  Ruthènes.  Ces  choses-là,  on  le 
comprend,  ne  sauraient  arriver  en  notre  libre  Amérique  du 
nord. 

L'histoire  est  une  science.  Elle  ne  crée  pas  son  objet, 
elle  le  découvre  et  le  démontre.  Elle  ne  doit  pas  pour 
cela  «  solliciter  doucement  les  textes  »  et  les  pher  au  sens 
des  préjugés  nationaux.  Elle  doit  être  objective,  selon 
l'expression  allemande  qui  a  fait  la  fortune  de  tant  de 
romanciers  de  l'histoire,  auprès  des  monsieur  Homais  de 
partout.  Il  reste  tout  de  même  qu'il  y  a  des  «  préjugés 
nécessaires  »  et  il  reste  que  l'historien  est  un  homme  avec 
des  devoirs.  S'il  ne  sait  pas  suggérer  les  leçons  qu'appor- 
tent les  faits,  s'il  ne  sait  pas  y  voir  la  main  de  Dieu  qui  se 
sert  du  libre  jeu  des  forces  humaines  pour  atteindre  ses 
fins  avec  force  et  douceur,  il  est  un  médiocre  penseur.  Pour 
nous  en  tenir  à  notre  histoire,  s'il  ne  consent  pas  à  y  lire 
et  à  y  développer  cette  leçon  de  chaque  page,  que  la  lutte 
d'un  peuple  pour  des  principes  de  justice  n'est  jamais 
inutile,  il  n'est  pas  seulement  un  pauvre  philosophe,  il  est 
délibérément  un  faussaire. 

Le  docteur  Jacques  Labrie  fut  un  doux.  Son  Histoire 
du  Canada  eût  été  sereine.  Mais  sa  vie  prouve  qu'il  ne  se 
retrancha  point  dans  une  tour  d'ivoire  pour  l'écrire.  Le 
passé,  le  contact  des  morts  ne  lui  fit  pas  un  moment  oublier 


l'action  française  119 

qu'il  est  des  devoirs  présents  pour  lesquels,  quand  on  a  le 
cœur  bien  fait,  on  vit,  on  pense,  on  prie,  on  travaille  et 
l'on  meurt  prématurément,  si  Dieu  le  veut. 

Il  paraît  que  nous  souffrons  encore  de  paresse  intel- 
lectuelle, que  trop  de  nos  professionnels  de  la  campagne  et 
d'ailleurs  se  laissent  aller,  après  la  besogne  du  gagne-pain, 
à  la  douceur  de  vivre  sans  tant  remuer  d'idées  fatigantes. 
Il  en  est  que  la  politique  a  scandalisés.  Le  spectacle 
d'égoïsmes  déconcertants  a  défloré  ce  qu'ils  appellent  avec 
un  sourire  éteint  «  des  idéals  de  collège  ». 

Qu'ils  se  reprennent  à  travailler  en  bons  soldats  du 
Christ  et  d'une  race  qu'il  aime.  Leur  cœur  recouvrera 
son  rythme  normal-  Si  l'exemple  d'un  doctem'  Labrie  leur 
paraît  inimitable  parce  qu'héroïque,  ils  pourront  s'aviser 
qu'il  y  a  des  degrés  praticables  entre  la  flânerie  des  tabagies 
et  le  surmenage  intellectuel,  auquel  rien  ne  les  expose. 

Ceux  qui  travaillent,  à  la  suite  des  précurseurs,  sont 
à  tracer  des  programmes  d'action  assez  amples  pour  donner 
de  la  besogne  à  tous  les  talents.  Le  temps  vient  où  l'on 
sent  qu'ils  vont  réussir  à  rétabhr  ce  que  l'un  des  plus  bril- 
lants d'entre  eux  appelle  «  la  hiérarchie  des  problèmes  )) 
de  chez  nous.  Il  ne  restera  plus  qu'à  répartir  les  tâches 
patriotiques  les  plus  pressantes.  Ceux  qui  accompliront 
ce  prodige  auront  bien  mérité  de  la  patrie,  pour  avoir  mobi- 
lisé vers  une  seule  fin  des  énergies  qui  se  perdent  en  inaction 
ou  s'égarent  en  agitation  stérile,  et  d'autres  qui  seraient 
consumées  trop  tôt  à  défaut  d'une  coopération  fraternelle- 
ment organisée. 

Georges  Courchesxe,  pire. 


IL  NOUS  FAUDRA  COMBATTRE 
LONGTEMPS. . . 


Il  nous  faudra  combattre  longtemps.  .  .  La  vérité  est 
ancienne  et  la  formule  n'a  rien  d' extraordinaire.  Si  nous 
relevons  aujourd'hui  ce  mot,  c'est  qu'il  tombait  de  lèvres  qui 
lui  donnent  une  portée  presque  testamentaire,  en  des  circonstan- 
ces tragiques. 

■'Nous  étions  à  Ottawa.  Les  Canadiennes  françaises  ten- 
daient la  main,  faisaient  Id  quête  du  charbon.  Il  fallait  as- 
surer aux  petits  enfants,  aux  maîtres  et  aux  maîtresses  qw, 
dans  la  capitale  de  notre  pays  de  liberU,  défendaient  leur  âme 
française  le  moyen  de  ne  pas  geler.  Un  orateur  montréalais, 
dont  le  nom  est  cher  à  Z'Action  française,  était  venu  apporter 
à  nos  compatriotes  de  là-bas  V appui  d'une  parole  formée  aux 
disciplines  ewopéennes,  mais  passionnée  pour  les  choses  du 
pays.  Sur  V  estrade,  deux  vieillards  V  encadraient,  adversaires 
d'un  demi-siècle,  pour  la  première  fois  peut-être  associés  dans 
un  effort  commun  :  l'ancien  président  du  Sénat,  l'ancien  pre- 
mier ministre  du  Canada. 

Et  lorsque  Vabbé  Cioulx  eut  terminé  sa  conférence,  M. 
Laurier  se   leva. 

En  quelques  phrases  sobres,  élégantes  comme  il  savait  les 
faire,  il  remercia  l'orateur  ;  puis,  comme  si  l'ultime  et  déce- 
vante expérience  de  sa  longue  carrière  lui  fût  remontée  aux 
lèvres,  comme  s'il  eût  en  même  temps  sondé  de  lointaines  pers- 
pectives d'avenir,  il  laissa  tomber  cette  phrase  :  «  Il  nous  fau- 
dra combattre  longtemps  ...» 

C'était  la  constatation  de  la  lutte  ancienne,  de  la  lutte  iné- 
luctable, que  nulle  concession  n'avait  pu  enrayer,  que  l'on  doit 


I 


l'action  française  121 

regretter,  mais  que  le  plus  douloureux  regret  et  les  plus  géné- 
reuses illusions  sont  également  impuissants  à  écarter. 

A  ce  mélancolique  constat,  M.  Laurier  donnait  ce  soir-là 
sa  conclusion  logique  :  il  apportait  à  la  résistance  effective, 
à  celle  qui  se  traduit  par  des  sacrifices  et  des  actes,  l'appui  de  sa 
parole.  - 

A  l'heure  où  disparaît  le  vieux  chef  qui  fut  le  cent)  e  de 
tant  de  débats,  dont  les  méthodes  et  les  tactiques  appartiennent 
à  l'hiStoire,  c'est  cette  formelle  et  lucide  constatation  de  la  lutte 
inévitable  et  prolongée,  c'est  ce  suprême  conseil  d'action  directe 
qu'il  nous  paraît  le  plus  utile  de  recueillir  ici  ;  c'est  le  meil- 
leur hommage  à  déposer  sur  la  tombe  de  celui  qui  nest  plus. 

Orner  Héroux. 


Le  service  de  librairie  de  l'Action  française 
se  tient  à  la  disqosition  de  nos  clients  pour 
leur  procurer  non  seulement  les  publications  de 
la  revue,  mais  toutes  les  publications  intéres- 
santes,  particulièrement  les    CANADIANA. 


LA  COLONISATION  FRANÇAISE 
DANS  VONTARIO 


Les  Canadiens-français  soiit^rcominG  chacun  sait,  er- 
rants et  migrateurs.  On  en  trouve  d'établis  dans  tous  les 
États  de  la  république  voisine;  on  en  trouve  également  dans 
tous  les  comtés  de  l'Ontario.  C'est  un  malheur,  car,  lors- 
qu'ils sont  isolés  au  milieu  des  protestants,  leurs  enfants 
perdent  presque  fatalement  leur  langue  et  leur  foi.  Nous 
voulons,  dans  cet  article,  faire  rapidement  l'histoire,  non 
des  individus,  mais  des  groupes  canadiens-français  d'On- 
tario. 

I 

LA    COLONISATION    AU    X^VIIie    SIÈCLE 

Les  premiers  colons  français  d'Ontario  sont  ceux  qui 
se  fixèrent  dans  la  Pé  linsule,  aux  comtés  de  Kent  et  d'Essex. 
Il  ne  semble  pas  que  les  commencements  d'établissement 
au  fort  de  Kataracoui  aient  subsisté.  Vers  1700,  le  Fran- 
çais Lamothe-Cadillac  fonda  au  Détroit,  sur  la  rive  améri- 
caine, le  fort  et  le  poste  de  Pontchartrain,  dans  le  but  poli- 
tique et  commercial  d'assurer  la  souveraineté  de  la  France 
sur  le  pays  environnant  et  de  faire  la  traite  avec  les  nations 
sauvages.  Autour  du  fort  un  certain  nombre  de  familles 
françaises  commençaient  des  défrichements  sur  les  deux 
bords  de  la  rivière  Sainte-Claire.  Nous  n'avons  pas  à  nous 
occuper  ici  du  Détroit  ni  de  ses  vicissitudes.  Cette  grande 
ville  du  Michigan  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  de  nombreux 
souvenirs  de  ses  origines,  mais  ses  premiers  habitants  se  sont 


l' ACTION    FRANÇAISE  123 

graduellement  américanisés.  Disons  seulement  que,  pen- 
dant toute  la  durée  du  dix-huitième  siècle,  les  soldats  du 
fort  et  les  colons  du  voisinage  furent  régulièrement  desservis 
par  des  Récollets,  des  Jésuites,  des  Sulpiciens,  des  prêtres 
du  Séminaire  de  Québec,  etc. 

Lors  de  la  cession  du  Canada  aux  Anglais,  1763,  on 
comptait  trente-sept  familles  françaises  dans  les  limites 
du  comté  d'Essex  actuel.  La  population  grandit  rapide- 
ment et  prit  une  telle  importance  que,  en  1793,  la  chambre 
des  députés  de  la  nouvelle  province  du  Haut-Canada  vota 
une  résolution  à  l'effet  de  faire  traduire  en  français  toutes 
les  lois  et  tous  les  débats  de  l'assemblée  à  l-'intention  des 
Canadiens-français  d'Essex  et  de  Kent.  Quelle  était  la 
population  française  de  cette  région  au  commencement 
du  XIXe  siècle  ?  Nous  l'ignorons,  mais  nous  savons  que  le 
recensement  de  1819  comptait  deux  mille  catholiques  à  Sand- 
wich et  dans  les  autres  points  de  l'Ouest.  Pour  nous,  ces 
deux  mille  catholiques  sont  tous  ou  presque  tous  des  Fran- 
çais. 

Après  ce  premier  et  faible  essai  de  colonisation  au  sud 
d'Ontario,  un  second  et  plus  important  fut  inauguré  aux 
confins  mêmes  des  deux  provinces,  c'est-à-dire  dans  les  ré- 
gions de  l'Est.     Nous  allons  en  raconter  les  origines. 

Lors  de  la  révolution  américaine,  en  1775,  tous  les  ha- 
bitants des  colonies  ne  se  rangèrent  point  parmi  les  Rebelles. 
Un  certain  nombre,  au  contraire,  prirent  fait  et  cause  pour 
la  métropole.  On  les  appela  Loyalistes.  Après  la  guerre, 
la  plupart  de  ceux-ei  acceptèrent,  plus  ou  moins  joyeuse- 
ment, le  nouveau  régime  et  firent  de  nécessité  vertu.  D'au- 
tres, en  grand  nombre,  se  voyant  persécutés,  ou  poussant 
la  fidélité  jusqu'au  bout,  quittèrent  les  États-Unis  et  pas- 
sèrent au  Canada. 


124  l'action  française 

Le  gouverDement  britannique  accueillit  ces  infortunés 
avec  les  égards  qu'ils  méritaient.  L'argent,  les  provisions, 
les  instruments  aratoires,  les  terres  leur  furent  libéralement 
distribués.  A  partir  de  la  signature  de  la  paix,  à  Versailles, 
1783,  le  courant  d'immigration  se  régularisa.  Vingt  mille 
Loyalistes  s'établirent  dans  les  Provinces  Maritimes,  dix 
mille  dans  les  Cantons  de  l'Est,  Québec,  dix  mille,  enfin, 
dans  l'Ontario,  sur  les  rives  septentrionales  du  Saint-Lau- 
rent et  des  Lacs. 

Le  gouvernement,  en  vue  de  favoriser  ses  compatriotes, 
di\isa  alors  la  vieille  province  de  Québec  en  deux  parties 
autonomes  :  le  Bas-Canada,  surtout  français,  et  le  Haut- 
Canada,  surtout  anglais,  1791. 

Depois  cette  époque  le  mouvement  d'immigration  an- 
glaise au  Canada  alla  s'accentuant  chaque  année  pendant 
près  d'un  siècle,  colonisant  d'abord  le  Haut-Canada  (l'On- 
tario moderne),  puis  les  provinces  du  Nord-Ouest. 

La  plupart  de  ces  premiers  émigrants  étaient  protes- 
tants. Parmi  eux,  cependant,  un  certain  nombre  d'Écos- 
sais catholiques  débarquèrent,  vers  1784,  sur  nos  bords  et 
se  fixèrent  dans  les  Provinces  Maritimes  et  dans  l'Ontario. 
Les  comtés  de  Glengarry,  de  Stormont  et  de  Frontenac 
furent  ouverts  en  partie  par  ces  derniers.  Les  Irlandais 
n'arrivèrent  que  trente  ans  plus  tard  en  nombre  notable. 

Ce  fut  après  1815,  lors  du  licenciement  des  troupes  du 
duc  de  Wellington,  après  la  bataille  de  Waterloo.  Les  au- 
torités distribuèrent  alors  aux  vétérans  et  à  leurs  chefs  des 
terres  en  abondance,  non  plus  seulement  sur  les  bords  du 
Saint-Laurent,  mais  dans  les  comtés  de  Carleton  et  de  La- 
nark,  sur  les  rives  de  l'Ottawa.  Parmi  ces  vétérans,  un 
bon  nombre  étaient  Irlandais  et  catholiques.  Au  milieu 
de  ces  nouveaux  venus,  du  côté  d'York  (Toronto),  et  du 
Niagara,  quelques  émigrés  français  conduits  par  le  comte 


l'action  française  125 

de  Puisaye,  et  le  régiment  franco-suisse  des  Meurons  re- 
çurent des  terres  et  commencèrent  des  défrichements  qu'ils 
abandonnèrent  dans  la  suite. 

•  Les  premiers  Canadiens-français  qui  envahirent  l'On- 
tario à  cette  époque,  vinrent  naturellement  des  comtés  voi- 
sins de  la  hgne  provinciale,  c'est-à-dire  de  Soulanges  et  de 
Vaudreuil.  Les  bords  de  l'Ottawa  étaient  bas  et  maréca- 
geux; les  concessionnaires  anglais  les  revendirent  pour  quel- 
ques piastres  à  de  puissantes  sociétés  foncières  de  Toronto. 
Ces  sociétés  les  cédèrent,  dans  la  suite,  à  de  bonnes  condi- 
tions aux  Canadiens  qui  y  réussirent  à  merveille,  comme 
nous  le  constatons  aujourd'hui.  Telle  est  l'origine  des  deux 
beaux  comtés  de  Prescott  et  de  Russell,  comtés  actuellement 
aussi  français  que  les  comtés  voisins  de  Québec. 

L'Ontario  possédait,  en  1806,  70,000  habitants,  dont 
10,000  seulement  catholiques.  De  ces  dix  mille  catholiques 
combien  étaient  français,  nous  l'ignorons. 


II 


LA    COLONISATION   FRANÇAISE  JUSQU  A 
LA    CONFÉDÉRATION 

A  partir  de  1810  la  colonisation  française  commença 
à  faire  quelques  progrès.  Le  grand  Philémon  Wright  fonda 
Hull,  inaugura  le  commerce  du  bois  carré  et  rempUt  de  chan- 
tiers les  forêts  voisines,  où  les  Canadiens  affluèrent.  Le 
colonel  By  commença  le  canal  du  Rideau  et  présida  à  la  nais- 
sance de  Bytown  (Ottawa).  Les  Canadiens  affluèrent  au 
milieu  des  autres  nationalités.  Leurs  cabanes  se  dressaient 
sur  les  bords  de  la  Grande  Rivière  depuis  Bytown  jusqu'à 
Rigaud.     Ils   s'insinuèrent   même   parmi   les    Écossais   de 


126  l'action  française 

Glengarry,  Monseigneur  McDonnell,  premier  évêqiie  de 
Kingston,  1818,  nous  a  laissé  un  recensement  précieux  des 
catholiques  à  cette  époque.     Le  voici  : 

POPULATION    CATHOLIQUE    DU    HAUT-CANADA 
EN    1819 


Saint-Raphael 4,300  1  gyj-^gut 

St-André 2,150  \  p 

Mathilda,  Prescott,  BrockviUe..  1,200  J  ^^^^^^^ 


Perth  et  Rideau  settlementè. .  .  .     365  ]  Irlandais 

New-Richmond 400   !^        et 

Hamilton  et  Curran 450  j  Canadiens 

Hawkesbury  et  vallée  de  l'Ot-  1^        ,. 

-,  rr.r.  >  Canadiens 
tawa .  1,500  j 


Kingston,  Guananoqui,  baie  de 

Quinte 2,000 

York  et  lac  Simcoe 300 

Niagara,  Queenstown,  Fort  Êrié, 

Tête  du  lac  Ontario 250 

Sandwich  et  d'autres  points  à 

l'ouest 2,000 


>■  Irlandais 


Canadiens 


Total 14,915 


Nous  calculons  donc  approximativement  qu'en  1820, 
les  Canadiens-français  d'Ontario  étaient  au  nombre  de 
quatre  mille  :  deux  mille  dans  la  Péninsule,  deux  mille  dans 
les  comtés  de  l'Est. 


l'action  française  127 

Le  recensement  de  1842  nous  fournit  pour  la  première 
fois  des  renseignements  officiels  : 

POPULATION  d'oNTARIO  EN  1842 


Population 
totale 

catholique 

française 

487,053 

65,203 

13,969 

On  le  voit  l'immigration  bat  son  plein,  les  Canadiens 
français  ne  comptent  pour  ainsi  dire  pas  dans  le  pays.  Com- 
ment sont-ils  répartis?  Selon  nous,  dix  mille  à  l'Est,  trois 
ou  quatre  mille  dans  la  Péninsule. 

Vers  cette  date,  un  grand  événement,  la  création  du 
diocèse  français  de  Bytown  (Ottawa),  1847,  donna  le  branle 
à  l'invasion  pacifique  de  l'Ontario.  Le  recensement  de 
1851  nous  fournit  pour  quatre  comtés  les  chiffres  suivants  : 

Canadiens-français. 

Prescott 3,438 

Russell 688 

Bytown 2;056 

Carleton . .  .  •     898 


Total 7,080 

Le  recensement  de  1861  se  lit  comme  suit  : 


Population 

totale 

catholique 

française 

1,396,091 

258,151 

33,287 

128  l'acti-on  française 

De  ces  trente-trois  mille  Français,  dix-sept  mille,  en- 
viron, appartiennent  au  groupe  de  l'Est.  Les  autres  sont 
en  grande  partie  des  hommes  de  chantiers  qui  travaillent 
dans  le  diocèse  actuel  de  Pembroke,  comté  de  Renfrew, 
dans  le  diocèse  de  London,  comtés  d'Essex  et  de  Kent,  dans 
le  diocèse  de  Toronto,  comté  de  Simcoe.  Ces  nouveaux 
venus  renforcent  rapidement  les  vieux  colons  de  Sandwich 
et  prospèrent  dans  une  région  fertile  en  raisins  et  en  fruits. 

Sur  ces  entrefaites,  avec  la  Confédération  s'inaugure 
l'ère  contemporaine  au  Canada,  1867. 

LA    COLONISATION    FRANÇAISE    EN    ONTARIO    DEPUIS   LA 
CONFÉDÉRATION 

Un  fait  social  domine  l'époque  qui  commence,  au  point 
de  vue  de  la  colonisation  ontarienne;  c'est  l'arrêt  total  de 
l'immigration  irlandaise  et  le  ralentissement  de  l'immigra- 
tion anglaise.  Les  Irlandais  ne  vont  plus  dans  les  colonies 
britanniques;  quant  aux  Anglais,  ils  poussent  plus  loin, 
dans  la  direction  des  plaines  du  Nord-Ouest  qui  s'ouvrent 
et  offrent  aux  colons  des  facilités  d'établissement  extraor- 
dinaires. L'inauguration  du  chemin  de  fer  Pacifique  Cana- 
dien, en  1886,  donne  le  signal  du  mouvement  vers  l'Ouest 
qui  va  déplacer  l'axe  économique  de  la  Confédération. 

Quant  aux  Canadiens-français,  selon  leur  tactique  tra- 
ditionnelle, ils  gagnent  de  proche  en  proche  et  font  dans 
l'Ontario  des  progrès  chaque  jour  plus  marqués.  Dans  les 
comtés  depuis  longtemps  défrichés  ils  achètent  les  fermes 
que  les  Anglais  abandonnent,  procédé  lent  et  coûteux  ;  dans 
les  pays  nouveaux  ils  s'installent  plus  rapidement  et  en  plus 
grand  nombre. 


l'action  française  129 

Le  recensement  de  1871  nous  fournit  les  renseignements 
suivants  : 


Population 
totale 

catholique 

française 

1,620,851 

274,162 

75,383 

Un  seul  commentaire  suffit  à  caractériser  les  progrès 
de  cette  décade.  Tandis  que,  de  1861  à  1871,  les  Cana- 
diens-français ont  augmenté  de  42,096,  la  population  ca- 
tholique totale  ne  s'est  accrue  que  de  16,011.  Or  tous  les 
Canadiens-français  sont  catholiques.  La  conclusion  se 
déduit  d'elle-même. 

Comment  se  distribue  cet  accroissement  régulier  des 
Canadiens  ?    Normalement.    Ce  n'est  que  à  partir  de  1880,  ' 
que  nous  les  verrons  envahir  de  nouveaux  territoires. 

Depuis  1880,  en  effet,  des  faits  nouveaux  dont  il  faut 
tenir  compte  vont  modifier  profondément  le  status  des  Ca- 
nadiens français  dans  l'Ontario.  Tandis  que,  dans  les  vieux 
comtés,  l'augmentation  de  la  population  provient  de  la 
croissance  naturelle  si  remarquable  des  familles  canadien- 
nes, dans  les  comtés  récents  qu'ouvrent  les  chemins  de  fer 
et  l'exploitation  des  mines,  c'est  à  la  seule  émigration  de 
la  province  de  Québec  et  des  anciennes  paroisses  surpeu- 
plées d'Ontario  que  l'occupation  du  sol  est  imputable.  Nous 
faisons  allusion  aux  comtés  d'Algoma,  du  Nipissing  et  de 
Thunder  Bay,  ainsi  qu'aux  régions  encore  mal  organisées 
du    Nord. 

Ces  comtés  sont  de  création  toute  moderne,  ou  pour 
mieux  dire,  en  voie  de  création.  Le  commerce  des  bois  et, 
comme  nous  venons  de  l'observer,  l'extension  des  chemins 
de  fer  et  la  découverte  des  mines,  mines  de  nickel  à  ud- 
bury,  d'argent  à  Cobalt,  ont  attiré  dans  le  pays  unj  icule 


130  l'action  française 

d'émigrants,  italiens,  autrichiens,  allemands,  ruthènes, 
anglais,  etc.,  etc.  Les  Canadiens-français,  concurrencés 
par  ces  étrangers,  se  sont,  pour  la  plupart,  établis  sur  des 
terres,  lesquelles,  d'ailleurs,  sont  rares  dans  ces  montagnes  - 
généralement  stériles,  et  se  sont  emparé  du  sol.  Eux  seuls, 
ou  presque  seuls,  s'3^  livrent  à  l'agriculture,  ce  qui  nous  sem- 
ble un  phénomène  providentiel.  Et,  en  effet,  lorsque  les 
mines  seront  épuisées,  lorsque  les  chemins  seront  achevés, 
lorsque  les  forêts  seront  rasées,  la  main-d'œuvre  étrangère 
s'éloignera  forcément  de  ces  territoires,  où  les  fermiers  res- 
teront. 

Dans  les  régions  du  Grand  Nord  ouvertes  récemment 
à  la  colonisation  par  le  Transcontinental  canadien,  on  a 
découvert  une  immense  zone  fertile,  la  clay  helt,  qui,  mal- 
gré les  rigueurs  du  climat  et  l'humidité  du  sol,  promet  d'éga- 
ler pour  la  culture  des  grains  la  fécondité  du  Manitoba. 
Nos  colons  s'y  précipitent,  au  grand  émoi  des  Orangistes 
et  des  fanatiques  d'Ontario. 

Afin  de  rendre  plus  sensibles  les  progrès  des  Canadiens- 
français,  nous  ferons  abstraction  des  recensements  de  1881, 
de  1891  et  de  1901,  et  nous  donnerons  le  tableau  compa- 
ratif des  statistiques  de  1871  et  de  1911. 

RECENSEMENTS    d'ONTARIO 

Population 
totale 

1871  1,620,831 

1911  2,523,274 

Que  ce  tableau  est  suggestif  et  plus  éloquent  que  des 
discours  !  Il  nous  montre,  en  effet,  que,  dans  l'espace  de 
quarante  ans,  tandis  que  la  population  d'Ontario  s'est  ac- 


catholique 

française 

274,162 
484,997 

75,383 
202,442 

l'action  française  131 

crue  d'un  peu  plus  de  moitié,  que  les  catholiques  ont  aug- 
menté des  trois  quarts,  les  Canadiens-français  ont  presque 
triplé. 

Il  nous  reste  maintenant  à  étudier  dans  quelles  por- 
tions de  la  province  ces  augmentations  s'opérèrent. 

Nous  comptons,  à  la  date  de  1911,  une  vingtaine  de 
comtés  où  la  population  canadienne-française  dépasse  le 
chiffre  de  mille  habitants.  En  groupant  ces  comtés  et  en 
comparant  avec  les  totaux  du  recensement  de  1871  ceux  de 
1911,  la  chose  nous  sera  facile. 

GROUPE    DE    l'est 


Années  1871  1911 

Comtés 

Carleton 

Dundas 

Glengarry 

Hastings 

Ottawa 

Prescott 

Russell 

Stormont 

Divers,  environ 

Totaux 35,190  94,521 


797 

4,157 

1,031 

1,339 

2,607 

8,710 

2,785 

3,490 

7,214 

22,210 

9,623 

20,124 

5,600 

22,475 

2,233 

7,016 

3,300 

5,000 

132  l'actiox  française 

groupe  du  sud 

Années  1871  1911 
Comtes 

Toronto 572  4,569 

Simcoe 3,024  6,686 

•      Essex 10,539  20,733 

Kent 3,480  5,956 

Divers 3,000  5,000 

Totaux 20,615  42,944 

GROUPE    DU    XORD    ET    DE    l'oUEST 

Renfrew 2,882  6,107 

Peterborough 1,024  1,309 

Algoma 995  14,347 

Nipissing 358  26,277 

Parry  Sound 169  2,188 

Thundcr  Bay 4,731 

Totaux 5,428  54,959 

De  ce  triple  tableau  ressortent  les  faits  suivants  : 

1°  La  population  du  groupe  de  l'Est,  comprise  dans 
les  diocèses  d'Ottawa,  d'Alexandria  et  de  Kingston,  aurait 
triplé  en  quarante  ans,  par  la  seule  puissance  de  sa  nata- 
lité, sans  immigration  sensible,  sauf  pour  la  ville  d'Ottawa 
dont  la  prospérité  croissante  a  attiré  beaucoup  d'étrangers, 
si,  dans  le  diocèse  de  Kingston,  nous  n'avions  à  constater 
un  véritable  recul,  dû  manifestement  à  l'amlMance  protes- 
tante. Les  Canadiens  dispersés  semblent  fatalement  des- 
tinés à  disparaîtr(\ 


l'action  française  133 

2°  Le  groupe  du  Sud  a  vu  sa  population  se  doubler 
dans  le  même  espace  de  temps,  sans  immigration  d'aucune 
sorte. 

3°  Enfin  le  groupe  du  Nord  et  de  l'Ouest  est  sorti,  pour 
ainsi  dire,  du  néant.  La  population  a  décuplé  et  a  trouvé 
la  fortune  dans  le  défrichement  des  terres  nouvelles. 


De  telles  constatations  sont  bien  faites  pour  nous  con- 
soler et  pom"  ranimer  notre  confiance  dans  la  Providence. 
Aucune  puissance  humaine  n'est  capable,  scmble-t-il,  dé- 
sormais, de  changer  le  cours  de  nos  destinées." 

fr.    Alexis,    cap. 


A   NOS  AMIS 


Abonnements  dûs.  —  Pour  la  bonne  administration  de  l'Action 
française,  nous  invitons  les  lecteui's  qui  n'ont  pas  encore  versé  leur 
abonnement  de  1919  à  bien  vouloir  le  faire  le  plus  tôt  possible.  Une 
invite  toute  particulière  est  adressée  aux  lecteurs  qui  ont  omis  jusqu'ici 
de  faire  remise  pour  1918;  ceux-ci  pourront  profiter  de  l'occasion  pour 
acquitter  en  même  temps  1919.  Ils  nous  éviteront  d'onéreux  frais  de 
correspondance,  car  il  nous  faudra  d'ici  peu  réclamer  par  lettres  les 
abonnements  en  retard. 

Comptes  au  débit.  —  De  même  de  nombreux  clients  dont  les  comptes 
à  l'Action  française  ou  à  la  Ligue  des  Droit  sdu  français  sont  au  débit 
depuis  déjà  quelque  temps,  voudront  bien  nous  éviter  le  travail  assez 
considérable  de  leur  faire  tenir  un  nouveau  relevé,  en  nous  faisant 
parvenu'  les  montants  dûs  par  le  prochain  courrier.  Pour  que  l'Action 
française  poursuive  son  œuvre,  les  rentrées  ponctuelles  sont  alxsolument 
indispensables. 


V ÉCOLE  DE  LA  RUE 


Jamais,  dans  notice  bonne  ville,  on  ne  s'était  tant  préoccupé 
d'instruction  publique,  du  moins  dans  les  journaux.  C'est 
heureux  sans  doute  puisque,  comme  dît  Vautre,  si  ça  ne  fait 
pas  de  bien,  ça  ne  fait  pas  de  mal. 

Ce  qui  fait  du  mal  â  l'enfance  écolière,  je  ne  sais  si  vous 
l'avez  remarqué,  c'est  l'incorrection  qui  s'étale  sur  les. murs 
et  sur  les  clôtures,  daiis  les  trams,  aux  façades  des  magasins, 
dans  tous  les  endroits  passants  :  les  jeu7ies  têtes,  où  les  leçons 
filtrent  par  l'oreille  et  où  les  fautes  affluent  par  l'œil,  se  brouil- 
lent. Et  personne  ne  prend  garde  que  nous  préparons  une 
génération  qui  se  livrera  avec  nonchalence  à  la  pratique  de 
l'orthographe  libre. 

Écrire  correctement,  c'est  mettre  de  l'ordre  dans  ses  phrases, 
c'est-à-dire  dans  ses  idées.  Les  bolchévistes  l'ont  compris  et, 
logiques,  ils  ont  déclaré  la  guerre  à  l'orthographe,  puisque  c'est 
une  manifestation  de  l'ordre.  D'après  une  information  assez 
invraisemblable  pour  paraître  exacte,  un  journal  de  Petrograd 
publiait  il  y  a  quelques  semaines  l'avis  suivant  :  «  Les 
manuscrits  correctement  orthographiés  ne  seront  ni  insérés,  ni 
pris  en  considération.  Seuls  les  bourgeois  écrivent  selon  la 
syntaxe.  » 

Hélas!  bon  nombre  d'entre  nous,  vous  et  moi  exceptés 
bien  entendu,  so7it  à  cet  égard  de  bien  piètres  bourgeois.  Notre 
ignorance  de  l'orthographe  est  d'autant  plus  grande  que  nous 
apprenons  deux  langues  dont  les  dissemblances  sont  plus 
nombreuses  peut-être  que  les  analogies  et  que  celles-ci  émous- 
sent  notre  défense  contre  celles-là. 


l'action  française  135 

Lire  de  bons  auteurs,  certes,  cest  l'un  des  moyens  d'ap- 
prendre V orthographe  et  bien  d'autres  choses  aussi;  triais 
peut-on  espérer  que  tout  le  monde  lise  de  bons  auteurs  ?  En 
revanche,  il  est  des  choses  que  tout  le  monde  lit,  malgré  soi, 
plusieurs  fois  par  jour,  ce  sont  les  enseignes,  affiches,  pancar- 
tes qui  sévissent  partout. 

Si  le  mal  est  évident,  le  remède  ne  l'est  pas  ?noins.  Il  a 
déjà  été  suggéré.  Que  V administration  municipale  inter- 
vienne. Vous  croyez  qu'elle  ne  serait  pas  justifiable  ?  Vous 
oubliez  que  le  public  montréalais  paie  annuellement  pour 
l'instruction  de  ses  enfants  des  centaines  de  milliers  de  dollars. 
L'administration  municipale  n'a-t-elle  pas  le  droit,  7ta-t-elle 
pas  le  devoir  d'empêcher  que  les  fruits  de  l'instruction  ne  se 
gâtent  par  l'ignorance  ou  le  mauvais  vouloir  de  quelques-uns  ? 

Le  moyen  de  faire  disparaître  les  affiches  fautives  f  II 
est  simple  et  serait  d'une  application  facile.  Il  suffirait 
d'ajouter  un  petit  appendice  à  la  charte  de  la  Cité  de  Montréal, 
qui  en  a  vu  bien  d'autres,  comportant  la  fondation  d'un  bureau 
de  revision.  Tous  ceux  qui  affichent  quelque  chose  quelque 
part  seraient  tenus,  avant  V expiration  d'un  délai  déterminé, 
de  soumettre  leurs  textes  à  ce  bureau.  A  partir  de  l'expira- 
tion du  délai,  on  n'aurait  le  droit  d'afficher  que  la  matière 
approuvée  par  le  bureau.  Et  une  sanction  frapperait  les 
contrevenants.  La  taxe  minime  perçue  pour  la  revision 
laisserait  vraisemblablement,  tous  frais  payés,  un  excédent  de 
recettes  qui  ne  donnerait  à  nos  administrateurs  que  l'embarras 
du  choix  entre  les  trous  à  boucher. 

Je  vous  vois  venir,  lecteur  lettré;  vous  souriez.  Oui,  oui, 
je  sais.  Dans  les  Fâcheux,  le  pédant  Caritidès,  voulant 
corriger  les  enseignes  de  Paris,  suppliait  le  roi  de  créer  une 
charge  de  contrôleur,  intendant,  correcteur,  reviseur  et  restaura- 
teur général  desdites  inscriptions.     C'est  comique  parce  que 


136  l'actiox  française 

c'est  ridicule.  Mais,  s'il  vous  plaît,  méfions-nous  du  ridicule  : 
loin  de  tuer  celui  qui  en  est  l'objet,  il  paralyse  celui  qui  en  a 
un  sens  trop  vif.  Cela  se  fait-il  quelque  part  ?  demandera 
timidement  l'adversaire  de  toute  innovation,  sans  songer 
que  si  personne  n'avait  jamais  rien  fait  qui  n'eût  déjà  été  fait 
ailleurs,  personne  n'aurait  jamais  rien  fait  nulle  part. 

Léon  Lorrain. 


LA  LIGUE  DE  RALLIEMENT 
FRANÇAIS 


La  Ligue  de  Ralliement  français  en  Amérique,  dont  le  siège  est  îi 
Manchester,  N.  H.  (adresse  postale  :  casier  14),  a  entrepris  la  publica- 
tion d'une  intéressante  série  de  tracts.  Ont  déjà  paru  :  Le  fi-ançai.^ 
dans  le  Connecticut;  Le  français  dans  nos  écoles;  Iax  langue  française  cl 
le  christianisme  (discours  de  Mgr  Guertin  au  congrès  du  Parler  français). 
Paraîtront  prochainement  :  en  avril  :  Le  français  dans  le  A'eiv  Hamp- 
shire;  en  mai  :  Ce  que  les  Étals-Unis  attendent  de  nou^;  en  juin  :  Le  fran- 
çais au  -foyer;  en  juillet  :  La  croisade  des  enfants.  Les  trois  tracts 
parus  se  vendent  50  sous  la  douzaine,  $4  le  cent,  port  en  plus.  Le  prix 
des  autres  sera  annoncé  au  fur  et  à  mesure  de  leur  publication. 

L'Action  française  est  dépositaire  pour  le  Canada  de  toutes  les 
publications  de  la  Ligue  de  Ralliement  français. 


AVEZ- VOUS  SONGÉ  A  NOUS  DONNER 

UN  NOUVEL  ABONNÉ  ? 

—- 

A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Chez  un  ^^u"  l'enseigne  fraîchement  peinte  s'étalait  un  nom  bien 
COîffeUT  français  qu'encadraient  deux  inscriptions  :  Salon  de 
coiffure  —  Barber  Shop.  Du  bilinguisme,  ça  m'aUait  : 
j'entrai.  La  figure  avenante  du  patron,  l'allure  dégagée  des  garc.ons 
me  dirent  que  je  ne, me  trompais  pas,  que  j'étais  chez  un  compatriote. 
Salle  comble.  Les  neuf  chaises  sont  occupées.  Je  m'assieds  sur  un 
banc.  Quelques  revues  sont  là,  à  la  disposition  des  clients  qui  atten- 
dent. Je  prends  la  première  :  Life.  Merci  !  L'ne  deuxième  :  Baseball 
Magazine.  Que  diable  !  voici  un  coiffeur  qui  n'encourage  guère  les 
publications  canadiermes.  Mais  voyons  les  autres  :  Popular  Mecha- 
nics,  The  Journeyman  Barber,  etc.,  et«.  Elles  sont  toutes  de  la  même 
espèce,  toutes  made  in  United  States. 

Et  cependant  quel  puissant  véhicule  d'idées  est  la  presse,  quelle 
machine  incomparable  pour  modeler  les  esprits  !  Est-il  prudent 
d'en  user  ainsi  sans  discernement? 

Salon  Je  ruminais  ces  choses  quand  j'entendis  un  vigoureux 

an5.lciis  ^^^f>  Please.  Je  levai  la  tête.  C'était  un  employé 
canadien-français  qui  m'interpellait  ainsi.  Après  la  voix 
des  h\Tes,  la  voix  des  hommes.  En  vérité,  j'étais  bien  tombé  !  J'obéis 
quand  même,  mais  confortablement  assis  dans  la  chaise  d'opération, 
je  promenai  mes  yeux  de  côté  et  d'autre.  Hélas  !  du  bihnguisme 
affiché  sur  l'enseigne  extérieure,  aucune  trace  visible.  Depuis  les  mul- 
tiples bouteilles  aux  formes  variées  contenant  poudres,  onguents  et 
parfums,  jusqu'aux  pancartes  suspendues  çà  et  là,  soit  pour  faire  con- 
naître ces  produits,  soit  pour  annoncer  que  «  From  January  lst,thisshop 
uill  close  saturday  nighl  al  10.30,y>  tout  était  en  anglais.  Une  exception 
toutefois  que  je  finis  par  découvrir  :  un  modeste  calendrier  étalait  dans 
un  coin  ses  feuilles  aux  noms  français. 

Entre  eiLx,  et  avec  les  clients  qui  le  désiraient,  les  employés  —  je  le 
constatai  —  parlaient  français,  mais  l'allure  de  la  boutique  était  fran- 
chement anglaise.  Les  hommes  qui  la  fréquentent  sont  cependant  des 
deux  langues,  elle  est  située  elle-même  dans  un  milieu  mixte,  plutôt 
français  qu'anglais  :  pourquoi  alors  cet  exclusivisme,  pourquoi  surtout 
cet  amoncellement  de  revues  américaines  ? 


138  l'action  française 

Revues  Je  m'arrête  à  ce  dernier  point.     Car  nous  touchons 

GtnéïicCliiîeS  ^^  ^^®  véritable  plaie.  Elle  n'est  pas  particulière 
aux  coiffeurs,  bien  que  presque  tous  en  souffrent. 
Elle  atteint  aussi  bon  nombre  d'hommes  d'affaires,  de  médecins,  de 
dentistes  surtout.  Ceux-ci  en  effet  ont  fréquenté  les  universités  des 
Etats-Unis.  On  dirait  qu'ils  en  ont  rapporté  le  goût  des  pubUcations 
américaines,  ou  encore  que,  les  ayant  vues  dans  les  salons  de  leurs  con- 
frères de  Boston,  de  Philadelphie  ou  de  New- York,  Us  croient  de  bon 
ton  de  les  imiter.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  magazine  américain  sévit  dans 
leurs  saUes  d'attente.  De  braves  personnes  le  rencontrent  là  poiu"  la 
première  fois.  Elles  le  feuillettent  machinalement  :  affaire  de  tromper 
les  heures.  Et  bientôt  l'aventure  romanesque  ou  pohcière,  qu'illustrent 
d'impertinentes  gravures,  secoue  leurs  nerfs,  trouble  leur  âme,  déforme 
lem-  esprit. 

Ce  mal  n'est  pas  spécial  à  notre  métropole.  Un  prêtre,  qui  l'avait 
constaté  ailleurs  qu'à  Montréal,  vient  de  le  dénoncer  en  ces  termes, 
dans  l'Action  catholique  :  «  Vous  entrez  chez  im  avocat,  chez  un 
médecin,  chez  im  dentiste,  chez  un  industriel;  qu'est-ce  que  vous  trou- 
vez trop  souvent  pour  passer  le  temps  en  attendant  que  d'autres  chents 
arrivés  avant  vous  aient  défilé  dans  le  biueau  du  maître?  D'abrutis- 
sants ou  ineptes  magazines  anglais  ou  américains  :  des  tas  de  Motion 
Pictures,  de  Life,  de  Punch,  de  Munseij's,  de  Pholoplay,  de  World,  et 
autres  épaisseurs  du  même  acabit  et  de  même  langue.  Pour  ce  qui  est 
de  la  bonne  lectiu-e  française  instructive,  saine,  amusante,  elle  brille  par 
son  absence.  » 

Le  Tefnède  a  nos  lecteurs  de  réagir  énergiquement  contre 

oui  s' ifHÙOSe     ^^  ™^^'     ^'^  ^'^^  sentent  eux-mêmes  coupables, 

qu'ils  «  nettoient  »  sans  tarder  leurs  salles  d'attente; 

si,  au  contraire,  ils    n'ont  rien  à  se  reprocher  qu'ils  aident  alors  leurs 

amis  à  s'amender. 

Par  quoi  remplacer  ces  revues?  Nous  n'avons  guère,  il  est  vrai, 
de  publications  de  ce  genre,  mais  puisqu'elles  sont  de  mauvais  goût, 
ne  le  regrettons  pas.  .Aucun  chent  ne  se  rend  chez  tel  coiffeur  ou  tel 
dentiste  à  cause  d'elles.  Il  en  use  parce  qu'elles  sont  là,  sous  sa  main. 
Il  ne  se  plaindra  pas  si  on  les  lui  enlève.  Qu'on  ne  lui  donne  rien  plutôt! 
Mais  on  peut  donner  quelque  chose,  quelque  chose  qui  fasse  du  bien, 
qui  affine  le  goût,  qui  élève  l'âme,  qui  sème  de  bonnes  idées,  qui  crée 
de  généreux  sentiments.  Je  ne  parlerai  pas  de  nos  publications  reli- 
gieuses qu'on  trouvera  peut-être  trop  sérieuses  pour  ces  miheux.  Im 
pourtant. . .     Mais  il  y  a  des  revues  profanes,  V Action  française,  par 


l'action  française  139 

exemple.  Tous  ceux  qui  connaissent  cette  revue  en  raffolent,  paraît-il. 
Elle  plaît  en  effet  par  sa  variété,  par  son  actualité,  par  son  sens  patrioti- 
que, par  la  vie  saine  dont  elle  déborde.  Qui  l'a  lue  une  fois  veut  la  lire 
chaque  mois.  Eh  bien  !  voilà  une  belle  occasion  pour  nos  amis  de  faire 
de  la  propagande.  Qu'ils  en  mettent  quelques  exemplaires  dans  leurs 
salons.  Leiu-s  clients  ne  s'ennuieront  pas  en  les  lisant.  Ça  agira 
même  sur  leur  moral  et,  par  répercussion,  sur  leur  physique.  Ils  seront 
mieux  disposés,  plus  en  train  pour  régler  leurs  affaires,  à  demi  guéris 
même  si  ce  sont  des  malades.  Qui  s'en  plaindrait?  Pas,  à  coup  sûr, 
le  médecin  ou  l'avocat,  ou  l'homme  d'affaires  qui  vont  bénéficier  des 
bonnes  dispositions  de  leurs  clients,  encore  moins  l'Action  française 
dont  le  groupe  de  lecteurs  augmentera,  et  par  suite  le  rayonnement  de 
son  action. 
ExÙéïîêHCêS  ^^  ^^^  ^^  *^^  ^^  cette  revue  peut  s'appliquer  à 

hûurûijçûç  quelques  autres  de  chez  nous,  à  certaias  almanachs 
aussi.  L'Almanach  de  la  Langue  française,  VAlmanach 
de  l'Action  catholique  constituent  de  véritables  magazines,  intéressants 
ceux-là,  et  d'une  haute  tenue  littéraire  et  morale.  A  chacun  de  voir  ce  que 
son  milieu  demande,  ce  qui  lui  plairait  davantage.  Mais  qu'on  ne  le  juge 
pas  plus  léger  qu'il  n'est,  et  incapable  de  supporter  de  la  saine  littératiu-e. 
Un  essai  loyal  vaut  d'être  tenté.  Il  donnera,  je  crois,  des  résultats 
étonnants.  Que  d'urgentes  réformes,  que  d'excellents  projets  qui 
réussiraient  on  laisse  ainsi  malheureusement  tomber  à  l'eau,  sans  faire 
d'efforts  sérieux  pour  les  réaliser,  sous  le  prétexte  commode  et  faux  que 
ça  ne  prendra  pas,  que  ce  n'est  pas  pratique.  Sans  sortir  de  notre 
domaine,  n'a-t-on  pas  parlé  ainsi  quand  il  s'est  agi  de  donner  des  noms 
français  aux  biscuits  et  aux  bonbons  ?  —  et  cependant  c'est  maintenant 
un  fait  accompU;  —  quand  il  s'est  agi  d'opérer  la  même  transformation 
pour  les  termes  de  métiers  en  usage  chez  les  ouvriers  ?  —  et  la  chose  est 
actuellement  en  bonne  voie  d'exécution  ! 

Non,  la  difficulté  ne  rend  pas  telle  réfome  ou    tel  projet  impossible. 
S'ils  sont  excellents  en  soi,  elle  ne  devrait  avoir  comme  résultat  que  de 
stimuler  davantage  nos  énergies. 
A.HS.licisftlC  Aussi  je  n'hésite  pas  à  dénoncer  aujourd'hui  un 

à  rciptPT  ™^^  ^^  haute  fortune,  condamné  déjà  comme  indigne 

•'  de  \'i^Te  par  maintes  autorités,  qui  continue  quand 

même  à  circuler  librement  dans  les  meilleurs  milieux,  et  que  notre 
respect  pour  la  langue  française  nous  oblige  à  guillotiner  le  plus  tôt 
possible.  C'est  le  trop  fameux  Révérend  pris  dans  le  sens  d'abbé  : 
Révérend  J.-A.  Bérubé,  Révérend  Hector  Lamalice.     N'ai-je  pas  aperçu 


140  l'actiox  française 

l'autre  jour,  son  \nlain  visage,  en  pleine  Université  française,  trônant 
richement  sur  une  plaque  de  cuivre  ou  de  marbre,  comme  s'il  était  un 
des  maîtres  de  cette  forteresse  !  Or  ce  Révérend  est  un  anglicisme  de 
la  plus"  belle  eau.  Jamais  on  ne  dira  en  France  Révérend  Thellier  de 
Ponche\-ille,  Révérend  E.  Duplcssis,  Révérend  G.  Letourneau.  On  ré- 
serve ce  titre  aux  religieux  :  Révérend  Père  Jan\aer,  Révérend  Père 
de  Grandmaison.  Dans  le  sens  où  nous  l'employons  nous  faisons  de 
tous  nos  prêtres  des  ministres  protestants  !  Larousse  le  dit  clairement. 
Après  avoir  indiqué  la  première  signification  du  mot  Révérend,  celle  qui 
s'applique  aux  religieux,  il  ajoute  cette  autre  ;  «  Titre  que  les  Anglais 
donnent  à  leurs  pasteurs  ».  Nous  en  avons  d'ailleurs  maints  exemples  ici: 
Révérend  J.  A.  McDonald,  Ra'erend  Herbert  SjTnonds,  etc,.  Rejetons 
donc  cette  expression  dans  ce  qu'elle  a  de  fautif,  appelons  nos  prêtres  du 
nom  bien  français  d'abbé,  comme  la  Ligne  des  DroiU  du  français,  qui  a 
l'honneur  d'en  compter  deux  parmi  ses  directeurs,  le  fait  à  la  deuxième 
page  de  sa  re\'ue  :     Abbé  Philippe  Perrier,  abbé  Lionel  Groulx. 

A.U  Polois  ^  r*  îinii  me  signale,  comme  je  termine  cette  chronique 
d€  justice  ^^  sceau  qu'on  emploie  au  Palais  de  Justice  de  Montré  a 
pour  marquer  les  livres.  Il  ne  contient  que  ces  mots  : 
Advocales'  Library.  Ceci  me  rappelle  que  passant,  le  mercredi  des  cen- 
dres, devant  l'annexe  du  même  Palais,  j'y  lus  à  la  porte  une  large  pan- 
carte, unique  elle  au.ssi,  et  unilingue  :  Closed.  Légal  Holiday.  On 
chercherait  d'ailleurs  en  vain  ce  mot  :  Palais  de  Justice  dans  l'Index 
téléphonique,  c'est  Court  House  qui  s'y  étale,  suivi  d'vme  série  d'indica- 
tions intéressantes,  mais  toutes  encore,  dans  une  seule  langue,  la  langue 
anglaise. 

Le  gouvernement  qui  jjréside  aux  destinées  de  notre  province  et 
doit  veiller  à  ce  que  chaque  classe  de  citoyens  soit  traitée  avec  équité, 
a-t-il  donné  par  dérision  le  nom  de  Palais  de  Justice  à  son  immeuble  de 
la  rue  Saint-Jacques  ? 

Pierre  Homier. 

LA   VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 


La  vie  de  V Action  frauçaise  est  si  abondante  que  nous  voilà  con- 
traints d'ajourner  à  la  jjrochaine  livraison  une  chronique  bibliographique^ 
et  une  étude  sur  les  noms  de  bonbons  et  de  biscuits  composées  poi 
celle-ci.     Et  nous  ne  pouvf)ns  <pie  signaler  au.ssi  le  succès  continu 


l'actiox  française  141 

uns  coni'érences,  dont  la  dernière  a  été  donnée  par  M.  Armand  Laver- 
gne,  sous  la  présidence  d'honneur  de  M.  Victor  ^Morin,  président 
général  de  la  Société  Saint-Jean-Baptiste  de  Montréal.  A  peine 
pouvons-nous  signaler  encore  la  publication  de  nos  dernières  brochures 
de  la  série  orange  (dix  sous  l'exemplaire,  SI  la  douzaine,  $8  le  cent, 
$70  le  mille,  port  en  plus)  :  La  Race  supérieure  (avec  allocution  de 
Mgr  Béliveau)  du  R.  P.  Louis  Lalande,  S.  J.,  dont  neuf  mille  ex- 
emplaires sont  déjcà  vendus,  la  Valeur  économique  du  français  (avec 
allocution  de  M.  le  sénateur  Belcourt))  et  Si  Dollnrd  revenait...  de 
M,  l'abbé  GrouLx,  qui  viennent  de  paraître.  Notons  rapidement  aussi 
l'apparition  de  Paul-Êmile  Lainarche,  Œuvres-Hommages  (SI  franco, 
$10  la  douzaine,  $75  le  cent,  port  en  plus),  la  réédition  des  Refrains 
de  chez  nous  et  la  prochaine  publication  de  Potir  la  Défense  de  nos  lois 
françaises,  de  M.  Antonio  Perrault,  et  de  la  Naissance  d'une  race,  de  M. 
l'abbé  Groulx. 

On  voit  que  notre  service  de  publications  ne  chôme  point.  A  nos 
amis  d'accélérer  la  diffasion.  Nous  les  prions  de  vouloir  bien,  dès 
maintenant,  s'occuper  de  VAlmanach,  qui  sera  vendu  aux  mêmes  con- 
ditions que  l'an  passé  :  20  sous  l'exemplaire,  $15  le  cent,  $115  le  mille, 
et  pubhé  beaucoup  plus  tôt.  Il  faut  se  hâter  de  réimir  les  commandes 
poiu  fLxer  un  tirage  suffisant. 

L'une  de  nos  prochaines  manifestations  pubUques  sera  le  pèlerinage 
au  paj'S  de  Dollard.     Nous  y  reviendrons. 

Jean  Be.^uche^.ux. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


EN  SASKATCHEWAN 

Le  premier  congres  de  /'Association  des  commissaires  d'écoles 
franco-canadiens  de  la  Saskatchewan,  tenu  à  Regina  les  18  cl  19  février 
dernier,  a  adopté  la  délibération  suivarite  : 

Les  commissaires  d'école  franco-canadiens  de  la  Saskatchewan, 
réunis  en  convention  à  Regina,  en  leur  qualité  de  dépositaires  de  l'au- 
torité  des  parents, 

1  °  Réitèrent  l'expression  de  leur  entière  loyauté  et  de  leur  parfaite 
fidélité  au  Roi  et  à  la  Couronne  britannique. 


142  l'action  française 

2°  Ils  affirment  la  volonté  de  toiis  les  Franco-Canadiens  de  faire 
apprendre  correctement  à  leurs  enfants  la  langue  anglaise  qui  est  la 
langue  principale  de  l'enseignement  dans  toutes  leiu-s  écoles.  Comme 
témoignage  de  l'efficacité  de  leurs  écoles,  ils  peuvent  citer  les  résultats  de 
plusieurs  concours  régionaux  où  le  plus  grand  pourcentage  des  récom- 
penses a  été  obtenu  par  les  écoles  franco-canadiennes. 

3°  Ils  affirment  le  principe  de  droit  naturel  que  l'éducation  est 
une  chose  sacrée  qui  appartient  d'abord  aux  parents  et  ils  demandent 
que  l'État  respecte  en  matière  d'éducation  ce  droit  sacré. 

4  °  Ils  déplorent  la  campagne  de  fanatisme  qui  a  été  menée  à  travers 
la  province  par  certains  journaux  et  certaines  organisations  et  considè- 
rent cette  campagne  comme  antipatriotique,  parce  qu'elle  suscite  des 
divisions  funestes  de  race  et  de  religion  et  est  absolument  contraire  à 
la  cause  de  l'éducation. 

En  conséquence,  ils  protestent  formellement  contre  les  propositions 
nos  12,  20  et  21  de  la  convention  de  la  Saskatchewan  School  Trustées 
Association,  tenue  à  Regina  les  22  et  23  janvier  dernier,  propositions  de 
nature  à  continuer  cette  agitation;  ils  protestent  également  contre  les 
propositions  nos  9,  22  et  26,  qui  démontrent  que  cette  association  et 
ceux  qui  la  dirigent  visent  la  question  de  langue.  ^ 

5°  Ils  expriment  leurs  sincères  remerciements  aux  ministres  et  à 
la  majorité  de  la  députation  pour  la  reconnaissance  qu'ils  ont  consa- 

^  Voici  les  résolutions  visées  : 

9  —  Que  la  clause  9  de  la  loi  scolaire  soit  amendée  en  retranchant 
les  mots  :  «  dont  deux,  au  moins,  catholiques  romaines.  » 

(La  clause  9  est  ainsi  conçue  :  Il  est  établi  un  conseil  de  l'ins- 
truction pubhciue  composé  de  cinq  personnes,  dont  deux  au  moins, 
cathohques  romaines,  à  être  nommées  par  le  heutenant-gouverneur  en 
conseil,  lesquelles  sont  rénumérées  de  la  façon  que  détermine  le  heute- 
nant-gouverneur en  conseil.) 

12 — Attendu  qu'il  est  communément  admis  que  le  Canadien  fran- 
çais n'a  pas  de  droit  légal  aux  privilèges  de  sa  langue  en  Saskatchewan; 
attendu  que  treize  ou  quatorze  autres  nationalités  font  partie  de  notre 
corps  politique,  en  conséquence  il  est  résolu  :  «  Que  dans  l'opinion  de 
cette  convention,  te  privilège  de  langue  accordé  au  français  dans  notre 
milieu  est  préjudiciable  aux  meilleurs  intérêts  de  notre  dominion.  » 

20 — Que  l'anglais  soit  la  seule  langue  enseignée  dans  nos  écok- 
pul)liques  pendant  les  heures  de  classe  et  la  seule  langue  d'instruction. 

21 — Que  personne  ne  soit  éligible  à  la  charge  de  commissaire  qui  est 
incapable  de  lire  et  d'écrire  la  langue  anglaise. 

22 — (Qu'aucune  école  élémentaire,  académie  ou  collège  privé  ne 
soit  permis  dans  la  province,  sauf  avec  une  licence,  et  que  toute  insti- 


l'action  française  143 

crée  du  principe  de  l'enseignement  du  français,  tout  en  regrettant  que 
ce  principe  n'ait  pas  été  étendu  dans  son  application  à  la  Saskatchewan 
d'une  façon  plus  large. 

6°  Ils  demandent  au  gouvernement,  et  spécialement  à  l'honorable 
ministre  de  l'Éducation,  de  faciliter  aux  districts  franco-canadiens 
l'enseignement  du  français  par  les  mesures  pédagogiques  nécessaires. 

7°  Ils  recommandent  au  gouvernement  de  fixer  un  minimum  de 
traitement  et  d'établir  un  sj^stème  régulier  de  pension  pour  les  institu- 
teurs et  institutrices  après  un  certain  temps  d'enseignement. 

8°  Cette  convention  recommande  que  dans  les  écoles  rurales  et 
de  village  l'instituteur  voie  à  la  surveillance  des  enfants  durant  l'heure 
du  dîner  et  que  ceci  soit  mentionné  dans  le  contrat  d'engagement.  Pour 
faciliter  cette  surveillance,  cette  convention  recommande  également  la 
construction  obligatoire  d'une  maison  contiguë  à  l'école  poiu*  le  logement 
de  l'instituteur. 

9  °  Il  serait  désirable  que  les  commissaires  visitent  leurs  écoles  au 
moins  une  fois  par  mois. 

10°  Cette  convention  est  d'avis  que  le  programme  scolaire  accorde 
plus  d'importance  à  l'enseignement  agricole. 

11°  Cette  convention  exprime  le  vœu  qu'une  plus  grande  place 
soit  donnée,  dans  le  programme  d'études,  à  l'histoire  du  Canada  dans 
les  grades  inférieurs  et  que  le  manuel  soit  revisé  au  point  de  vue  des 
omissions  et  des  erreurs  historiques. 

12°  Cette  convention  exprime  le  vœu  qu'un  plus  grand  nombre  de 
nos  jeunes  gens  se  consacrent  à  la  carrière  de  l'enseignement. 

13°  Cette  convention  recommande  aux  commissions  scolaires  de 
faire  distribuer  chaque  année  des  Uvres  de  prix  aux  élèves  les  plus 
méritants,  afin  de  stimuler  le  progrès  des  études. 

14°  Cette  convention  exprime  le  vœu  que  les  écoles  franco-cana- 
diennes s'unissent  aux  concours  scolaires  régionaux  et  qu'elles  s'y 
fassent  représenter  par  leurs  élèves. 

tution  ainsi  licenciée  soit  soumise  aux  règlements  du  département  de 
l'éducation  en  ce  qui  concerne  la  direction  et  l'inspection,  exactement 
de  la  même  manière  que  les  écoles  publiques,  mais  qu'aucun  octroi  ne 
soit  accordé  à  ces  écoles  privées. 

26 — Que  toutes  les  corporations  soient  imposées  et  taxées  au  profit 
de  l'école  pubhque,  comme  autrefois,  qu'aucune  division  des  taxes 
scolaires  des  corporations  ne  soit  faite  avec  les  écoles  cathohques  et  que 
la  stipulation  demandant  la  division  des  taxes  des  corporations  soit 
rappelée,  cette  division  étant  préjudiciable  aux  écoles  publiques. 


144  l'action  française 

15°  Pour  éviter  les  conflits  de  religion  et  de  race,  pour  établir  la 
paix  et  l'harmonie  entre  tous' les  éléments  de  notre  province,  cette 
convention  émet  le  vœu  que  toutes  les  questions  d'éducation  dans  la 
province  soient  soumises  au  contrôle  d'un  Conseil  de  l'Instruction 
publique  à  double  section,  catholique  et  protestante,  composé  des 
hommes  les  plus  compétents  en  matière  d'éducation  et  entièrement 
indépendants  des  partis  pohtiques. 

LA  FÉDÉRATION  CATHOLIQUE  FRANCO-AMÉRICAINE 
ET  L'AMÉRICANISATION 

A  sa  réunion  du  25  février  1919,  tenue  à  Wwcester,  Mass.,  la  Fédé- 
ration catholique  fratico-américaine  a  adopté  la  délibération  suivante  : 

Il  est  arrêté  : 

1  °  Que  la  Fédération  catholique  franco-américaine  admet  que  la 
connaissance  de  lalangvie  anglaise  peut  favoriser  ime  plus  intime  union 
politique,  sociale  et  économique  entre  les  divers  groupes  qui  forment 
la  nation  américaine; 

2°  (Jue  la  Fédération  cathohque  franco-américaine  n'admet  pu- 
cependant  que  cette  union  exige  l'abandon  de  la  langue  maternelle  et 
des  qualités  ethniques  de  ces  mêmes  groupes; 

3°  Que  la  Fédération  cathohque  franco-américaine  soutient  même 
que  la  conservation  de  la  langue  maternelle  et  des  quahtés  ethniques  ne 
peut  qu'être  utile  à  la  culture  intellectuelle  et  morale,  et  augmenter  la 
valeur  civique  et  économique  des  divers  éléments  de  la  nation. 

4°  Qu'en  conséquence,  la  Fédération  cathohque  franco-américainr 
s'inscrit  en  faux  contre  toute  tentative  de  supprimer  et  de  restreindra 
l'usage  et  l'enseignement  des  langues  autres  que  la  langue  anglaise  dans 
la  famille,  à  l'école  ou  dans  la  presse; 

5°  (Jue  la  Fédération  catholique  franco-américaine  engage  ses  mem- 
bres à  employer  tous  les  moj-ens  légitimes  à  leur  cHsposition  pour  em- 
pêcher le  projet  dit  d'américanisation  de  dévier  de  ses  fins  raisonna- 
bles; 

6°  Que  la  Fédération  catholique  franco-américaine  suggère  conunc 
moyens  d'action  pratique  : 

a)  de  se  servir  de  l'influence  des  chefs  et  des  groupements  franco- 
américains  pour  agir  par  la  jiersuasion  auprès  des  chefs  et  des  grouixs 
politiques  et  industriels  au  bénéfice  des  principes  ci-dessus  énoncés; 

h)  de  recommander  à  ceux  des  nôtres  qui  ne  savent  jias  assez  l'an- 
glais d'en  compléter  leur  connaissance  par  la  fréquentation  des  cours 
sjjéciaux  <|iii  s'orjî;rnis(>nt  à  cette  fin. 


l'Action  française 

AVRIL  1919 


Les  Précurseurs 


FERDINAND   GAGNON  ET  LA 

SURVIVANCE  FRANÇAISE 

AUX  ETATS-UNIS  * 

«  Toute  bonne  pensée  qui  nous  sauve 
a  toujours  son  précurseur.  » 

BossuET. 


Après  la  guerre  de  Sécession  se  produisit  un  fort  mou- 
vement d'émigration  canadienne-française  aux  États-Unis, 
surtout  en  Nouvelle-Angleterre.  Ce  mouvement  dura 
plusieurs  années,  tantôt  s'accentuant,  tantôt  se  ralentis- 
sant, jusqu'à  une  époque  qu'il  est  assez  difficile  de  préciser 
avec  exactitude,  mais  déjà  assez  lointaine.  Diverses  causes 
avaient  amené  cet  exode  de  la  race,  dont  les  plus  sérieuses 
sont  impropres  à  le  justifier  entièrement.  Il  s'explique 
un  peu  par  un  goût  inné  du  voyage  et  de  l'aventuré  chez 
les  descendants  des  explorateurs  et  des  coureurs  de  bois. 
Mais  je  crois  qu'il  faut  en  chercher  la  principale  raison  dans 
ce  mirage  doré  dont  la  séduction  est  si  forte  sur  les  popu- 
lations des  campagnes.  Toute  guerre  est  suivie  d'une 
période  de  ((  reconstruction  sociale  ».  Les  temps  présenta 
le  montrent  bien.     A  la  guerre  civile  américaine  succéda 

*  «  La  place  d'un  homme  dans  l'histoire  se  détermine  moins  en- 
Icore  par  sa  valeur  propre  que  par  la  signification  que  cet  homme  a  prise 
à  un  moment  donné  et  par  l'influence  qu'il  a  eue.  Si  cette  influence  a 
abouti  à  provoquer  un  événement  considérable,  si  elle  a  marqué  un 
J changement  d'orientation  profond  et  décisif,  il  n'j-  a  plus  à  épiloguer, 
Ion  se  trouve  en  présence  d'une  personnaUté  élue.  .  .  » 
I  [Paul  Verlaine,  par  Alfred  Pcùzat,  dans  Le  Correspondant  du  2.5 
Inovembre  1918,  page  623.] 


146  l'action  française 

donc  une  reprise  intense  des  ajff aires.  Dans  l'Est  s'ou- 
vraient les  manufactures,  les  industries  se  multipliaient. 
Or,  il  fallait  des  bras  pour  faire  marcher  les  machines  des- 
tinées à  produire  les  choses  dont  le  pays  avait  besoin.  Et 
l'on  offrait  de  gros  prix.  La  nouvelle  s'en  répandit  dans 
la  province  de  Québec,  moins  par  les  jom'naux  que  par  l'in- 
termédiaire de  ceux  de  nos  compatriotes  déjà  établis  ici, 
y  gagnant  de  forts  salaires,  et  s'en  retournant,  de  temps 
à  autre,  visiter  leur  «  ancienne  place  »,  tout  de  neuf  habillés 
et  porteurs  de  sommes  d'argent  qui  paraissaient  fabuleuses 
aux  3^eux  de  nos  gens.  «  De  la  belle  argent,  ))  comme  ils 
disaient.  Les  habitants  en  touchaient  si  peu  à  cette  épo- 
que. Et  c'était  un  maigre  privilège  réservé  au  chef  de 
famille.  Garçons  et  filles  n'en  entendaient  guère  le  son. 
Au  delà  de  la  frontière,  tout  le  monde  faisait  de  l'argent. 
En  échange  d'un  travail  régulier,  qui  vous  laissait  vos  soirs 
et  vos  dimanches  libres,  l'on  vous  versait  des  flots  d'écus. 
Le  travail  ?  mais  il  faut  l'accomplir  partout.  N'est-ce  pas 
la  loi  de  la  vie?  Et  sur  une  terre,  il  est  si  absorbant;  il 
prend  les  matins  et  les  soirs.  Jamais  de  plein  congé.  Même 
le  dimanche,  il  y  a  le  «  train  »  à  faire.  Et  le  résultat  en 
est  toujours  douteux.  L'on  ne  peut  jamais  compter  sur 
une  moisson.  Tant  de  causes  peuvent  la  faire  manquer. 
Et  puis,  beaucoup  d'habitants  avaient  dû  s'endetter  pour 
«  se  bâtir  ))  une  maison  et  une  grange.  D'autres  se  décou- 
rageaient en  face  des  durs  labeurs  du  défrichement.  Alors, 
pourquoi  ne  pas  aller  là-bas,  au  moins  le  temps  d'amasser 
de  quoi  payer  son  bien  ?  Et  les  «  maisons  abandonnées  » 
devenaient  de  plus  en  plus  nombreuses  dans  nos  conces- 
sions ;  ^  et  des  villages  entiers  se  dépeuplaient.  En  foule, 
l'on  «  montait  aux  États  ».     Des  Cantons  de  l'Est,  de  la 

'  Lire  ou  relire,   clans   le  charmant  Chez  nous  de   M.   Adjutor 
Rivard,  La  Maison  condamnée 


l'action  française  147 

région  de  Montréal,  de  la  Beauce,  «  d'en  bas  de  Québec  », 
jusque  du  fond  du  Saguenay,  s'acheminaient  vers  la  terre 
étrangère  des  générations  vigoureuses  que  les  manufac- 
tures américaines  allaient  happer  au  passage.  Beaucoup 
partaient  avec  espoir  de  retour.  Ils  clouaient  des  planches 
aux  fenêtres  de  leur  logis,  disposaient  de  leurs  animaux, 
mais  gardaient  tout  le  reste,  en  attendant  de  pouvoir  venir 
se  réinstaller  à  demeure  chez  eux.  Et  le  fait  est  que,  pendant 
bien  des  années,  il  y  a  eu  un  mouvement  de  va-et-vient 
entre  la  province  de  Québec  et  les  États  de  l'Est.  Fata- 
lement, les  choses  devaient  se  stabiliser.  S'il  en  est  qui 
sont  rentrés  au  pays,  et  si  un  grand  nombre  des  «  vieux  » , 
qui  ont  dû  continuer  à  rester  ici,  tournaient  mélancolique- 
ment leurs  regards  vers  la  terre  natale  avec  le  vague  espoir 
d'y  rentrer  un  jour,  fût-ce  pour  y  dormir  leur  dernier  som- 
meil, des  milliers  et  des  milliers  d'autres,  venus  aux  États- 
Unis  très  jeunes,  devaient  vite  en  prendre  leur  parti,  et 
s'accommoder  d'une  condition  qui  leur  semblait  toute  na- 
turelle, n'en  ayant  jamais  connu  de  différente,  et  qui  leur 
assurait  des  avantages  directs  et  tangibles,  préférables  à 
tous  les  hasards  de  la  vie  agricole  et  à  toutes  les  austérités 
du  travail  sur  les  terres  neuves.  La  fécondité  de  la  race 
contribuait  à  fixer  le  problème  et  à  lui  donner  un  aspect 
permanent.  Les  naissances  en  sol  américain  créaient  entre 
les  États-Unis  et  les  fils  d'émigrés  des  liens  durables.  Et 
c'est  ainsi  que  dans  l'espace  de  cinquante  ans  s'est  consti- 
tué en  Nouvelle-Angleterre,  grâce  à  l'apport  considérable 
fourni  par  les  nôtres,  un  noyau  social  fort  intéressant  à 
observer,  et  dont  l'évolution  a  exercé  et  exercera  pendant 
longtemps  la  sagacité  des  amateurs  de  «  géogiaphie  hu- 
maine » .  Ce  que  nos  futures  destinées,  les  contingences 
de  l'histoire  nous  apporteront,  beaucoup  s'essaient  à  le  dire; 


1 


148  l'action  française 

et  leurs  spéculations  sont  ou  sombres  ou  couleur-de-rose, 
suivant  la  nature  de  leur  tempérament  intellectuel. 

C'est  un  jeu  difficile,  qui  offre  tous  les  attraits  et  aussi 
tous  les  risques  de  l'aventure,  de  vouloir  calculer  ce  que 
l'avenir  réserve  à  un  groupement  ethnique  placé  en  cer- 
taines conditions  anormales.  Aussi  bien  n'est-ce  pas  notre 
intention  de  chercher  à  percer  le  mystère  de  nos  destinées 
en  ces  milieux.  Premièrement,  ce  n'est  pas  notre  sujet; 
ensuite  nous  reconnaissons  simplement  que  l'art  divina- 
toire nous  fait  totalement  défaut.  C'est  sur  le  passé  et  sur 
le  présent  que  nous  allons  tabler.  Des  considérations  posi- 
tives auxquelles  nous  allons  nous  livrer  sortiront  peut-être 
des  conclusions  qui  dépasseront  l'heure  actuelle,  et  qui 
permettront,  dans  une  certaine  mesure,  de  pressentir  ce 
qui  fermente  et  ce  qui  se  prépare  au  delà  de  la  ligne  de 
l'horizon.  Mais,  d'avance  nous  nous  interdisons  toute 
solution  définitive  concernant  des  possibilités  qui  échap- 
pent à  notre  emprise,  nous  souvenant  du  mot  du  poète  : 
«  L'avenir  est  à  Dieu.  »  ^ 

Et  donc,  à  un  moment  qui  n'appartient  pas  encore 
à  l'histoire  ancienne,  la  Nouvelle-Angleterre,  grâce  à  un 
afflux  migratoire  venu  de  chez  nous,  de  nos  belles  paroisses 
de  campagne,  se  trouvait  plus  riche  d'une  population  de 
sept  à  huit  cent  mille  âmes  d'authentique  souche  française. 
Il  est  rare,  si  cela  arrive  jamais,  que  ce  qui  enrichit  l'un 
n'en  appauvrisse  un  autre.  M.  Edouard  Montpctit,  dans 
son  étude  sm*  Errol  Bouchette  qui  ouvre  cette  série  des 
Précurseurs  où  les  pages  présentes  auront  le  trop  grand 
honneur  de  figurer,  supputant  la  population  canadienne- 
française  par  classes  et  professions,  porte  le  nombre  des 
émigrés  aux  États-Unis  à  1,000,000,  et  il  ajoute  entre  pa- 

'  Victor  FIuKo,  Ntipoh'oii  If,  (l;ms  I,es  Chntilx  du  cirpiificiih'. 


l'action  française  149 

renthèse  :  «puissance  perdue».^  Du  point  de  vue  où 
il  se  place,  l'éminent  économiste  a  parfaitement  raison. 
Xos  frères  américains  sont,  pour  le  Canada  français  et 
pour  le  Canada  tout  court,  une  «  puissance  perdue  ».  Sous 
l'empire  de  telle  ou  telle  cause  plus  ou  moins  raisonnable, 
du  caprice  peut-être,  de  l'inconstance,  ou  de  quoi  que  ce 
soit,  une  fissure  s'est  opérée  dans  le  mur  d'enceinte  d'ail- 
leurs purement  fictif  qui  sépare  le  Canada  des  États-Unis; 
par  cette  fissure  le  sang  généreux  de  la  race  a  coulé  abon- 
damment chez  nos  voisins.  Que  cela  ait  anémié  la  source 
originelle,  la  chose  n'est  que  trop  certaine.  Et  l'on  se  prend 
à  rêver  à  ce  qui  fût  advenu  si  le  bloc  canadien-français 
n'avait  pas  été  ainsi  durement  entaillé  et  entamé.  Ed- 
mond de  Xevers  a  dit  ce  mot  profond  :  «  Le  Canada  fran- 
çais n'a  pas  cette  attraction  unique  ciu'exercent  les  patries 
bien  définies  et  fermées.  »  ^  Cela  était  très  vrai,  il  y  a  cin- 
quante ans  et  au  delà.  La  réflexion  est-elle  encore  juste 
aujourd'hui  ?  Xous  ne  le  cro3-ons  pas.  Par  la  force  des 
circonstances,  par  le  ministère  d'une  école  transcendante 
aux  vues  étroites  et  intéressées  des  simples  partis  politi- 
ques, l'idée  nationale  a  pris  corps  chez  nous,  elle  s'est  déve- 
loppée, elle  est  descendue  dans  les  couches  populaires  et 
y  a  fait  une  œuvre  dont  les  résultats  déjà  tangibles  comp- 
tent parmi  les  plus  grands  bienfaits  que  nous  devons  à  la 
Providence.  Si,  pour  un  individu,  avoir  conscience  de 
son  âme,  de  ses  droits,  de  ses  responsabilités,  s'ouvrir  à  la 
vie  personnelle,  être  orienté  dans  sa  vraie  vocation,  est 
la  suprême  grâce  et  qui  amène  toutes  les  autres,  n'est-ce 
donc  rien  pour  cette  âme  collective  ciui  s'appelle  une  race 

'  Cf.  L' Aciion  française,  Xo  de  janvier  1919,  page  9. 

-  J'ai  cité  cette  phrase  dans  une  étude  sur  cet  auteur:  je  pense, 
sans  en  être  sûr,  qu'elle  est  tirée  de  son  Avenir  du  Peuple  canadien-fran- 
\çais. 


150  l'action  française 

d'être  éveillée  enfin  à  son  rôle  et  à  ses  devoii's  immédiats  ? 
N'est-ce  rien  pour  elle  de  concevoir  l'idée  de  patrie  ?  C'est 
assez  récemment  que  cette  idée  s'est  concrétée  parmi  les 
nôtres;  le  fait  qu'elle  n'existait  qu'à  l'état  épars  et  confus, 
avant  que  le  mouvement  dont  nous  parlons  en  eût  ramassé 
les  éléments  et  en  eût  fait  quelque  chose  de  solide  et  de 
précis,  est  peut-être  l'explication  la  plus  rationnelle  du 
fort  courant  d'émigration  qui  a  singulièrement  réduit  nos 
forces  nationales.  Autour  de  l'idée  de  patrie,  tout  natu- 
rellement, et  comme  par  un  efïet  nécessaire,  d'autres  ont 
germé,  le  retour  à  la  terre,  l'amour  du  sol  natal;  notre  lit- 
térature même  a  pris  une  phj^sionomie  qu'on  ne  lui  con- 
naissait pas;  elle  s'est  dépouillée  de  ses  ornements  volon- 
tiers exotiques  et  est  devenue  franchement  canadienne. 
Autant  d'éléments  qui  contribuent  à  enfoncer  dans  les 
cœurs  l'attachement  au  pays  d'origine,  et  qui  sont  restés 
trop  longtemps  en  puissance,  et  qu'il  aurait  fallu  voir  éclore 
plus  tôt,  et  qui  s'imposaient  plus  impérieusement  qu'ail- 
leurs dans  ce  Canada  français,  aux  frontières  mal  définies, 
mal  fermées,  par  conséquent  faciles  à  franchir,  pour  peu 
qu'une  attraction  éblouissante  venue  du  dehors,  le  mirage 
d'une  vie  aisée  vinssent  tenter  des  myriades  de  ses  fils  en 
qui  l'éducation  patriotique  n'avait  pas  fait  surgir  ces  sen- 
timents qui  ne  sont  guère  servis  et  aidés,  chez  nous,  par 
la  conforination  géographique  et  ce  que  j'appellerai  l'in- 
fluence du  milieu,  jMie\ix  vaut  tard  que  jamais,  certes, 
et  les  conquêtes  contemporaines  sur  ce  point  marquent 
un  moment  solennel  de  notre  évolution  sociale.  Il  n'en 
reste  pas  moins  que  lorsque  cette  forme  précieuse  d'action 
a  commencé  de  se  dessiner,  un  tort  irréparable  avait  été 
fait  à  la  souche  commune  par  un  «  coulage  »  qui  l'avait 
beaucoup  appauvrie  et  allait  rendre  plus  lent  et  plus  diffi- 
cile à  réaliser  le  progrès  général.     En  sorte  que  la  constata- 


l'action  française  151 

tion  de  M.  Montpetit,  en  ce  qui  est  des  Canadiens  émigrés 
aux  États-Unis,  est  d'une  incontestable  justesse,  du  point 
de  vue  du  Canada  français.  Cf  million  d'âmes  est  une 
«  puissance    perdue  ». 

Mais  une  autre  question  se  présente  à  propos  de  cette 
force  qui  a  passé  à  un  autre  territoire  et  à  une  autre  allé- 
geance, opérant  un  déplacement  d'équilibre  qui  ne  pouvait 
en  bonne  logique  être  à  l'avantage  du  noyau  primitif  et 
de  la  patrie  d'origine.  Et  il  y  a  un  autre  angle  sous  lequel 
il  nous  faut  maintenant  envisager  cette  donnée  ethnique. 
Cette  puissance  était-elle  perdue  en  soi  et  absolument? 
En  d'autres  termes,  voici  quelques  centaines  de  mille  «  dé- 
racinés »,  transplantés  tout  à  coup  dans  un  milieu  aussi 
étranger  que  possible  à  leur  langue,  à  leurs  coutumes,  à  leurs 
traditions,  à  leurs  façons  d'être  et  de  penser,  à  leur  religion 
même.  En  1903,  je  crois,  Laurier  disait  à  un  journaliste 
de  New- York  qui  lui  parlait  du  sujet  toujours  débattu  de 
l'annexion  du  Canada  aux  États-Unis  :  «  Qu'irions-nous 
faire  dans  cette  fournaise  ?  »  Eh  !  bien,  voici  une  part  con- 
sidérable des  nôtres  plongés  dans  ce  fou  ardent,  dans  ce 
creuset  où  s'élabore  un  monde  dont  nous  ne  savons  pas  la 
formule  définitive.  Et  tout  le  problème  est  en  ceci  :  que 
vont-ils  devenir,  du  moins  dans  leurs  grandes  masses  ?  Vont- 
ils  périr  dévorés  par  les  flammes  ?  ou  au  contraire,  comme 
les  trois  jeunes  gens  dont  parle  la  Sainte  Écriture,  rester 
intacts  dans  cette  «  fournaise  »  ?  Nous  faisons  abstrac- 
tion pour  le  moment  des  faits  réels  et  si  consolants  que  nous 
avons  sous  les  yeux;  nous  faisons  en  quelque  sorte  une  thèse; 
nous  nous  plaçons  dans  l'idéal;  nous  supposons  que  nous 
sommes  en  1868  ou  69.  Or,  quel  va  être  le  sort,  je  ne  dis 
pas  matériel,  —  il  semble  assuré,  —  mais  intellectuel,  mo- 
ral, rehgieux,  de  ces  émigrés  que  les  trains  déversent  dans 
le   grand   tout   américain.     Y   seront-ils   engloutis,   après 


152  l'action  française 

avoir  peut-être  surnagé  quelque  temps  à  la  surface  de  l'abî- 
me ?  Seront-ils  absorbés,  fondus  dans  la  masse  amorphe  ? 
Ou  bien  réussiront-ils,  naviguant  contre  vents  et  marées, 
à  gagner  la  terre  ferme,  à  se  constituer  en  survivance  dis- 
tincte, laquelle,  comme  une  île  au  milieu  d'un  océan  où 
toutes  les  eaux  de  l'univers  convergent,  permettra  aux 
traits  éternels  de  la  race  de  se  garder  intacts? 

L'enjeu  en  valait  la  peine.  Et  il  y  avait  certainement 
lieu  d'entretenir  de  graves  inquiétudes  au  sujet  de  l'avenir 
ethnique  de  ces  groupements  canadiens-français.  Un 
principe  de  philosophie,  et  de  bon  sens,  dit  que  dans  les 
choses  humaines  :  major  pars  trahit  ad  se  minorem,  ce 
que  la  sagesse  populaire  a  traduit  ainsi  :  «  Ici-bas,  le  gros 
mange  le  petit.  »  Cette  loi  est  à  la  base  du  règne  animal; 
et  il  semble  qu'elle  se  retrouve  dans  la  vie  des  sociétés.  Les 
faibles,  les  minorités  sont  condamnés  à  souffrir  de  la  part 
des  «  plus  forts  »,  selon  le  titre  d'un  roman  de  M.  Clemen- 
ceau, riche  d'observation  humaine,  et  non  seulement  à 
souffrir,  mais  à  être  constamment  menacés  dans  leur  exis- 
tence même.  Et  toutes  les  chances  étaient  que  les  nôtres 
ne  pourraient  résider  longtemps  aux  puissances  d'absorp- 
tion auxquelles  diverses  causes  venaient  de  les  livrer.  Non 
pas  qu'il  y  aurait  tyrannie  de  la  part  de  ces  puissances, 
ou  qu'elles  auraient  recours  à  la  violence  pour  assimiler 
ces  éléments  nouveaux  dont  le  corps  social  venait  tout  à 
coup  de  s'augmenter.  Pareil  procédé  n'était  pas  dans  la 
tradition  d'un  pays  né  d'une  idée  de  liberté.  Ce  qui  était 
à  craindre,  c'était  que  la  fusion  ne  Cût  en  quelque  sorte 
fatale,  ne  se  produisît  par  le  simple  jeu  naturel  et  doux  des 
circonstances  de  milieux.  Espérer  un  autre  résultat  serait 
compter  sur  le  miracle,  sur  une  dérogation  au  cours  ordi- 
naire des  événements.  Et  l'on  n'a  pas  le  droit  de  fonder 
une  théorie  régulière  sur  ce  qui  (>st  par  essence  une  excep- 


l'action  feais'Çaise  153 

tion.  Et  ceux  qui  prédisaient  ranéantissement  des  nôtres 
dans  cette  immense  mêlée  sociale  pouvaient  paraître  rai- 
sonner fort  sensément. 

Or,  il  s'est. trouvé  quelqu'un,  à  ce  moment  psycholo- 
gique de  l'histoire  de  notre  race  en  Amérique,  qui  a  abordé 
résolument  le  problème  ethnique  posé  par  son  émigration 
en  terre  étrangère,  et  qui  a  prétendu  lui  donner  une  solu- 
tion, paradoxale  au  premier  abord,  impossible,  utopique, 
et  que  les  événements  devaient  cependant  justifier.  Nous 
avons  nommé  Ferdinand  Gagnon. 

Ferdinand  Gagnon  a  eu  une  carrière  courte  par  le 
nombre  des  années,  mais  extrêmement  féconde.  Et  quand 
je  dis  féconde,  je  prends  ce  mot  dans  son  sens,  première- 
ment le  plus  obvie,  et  le  moins  métaphorique.  Il  s'est 
en  effet  marié  à  vingt  ans,  et  il  est  mort  à  trente-six,  après 
avoir  eu  dix  enfants,  dont  sept  lui  survécurent.  C'était 
déjà  un  très  bel  exemple  qu'il  avait  donné.  Se  marier  jeune 
est  tout  à  fait  conforme  aux  intentions  de  la  Sainte  Église, 
pour  des  raisons  d'ordre  moral  et  phj^siologique.  A  ce 
dernier  point  de  vue,  l'on  sait  que  le  bien  des  générations 
s'en  ressent.  Ce  n'est  pas  quand  l'arbre  a  vieilli  que  sa  sève 
coule  le  plus  généreusement.  D'autre  part,  à  combien 
de  dangers  échapperaient  les  jeunes  gens,  s'ils  fondaient 
de  bonne  heure  un  foyer?  Cela  se  pratiquait  assez  géné- 
ralement autrefois  chez  nous.  Cette  coutume  patriarcale, 
dont  la  société  bénéficierait  non  moins  que  la  religion,  n'est 
plus  guère  observée  L'on  invoque  là  contre  les  condi- 
tions économiques.  Pur  sophisme  !  En  un  temps  comme 
le  nôtre  où  l'on  parle  beaucoup  de  «  reconstruction  sociale  », 
pourquoi  ne  pas  donner  comme  base  à  tout  programme 
en  ce  sens  les  «  mariages  jeunes  »  ?  Le  bonheur  des  peu- 
ples s'en  trouverait  du  coup  assuré.  Mais  l'autre  doctrine 
malheureuse,  qui  fait  que  l'on  retarde  de  plus  en  plus  cet 


154  l'action  française 

événement  qui  est  pourtant  selon  la  vocation  du  plus  grand 
nombre,  est  la  conséquence  de  la  diminution  de  la  foi  dans 
les  âmes.  Cela  explique  tout,  mais  n'excuse  rien,  hélas  ! 
En  se  mariant  à  vingt  ans,  Ferdinand  Gagnon  est  donc 
resté  dans  la  tradition  chrétienne  de  notre  nation.  Comme 
l'on  a  vu,  la  Providence  a  béni  abondamment  cette  union 

C'est  aussi  dans  le  sens  le  plus  large  que  la  brève  car- 
rière de  cet  homme  fut  féconde.  Il  nous  semble  bien  qu'il 
a  posé  tous  les  principes  dont  l'observation  et  le  dévelop- 
pement ont  abouti  à  notre  survivance  ethnique  en  ces  mi- 
lieux; c'est  à  lui  qu'il  faut  remonter  pour  trouver  un  plan 
net  et  précis  dont  l'application  a  valu  aux  nôtres  d'émerger 
du  sein  de  cet  océan,  et  de  s'y  faire  une  existence  où  les  mo- 
dalités imposées  par  les  circonstances  s'allient  avec  la  pré- 
servation intégrale  des  caractéristiques  foncières  de  la  race 

Gagnon  était  sorti  du  petit  séminaire  de  Saint-Hyacin- 
the avec  la  bonne  culture  moyenne  que  l'on  donnait  et  que 
l'on  donne  toujours  dans  nos  maisons  d'enseignement  se- 
condaire. Il  n'avait  rien  du  métaphysicien  ou  du  rêveur. 
Et  qu'est-ce  que  serait  venu  faire  un  métaphysicien  parmi 
ces  Canadiens-français,  simples  ouvriers  pour  la  plupart, 
sans  lettres,  et  dont  l'école  avait  été  surtout  la  tradition 
orale?  Lacordaire  a  dit,  en  songeant  probablement  au 
sort  du  pauvre  Lamennais,  quelque  chose  comme  ceci  : 
«  L'on  n'a  d'action  ici-bas  qu'à  la  condition  d'être  à  la  me- 
sure réelle  de  son  temps.  ))  ^  Et  c'est  M.  Anotole  France 
qui  a  écrit  ces  mots  où  il  faut  faire  la  part  du  paradoxe  et  de  la 
vérité  :  «  Le  cerveau  de  Napoléon  ne  pensait  rien  de  plus 
rare  que  ce  que  pensait  le  cerveau  du  dernier  de  ses  sol- 

*  Je  crois  que  cette  phrase  est  dans  son  Éloge  funèbre  de  Mgr  de 
Forhin-Janson. 


l'action  française  155 

dats,  mais  il  le  pensait  plus  fortement.  »  ^  Notre  com- 
patriote fut  bien  à  la  mesure  de  son  temps,  et  des  circons- 
tances où  la  Providence  l'avait  placé.  Et  ses  idées  n'eu- 
rent rien  d'extraordinaire;  elles  furent,  comme  il  fallait, 
très  saines,  très  justes,  très  claires,  et  il  a  eu  le  grand  mé- 
rite de  les  penser  fortement  et  de  les  imposer. 

Voici  comme  la  synthèse  de  sa  doctrine  :  l'on  va  voir 
qu'elle  est  plus  que  jamais  d'actualité.  Des  centaines  de 
mille  Canadiens  se  sont  implantés  dans  un  sol  étranger, 
la  plupart  à  demeure.  Ils  ont  changé  d'allégeance.  Ils 
se  trouvent  placés  dans  des  conditions  qui,  à  la  longue, 
et  même  assez  vite,  influeraient  sur  leur  langue  pour  en 
changer  la  nature  et  finalement  l'étouffer,  sur  leur  religion 
pour  la  noyer  dans  le  matérialisme  ambiant,  sur  leur  âme 
pour  en  changer  le  caractère  et  l'espèce,  en  faire  quelque 
chose  d'hybride  qu'il  serait  impossible  de  classer  dans  au- 
cune catégorie  connue.  Mais  ont-ils  le  droit,  si  défavo- 
rables que  soient  leurs  nouveaux  entours,  d'abdiquer  ce 
que  la  nature  et  la  Providence  leur  ont  donné?  Gagne- 
raient-ils à  une  transformation  radicale  de  leur  être,  trans- 
formation qui  dépasse  peut-être  la  puissance  humaine  la 
plus  énergique?  Pour  sacrifier  les  biens  supérieurs  qu'ils 
possèdent  maintenant,  en  acquerront-ils  d'autres  capables 
de  les  remplacer  avantageusement  ?  ou  ces  sacrifices  n'abou- 
tiront-ils pas  simplement  à  les  appauvrir  sur  toute  la  Ugne 
et  à  les  laisser  indéfiniment  en  marge  de  tout  groupement 
ethnique  précis  ?  La  langue  française  !  mais  elle  fut  parlée 
ici  avant  toute  autre  ;  elle  a  donc  des  droits  historiques  et 

^  Nous  donnons  le  sens.  Je  n'ai  pas  le  loisir  de  chercher  le  texte 
même,  qui  est  certainement  plus  harmonieux  et  j'ai  bien  le  droit  de  ci- 
ter cet  auteur,  sans  que  d'ailleurs  ma  citation  soit  un  brevet  de  recom- 
mendation  de  tous  ses  ouvrages.  "La  plus  fine  fleur  du  génie  latin" 
selon  le  mot  de, Jules  Lemaître,  M.  Aiiatole  France  est  im  écrivain 
très  dangereux,  malheureusement. 


156  l'action  fraxçaise 

primordiaux  à  continuer  à  retentir  en  ces  régions  qu'ont 
ouvertes  nos  pionniers.  L'Est  et  l'Ouest,  le  Nord  et  le  Sud 
des  États-Unis  furent  explorés  par  nos  découvreurs.  Pour- 
quoi, nous,  leurs  descendants,  irions-nous  oublier  des  vo- 
cables qui  éveillèrent  les  échos  au  sein  de  ces  immenses 
territoires  ?  Il  faut  que  les  nôtres  apprennent  la  langue 
officielle  de  ce  pays,  l'anglais.  ^Mais  leur  cerveau  n'est-il 
pas  assez  bien  constitué  pour  donner  asile  à  ce  nouveau 
parler  sans  éconduire  celui  qu'ils  tiennent  de  leur  origine, 
et  qui  seul  et  à  jamais  pourra  servir  d'expression  à  la  voix 
de  leur  sang  ?  Au  nom  de  quel  motif  raisonnable  leur  de- 
manderait-on de  consentir  au  renoncement  de  leur  langue 
maternelle?  Cet  abandon  en  amènerait  un  autre,  beau- 
coup plus  grave,  essentiel.  C'est  notre  foi  même  qui  en 
serait  entamée,  et  qui,  chez  le  plus  grand  nombre,  finirait 
par  se  dissoudre  dans  un  christianisme  vague  et  peut-être 
dans  l'apostasie,  dans  une  indifférence  totale  à  l'égard  de 
toute  croyance.  Nos  compatriotes,  venus  ici  pour  y  res- 
ter, doivent  devenir  citoyens  du  pa."s,  s'3'  faire  naturaliser. 
C'est  leur  devoir  pressant.  S'ils  veulent  pouvoir  se  pro- 
téger, faire  reconnaître  leurs  droits,  il  faut  qu'ils  puissent 
voter,  participer  aux  affaires.  Autrement,  ils  seraient 
regardés  comme  des  parias.  On  leur  reprocherait  d'être 
venus  ici  uniquement  pour  faire  de  l'argent,  pour  des  fins 
intéressées,  et  de  ne  pas  assumer  les  responsabilités  et  les 
charges  qui  incombent  à  tout  citoyen.  Plus  il  y  aura  d'ail- 
leurs d'électeurs  catholiques  dans  ce  pays  à  majorité  pro- 
testante, et  mieux  ce  sera  pour  le  bien  général  de  l'Église, 
Le  droit  de  vote  est  une  puissance  qu'il  est  urgent  pour  les 
nôtres  de  se  préparer  à  exercer.  Les  écoles  ici  sont  neutres, 
sans  religion;  et  tout  l'enseignement  s'y  donne  en  anglais  : 
double  écueil.  D'un  autre  côté,  la  loi  commune  oblige 
tous  les  parents  à  faire  donner  une  certaine  somme  d'édu 


l'action  française  157 

cation  à  leurs  enfants.  Comment  parer  à  ce  danger,  si 
ce  n'est  en  ayant,  à  côté  de  nos  églises  desservies  par  des 
prêtres  de  notre  nationalité,  des  écoles  vraiment  catholi- 
ques et  où  notre  langue  maternelle  soit  sur  le  même  pied 
que  l'anglais  ?  Autrement,  notre  survivance  ne  sera  bien- 
tôt plus  qu'un  mythe.  C'est  l'école  qui  forme  les  généra- 
tions. Et  il  est  impossible  de  rêver  pour  les  nôtres  la  con- 
servation de  leur  héritage  ancestral  s'ils  ne  se  retrempent 
pas  à  cette  source  de  vie.  Avec  nos  églises  et  nos  écoles, 
il  nous  faut  des  sociétés  nationales.  Aux  États-Unis,  il 
y  a  comme  une  fièvre  d'association.  L'on  «  s'associe  » 
pour  tout  et  à  toutes  fins.  Les  associations  foisonnent. 
Elles  se  chiffrent  par  milliers.  Elles  sont  neutres,  ou  anti- 
catholiques, ou  antifrançaises.  Elles  guettent  nos  com- 
patriotes, qui  n'en  voient  pas  les  dangers,  qui  se  laisseront 
tenter  peut-être  par  les  secours  matériels  qu'elles  offrent, 
et  qui  s'enrôleront,  sous  des  prétextes  purement  financiers, 
dans  des  organisations  dont  l'effort  apparent  ou  caché  est 
au  détriment  de  ce  que  nous  avons  de  plus  cher.  Alors, 
la  seule  chose  qui  nous  reste  à  faire  est  de  fonder  nous- 
mêmes  des  associations  catholiques  et  françaises. 

Pour  répandre  ses  idées,  Ferdinand  Gagnon  se  servit 
de  ce  grand  moyen  d'apostolat  qu'est  le  journal.  Après 
avoir  rédigé  en  collaboration,  soit  à  Manchester,  soit  ail- 
leurs, tel  périodique,  il  fonda  à  Worcester,  en  1874,  Le  Tra- 
vailleur, auquel  il  consacra  les  douze  dernières  années  de 
son  existence,  et  qui  fut  la  tribune  du  haut  de  laquelle  ce 
patriote  sincère  lança  les  mots  sauveurs.  «  Fais  ce  que 
dois  ))  était  la  devise  de  ce  journal.^     Le  directeur  y  ayant 

1  Parler  des  vivants  est  toujours  assez  délicat  ;  mais  je  ne  puis 
m'empêcher  de  noter  ici  l'impression  qui  s'est  emparée  de  moi  tout  le 
temps  que  j'étudiais  la  carrière  de  Ferdinand  Gagnon,  je  me  disais  : 
avec  toutes  les  différences  dans  le  talent,  le  tempérament,  le  caractère, 
ie  degré  de  culture,  cependant  quels  nombreux  points  de  contact  et 
quelles   aflSnités  électives  entre  cet  homme    et  M.  Henri  Bourassa! 


158  l'action  française 

ses  coudées  franches,  il  y  parla  ouvertement  et  y  donna 
la  mesure  de  sa  belle  intelligence,  extrêmement  droite. 
Quand  on  parcourt  la  file  de  cette  feuille  de  combat,  la  plus 
remarquable  que  le  journalisme  franco-américain  ait  en- 
core produite,  l'on  est  frappé  de  voir  à  quel  point  cet  écri- 
vain avait  le  sens  de  l'orthodoxie;  comme,  sur  les  sujets 
vitaux,  il  avait  des  notions  à  la  fois  justes  et  bien  hiérar- 
chisées, comme  son  jugement  le  gardait  de  tout  écart  et  de 
toute  exagération,  soit  de  pensée,  soit  de  formule.  Sa 
langue  était  bonne,  sans  être  éclatante.  Je  ne  sais  si,  chez 
Ferdinand  Gagnon,  les  dons  du  cœur  n'ont  pas  encore  sur- 
passé ceux  de  l'esprit.  Il  avait  évidemment,  cela  est  sen- 
sible dans  le  ton  de  tous  ses  articles,  un  cœur  très  tendre 
et  très  bon  et  très  large.  Pedus  est  quod  disertos  facit.  C'est 
le  cœur  qui  rend  éloquent.  Éloquent,  il  le  fut  dans  tous 
ses  écrits,  il  te  fut  aussi,  il  le  fut  surtout  dans  ses  nombreux 
discours  et  conférences.  Comme  M.  Hanotaux  l'a  dit  de 
Gambetta,  il  avait  une  «  âme  sonore  »,  ^  une  âme  aimante 
dont  les  aspirations  jailhssaient  dans  un  verbe  ample  et 
musical.  La  parole  fut  chez  lui  uniquement  au  service 
de  sa  pensée  et  de  son  cœur;  il  ne  l'employa  jamais  que  pour 
aider  à  la  noble  cause  de  notre  survivance  catholique  et 
française.  Saint  Paul  parle  d'une  épée  à  deux  tranchants 
qui  pénètre  jusqu'à  la  division  du  cœur  et  de  l'esprit.  Pour 
le  grand  apôtre,  cette  double  épée,  ce  furent  ses  immortelles 
épîtres  et  ce  furent  ses  discours  inspirés.  La  parole  et  la 
plume,  telle  fut  également  l'arme  une  et  diverse  que  mania 
celui  auquel  nous  venons  de  consacrer  des  pages  que  nous 
aurions  voulu  faire  plus  dignes  de  sa  mémoire.  En  1886, 
Ferdinand  Gagnon  vit  tomber  de  ses  mains  défaillantes 
l'instrument  de  lutte,  il  sentit  se  glacer  sur  ses  lèvres  ce 

•  Histoire  de  la  France  contemporaine.     Tome  I. 


l'action  française  159 

verbe  si  chrétien  et  si  français  qui  n'avait  jamais  vibré  que 
pour  la  religion  catholique  et  le  patriotisme  qui  en  est  in- 
séparable.    Il  n'avait   que  trente-six-ans,   et   ce   colosse  ^ 
tombait  épuisé  de  labeur,  quand,  au  regard  humain,  il  était 
à  peine  au  milieu  de  sa  course,  et  qu'il  lui  restait  une  longue 
et  fructueuse  carrière  à  fournir.     Il  se  soumit  sans  murmu- 
rer au  décret  providentiel  qui  le  rappelait  si  tôt  au  terme 
de  toute  existence  terrestre;  il  accepta  la  mort  avec  con- 
j&ance  et  résignation.     Il  avait  toujours  été  très  religieux 
non  de  principes  seulement,  mais  de  pratique.     Le  cha- 
noine Ouellet,  supérieur  du  Séminaire  de  Saint-Hj^acinthe, 
qui  vint  prononcer  son  éloge  funèbre,  nous  le  montre,  allant 
souvent  à  confesse,  «  attendant  son  tour  »  comme  le  plus 
humble  de  ses  compatriotes,  et  venant  ensuite  puiser  à  la 
Table  Sainte  force  et  lumière.     Admirable  exemple  !   Voici 
les     dernières  hgnes  qu'il  publia,  dans  Le  Travailleur  du 
19  mars  1886.     Elles  reflètent  toute  son  âme  :  Nos  Adieux. 
«  Un  changement  subit  dans  notre  maladie  nous  met  aux 
'portes  du  tombeau,  et  notre  sort  paraît  maintenant  inévitable. 
Avant  de  quitter  ce  lieu  d'exil  et  de  misère,  nous  devons  jeter 
un  regard  en  arrière,  afin  de  nous  rendre  compte  des  humbles 
efforts  que  nous  avons  faits  pour  le  triomphe  des  idées  saines 
et  de  la  cause  canadienne.     Si  nous  avons  pu  faire  quelque 
chose  pour  nos  compatriotes,  nous  en  avons  été  amplement 
récompensés .  .  .   notre  œuvre  a  été  appréciée  par  nos  compa- 
triotes éclairés;  et  le  vieux    Travailleur,  suivant  toujours  la 
ligne  droite,  a  rencontré  partout  des  amis  fidèles  et  des  sym- 
pathies  ardentes.     Notre  disparition  n'affectera   en   rien   la 

^  De  taille  moyenne,  Ferdinand  Gagnon  pesait 350 livres.  Mardi 
le  22  avril,  j'avais  le  plaisir  de  causer  avec  l'un  de  nos  plus  sincères  et 
plus  distingués  compatriotes  des  Etats-Unis,  M.  le  Dr  Auger,  de  Wor- 
cester.  M.  Auger  était  l'intime  ami  de  Gagnon.  Il  m'a  dit  des  choses 
tort  intéressantes  concernant  sa  puissance  oratoire,  en  particulier.. 
11  était  un  remueur  de  masses.    Et  il  se  serait  fait  tuer  pour  ses  amis. 


160  l'action  française 

marche  du  journal.  Le  vieux  Travailleur  aura  toujours 
pour  devise  :  Fais  ce  que  dois.  .  .  il  sera  toujours  le  champion 
des  intérêts  catholiques  et  canadiens,  enseignant  avec  modé- 
ration les  grands  principes  qui  doivent  servir  de  base  à  notre 
élément  national,  aux  Etats-Unis.  .  .  En  continuant  à  favo- 
riser notre  journal  de  leur  encouragement,  nos  lecteurs  feront 
droit  à  la  prière  d'un  mourant,  qui  leur  recommande  la  veuve 
et  les  orphelins  qu'il  quittera  bientôt.  Merci  à  tous  nos  lec- 
teurs et  aux  amis  du  journal,  pour  ce  qu'ils  nous  ont  fait  de 
bien.  Qu'ils  soient  heureux;  qu'ils  jouissent  d'une  bonne 
santé;  que  la  fortune  leur  soit  favorable;  qu'ils  soient  bénis 
de  Dieu  !  Nous  demandons  pardon  à  ceux  que  nous  au- 
rions pu  offenser,  comme  nous  pardonnons  à  nos  ennemis 
ce  qu'ils  ont  pu  nous  faire  de  mal.  Que  tous  soient  en  paix, 
dans  le  bonheur  et  le  contentement  !     Adieu  !     A  Dieu  !  » 


Et  là-dessus  s'est  fermée  à  jamais  une  vie  de  travail, 
de  dévouement  patriotique,  de  foi  vive.  Ferdinand  Ga- 
gnon  s'en  allait  là  d'où  l'on  ne  revient  pas,  avant  d'avoir, 
humainement  parlant,  rempli  la  moitié  de  la  tâche  qu'il 
s'était  assignée.  Dante  était  rendu  «  à  moitié  du  chemin 
de  la  vie,  »  ^  quand  il  entreprit  son  pèlerinage  outre-tombe. 
Mais  ce  pèlerinage  ne  fut,  pour  le  grand  florentin,  qu'un 
rêve  sublime  de  son  génie.  Pour  notre  compatriote,  ce 
fut  une  réalité.  L'un  sème,  un  autre  moissonne.  La  Pro- 
vidence lui  avait  confié  ce  rôle,  faire  «  le  geste  auguste  du 
semeur  ».  Il  a  semé  à  pleines  mains  et  à  plein  cœur;  il  a 
conçu,  énoncé,  mis  en  relief  tous  les  principes  capables 
d'assurer  notre  survivance  en  terre  américaine.  Peu  im- 
porte qu'il  n'ait  pas  récolté,  qu'il  n'ait  fait  qu'entrevoir 

'  Nel  mezzo  del  cammin  di  nostra  vila.  .  .  {Inferno,  C.  I.) 


l'action  française  161 

les  germinations  et  les  moissons  de  l'avenir  !  Il  a  semé. 
C'était  là  sa  vocation,  qu'il  a  admirablement  remplie,  qu'il 
remplit  toujours.  La  mort  n'a  pas  éteint  sa  parole  :  ses 
chaudes  prédications  vibrent  toujours  dans  notre  atmos- 
phère; elles  ont  d'autant  plus  de  prestige  que  l'expérience 
concrète,  —  pierre  de  touche  des  doctrines,  —  en  a  montré 
la  haute  qualité  humaine  et  la  valeur  sociale.  Écoutons-les 
religieusement  :  elles  émanent  d'un  homme  qui  fut,  en  ces 
milieux,  le  plus  grand  bienfaiteur  de  notre  race. 

Henri  d'Arles. 


NOS  CONFÉRENCES 


h' Action  française  temiinera  le  8    mai,  au  Moniunent    National, 
la  série  de  ses  grandes  conférences  de  1918-1919. 

Après  M.  Bourassa,  le  P.  Louis  Lalande,  MM.  Perrault,  Lorrain 
et  Lavergne,  nous  aurons  le  plaisir  d'entendre  M.  l'abbé  Groulx  qui, 
sous  le  titre  Chez  nos  ancêtres,  traitera  de  la  vie  intime  de  nos  pères. 
M.  le  Dr  L.  de  Lotbinière  Harwood,  doyen  de  la  Faculté  de  Médecine 
de  l'Université  Laval,  a  bien  voulu  accepter  la  présidence  d'honneur  de 
cette  réunion.  L'allocution  d'ouverture  «sera  prononcée  par  M. 
Edouard  Montpetit. 

Nous  nous  tenons  à  la  disposition  de  ceux  de  nos  amis  qui  vou- 
draient organiser  des  conférences  au  dehors. 


LE  PÈLERINAGE  DOLLARD 


Noire  deuxième  pèleriruige  au  Long-Sault  est  chose  déci- 
dée. Nos  amis  n'ont  jms  oublié  notre  initiative  de  l'année 
dernière.  En  l'annonçant  dans  la  revue  j'avais  écrit  :  ((  Rien 
qu'une  éclatante  manifestation  pourrait  réparer  un  peu  ce 
coupable  oubli  de  deux  siècles.  Les  misères  de  ce  temps  ont 
commandé  aux  directeurs  de  T Action  française  de  faire  moins 
grand.  Ils  iront  tout  de  même  en  éclaireurs,  faire  la  première 
battue  vers  cette  lointaine  histoire.  Et  il  faudra  qu'après  eux 
les  grandes  foides  se  mettent  en  route  vers  le  Long-Saxdt.  Il 
faudra  qu'un  jour,  sur  ce  carré  de  sol  acheté  et  consacré,  se 
dresse,  face  à  l'Outaouais,  la  statue  de  Dollard.  » 

Ce  vœu  aura  le  24  mai  prochain  une  réalisation  presque 
complète.  Ce  jour-là  le  comité  du  Monument  Dollard  fera 
dévoiler  au  Long-Sault,  par  quelque  petit  descendant  de  Biaise 
Juillet,  l'un  des  premiers  «  dix-sept  »,  un  buste  du  héros,  et 
une  grande  foule,  nous  l'espérons,  applaudira  le  geste  du  sou- 
venir. 

La  fête  du  24  mai  devrait  fonder  à  jamais  le  pèlerinage 
Dollard.  Le  fait  d'armes  de  1660  aui-a  reçu  aux  lieux  mêmes 
où  il  s'accomplit,  la  consécration  suprême.  Quand  de  l'hé- 
roïsme a  été  déposé  quelque  part,  la  terre  qui  garde  la  semence, 
attend  quelquefois  longtemps.  Mais  enfin,  y  fallût-il  des 
siècles,  la  gloire  plus  forte  que  l'oubli  pousse  un  germe  vigou- 
reux; sur  la  tombe  du  héros  s'épanouit  une  floraison  de  pierre 
ou  de  bronze  et  le  sol  ainsi  consacré  appelle  des  pèlerins  comme 
une  terre  sainte. 

La  floraison  s'apprête  à  jaillir  et  le  petit  village  du  Long- 
Sault  en  prendra  tout  de  suite  un  caractère  auguste.     La  na- 


l'action  française  163 

ture  avait,  ce  semble,  préparé  ce  coin  de  terre  au  rôle  qu^il  va 
tenir.  Aux  lieux  consacrés  par  un  grand  fait  nous  aimons 
voir  de  la  solennité  grave  et  pieuse;  nous  voulons  que  le  décor 
s'approprie  aux  souvenirs  qu'il  encadre.  Il  faut  que  le  pay- 
sage peu  chargé  de  choses  étrangères  ne  nous  renvoie  que  le 
passé  éteint  et  laisse  à  notre  âme  la  liberté  de  ses  méditations'. 

Beaucoup  de  ces  caractères  se  réunissent  dans  le  décor 
du  Long-Sault.  C'est  le  calme  profo7id  et  pieux  des  lieux  soli- 
taires. Le  village  minuscule  et  paisible,  échelonné  au  bord 
de  la  grève,  bien  enfermé  dans  l'enceinte  de  ses  coteaux  et  la 
ligne  de  la  forêt,  est  fait  pour  rester  longtemps  le  reliquaire 
d'une  noble  histoire.  On  lève  les  yeux  vers  les  éminences  pro- 
chaines, on  écoute  au  bas  la  chute  solennelle  des  eaux,  et  l'on 
se  dit  que  là-haut  des  arbres  vivent  encore  qui  furent  les  témoins 
des  combats  tragiques,  que  dans  leur  feuillage  passe  avec  le 
vent  un  souffle  de  légende,  pendant  que  le  Long-Sault  orchestre 
au  loin  et  jusque  sur  les  galets  une  sonore  rumeur  de  gloire. 

Au-dessus  de  tout  cela  il  y  a  l'histoire  qui  solennise  en- 
core le  paysage.  Que  d'empreintes  glorieuses  ont  jadis  inarqué 
ces  grèves  !  Impossible  de  faire  deux  pas  au  bord  de  l'eau, 
sans  que  se  lèvent  du  sol  des  légions  d'illustres  souvenirs.  Ici, 
en  154:1,  s'est  arrêté  en  sondant  des  yeux  le  pays  profond  qu'à 
l'aide  de  bâtonnets  lui  montraient  les  Indiens,  Jacques  Cartier, 
le  premier  découvreur;  soixante-douze  ans  plus  tard,  en  1613, 
y  atterrissait  le  père  de  la  Nouvelle-France,  Samuel  de  Cham- 
plain,  qui  se  prenait  à  écouter  la  rumeur  des  courants,  ((  si 
grande,  dit-il,  qu'elle  faict  un  bruict  effroyable  »  ;  ici  se  sont 
arrêtés  encore,  pour  se  préparer  au  portage,  les  missionnaires, 
les  doux  évangélisateurs,  qui  montaient  au  pays  des  Hurons, 
le  bréviaire  au  cou,  les  yeux  agrandis  d'espérances  célestes; 
ici  ont  passé  pendant  longtemps  les  grands  explorateurs,  les 
chevaliers  errants  de  la  Nouvelle-France,  d'Iberville  et  les 
siens  qui  allaient  fabriquer  une  épopée  à  la  baie  d'Hudson, 


164  L  ACTION    FRANÇAISE 

et  tous  ceux  qui  portaient  sous  leur  front  le  rêve  d'un  continent, 
et  tous  ces  canotiers  au  poignet  de  frêne,  coureurs  de  bois,  cou- 
reurs 'de  fleuves,  héros  anonymes  qui  allaient  aux  fourrures 
et  aux  découvertes. 

Mais  le  Long-Sault  c'est  surtout  le  lieu  où  les  «  dix-sept  » 
sont  tombés.  Ici,  au  dessus  de  palissades  enflammées,  frap- 
pent encore  Vair  les  grands  moulinets  de  Dollard.  A  quelques 
pas  du  rivage  s'est  engagé,  il  y  a  deux  cent  cinquante-neuf  ans, 
le  combat  suprême  d'où  a  dépendu  la  vie  de  notre  jeune  race. 
Pour  garder  leur  poste  choisi  par  serment,  pour  que  la  pairie 
naissante  fût  sauvée,  pour  que  la  civilisation  chrétienne  eût 
raison  de  la  barbarie,  dix-sept  jeunes  gens,  une  élite,  se  sont 
fait  tuer.  En  eux  avait  soudainement  éclaté  l'explosion  pré- 
parée par  plus  de  vingt  ans  d'ardeurs  enthousiastes,  de  rêves 
saints  et  collectifs  dans  Villemarie;  en  eux  se  résumaient  toutes 
les  émotions  apostoliques  et  chevaleresques  de  la  Nouvelle- 
France;  les  «  dix-sept  »  incarnaient  un  moment  unique  de 
notre  histoire,  celui  peut-être  où  les  âmes  sont  montées  le  plus 
haut,  où  l'on  fut  le  plus  près  de  la  très  grande  humanité. 

C'est  dire  la  puissance  évocatrice  de  ce  coin  de  pays,  la 
signification  d'un  pèlerinage  au  Long-Sault.  Quels  sont 
ceux  parmi  nous  qui  ne  voudront  point  aller  communier  à 
ce  passé  sans  égal  f  Les  pères,  les  mères  y  voudront  conduire 
leurs  enfants.  Tout  jeune  Canadien-français  qu'on  voudra 
élever  selon  l'idéal  de  sa  race,  dans  Vâme  de  qui  Von  voudra 
voir  prédominer  les  fins  supérieures  de  la  vie,  devra  se  rendre 
au  pays  de  Dollard,  laisser  émouvoir  sa  jeune  sensibilité  aux 
pressions  de  ce  pur  héroïsme,  ajuster  ses  rêves  à  la  mesure 
de  notre  histoire,  entrer  dans  un  ordre  d'idées  et  de  sentiments 
qui  appellent  le  meilleur  de  l'homme.  Là  il  saura,  dans  une 
prédication  concrète,  à  quoi  l'engagent  ses  CLScendances  fran- 
çaises et  chrétiennes,  comment  s'achèvent  les  enthousiasmes 
dans  une  âme  sincère  de  jeune  Français,  et  que  ceux-là  seuls 


L  ACTION    FRANÇAISE 


165 


sont  vraiment  beaux  qui  se  réalisent  en  un  magnifique  devoir. 
Tous  nous  avons  besoin  de  nous  accorder  à  ces  émotions, 
nous  qui  pouvons  juger  combien  étrangère  et  lointaine  nous  est 
déjà  cette  histoire.  Notre  provision  d'héroïsme  en  est  une 
qui  a  besoiii  de  se  constamment  alimenter.  On  aura  beau  faire: 
les  devoirs  difficiles  chez  un  peuple,  et  même  les  plus  précis, 
ont  besoin  de  s'appuyer  sur  la  puissance  de  l'émotion.  Au 
sein  de  toute  vie  profonde  comme  au  commencement  de  tout 
sacrifice  qui  nous  élève  au-dessus  de  nous-mêmes,  se  retrouve 
l'élan  d'une  sensibilité  héroïque.  Ne  laissons  pas  se  dissiper 
même  les  valeurs  sentimentales  de  notre  histoire.  Les  collines 
du  Long-Sault,  lieu  de  méditations  enivrantes  et  austères, 
pourraient  devenir  le  temple  en  plein  air,  dont  parle  Barrés 
dans  la  Colline  inspirée,  où  nous  éprouvons  le  besoin  de  briser 
de  chétives  entraves  pour  nous  épanouir  à  plus  de  lumière, 
où  notre  énergie  se  déploie  toute  et  s'élance  à  de  grandes  affir- 
mations. 

Lionel  Groulx,  ptre. 


Rappelez-vous  que  l'abonnement 
à  l'Action  française  est  l'une  des 
plus  utiles  récompenses  qu'on  puis- 
se offrir  à  un  écolier. 


A  NOS  AMIS 


On  veut  bien  nous  dire  que  V  Action  française  témoigne 
d'une  acti%àté  considérable  :  plus  de  quarante  mille  bro- 
chures de  sa  série  orange  ont  déjà  été  jetées  dans  le  public, 
à  part  les  soixante  mille  exemplaires  de  son  Almanach,  les 
milliers  et  les  milliers  de  livi-aisons  de  sa  re^'ne,  les  milliers 
d'exemplaires  de  sa  série  verte,  le  li^Te  de  Lamarche, 
etc.;  d'autres  publications  sont  à  la  veille  de  paraître;  des 
conférences  dont  on  s'accorde  à  louer  la  valem'  ont  réuni 
au  Monument  national  de  magnij&ques  auditoires;  des 
initiatives  variées  sont  en  voie  d'exécution  ou  en  prépara- 
tion. 

Mais  tout  cela  ne  représente  qu'une  partie  des  choses 
que  nous  croyons  nécessaires,  urgentes  même,  et  V Action 
française  pourrait  faire  bien  davantage  si  elle  disposait 
de  moyens  plus  considérables.  Ces  moj^ens,  c'est  à  ses 
amis  qu'il  appartient  de  les  lui  fournir. 

L'Actio7i  française  n'a  point  à  se  plaindre,  certes,  de 
ses  amis.  Elle  a  reçu  des  concours,  elle  a  bénéficié  de 
dévouements  qui  commandent  la  plus  vive  gratitude; 
mais  combien  de  dévouements  et  de  concours  possibles 
n'ont  pas  été  utilisés,  parce  qu'on  ne  les  connaissait  point, 
parce  qu'ils  n'osaient  pas  s'offrir? 

Et  voilà  précisément  pourquoi  nous  prions  aujour- 
d'hui nos  amis  de  vouloir  bien  nous  écrire,  nous  dire  en 
toute  simplicité  :  Voici  ce  que  je  pourrais  faire,  sous 
quelle  forme,  de  quelle  façon  je  pourrais  contribuer  à 
rœu\Te  commune.  .  .  Et  encore:  Je  connais  en  tel 
endroit,  telle  personne,  tel  groupe  qui  pourrait  rendre  tel 
service.  .  ,     Ou   bien:     Il   y   aurait,   ce  me  semble,   telle 


L  ACTION   FRANÇAISE  167 

chose  à  faire,  à  laquelle  on  ne  pense  pas  assez  ou  que  l'on 
ne  travaille  pas  suffisamment.  .  . 

Ainsi,  nous  pourrons  étendre  notre  champ  d'action, 
élargir  et  fortifier  nos  cadres. 

Que  personne  n'ait  d'hésitations  :  comme  le  faisait 
un  jom*  observer  l'un  de  nos  amis,  le  propre  de  l'Action 
française,  c'est  précisément  d'offrir  de  la  besogne  à  tous. 
On  peut  l'aider  en  lui  fournissant  des  articles  ou  la  matière 
de  livres  nouveaux;  on  peut  pareillement  l'aider  en  facili- 
tant la  diffusion  de  ces  articles  et  de  ces  livres;  on  peut 
s'ingénier  à  provoquer  des  réunions  publiques  ou  multiplier 
les  actes  individuels;  on  peut  donner  du  temps  ou  de 
l'argent  :  tout  cela  compte,  tout  cela  sert.  Nous  réclamons 
des  idées  nouvelles,  nous  sommes  heureux  d'accueillir  des 
projets  nouveaux,  mais,  dès  maintenant,  nous  avons  assez 
de  travail  en  vue  pour  occuper  toutes  les  bonnes  volontés. 
Qu'on  n'ait,  de  ce  côté,  aucune  inquiétude  'M^^B^^^ 

Et  qu'on  nous  écrive  tout  de  suite  :^ Voici  mon|nom, 
mon  adresse,  ce  que  je  puis  faire  pour  la  cause.  .  .  Voici 
le  nom  et  l'adresse  de  tel  de  mes  amis  qui  pourrait  vous 
aider.  .  .  Qu'on  ne  craigne  point  d'indiquer  des  services 
qui  pourraient  paraître  d'un  ordre  trop  modeste:  lorsqu'il 
faut  rapidement  adresser  et  expédier  mille  ou  deux  mille 
lettres,  c'est  un  grand  avantage,  et  une  économie  sérieuse, 
que  de  pouvoir  compter  sur  le  concours  d'aides  de  bonne 
volonté;  lorsqu'il  faut  répandre  dans  le  public,  par  milliers, 
des  brochures  de  propagande,  il  est  important  d'avoir  de 
bénévoles  vendeurs  et  nous  sommes  très  fiers  des  jeunes 
gens  et  des  jeunes  filles  qui,  dans  nos  réunions  publiques, 
ont  l'obligeance  d'offrir  aux  auditeurs  nos  publications 
diverses. 


1 


168  L  ACTION    FRANÇAISE 

Que  nos  amis  les  plus  dévoués,  ceux  qui  ont  donné 
déjà  les  meilleures  preuves  de  générosité,  qui  se  savent 
connus  de  nous,  veuillent  bien  aussi  répondre  à  cet  appel  — 
pour  compléter  l'enquête  d'abord,  pour  nous  apporter 
ensuite  le  fruit  de  leur  expérience. 

Nous  faisons  une  sorte  de  recensement  des  bonnes 
volontés  d'Action  française.  Que  personne  ne  manque  au 
rendez-vous.  .  . 

Omer  Héroux. 


I 


LA  LIGUE  DE  RALLIEMENT 


La  Ligue  de  Ralliement  français  en  Amérique  ajoute  à  ses  publica- 
tions nouvelles  La  Reconstruction  sociale,  analyse  du  programme  social 
formulé  par  un  comité  d'évêques  américains.  Elle  avait  déjà  publié 
Le  français  datis  nos  écoles,  Le  français  dans  le  Connecticut,  La  langue 
française  et  le  christianisme  (discours  de  Mgr  Guertin  au  Congrès  du 
Parler  français,  en  1912)  ;  elle  annonce  une  série  d'autres  publications  : 
Le  français  dans  le  New-Hampshire.  Ce  que  les  États-Unis  attendent  de 
nous,  Le  français  au  foyer,  La  croisade  des  enfants,  La  langue  et  la  civili- 
sation américaine,  etc. 

Tous  ces  tracts  se  vendent  50  sous  la  douzaine,  $4  le  cent,  port  en 
plus,  h' Action  française  est  dépositaire  au  Canada  de  toutes  les  publi- 
cations de  la  Ligue  de  Ralliemsnt. 


RETARD 


Nous  prions  nos  lecteurs  d'excuser  le  retard  de  cette  livraison. 
Nous  reprendrons  avec  mai  notre  publication  normale. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


U UtihsottOn  On  trouvera  plus  loin  le  rapport  définitif  du  comité  • 
de  Ig  victoiïC  ^^^''g^  de  franciser  l'industrie  des  bonbons  et  des 
biscuits.  La  longue  liste  de  mots  français  qu'il 
contient  parle  par  elle-même.  Elle  dit  à  la  fois  et  son  rude  labeur  et 
son  magnifique  triomphe.  L'un  d'ailleurs  va  rarement  sans  l'autre. 
Le  premier  est  la  rançon  ordinaire  du  second.  Recuîer  devant  la  tâche 
ardue,  quand  il  s'agit  d'opérer  une  réforme  utile,  c'est  se  condamner 
à    l'insuccès. 

Mais  ce  résultat,  si  beau  soit-il,  ne  saurait  terminer  l'œuvre  entre- 
prise par  la  Ligue  des  Droits  dufranrais.  Elle  doit  au  but  qu'elle  pour- 
suit, elle  doit  à  ses  amis  d'en  tirer  tout  le  parti  possible.  C'est  main- 
tenant l'heure  —  pour  employer  un  mot  d'actualité  —  de  V utilisation 
de  la  victoire.  Or,  parmi  les  fruits  que  celle-ci  peut  donner  il  faut  pla- 
cer, en  premier,  Ueu  la  preuve  que  la  langue  française  ne  nuit  pas  au  com- 
merce, que  même  son  usage  —  tel  que  nous  le  demandons,  tel  que  nous 
l'avons  obtenu  des  fabricants  de  bonbons  et  de  biscuits  —  lui  est  \Tai- 
ment  utile.  C'est  pourquoi  nous  avons  fait  appel  à  nos  amis,  nous  leur 
avons  demandé  d'encourager  les  maisons  qui  ont  adhéré  à  notre  mou- 
vement. 

La  VgIcUT  Je  développais,  l'autre  jour,  cette  idée  devant 

dêS  fnClTChcifldiSBS  ^^  directeur  d'une  importante  institution.  «  Je 
veux  bien  encourager  les  nôtres,  me  répondit-il, 
surtout  ceux  qui  font  preuve  de  patriotisme.  Les  affaires  cependant 
sont  les  affaires.  On  ne  peut  pas  oubher  complètement  ce  côté  de  la 
question.  Vos  fabricants  de  bonbons  et  de  biscuits  donnent-ils  une 
boime  marchandise  ?  C'est  là  un  point  important.  J'ai  actuellement 
comme  fournisseur  la  maison  X.  Elle  est  anglaise.  Ses  produits  sont 
excellents.  Si  je  l'abandonne  pour  la  maison  Y  qui  est  canadienne- 
française,  non  seulement  de  nom  —  comme  quelques-unes  —  mais  aussi 
de  fait,  mes  chents,  mes  pensionnaires  ne  souffriront-ils  pas  du  change- 
ment ?     Garantissez-moi  que  non  et  dès  demain  la  chose  est  faite.  » 

Ce  langage  ne  pêche  certainement  pas  par  défaut  de  clarté.  Aussi 
avant  de  m'engager,  j'ai  voulu  me  renseigner.     Les  fabricants  cana 


170  l'action  française 

diens-français  avec  qui  j'ai  pu  causer  admettent  volontiers  que  leurs 
maisons  ne  produisent  pas  ces  biscuits  et  ces  bonbons  superfins,  de  prix 
très  élevé,  que  fournissent  quelques  maisons  anglaises.  Quant  à  la 
marchandise  ordinaire,  celle  que  consomment  habituellement  les  famil- 
les, ils  prétendent  en  donner  une,  à  prix  égal,  d'aussi  bonne  qualité. 

Une  exposition  simple  affirmation,  dira  quelqu'im.  et  encore, 
ÙïOChciine  intéressée!  —  Soit,  aussi  allons-nous  permettre 
à  ses  auteurs  de  faire  leur  preuve.  A  notre  de- 
mande, une  exposition  de  bonbons  et  de  biscuits,  fabriqués  par  des  Ca- 
nadiens français  et  portant  des  noms  français,  aiua  lieu  bientôt.  Il 
sera  loisible  à  nos  îftnis  de  s'y  rendre,  de  voir,  de  palper,  de  goûter  et .  .  . 
d'apprécier  ces  différents  produits. 

La  date  et  le  heu  de  cette  exposition  seront  annoncés  sous  peu. 
Aucvm  droit  d'entrée  ne  sera  exigé.  Nous  ne  demanderons  aux  visi- 
teurs qu'une  chose  :  Si  ces  bonbons  et  ces  biscuits  sont  de  leur  goût, 
qu'ils  leur  donnent  la  préférence,  qu'ils  trouvent  le  moyen  de  les  obteair 
non  seulement  à  la  table  de  famihe,  non  seulement  chez  l'épicier,  mais 
encore  —  ce  qui  est  peut-être  plus  difficile  —  à  la  table  d'hôte,  au  res- 
taurant  et   à  l'hôtel. 

Dans  les  Avec  les  chemins  de  fer,  les  grands  hôtels  —  puisque 

hôtels  l'occasion   s'offre   d'en   parler  —  doivent   être   rangés 

parmi  les  principales  forteresses  de  la  langue  anglaise 
dans  notre  pays.  Un  prêtre  américain  me  racontait  récemment,  qu'ar- 
rivant à  Montréal,  l'autre  matin,  par  la  gare  Bonaventure,  il  entra  dans 
un  hôtel  voisin,  dont  le  propriélaire  est  canadien  français.  Quel  ne 
fut  pas  son  étonnement  de  constater  que  le  service  se  faisait  exclusive- 
ment en  anglais.  On  aurait  dit  que  la  langue  française  était  strictement 
bannie  de  ces  heux. 

Je  ne  sais  s'il  en  est  ainsi  au  Château  Frontenac,  à  Québec,  mais 
le  menu  du  5  février  dernier  que  m'envoie  un  voyageur  de  commerce 
semble  l'indiquer.  «  Si  les  mets  varient  suivant  les  jours,  écrit  en  marge 
mon  correspondant,  la  langue,  elle,  ne  change  jamais.  Est-ce  que  nos 
députés  qui  logent  ici  durant  la  session  ne  pourraient  pas  exiger  des 
menus  français  ?  »  Certes,  oui.  Non  seulement  ils  le  pourraient,  mais 
ils  le  devraient.  Je  leur  propose  bien  volontiers  l'idée.  Je  souhaite 
qu'ils  l'exécutent.  Je  serais  cependant  plus  certain  de  son  succès  si  les 
voyageur  sprenaient,  eux  aussi,  la  chose  en  main. . .     Ce  qu'ils  ont  déjà 


l'action  française  171 

obtenu  en  différents  endroits  de  la  province,  à  Sherbrooke  notamment, 
ils  l'obtiendront  à  Québec  et  à  Montréal,  s'ils  le  veulent. 

UtI  Qïticlc  La  chose,  pour  légère  qu'elle  puisse 

du  ''Correspondant''     paraître    à    quelques-uns,,    en    vaut    la 

peine.  Plus  que  jamais  en  effet  s'accré- 
dite en  Europe  la  légende  que  la  langue  du  Canada,  même  du  Canada 
français,  est  l'anglais.  Et  ce  sont  de  tels  détails  observés  par  des  hôtes 
de  passage  qui  la  créent.  Veut-on  de  cette  légende  une  nouvelle  mani- 
festation, toute  récente  ?  Le  Carespondant  du  10  mars  consacre  à  sir 
Wilfrid  Laurier,  sous  la  signature  de  Miles  —  pseudonjone  qui,  depuis 
le  commencement  de  la  guerre,  .=ert  à  divers  écrivains  en  veine  de  crayon- 
ner des  silhouettes  mihtaires  —  un  article  d'une  vingtaine  de  pages. 
Or  pour  donner  comme  une  couleur  locale  à  cette  étude,  celui  qui  l'a 
traduite  —  car  elle  a  été  évidemment  écrite  en  anglais  —  va  laissé  un 
bon  nombre  de  mots  qu'il  croit  \Taisemblablement  en  asage  dans  notre 
province,  parmi  les  compatriotes  de  sir  Wilfrid.  Ainsi  il  nous  apprend 
que  le  Great  Old  Man  du  Canada,  dont  le  père  était  land  survzyor,  allait 
souvent  dans  sa  jeunesse  chez  un  elder  de  l'Église  d'Ecosse.  Ses  succès 
commencèrent  —  devinez  où  —  à  la  Bar!  Oui,  c'est  écrit  en  toutes 
lettres,  dût  la  Ligue  antialcoolique  en  frémir  d'indignation  !  Mais 
voici  que  s'ouvre  la  carrière  politique  du  «  Righl  Honourable  Sir  Wilfrid 
Laurier  ».  11  est  nommé,  dès  sou  entrée  au  parlement  de  Québec,  où  *à 
cette  époque  le  français  était  la  langue  dominante  »  (on  remarque  le 
mot  «  à  cette  époque  »  :  c'est  faire  entendre  clairement  qu'une  autre 
langue  domine  maintenant  dans  notre  parlement  provincial),  il  est  nom- 
mé pour  appuj'er  l'Address  en  réponse  au  discours  du  Trône,  honneur 
qui  devait  lui  être  décerné  de  nouveau,  plus  tard,  à  Ottawa,  ayant  été 
choisi,  dans  une  occasion  semblable,  comme  seconder.  Là,  il  est  bientôt 
appelé  à  être  ministre  de  V Irdand  Recense,  et  défait  dans  son  comté, 
il  réussit  à  se  faire  élire  dans  Quchec  Easi ....  Voilà  le  comble  !  La  vieille 
«irconscription  si  française  de  Saint-Sauveur  et  de  Saint-Roch  baptisée 
d'un  nom  anglais,  assimilée  à  un  comté  anglais,  mise  sur  le  même  pied 
que  Toronto  ou  Winnipeg  !  Nous  pourrions  continuer  à  enfiler  de 
telles  perles,  mais  après  celle-ci,  nous  n'avons  plus  qu'à  tirer  l'échelle.  .  . 
et  à  laisser  sécher  notre  plume. 

Lb  souci  Ou  plutôt  non.     Xe  restons  pas  sur  ce  mauvais  plat- 

du  détail        ^*  félicitons  le  député  de  Verchères-Chambly,  M.  Jo- 
seph Archambault  d'avoir  fait  se  ressouvenir  la  Cham- 
bre que  le  français  est  encore  langue  officielle  dans  notre  pajs.     Voici 


172 


L  ACTION    FRANÇAISE 


comment  le  chroniqueur  du  Devoir  rapporte  brièvement  l'incident: 
«  M.  Arcbambault,  de  Chambh'-Verchères,  a  été  plus  persévérant  ven- 
dredi dernier,  alors  qu'il  a  positivement  empêché  M.  Meighen  d'expli- 
quer vtn  bill  pour  la  raison  que  celui-ci  n'était  pas  encore  imprimé  en 
français.  Il  a  fallu  envoyer  faire  des  recherches,  et  passer  à  une  autre 
législation  en  attendant.  » 

Sans  doute,  ce  n'est  là  encore  qu'un  détail,  mais  comme  l'a  dit 
éloquemment  au  Monument  National,  après  l'avoir  rappelé  dans  notre 
revue,  le  clairvoyant  archevêque  de  Saint-Boniface  :  «  Le  détail  nous 
sauvera,  si  nous  savons  le  faire  passer  dans  l'ordre  des  réahtés,  partout, 
toujours  et  dans  toutes  les  sphères  d'action.  »  Et  Sa  Grandeur  con- 
firmait ces  paroles  par  l'exemple  mêm.e  de  nos  adversaires  :  «  Le  mode 
de  procéder  de  ceux  qui  tiennent  à  faire  du  Canada  im  pays  de  langue 
anglaise,  avec  une  réserve  française,  a  été  le  souci  du  détail;  c'est  petit 
à  petit  qu'ils  ont  réussi  à  détruire  l'Acte  de  IManitoba  et  l'Acte  des  Terri- 
toires du  Nord-Ouest  :  il  y  a  trente  ans  qu'ils  sont  à  l'œuvre  chez  nous. 
C'est  petit  à  petit,  en  posant  des  actes  avec  un  esprit  de  suite  inquiétant, 
et  une  détermination  qui  se  laisse  difficilement  ébranler  que,  dans  le 
domaine  fédéral,  les  m-êmes  forces  battent  en  brèche  la  lettre  et  encore 
plus  l'esprit  de  l'Acte  de  l'Amérique  britannique  du  Nord  qui  met  sur 
un  pied  d'égalité  l'anglais  et  le  français  dans  tous  les  domaines  fédé- 
raux. » 

Nous  aussi,  «petit  à  petit  »,  et  par  «  le  souci  du  détail  »,  efforcer 
nous  de  redonner  à  notre  langue  toute  la  place  qui  lui  revient  en  terre' 
canadienne. 

Pierre  Homier. 


I 


Avez-vous  soldé  vos  arrérages? 
L'abonnement  à  la  revue  est 
payable  d'avance. 


LA  VIE  DE  U ACTION  FRANÇAISE 


Elle  se  manifeste  surtout,  par  le  temps  qui  court,  dans  le  domaine 
des  publications. 

Notre  série  orange,  qui  comprenait  déjà  La  Fierté  et  La  Race 
supérieure,  du  P.  Louis  Lalande,  S.J.,  Pour  l'Action  françaùse  et  Si 
Doîlard  revenait .  . .  de  M.  l'abbé  Lionel  Groulx,  La  Veillée  des  berceaux, 
de  AL  Edouard  Montpetit,  et  La  Valeur  économi/jue  du  français,  de  M. 
Léon  Lorrain,  s'enrichira  tout  prochainement  de  deux  pubhcations 
nouvelles  :  La  Déportation  des  Acadiens,  de  AL  Henri  d'Arles,  et 
Che:  nos  ancêtres,  de  M.  l'abbé  GrouLx.  (On  sait  que  tous  les  numéros 
de  cette  série  se  vendent  10  sous  l'exemplaire.  SI  la  douzaine,  S8  le 
cent,  S70  le  mille  et  que  l'on  peut  grouper  et  mélanger  les  commandes, 
et  bénéficier  des  réductions  afférentes  au  chiffre  global  de  l'achat. 
En  d'autres  termes,  deux  ou  trois  amis  peuvent  s'entendre  pour  com- 
mander une  centaine  d'exemplaires,  variés,  de  ces  diverses  pubhcations 
et  bénéficier  de  la  réduction  de  209c-  Nous  ferons  même  les  expéditions 
à  des  adresses  différentes,  mais  il  va  de  soi  que  nous  ne  ferons  qu'une 
facture  et  ne  de%Tons  avoir  affaire  qu'à  un  seul  débiteur.  Les  frais  de 
port  sont  à  la  charge  de  l'acheteur). 

La  série  verte  ne  contenait  jusqu'ici  que  la  brochure  de  AL  Bou- 
rassa  :  La  Langue,  gardienne  de  la  Foi  Elle  s'augmentera,  d'ici  quel- 
ques jours,  de  la  remarquable  étude  de  AL  Antonio  Perrault,  profes.seur 
de  Droit  à  l'L'niversité  Laval  :  Pour  la  Défense  de  nos  lois  françaises. 
De  l'a'vis  de  beaucoup,  cette  pubUcation  fera  date  dans  l'histoire  de 
notre  défense  intellectuelle.  (On  trouvera  dans  l'une  de  nos  pages 
d'annonce  les  conditions  de  vente  de  ces  deux  brochures  et  des  li^Tes 
dont  il  sera  question  plus  loin). 

La  série  bleue  sera  inaugurée  tout  prochainement  aussi  par  la  Nais  - 
sance  d'une  Race  de  AL  l'abbé  GrouLx.  La  pubUcation  à'Au  service 
de  la  Tradition  française,  de  AL  Alontpetit,  qui  lui  fera  suite,  est  remise 
au  mois  de  septembre. 

Le  hvre  de  Paul-Émile  Lamarche  (Paul-Émile  Lamarche,  Œuvres- 
Hommages),  qui  est  encore  seul  dans  la  série  à  SI,  obtient  un  fort  beau 
succès.     Près  de  2,000  exemplaires  en  ont  déjà  été  vendus. 


174  ■  L  ACTION    FRANÇAISE 

En  même  temps  que  ces  publications,  nous  lançons  deux  grosses  - 
éditions:     Le  Canada  apostolique,  de  M.  Henri  Bourassa,  et  Les  RapaU- 
lages,  de  M.  l'abbé  Groulx. 

Le  Canada  apostolique  est  une  revue,  avec  faits  et  statistiques  à 
l'appui,  des  oeuvres  de  missions  des  communautés  religieuses  franco- 
canadiennes.  (Par  suite  d'une  entente  spéciale  entre  l'auteur  et  nous, 
les  commandes  des  communautés  religieuses,  des  maisons  d'éducation 
et  des  évêchés  dc.Tont  être  adressées  au  Devoir,  et  celles  des  libraires, 
des  commissions  scolaires  et  des  particuliers  à  V Action  française) . 

La  réédition  des  Ropaillages  doit  être,  dans  notre  pensée,  le  début 
d'une  grande  campagne  destinée  à  répandre  dans  la  fovile  les  œuvres 
d'inspiration  canadienne.  Deux  éditions  seront  faites,  toutes  deux 
portant  douze  illustrations  inédites  de  Franchère  et  qui  de\Tont  satis- 
faire tous  les  goûts.  Nous  prions  nos  amis  de  consulter  tout  de  suite 
la  liste  des  réductions  que  portent  nos  pages  d'annonces  et  de  se  prépa- 
rer à  mener  ime  grande  campagne  de  propagande,  dans  le  genre  de  celle 
qui  a  si  rapidement  assuré  le  succès  du  dernier  Almanach. 

Et  comme  ce  sera  bientôt  l'heure  des  distributions  de  prix,  nous  les 
prions  aussi  de  recommander  aux  commissions  scolaires  l'achat  de  celles 
de  nos  publications  qui  peuvent  leiu"  être  particuMèrement  iitiles. 
Qu'ils  se  rappellent  en  même  temps,  et  qu'ils  rappellent  autour  d'eux, 
que  le  service  de  librairie  de  l'Action  française  est  toujoiu-s  prêt  à  pro- 
curer à  ses  clients  tous  les  bons  livres  dont  ils  peuvent  avoir  besoin. 

Jean  Beau  chemin. 


A  VOTRE  PORTE 

Désireuse  de  fournir  à  ses  clients  le  maximmn  de  facilités,  l'Actic 
française  vient  d'inaugiuer,  pour  tous  les  endroits  desservis  par  messa-j 
geries,  le  système  de  vente  contre  remboiu-sement.  C'est-à-dire  quej 
dans  tous  ces  endroits,  ses  clients  peuvent  jeter  à  la  poste  une  simple 
carte  postale  commandant  les  ouvrages  dont  ils  ont  besoin  et  régler 
la  note,  plus  les  frais  de  port,  siu-  réception  du  colis.  Par  suite  d'une 
entente  entre  l'Action  française  et  les  compagnies  de  messageriesl 
celles-ci  perçoivent  à  la  fois  le  prix  de  la  marchandise  et  celui  de  l'ex-^ 
pédition.  Et  ainsi  se  trouvent  épargnés  une  faute  d'ennuis,  de  frais  de 
correspondance,  etc. 

Nous  esiiérons  que  cette  innovation  sera  particulièrement  agréable 
à  nos  clients. 


NOMS  FRANÇAIS  DES  BONBONS 
ET  DES  BISCUITS 


Nous  commençons  aujourd'hui  la  pubKcation  des  noms  de  biscuits 
et  de  bonbons  adoptés  récemment  par  un  groupe  important  de  fabri- 
cants canadiens-français  réunis  sous  les  auspices  de  l'Action  française. 

De  ces  fabricants  les  ims  vont  nettement  substituer  aux  mots 
anglais,  employés  jusqu'ici,  les  mots  français  correspondants;  les  autres 
se  contenteront  de  rendre  leurs  produits  bilingues.  Pour  être  francs, 
nous  préférons  dans  les  circonstances  le  premier  mode.  Il  ne  s'agit 
pas  en  effet,  ici,  de  renseignements,  de  recettes  utiles  à  connaître,  mais 
du  nom  que  portera  un  produit  manufacturé  par  des  Canadiens  français. 
Laisser  subsister,  de  façon  permanente,  à  côté  du  nouveau'  nom  peu 
connu,  l'ancien  très  connu,  n'est-ce  pas  risquer  d'atteindre  difficilement 
le  but  poursuivi  ?  D'autant  plas  que  parfois,  comme  nous  le  verrons, 
la  traduction  n'étant  pas  littérale,  les  deux  mots  diffèrent  sensiblement. 
Quoiqu'il  en  soit,  ce  bilinguisme  lui-même  est  im  progrès  sur  le  système 
actuel  et  noas  devons  féliciter  chaudement  tous  les  fabricants  qui  ont 
adhéré  à  notre  mouvement. 

Plusieurs  espèces  de  bonbons  et  de  biscuits  étaient  désignées 
jusqu'ici  par  deiLX  ou  trois  termes  qui  en  indiquaient  la  composition, 
ainsi  Marsmallow  Chocolaté  Bars.  Voilà,  on  l'avouera,  un  nom  assez 
long.  On  trouvera  dans  nos  hstes  la  traduction  de  chacun  de  ces  ter- 
mes. On  n'aïu-a  qu'à  les  unir  pour  substituer  au  nom  anglais  un  nom 
français  du  même  genre.  Mais  nous  tendons  à  écarter  cette  sorte  de 
noms.  En  France,  on  remploie  rarement.  Il  est  plus  élégant  de  donner 
au  produit  une  appellation  brève  et  significative  :  Succulent,  Savou- 
reux,  Digestif. 

Quelques  mots  anglais  se  prêtent  facilement  à  une  bonne  traduc" 
tion  ;  Jumble  :  Gimblette;  Wafer  :  Gaufrette;  Crisps  :  Croquants, 
etc.  Nous  avons  adopté  sans  hésitation  ces  mots  français.  Pour 
d'autres,  la  tâche  est  plus  difficile  :  ils  ne  sauraient  être  traduits 
Uttéralement  d'une  façon  élégante,  ou  encore,  mal  choisis,  ils  ne  répon- 
dent pas  du  tout  au  produit.  Dans  ces  cas,  nous  y  sommes  allés  sans 
scrupule.    Ainsi  Fhited  Svgar  a  été  traduit  par  Ondulé,   parce  que  ce 


176 


l'action  française 


mot  désignait  bien  la  forme  du  biscuit  et  que  plusieurs  l'avaient  déjà 
spontanément  choisi;  Klondykes  a  été  traduit  PapUlottes,  TU  Bits 
Friandises,  etc.  Qu'on  ne  s'étonne  donc  pas  de  rencontrer  des  mots  fran- 
çais qui  semblent  n'avoir  rien  de  commun  avec  le  mot  anglais  corres- 
pondant. 

Restent  certains  termes  dont  la  signification  originale  s'est  peu  à 
peu  étendue  et  embrasse  maintenant  ime  si  grande  variété  de  produits 
qu'il  est  impossible  de  les  traduire  par  un  seul  mot,  telle  l'expression 
drop.  Quelques  marchands  français  les  ont  adoptés  sans  changement. 
Nous  ne  saurions  povu"  notre  part  suivre  cette  poUtique  qui,  dans  les 
circonstances,  nous  serait  funeste.  Nous  préférons  employer  différentes 
expressions  appropriées  aux  produits  variés  que  le  terme  désigne,  ainsi 
Chocolaté  Drops  :  Pyratnides  de  chocolat;  Cough  Drops  :  Pastilles  con- 
tre la  toux  ("ou  pastilles  noires);  Drop  strawberries  :  Fraises,  etc.  Par 
contre,  quelques  mots  \'Taiment  francisés  comme  sandwich,  arrowroot, 
ou  désignant  des  personnes  ou  des  heux,  comme  Windsor,  Oswego,  etc., 
ont  été  conservés  tels  quels .  il 

Qu'on  nous  permette  de  terminer  ces  notes  préhminaires  par  un 
aveu  bien  franc.  Dans  ces  questions  il  y  a  toujours  place  à  des  diver- 
gences d'opinion.  Poiu"  tel  mot,  telles  personnes  auraient  mieux  aimé 
une  autre  traduction.  Leur  préférence  peut  s'appuyer  sur  d'assez 
bonnes  raisons.  Nous  attirerons  cependant  leur  attention  siu:  les  faits 
suivants  : 

1  °  Tous  les  mots  que  nous  avons  choisis  sont  bien  français  (nous 
exceptons,  bien  entendu,  ceux  qui,  désignant  des  lieux  ou  des  personnes, 
ne  peuvent  être  changés). 

2"  Ils  n'ont  été  choisis  qu'après  plusieurs  réunions  où  se  son- 
rencontrés  des  hommes  au  courant  de  la  langue  française  et  des  fabrit 
cants  représentant  les  intérêts  de  leur  industrie. 

3"  Pour  que  cette  réforme  importante  réussisse,  il  est  nécessaire 
qu'il  y  ait  entente. 

s 

Après  ces  explications,   il  nous  semble  que  les  consommateur 

devraient  imiter  la  bonne  volonté  des  fabricants.  Et  de  même  que  l'un 
ou  l'autre  se  sont  inclinés  devant  les  opinions  de  leurs  confrères,  qu'ils 
fassent,  eux  aussi,  confiance  au  travail  que  vient  d'accomplir  V Action 
française  et  adoptent  sans  récrimination  les  mots  choi.sis. 


l'action  française  177 

Notre  liste  est  divisée  en  trois  parties.  La  première  contient  des 
mots  communs  aux  bonbons  et  aiLX  biscuits.  Ils  désignent  ordinaire- 
ment les  éléments  qui  entrent  dans  leur  composition  :  fruits,  pâtes,  etc. 
La  deuxième  est  consacrée  presque  exclusivement  aux  biscuits,  la 
troisième  aux  bonbons. 


Almond Amande 

Apricot Abricot 

Arrowroot Arrowroot 

Bananas Bananes 

Barley Orge  (Sucre  d') 

Beans Fèves 

Burnt  almonds Amandes  grillées 

Burnt  Peanuts Pistaches  grillées 

Butter Beurre 

Butter  Scotch Beurre  écossais 

Cherry Cerise 

Chocolaté Chocolat 

Cloves Clous  de  girofle 

Cocoa Cacao 

Cocoanut Coco 

Cream Crème 

Currants Raisins 

Fig Figues 

Fruit Fruits 

Ginger Gingembre 

Graham Avoine  (Farine  d') 

Honey ]Miel 

Horehoimd Marrube 

Jam Confiture  ou  Marmelade 

Jelly Gelée 

Jersey  Lemon Citron  jersiais 

Lemon Citron 

Maple Érable 

Marshmallow Guimauve 

Milk Lait 


178  l'action  française 

Molasses Mélasse 

Orange Orange 

Oyster Huître 

Peach Pêche 

Pear Poire 

Peanut Pistache 

Peppermints Menthe 

Pineapple Ananas 

Raspberry Framboises 

Rice Riz 

Rye Seigle 

Soda Soda 

Soft  Lemon Citron  doux 

Strawberry Fraise 

Walnut Noix 

Wine Vin 

Wintergreen  bernes Thé  des  bois 


II 


Apollo Apollon 

Assorted Assortis 

Balls Boules 

Bars Bâtons 

Boy Enfants 

Cakes Gâteaux 

Colonial Colonial 

Columbus Colomb 

Coronation Coiuronnement 

Cottage  Mixed Cottage,  assortis 

Cracknell Craquelins 

Crisps Croquants 

Crockets Croquettes 

Cupids Cupidon 

Daisy Marguerite 

Dessert Dessert 

Diamond Diamant 

Duke Duc 


l'action  française  179 

Empress Impératrice 

Fingers Languettes 

Fluted Ondulé 

Impérial Impérial 

Jubilee Jubilé 

Jumble Gimblette 

Limch Goûter 

Oswego Oswego 

People  Mixed Mélange  populaire 

Precilia Précilia 

Pic  Nie Pique-nique 

Pyramid Pyramide 

Rich Riche 

Rifle  nuts Mélange  favori 

Round Rond 

Sandwich Sandwich 

School  Cakes ÉcoUers 

Snaps Croquignolles 

Snow  Bail Boules   de   neige 

Social Social 

Square Carré 

Star Étoile 

Sugar Sucre 

Sweet  Mary Tante  Marie 

Tarts Tartes 

Tit  Bits Friandises 

Universal Universel 

Vienna Vienne 

Wafers Gaufrettes 

Windsor Windsor 


III 


Bars Bâtons  ou  Tablettes 

Black  Joe Ti-Noir 

Blocks Carrés 

Bologna Bologne 

Boston  Baked  Beans Fèves  de  Boston 


180  l'action  française 

Bricks Briquettes 

Butter  cups Satinés 

Chromo  Rolls Bâtons    avec    images 

Cinnamon Cannelle 

Clear  Toj's Jouets  clairs 

Cough  Drops Pastilles  noires 

Cream  Eggs Œufs  à  la  crème 

Cream  Puff Dîners 

Dais}' Marguerite 

Drum  Sticks Baguettes  de  tambour 

Evertonia Carrés  au  beurre 

Fancy  Rock Sucre  candi 

Favorite Favoris 

Frappé  Cream  Eggs Œufs  à  la  crème 

Angel  Food Nourriture  angélique 

Humbug  drops Pastilles  au  marrube 

Jap , Japonais 

Jumbo Jmnbo 

Klondykes Papillottes 

Lady  Caramels Caramels  de  dames 

Lozenges Losanges 

Marbres Billes 

Minto  Favorite Mélange  Minto 

New  York  Mix Mélange  de  New-York 

Old  Fashion Vieux  style 

Pepper  Mince Pastilles  de  menthe 

Rock  Candy Sucre  candi 

Rolls Rouleaux 

Rosebuds Boutons  de  rose 

Ruban  candy Bonbon  ruban 

Slices Tranches 

Snow  Balls Boules  de  neige 

Snow  Bars Bâtons  à  la  neige 

Swiss  caramel Caramels  suisses 

Tubs Cuvettes 

Victoria Victoria 

Whips Fouets 

Whistles Sifflets 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


LES  CAILLOUX  ^ 


Prince  de  la  Critique,  allume 
Ton  esprit  vif,  ton  œil  profond. 
Crevé  ces  vers  avec  ta  plume  : 
Ce  sont  des  bulles  de  savon. 

Tel  est  l'Envoi  de  la  Ballade  des  hvlles  de  savon,  où  M.  Jean  Xolin, 
étudiant  aux  Hautes  Études  Commerciales,  caractérise  d'abord  sa  bal- 
lade, puis  un  peu  toute  l'œuvre,  irisée,  fluide  et  gracieuse.  Les  princes 
de  la  critique  se  sont  donné  bien  garde  de  toucher  ces  ballons  éthérés 
qui  montent  et  qui  durent.  Le  jeune  poète,  comme  tout  débutant, 
redoutait,  sinon  la  critique,  les  critiqueurs,  qui  ne  goûtent  que  l'excel- 
lent ou  même  l'inexistant  : 

Selon  toi,  les  jeunes  ont  tort 
De  tenter  un  louable  effort, 

Aristide. 
Car  leur  livre  ne  sera  pas 
Un  noble  essai,  miisun  faux-pas.  .  . 

Mais  non  !  La  juste,  l'unanime  critique  a  sovu"i  à  l'alerte  volume 
blanc,  d'un  travail  tj-pographique  parfait,  relevé  encore  d'élégants  des- 
sins. On  lit  avidement  les  quelque  quarante  pièces  —  rondels,  son- 
nets, ballades,  triolets,  quatrains  et  strophes  diverses  — ,  que  notre 
auteur  de  vingt  ans  a  recueiUies  et  semées  sur  la  route  de  sa  Vie,  telle 
la  poignée  de  cailloux  de  l'ingénieux  petit  Poucet.  Affections  famiha- 
les,  scènes  de  collège,  des  pointes  d'épigramme,  de  la  mélancoUe,  un  peu 
de  brume,  beaucoup  de  soleil,  un  courant  de  sensibiUté  fine,  jaiUie  d'un 
coeur  d'adolescent,  voilà  le  fond.  Traduisez-le  en  joUs  vers,  spirituels, 
jamais  précieux,  de  toutes  mesures  et  cadences,  indices  d'une  virtuosité 

*  Les  Cailloux,  par  Jean  Xolin.  Imprimé  au  Devoir,  Montréal. 


182  l'action  française 

déjà  remarquée  et  prometteuse  de  riche  poésie  quand  elle  s'appliquera 
aux  grands  thèmes  lyriques,  vous  avez  la  forme. 

M.  NoUn  n'a  pas  voulu  poser  à  l'enfant  sublime  :  sa  muse  est  la 
Musa  pedestris  du  ciseleur  de  mots  que  fut  Horace,  mais  quand  même 
elle  marche,  on  sent  qu'elle  a  des  ailes.  EUe  aime  la  vie,  la  santé,  le 
soleil  :  M.  Nolin  est  de  la  race  forte,  il  n'a  rien  du  pâle  esthète  à  l'œil 
vide,  au  front  jaune,  à  la  mèche  fatale,  qui  meurt  toujours  par  méta- 
phore. Arrière  les  déhquescents  René  !  En  lisant  ces  vers  de  jeu- 
nesse, on  songe  plutôt  au  Racine  adolescent  du  parallèle  fameux  de 
l'abbé  Lecigne  :  «  Son  âme  est  saine,  elle  voit  gai.  Et  le  petit  Racine 
écrit  des  vers  où  passe  im  furtif  rayon  d'aube  fraîche.  A  Combourg 
(demeure  de  Chateaubriand)  on  pleure;  à  Port-Royal,  on  "sourit.  A 
Combourg,  on  s'éprend  de  l'âpre  volupté  de  mourir;  à  Port-Royal,  on 
chante  la  jeune  joie  de  vivre.  Ici  et  là,  on  lit  et  on  rêve,  mais  quelles 
différences  entre  les  rêves  et  les  lectures. . .  Là-bas,  c'est  le  roman- 
tisme qui  naît  dans  un  aspect  de  funérailles;  ici,  c'est  l'art  classique.  .  . 
Deux  enfants,  deux  httératures,  deux  France  sont  là.  .  .  j'aime  mieux 
la  France  de  Jean  Racine.  » 

M.  Jean  Nolin  est,  lui  aussi,  de  la  race  de  ceux  qui  vivent  et  qui 
luttent.  Il  rêve,  sans  doute,  il  se  blesse  aux  cailloux  gris  qui  font  «  mal 
à  l'âme  »  ;  mais  le  bon  sens  guide  le  rêve  et  la  folle  du  logis  trouve  à  qui 
parler.  Il  enseignait  naguère  à  ses  condisciples  la  beauté  du  Rêve  et 
s'insurgeait  contre  les  abus  et  les  contrefaçons  : 

. .  .  Rêveur  !  celui-là  qu'effarouche 
L'instant  morose  des  le(,.ons  f .  . 
Ces  vieillards  de  quinze  ans,  ces  moules  : 
Des  rêveurs,  des  rêveurs  ?  Jamais  !.. 
. . .  Ne  jamais  agir  mais  bâiller 
En  songeant  à  quelque  oreiller 
Où  l'on  pourrait  coucher  son  rêve, 
N'est  pas  rêver,  c'est  sommeiller  ! 

Le  vrai  rêveur  étudie  ferme  ses  classiques,  puis  se  repose  en  admi- 
rant les  coloris  du  printemps,  le  rythme  de  nos  érables,  l'or  clair  de  nos 
matins,  et  «  les  trouvailles  que  son  labeur  lui  révéla  ».  C'est  la  forte 
morale  de  La  Rentrée,  où  l'écolier  songe  bien  à  la  joie  enfuie,  au  vert 
sentier,  au  canot  sur  l'eau  qui  se  moire,  mais  sans  faiblesse  : 


l'action  française  183 

Oublions  les  fainéantises 

Et  n'ayons  plus  qu'une  hantise, 

Notre  devoir  ! 
Alors,  gais  de  leur  sacrifice, 
—  Car  la  joie  est  le  bénéfice 

De  qui  fait  bien  — 
On  voit,  dès  que  le  loquet  bouge, 
S'engouffrer  par  la  porte  rouge 

Les  collégiens. 

La  vie  de  collège,  surtout  pour  un  externe,  a  de  bons  moments, 
avouons-le  :  et  puis,  on  est  philosophe  ou  poète,  et  les  cailloux  s'illumi- 
nent.   Un  petit  nouveau,  égaré,  pleiu:e  dans  le  corridor  :  oh  !  la  vie  ! 

C'est  une  affreuse  injustice 
Qu'il  faille  que  l'on  grandisse. 
On  devrait  rester  petit. 

Pas  de  sympathie  pour  la  vieille  horloge  «  où  toute  mon  enfance 
dort»,  qui  gère  l'heure  des  cours  et  parfois  exagère  : 

. .  .  Sans  hâte,  en  haletant, 
Très  lente,  elle  endette  le  temps 
Et  jette,  à  regret,  ses  instants. 

Le  rêve  se  venge  en  traversant  les  vitres  comme  le  rayon  de  soleil, 
et  pendant  que  le  pauvre  maître  avive  l'Histoire  de  Rome  ou  de  Napo- 
léon, 

Chaque  élève  songe  à  demain, 
Quand  on  s'ébattra  dans  la  plaine, 
A  perdre  haleine. 

Le  professeur  exalte-t-il  le  bonheur  grave  de  la  science,  du  devoir 

Et  la  beauté  du  sacrifice, 
En  soi-même  chacun  se  dit 
Que,  si  le  temps  se  refroidit, 
On  s'en  ira,  demain  jeudi. 
Là  où  l'on  glisse. 


184  l'action  française 

C'est  après  de  tels  efforts  que,  de  retour  du  repos,  on  ose  écrire  à  la 
fillette  qui  sonnait  au  parloir  du  couvent  : 

Nous  avons  beaucoup  travaillé, 
Beaucoup  peiné,  pendant  la  classe. 
Mais  de  te  voir  là,  ça  délasse, 
Et  ça  nous  fait  tout  oublier  ! 

Poète,  vous  abusez,  vous  aurez  le  sort  de  l'externe  du  Thé  dansant 
qui,  lui,  du  moins,  reconnaît  que  la  classe  a  du  bon  : 

Un  collégien  qu  embarrasse 
Le  thé  trop  chaud  qu'on  lui  donna 
Se  dit  en  lui-même  qu'on  a 
Moins  de  souci  pendant  la  classe. 

Car  il  a  peur  de  laisser  choir 

La  tasse  avec  peine  tenue 

Et  sera  mis  en  rete n  ue 

Pour  n'avoir  pas  fait  son  devoir. 

Mais  je  me  vois  obligé  de  couper  court  à  travers  les  pièces  de  sen- 
timent plus  profond,  de  ciselure  plus  fine,  et  de  poésie  plus  émue  :  les 
morceaux  d'artistes.  L'auteur  me  pardonnera  de  m'être  attardé  aux 
choses  du  chez-nous  immédiat  et  d'aimer  trop  les  caiUoux  blancs  et  les 
roses  :  ce  sont  probablement  les  plus  originaux  et  les  plus  vécus  (si  l'on 
peut  dire).  L'auteur  ferme  son  livre  sur  ses  vingt  ans,  dans  un  adieu 
à  son  adolescence  et  après  quelques  expressions  de  rêve  presque  sombre 
qui  sont  le  tribut  à  la  fibre  romanesque,  sinon  romantique. 

D'un  bout  à  l'autre,  la  forme  est  bien  jolie;  le  vers,  bien  souple  et 
bien  moderne,  se  prête  à  d'heureux  effets  et  à  d'ingénieuses  combinai- 
sons, à  la  Rostand.  On  est  frappé  de  cette  filiation  de  Rostand,  du 
Rostand  des  Musardises,  de  l'esprit  et  du  clinquant,  de  l'inattendu  des 
mots,  de  la  Muse  qui  marche  et  sautille,  des  beautés  plutôt  que  de  la 
beauté.  C'est  le  moins  rccommandable  à  imiter.  Infiniment  mieux 
vaut  l'autre,  le  Rostand  avec  un  grand  R,  comme  dirait  Maurras;  celui 
de  la  Musc  qui  plane,  le  professeur  d'héroïsme  et  d'envol,  le  créateur 
de  Cyrano,  de  Flambeau  et  du  Coq  gaulois,  le  Français  à  l'âme  corné- 
lienne qui  vivra  en  dépit  de  son  vers  curieiLx,  fantaisiste,  maniéré,  trop 
spirituel,  un  peu  précieux  et  parfois  de  mauvais  goût,  qui  passe  en  con- 
trebande à  la  faveur  du  panache. 


l'action  française  185 

Xon,  ]\I.  Xolin,  si  naturel,  si  ennemi  de  l'effet,  devra  lui  laisser  les? 
mots  ingénieux,  mais  pas  encore  français  :  L'air  s'enchaleure,  le  regard  se 
mélanœlise,  musardiser,  le  tomber  des  feuilles;  il  n'y  en  a  que  quatre. 
De  même,  la  coupe  ternaire  ne  supprime  pas  l'hémistiche  dans  l'alexan- 
drin, et  la  dislocation  du  vers  a  des  Hmites.  Soyons  de  la  meilleure 
époque,  de  la  plus  belle  France,  et  ne  jouons  pas  au  peuple  \'ieux  :  les 
Français  en  seraient  marris,  tout  les  premiers.  Qu'attendent-ils  de 
nous? 

«  Que  les  jeimes  Canadiens  ne  cisèlent  pas  trop,  écrivait  M.  Ar- 
nould  en  1908;  qu'ils  ne  jouent  pas  au  peuple  vieux,  eux  qui  sont  si  jeu- 
nes, et  que,  d'un  franc  essor  d'imagination,  ils  nous  donnent  au  plus 
tôt,  s'il  plaît  à  Dieu,  une  troisième  saison  poétique  qui  tiendrait  des  deux 
premières  en  les  échpsant,  et  qui  nous  ferait,  noas,  battre  des  mains.  » 

En  1912,  au  Congrès  de  Québec,  M.duRoure  nous  demande  des  écri- 
vains régionaUstes  qui  chantent  notre  nature  d'hiver  et  d'été,  notre 
histoire  de  luttes  et  de  foi,  nos  traditions  parfumées  de  vieille  France 
et  de  Canada  jeune. 

«  Le  Saint-Laurent  n'a  pas  inspiré  les  vers  dont  il  est  digne,  nous 
crie  à  son  tour  M.  Ch.  ab  der  Halden.  Pareille  à  l'hirondelle  des  Mille- 
Iles,  ne  cherche  pas  les  lointains  paj's.  Xe  nous  promène  pas  en  Espa- 
gne, en  Italie,  en  Égj-pte.  .  .  Observe  la  vie  des  habitants  au  miUeu 
desquels  tu  naquis.  Dis-moi  les  splendides  paysages  du  pays  natal, 
fais  chanter  l'âme  de  tes  compatriotes.  .  .  Dans  la  peinture  de  ta  patrie, 
tu  sauras  mettre  ce  qui  ne  vieillit  pas,  le  quelque  chose  qui  nous  permet 
d'être  émus  par  un  vers  de  Racine  après  deux  cents  ans,  ou  de  Sophocle 
après  deux  miUe.  Mais  laisse  les  chiffons  qui  sortent  de  nos  magasins 
de  nouveauté, .  .  et  va.  Canadienne  aux  joHs  yeux  doux,  va  boire  à 
la  claire  fontaine  !  » 

M.  Xolin  est  dans  le  mouvement,  il  désire  une  httérature  à  noas. 
Son  coup  d'essai  lui  permet  des  aspirations  de  maître.  Quelqu'un  a 
dit  que  la  httérature  allemande  contient  «  peu  d'esprit  et  beaucoup  de 
consonnes  ».  M.  Xolin  a  donné  peu  de  vers  et  beaucoup  d'espérances. 
Il  manie  facilement  le  rythme,  il  sait  voir  et  sentir,  il  est  magnifique- 
ment équihbré,  qu'il  se  frappe  le  cœur  !  Qu'il  sorte  du  cercle  intime, 
qu'il  chante  les  grandes  choses,  les  grands  thèmes  IxTiques,  notre  na- 
ture incomparable,  la  patrie  d'aujourd'hui,  de  demain  et  d'hier,  cette 
histoire  «  écrin  de  perles  ignorées,  »  l'humanité,  la  foi,  Dieu,  le  Beau, 
source  de  toute  beauté.     M.  Xolin  aime  la  nature,  les  champs,  le  pays; 


186  l'action  française 

il  emploie  ses  vacances  à  s'imprégner  des  parfums  rudes  du  terroir,  à 
vivre  chez  nos  gens  de  vieille  souche. 

Que  le  bruit  de  la  ville  a  tué  de  pensers  ! 

Hélas  !  que  de  grands  cœurs,  boulevards,  sont  passés 

Sur  tes  âpres  trottoirs  où  le  poète  plie  ! 

Le  poète  ne  s'illusionne  pas  sur  la  Ville  qui  a  pris  Verlaine  et  Nel- 
hgan;  s'il  n'a  que  peu  touché  la  campagne,  c'est  qu'il  redoutait  le  con- 
venu, l'artificiel  et  qu'il  attend  d'avoir  fait  plus  ample  connaissance 
pour  la  chanter  non  dans  des  chants  qu'on  cherche,  mais  «  qu'on  reçoit 
du  sol  natal  comme  vme  sève  ».  D'aiUeurs,  la  pièce  des  Clôtures, 
sincèr   et  forte,  nous  est  un  garant  des  efforts  prochains. 

Que  M.  Nohn  donc,  qui  se  spécialise  dans  le  haut  commerce,  s'ap- 
plique à  fournir  ce  qui  est  en  demande  toujours  croissante  sur  le  marché 
Uttéraire  français;  que  sa  virtuosité  ne  se  complaise  pas  aux  joUes  rimes, 
«  ces  bijoux  d'un  sou  »  ;  qu'elle  soit  l'aiguille  d'or  qui  fasse  passer  le  fil 
solide.  Qu'il  soit  nôtre  comme  Paul  Harel  est  de  Normandie,  Verme- 
nouze  d'Auvergne,  et  Botrel  de  Bretagne.  C'est  un  Français,  Louis 
Hémon,  qui  a  écrit  le  roman  le  plus  canadien,  «  Maria  Chapdelaine  »  ; 
laisserons-nous  à  d'autres  la  tâche  d'exalter  le  lyrisme  de  nos  héros  et 
de  nos  œuvres?  Les  Rapaillages  et  Chez  nous  ne  trouveront-ils  pas 
bientôt  leur  équivalent  en  vers  ? . . . 

Alexandre  Dugré,  S.  J. 


LES  SYNDICATS  CATHOLIQUES,  UNE  DIGUE  CONTRE  LE 
BOLCHÉVISME  ' 

Le  R.  P.  Archambault  a  réuni,  sous  ce  titre,  trois  études  sur 
l'organisation  des  ouvriers  catholiques.  Deux  de  ces  études  ont  été 
publiées  déjà,  l'une  en  1911,  l'autre  en  1913;  la  troisième  est  inédite, 
croyons-nous.  Le  but  que  l'autciu:  se  propose,  c'est  d'éclairer  les 
esprits  sur  ce  que  doivent  être,  dans  un  pays  comme  le  nôtre,  les  unions 

'  Les  Syndicats  Catholiques,  une  digue  contre  le  Bolchévisme' 
par  le  R.  P.  Joseph-Papin  Archambault,  S.  J.  (  Editions  de  La  Vie 
Nouvelle.  Prix  :  35  sous.) 


l'action  française  187 

ouvrières.  Question  de  grande  importance  et  de  grande  actualité, 
comme  on  sait.  «  Combien  parmi  nous,  dit-il,  ont  du  sjoidicalisme  une 
idée  exacte?  Combien  conçoivent  l'association  ouvrière,  non  comme 
un  instrument  de  révolution,  mais  comme  un  organisme  sain  que  peut 
\'ivifier  l'esprit  surnaturel  ? .  . .  Soyons  francs.  L'idée  catholique 
sociale  n'est  pas  claire  dans  nos  esprits.  Aussi  elle  ne  façorme  pas  nos 
mentalités,  elle  n'affermit  pas  nos  actes.  Nous  hésitons,  nous  chance- 
lons même  devant  le  premier  problème  que  soulève  la  question  ouvrière, 
incapables,  semble-t-il,  d'appliquer,  parce  qu'insuffisamment  comprises, 
les  décisions  pourtant  si  nettes  de  Rome.  »  Au  Canada,  même  dans  la 
province  de  Québec,  l'on  est  volontiers  partisan  des  associations  inter- 
confessionnelles et  neutres,  où  les  cathohques  doivent  s'interdire  de 
raisonner  en  catholiques,  où  ils  n'ont,  comme  cathohques,  aucune 
influence  sur  la  direction  générale  ou  sur  les  décisions  immédiates, 
bien  qu'ils  fournissent  leur  nom,  leur  nombre  et  leur  argent.  Et  cepen- 
dant la  doctrine  de  l'Éghse  sur  ce  point  est  claire  et  précise  :  c'est  à 
l'association  confessioimeUe  que  les  catholiques  doivent  tendre.  Ce 
genre  d'association  est  réalisable  :  l'exemple  des  cathohques  de  Hollande, 
proposé  dans  le  deuxième  chapitre,  suffirait  à  nous  en  convaincre.  Dans 
des  conditions  plus  difficiles  que  celles  où  nous  sommes,  les  associations 
professionnelles  cathohques  sont  nées  et  se  sont  développées  dans  ce 
pays.  Dans  son  troisième  chapitre,  l'auteur  nous  fait  connaître  un 
mouvement  analogue  qu  se  répand  dans  notre  province.  Déjà 
vingt-sept  groupements,  représentant  plusieurs  milliers  de  travailleurs, 
se  sont  unis  avec  un  programme  franchement  cathohque.  Ce  mouve- 
ment doit  grandir.  Aucim  citoyen  ne  peut  se  désintéresser  aujourd'hui 
de  l'organisation  ouvrière  :  il  y  trouve  im  appui  nécessaire  ou  un  danger 
menaçant.  Seules  les  associations  cathohques  sauront  protéger 
l'ouvrier  sans  menacer  le  patron.  Les  patrons  cathohques,  plus  que 
tous,  ont  donc  intérêt  à  favoriser  ces  associations.  Les  ouATiers,  tous 
les  ou\Tiers,  ne  peuvent  que  gagner  à  leur  diffusion.  Ce  sera  là,  sou- 
haitons-le, la  conclusion  des  nombreux  lecteurs  de  ces  pages  sobres, 
claires,  essentiellement  pratiques. 

A.  D. 

Ajoutons  que  S.  É.  le  Cardinal  Bégin  a  bien  voulu  adresser  au 
R.  P.  Archambault,  le  22  avril  courant,  la  lettre  suivante  : 

Révérend  et  cher  Père, 

J'ai  pris  connaissance  de  votre  belle  brochm-e  siu"  les  Syndicats 


188  l'action  française 

catholiques   qui   doit    paraître   ces   jours-ci.     XuUe   publication    n'est 
jamais  venue  plus  à  son  heure. 

La  vague  socialiste  qui  menace  de  submerger  l'Europe,  déferle 
jusque  sur  notre  pajs.  11  est  souverainement  important  de  grouper 
nos  ôu^Tiers  catholiques  dans  des  organisations  ou\'Tières  catholiques 
au  lieu  de  les  laisser  s'eruregimenter  dans  les  cadres  d'associations  basées 
sur  de  faux  principes,  et  qui  ont  le  tort  fondamental  d'ignorer  ou  de 
négliger,  dans  la  question  sociale,  le  côté  moral  et  religieux.  Vous 
rappelez  très  opportunément  à  ce  sujet  les  enseignements  et  les  direc- 
tions de  Pie  X. 

Déjà  notre  presse  cathohque,  dans  de  très  bons  articles  que  j'ai 
été  heureux  de  Ure,  a  jeté  le  cri  d'alarme.  Votre  opuscule,  mon  révé- 
rend Père,  apportera  à  cette  campagne  mi  concours  précieux.  Il  dira 
avec  quels  succès  des  unions  cathoUques  ouvrières  ont  pu  se  constituer 
dans  certains  pays  d'Europe,  et  dans  notre  province  de  Québec,  à 
Chicoutimi,  à  Trois-Rivières,  à  Montréal  et  dans  mon  diocèse  où  ce 
travail  d'organisation  s'est  fait  surtout  par  l'intelUgence  et  le  dévoue- 
ment d'un  prêtre  très  compétent,  'SI.  l'abbé  Maxime  Fortin, auquel  vous 
rendez  un  si  juste  hommage. 

Agréez  donc,  mon  Révérend  et  cher  Père,  mes  sincères  féUcita- 
tions,  en  même  temps  que  l'assurance  de  mes  sentiments  les  plus 
dévoués. 

L.   X.  Cardinal  Bégin,  arch.   de  Québec. 


LE    DROIT   PAROISSIAL    DE   LA    PROVIXCE  DE  QUÉBEC  i 

La  paroisse  canadienne-française  est  en  soi  une  communauté 
extrêmement  intéressante.  Elle  a  ses  coutumes,  ses  lois,  son  organisa- 
tion définies.  L'étudier,  codifier  ses  lois,  noter  ses  coutumes,  montrer 
comment  elle  se  fonde,  comme  elle  s'administre,  comment  elle  se 
perpétue,  cela  n'est-il  pas  d'excellente  action  française,  au  sens  le  i)lus 
large  de  la  chose  ? 

Un  jeune  homme  de  chez  nous,  ^l.  Jean-François  Pouhot,  inscrit 
au  barreau  du  district  de  Kamouraska,  vient  de  pubher  sur  le  droit 
paroissial  de  la  province  de  Québec  un  ouvTage  de  plus  de  625  pages  où 

'  Le  Droit  paroissial  de  la  province  de  Québec,  par  Jean-François 
Pouliot,  avocat.  L'Imprimerie  «  Le  Saint-Laurent  »,  limitée,  Rivière- 
d  u-Loup  (en  bas). 


l'actiox  feaxçaise  189 

Il  a  groupe  avec  clarté,  justesse,  précision,  l'historique  de  la  paroisse 
en  France,  celui  de  la  paroisse  au  Canada,  des  notions  sur  la  liberté 
des  cultes,  toute  une  série  d'études  sur  les  biens  ecclésiastiques,  leur 
acquisition,  leur  administration,  ainsi  que  sur  l'évêque,  le  curé,  ses 
droits,  civils  et  politiques,  ses  attributions,  et  le  reste.  A  cela,  il  a 
ajouté  des  chapitres  sur  la  fabrique,  ses  actes,  les  marguilliers,  la  pa- 
roisse, les  assemblées  de  paroisse,  les  édifices  religieux,  les  bancs,  la  dîme, 
le  respect  du  dimanche  et  sur  d'autres  sujets  qui  tiennent  de  près  à 
cette  cellule  sociale  qu'est  la  paroisse  de  chez  nous.  Un  formulaire  du 
droit  paroissial,  par  un  praticien  expert  en  ces  matières,  ]\I.  Wilfrid 
Camirand,  avocat  au  barreau  de  Nicolet,  ime  remarquable  lettre  de 
Mgr  Paquet,  ime  introduction  de  M.  Ernest  Lapointe,  député  de 
Kamouraska  et  confrère  de  l'autem-  au  barreau  de  la  Rivière-du- 
Loap,  une  lettre-préface  de  Mgr  Mathieu  et  des  appendices  précieux 
complètent  l'ouvrage,  fort  bien  présenté,  du  point  de  vue  typographi- 
que, par  l'Action  Socid^e  Catholique,  aux  ateliers  de  laquelle  le  volume 
a  été  imprimé. 

L'auteur  de  ce  beau  travail  sur  notre  droit  paroissial  a  déjà  publié, 
il  y  a  quelques  années,  le  A'onveau  Code  Municipal  annoté;  il  paraît 
vouloir  employer  son  temps  à  présenter  aux  avocats,  aux  hommes  de  loi, 
au  pubUc  éclairé,  toute  une  série  d'ou\Tages  sur  notre  droit.  Il  peut 
difficilement  faire  œuvre  plus  méritoire  que  de  nous  éclairer  sur  la 
valeur  de  nos  institutions  et  de  nos  lois. 

Son  ouvrage  sur  le  droit  paroissial  lui  a  déjà  valu  les  comphments, 
l'approbation,  l'encouragement  des  esprits  dirigeants  de  notre  clergé, 
de  nos  praticiens  et  d'un  grand  nombre  de  citoyens  de  chez  nous.  Nous 
prenons  plaisir  à  le  signaler  aux  lecteurs  de  V Action  française  dans  l'idée 
qu'ils  ne  doivent  pas  ignorer  cette  nouvelle  manifestation  de  l'esprit 
qui  est  leur,  ce  nouveau  jalon  posé  le  long  de  la  route  où  progresse  leur 
belle    œuvre. 

G.  P. 


RÉCITS  LA  URENTIENS 

Nous  recevons,  au  moment  de  fermer  cette  livraison,  les 
Récits  laurentiens  du  R.  F.  Marie-Victorin.  Nous  en  parlerons  dès 
le  mois  prochain. 


TRIBUNE  DE  NOS  LECTEURS 


POUR  LA  SAINT-JEAN-BAPTISTE 

Voici  que  bientôt  les  mois  d'été  ramèneront  la  fête  de  Saint-Jean- 
Baptiste  et  les  longues  files  d'automobUistes  étrangers.  Proposons- 
nous  donc  de  célébrer  remarquablement  le  premier  Patron  et  de  rece- 
voir convenablement  les  visiteurs. 

La  Saint-Jean-Baptiste  passe  trop  inaperçue  dans  les  trois-quarts 
de  nos  paroisses  rurales.  On  a  tort  de  ne  pas  profiter  du  24  juin  pour 
insuffler  ime  bonne  leçon  de  patriotisme  à  notre  peuple  et  surtout  aux 
nombreux  enfants  qui  partiront  peut-être  demain  pour  les  usines  améri- 
caines, préoccupés  du  seul  intérêt  pécuniaire.  Alors  que  nos  puissants 
voisins  s'exaltent  et  se  chauffent  à  blanc,  le  1er  ou  le  4  de  juillet,  alors 
que  les  uns  jurent  de  nous  écraser  et  que  les  autres,  ne  nous  voyant 
même  pas,  escomptent  les  splendeurs  toujours  plus  grandes  de  l'avenir, 
nous,  les  faibles,  en  proie  à  la  défection,  au  coulage  et  à  la  routine,  nous 
ne  ramasserions  pas  nos  forces,  nous  ne  stimulerions  pas  nos  rares  ba- 
taillons à  soutenir  la  lutte  un  contre  quarante,  nous  ne  mettrions  pas 
nos  sans-grade,  tous  ces  volontaires  de  la  cause,  qui  ne  demandent  qu'un 
mot  d'ordre,  nous  ne  les  mettrions  pas  au  courant  des  dangers  qui  les 
menacent,  des  efforts  qui  les  attendent,  du  but  où  ils  doivent  viser,  du 
sommet  où  ils  doivent  parvenir  ?  Nous  ne  leiu-  dirions  pas  qu'ils  doi- 
vent sauver  lem-s  enfants  de  la  mortalité  infantile  et  plus  tard  de  la 
tuberculose  ?  Nous  ne  les  instruirions  pas  de  la  manière  d'établir  leurs 
grands  garçons  sur  des  terres  neuves,  sans  jamais  les  laisser  venir  à 
Montréal  ou  s'exiler  aux  États-Unis?  Nous  ne  lewc  dirions  pas  les 
périls  de  corps  et  d'âme  qui  guettent  leurs  filles  tentées  de  s'engager 
comme  servantes,  coutiu-ières  ou  commis  dans  les  grands  centres  ?  Nous 
n'enseignerions  pas  à  faire  la  Nouvelle-France  toujours  plus  belle  en 
améliorant  les  vieilles  paroisses,  et  toujom-s  plus  grande  en  colonisant 
ces  terres,  grandes  comme  la  France,  que  sont  les  millions  d'acres  de 
l'Abitibi,  de  la  Matapédia  et  de  la  Gaspésie?  En  un  mot,  nous  ne 
crierions  pas  à  nos  gens  qu'ils  ont  tons  un  devoir  national  à  remplir  et 
que  si  tous  font  Iciu"  part,  depuis  les  députés  et  ministres  jusqu'au  der- 
nier laboureiu-,  la  patrie  sera  grande  et  prospère,  selon  le  proverbe  : 
«  Si  chacun  balaie  devant  sa  porte,  toute  la  rue  sera  nette  ?  » 

Organisons  donc  la  célébration  de  la  Saint-Jean-Baptiste  dans  tou- 
tes les  paroisses.     Ce  n'est  pas  nécessaire  d'échafauder  laborieusement. 


l'action  française  191 

des  chars  allégoriques  :  une  messe  solennelle,  le  matin,  avec  sermon  par 
quelque  prêtre  du  collège  voisin  en  vacances;  l'après-midi,  chants  natio- 
naux par  les  enfants  des  écoles,  discours  patriotiques  et  pratiques  par 
des  orateurs  du  cru  et  par  d'autres,  s'il  le  faut,  auxquels  on  aura  deman- 
dé de  parler  sur  tel  ou  tel  sujet  précis  afin  d'éviter  les  redites  et  les  phra- 
ses creuses  :  Patriotisme  éclairé,  Colonisation,  FidéUté  à  la  Terre,  Ame 
française,  Correction  du  langage.  Zèle  pour  l'Éducation,  Mise  en  garde 
contre  certains  fléaux,  routine,  désertion,  luxe,  etc.  Voilà  autant  de 
sujets  sur  lequel  il  faut  toujoiKS  entretenir  l'âme  populaire,  si  l'on  veut 
qu'elle  s'intéresse  à  la  Cause  et  qu'elle  accomplisse  sa  tâche. 

Il  pourrait  encore  y  avoir  des  jeux,  des  courses  d'enfants,  des  con- 
cours sportifs,  même  entre  deux  paroisses  voisines.  Quelqu'un  suggé- 
rait naguère  vme  distribution  des  prix,  pour  toutes  les  écoles  de  la  pa- 
roisse, à  faire  dons  l'église,  ce  qui  serait  une  glorification,  une  consécra- 
tion de  l'étude,  et  un  touchant  symbole  de  notre  éducation  tout  impré- 
gnée de  foi.  Les  drapeaux  flotteraient  dans  le  sanctuaire  parmi  les 
images  saintes,  et  les  couronnes  de  feuilles  d'érable  des  élèves  les  plus 
méritants  seraient  ensuite  offertes  à  Dieu  pendant  une  bénédiction  du 
T.-S.-Sacrement,  comme  cela  se  pratique,  je  crois,  au  collège  Sainte- 
Marie. 

Que  la  Saint-Jean-Baptiste  se  célèbre  d'une  manière  ou  de  l'autre, 
peu  importe,  pourvu  qu'elle  ne  passe  pas  inaperçue  et  qu'on  y  fasse 
l'éducation  du  patriotisme.  Mgr  Langevin  répétait  souvent  :  «Avant 
«  mon  arrivée  à  Saint-Boniface,  j'ignorais  ce  que  c'est  que  le  patriotis- 
«  me.  »  Trop  de  nos  artisans  et  laboureurs  qui  ont  gagné  les  plaines 
de  l'Ouest  ou  les  usines  américaines  ne  l'ont  jamais  su,  et  se  sont  dé- 
plorablement  assimilés,  faute  d'avoir  été  mis  en  garde  et  de  savoir  l'émi- 
nente  valeur  de  leurs  ascendances  françaises.  L'annuelle  fête  patrio- 
tique est  là  pour  ancrer  nos  convictions  :  qu'on  la  célèbre  partout,  et 
qu'on  fasse  paraître  dans  les  journaux  tous  les  rapports  de  ces  manifes- 
tations, qui  ne  manqueront  pas  d'être  touchantes  et  originales  en  beau- 
coup d'endroits,  et  qui  seront  une  sonnerie  de  clairon  partout. 

* 
*  * 

L'autre  point  que  je  voudrais  signaler  brièvement  regarde  l'accueil 
que  les  étrangers  doivent  trouver  chez  nous,  particulièrement  chez  notre 
jeunesse.  Walter  Scott  a  dit  qu'il  e:uste  entre  les  jeunes  gens  de  tout 
pays  une  sorte  de  franc-maçonnerie,  disons  plutôt  une  sorte  de  frater- 
nité secrète  qui  établit  vite  la  bonne  entente  et  l'amitié.  Nous 
voyageons  un  peu  dans  les  provinces  maritimes,  l'Ontario  et  l'Ouest: 
profitons  donc  des  rapprochements  de  tables  d'hôte,  de  chemins  de  fer, 


192  l'action  française 

de  promenade,  pour  ouvrir  les  idées  et  les  cœurs  trop  fermés  à  notr^ 
égard.  Un  cigare  bien  placé  commence  l'œuvre  d'apostolat,  une  pa" 
rôle  souriante  ou  ferme  —  jamais  de  discussion  acerbe  —  une  invita- 
tion à  venir  dans  Québec,  une  rectification  sur  le  patois  canadien,  la 
domination  cléricale,  etc.;  parfois  de  simples  points  d'interrogation 
feront  jaillir  des  doutes  et  briseront  cette  croûte  de  préjugés  dont 
on  nous  écrase. 

Recevons  aimablement  ceux  qui  viennent  ici.  Je  sais  bien  qu'à 
peu  près  partout  les  visiteurs  ne  recueillent  que  d'excellentes  impres- 
sions, les  comptes-rendus  de  voyage  en  font  foi  ;  mais  il  suffit  de  quelques 
rares  taches  pour  briser  le  charme.  Que  tous  nos  villages,  du  long  des 
routes  provinciales  siu-tout,  soient  bien  propres,  que  les  parterres,  les 
gi'anges,  les  cours,  les  parcs  soient  bien  entretenus;  que  les  enfants  et 
les  autres  à  qui  l'on  demande  des  renseignements  ne  se  montrent  paS 
rébarbatifs  ou  timides  à  l'excès.  .  .  Un  rien  attire  ou  choque  des  obser- 
vateiu-s  de  passage. 

Quant  à  ceux  qui  viennent  passer  des  semaines  à  nos  stations  bal- 
néaires ou  dans  nos  campagnes  pour  apprendre  le  français,  c'est  auprès 
d'eux  surtout  qu'on  peut  exercer  une  action  heureuse.  Si  les  Français 
de  France  se  préoccupent  de  se  gagner  les  étudiants  étrangers,  que  ne 
devons-nous  pas  faire  ici,  où  nous  avons  tant  besoin  d'être  sympathi- 
quement  connus  ? 

M.  Ernest  Lavisse  exprimait  naguère  cette  mission  de  la  jeunesse 
française  :  «  Si  j'étais  étudiant,  comme  je  ferais  la  cour  aux  étudiants 
étrangers  !  je  serais  aimable  avec  eux  jusqu'à  la  coquetterie.  Je  leur 
ferais  les  honneurs  de  la  bonne  hospitalité  française.  S'ils  vivent  entre 
eux,  comme  ils  font  d'ordinaire,  je  trouverais  bien  moyen  d'aller  jusqu'à 
eux  et  de  leur  faire  aimer  ma  compagnie.  Puis  je  les  attirerais  dans  les 
groupes  français,  je  les  égaierais  au  contact  de  notre  gaieté.  Je  leur 
parlerais  de  leur  pays  et  du  mien,  des  choses  qu'ils  voient  et  qu'ils  ne 
voient  pas  en  France.  Je  plaiderais  devant  eux  notre  cause,  et  je  la 
gagnerais.  » 

Ne  serons-nous  pas  nos  avocats,  nous  aussi  ?  Qui  ne  sait  que  l'au- 
teur du  «  Clash  »  est  un  ami  de  cœur  de  M.  Sam  Genest,  le  lutteur 
d'Ottawa  ?  Quelle  n'est  pas  l'importance  d'avoir  des  défenseurs,  même 
plus  modestes,  un  peu  partout  ?  Si  dix  mille  Canadiens-français  se  don- 
naient la  tâche  annuelle  de  conquérir  chacun  une  amilié  ontarienne, 
américaine  ou  autre,  nous  aurions  bientôt  i)artout  des  légions  de  défen- 
seurs, véritables  artisans  do  bonne  entente.  La  chose  ne  vaut-elle  pas 
la  peine  d'être  tentée 'f*  Yves. 


l'Action  phatjçaise 
MAI   1919 


Les  Précurseurs 


EDMOND  DE  NEVERS 


De  sa  main,  déjà  livide  en  la  pâleur  de  la  mort  appro- 
chante, de  Nevers  écrivit  dans  son  carnet  intime  la  traduc- 
tion de  ce  poème  italien  : 

Quand  je  serai  mort  et  que  tu  viendras 

Chercher  ma  croix  au  cimetière, 

Dans  un  coin  ignoré  tu  la  trouveras  peut-être 

Et  mille  fleurs  seront  nées  autour  d'elle. 

Cueille  alors  pour  tes  blonds  cheveux 

Les  fleurs  nées  dans  mon  cœm", 

Ce  sont  les  poésies  inspirées  que  je  n'ai  pas  écrites. 

Peut-être  quelques  âmes,  conduites  par  l'amitié  vers 
ie  souvenir,  songent-elles  parfois  à  certains  côtés  inexprimés 
le  son  esprit.  Se  rappelant  la  bonté  dont  il  s'était  fait  une 
ègle  de  vie,  le  tour  particulier  de  son  talent  si  sensible  aux 
"ormes  chantantes  du  verbe  français,  elles  laissent  leur  ima- 
rination  former  des  gerbes  de  fleurs,  —  poèmes  que  de 
S^evers  voulut  écrire,  mais  qu'il  ne  publia  point.  Pour 
lous  qui  recherchons  chez  quelques-uns  de  nos  compatrio- 
es  des  pensées  directrices,  c'est  à  sa  prose  que  nous  nous 
rrêtons.  U Action  française  y  trouve  des  réflexions,  des 
lées,  demeurées  opportunes  et  dont  l'élévation,  la  jus- 
esse,  la  longue  portée  font  à  de  Nevers  figure  de  précur- 
:'ur. 

Pour  donner  à  son  œuvre  la  durée,  il  la  coula  en  un 
loule  de  marque  supérieure.  «  Ses  ouvrages  fortement 
ocumentés,  remplis  d'observations  judicieuses,  l'ont  placé 
Li  premier  rang  de  nos  écrivains  canadiens  »,   prononce 

Ijl.  III,  No  5 


194  L  ACTION    FRANÇAISE 

M.  l'abbé  Camille  Roy.  Henri  d'Arles,  ciseleur  émérite 
de  la  phrase  française,  le  classe  dans  «  la  grande  lignée  des 
voyants  et  des  penseurs  ».  Il  lui  trouve  des  affinités  par- 
ticulières avec  Montesquieu,  Fustel  de  Coulanges,  Tocque- 
ville.  Ces  critiques  de  chez  nous  renferment  plus  et  mieux 
que  leur  indulgence.  M.  Louis  Arnould,  qui  dit  n'avoir 
appuyé  ses  jugements  que  sur  la  justice,  qualifie  de  Nevers 
«  d'éminent  publiciste  ».  S'il  n'eût  pas  été  de  cet  avis, 
Ferdinand  Brunetière  aurait-il  consacré,  dans  la  Revue  des 
Deux  Mondes,  à  VAme  américaine,  une  étude  en  somme  sym- 
pathique? Pour  atteindre  à  ce  résultat,  de  Nevers  s'est 
livré  à  un  labeur  opiniâtre.  Il  a  persévéré  parce  que  l'amour 
intense  de  sa  race  l'animait.  Par  ce  côté  de  sa  vie,  il  doit 
servir  d'exemple.  En  un  temps  où  tant  de  professionnels 
remplissent  de  futilités  maintes  heures  de  leur  vie,  où  foule 
de  jeunes  gens  gaspillent  leur  vigueur  et  croient  accomplir 
leur  devoir  à  passer  les  trois-quarts  de  leurs  journées  et  de 
leurs  nuits  dans  une  mondanité  fiévreuse  ou  une  monotonie 
vide,  il  n'est  pas  mal  de  rappeler  le  souvenir  de  de  Nevers. 
Il  peina  pour  cultiver  son  esprit  et,  en  dépit  de  la  réalité 
douloureuse  et  déprimante  d'une  maladie  de  quinze  ans, 
il  lui  fit  produire  une  œuvre  remarquable. 

Sa  vie  a  tenue  en  moins  de  44  ans  (né  à  la  Baie-du-Feb- 
vrc  en  1862,  décédé  à  Central-Falls,  Ê.-U.  le  15  avril  1906). 

Au  séminaire  de  Nicolet  où  il  étudie  de  1873  à  1879, 
ses  professeurs  sont  frappés  de  l'originalité  de  son  carac- 
tère, de  l'étendue  et  de  la  vigueur  de  son  talent.  Il  est  du 
nombre  des  élèves  qui,  repoussant  comme  maître  l'amour 
persévérant  du  travail,  oscillent  entre  le  premier  et  le  der- 
nier rang  selon  qu'ils  daignent  ou  non  étudier.  En  rhéto- 
rique, son  père  lui  annonce  que  c'est  sa  dernière  année  de 
collège.  De  Nevers  se  ressaisit.  Il  devient  le  premier 
do  sa  classe,  étudie,  entre  temps,  la  philosophie  et  les  scien- 


LACTIOX    FRANÇAISE  195 

ces.  A  la  fin  de  l'année,  le  succès  à  ses  examens  lui  gagne 
un  certificat  d'étude.  A  Trois-Rivières,  où  il  fait  son  droit 
en  suivant  l'étude  de  Mtre  Hould,  il  retombe  dans  son  in- 
souciance ancienne.  «  Je  me  lève  à  neuf  heures,  écrit-il, 
je  me  rends  au  bureau,  je  dessine  le  portrait  des  plaideurs, 
je  regarde  passer  les  jeunes  filles,  je  joue  du  violon,  je  passe 
la  soirée  auprès  d'un  piano.  ))  Il  s'éveille  six  semaines 
avant  l'examen  final.  Ce  court  temps  est  encore  assez 
long  pour  qu'il  obtienne  le  titre  d'avocat.  Les  premières 
années  de  sa  vie  professionnelle  sont  faites  de  nonchalance 
et  de  mélancolie.  Il  débute  ((  en  se  couchant  sur  le  Ht  de 
l'indifférence  »,  avoue-t-il.  Le  salut  vient  en  1888  quand 
il  part  pour  l'Europe.  C'est  l'éveil  de  l'esprit.  La  période 
fructueuse  commence.  ^ 

Cette  histoii'e,  banale  en  apparence,  est  pleine  d'en- 
seignement. Demeuré  ici,  de  Nevers  eût  été  avocat  comme 
tout  le  monde.  Son  talent,  borné  par  les  petitesses  du 
métier,  se  serait  étiolé.  Combien  de  jeunes  hommes  aux- 
quels il  ne  manque  qu  une  occasion  pareille  pour  s'adonner 
à  une  action  féconde  et  accomplir  une  œuvre  de  haute  va- 
leur. Il  ne  suffit  pas  de  traverser  les  villes  européennes 
pour  devenir  grand  homme.  Mais  celui  qui  y  est  prédis- 
posé, trouve  là  du  moins  une  lumière,  une  méthode,  une 
disciphne  de  l'esprit  qu'il  cherchera  en  vain  en  ce  pays. 

L'idée  d'un  séjour  en  Europe  hantait  de  Nevers  depuis 
longtemps.  Étudiant  en  droit,  il  notait  :  «  Si  j'eusse  eu 
S50.00  je  partais  pour  l'Emope  chercher  des  sensations 
et  d'autres  points  de  la  vie.  .  .  Quand  je  serai  reçu  avocat, 
je  traverserai  l'océan.  »     C'est  en  songeant  sans  doute  à 

^  Nous  avons  emprunté  ces  détails  biographiques  à  un  article  paru 
dans  Le  Soleil  de  Québec,  le  29  avril  1906.  L'auteur  qui  signe  Mémo, 
dit  avoir  été  l'intime  ami  de  de  Nevers  et  l'avoir  suivi  tout  le  long  de  sa 
carrière. 


196  L  ACTION    FRANÇAISE 

ce  voyage  que  le  25  novembre  1879  il  écrivait  :  «  Il  me  fau- 
drait une  vie  agitée,  n'importe  de  quelle  manière,  il  fau- 
drait un  but  cher  à  ma  volonté,  mais  je  suis  indifférent  à 
tout.  » 

A  l'ombre  des  universités  et  des  bibliothèques  de  Vien- 
ne, de  Londres  ou  de  Paris,  ses  énergies  se  canalisent.  Elles 
se  font  ardentes,  persévérantes.  Son  désir  de  sensations, 
de  vie  agitée,  se  change  en  une  ténacité  admirable  à  l'étude. 
Il  aperçoit  enfin  le  but  cher  que  sa  volonté  réclamait,  c'est 
le  service  total  de  sa  race.  Il  est  allé  en  Europe  pour  dé- 
couvrir le  Canada.  Dans  les  verrières  des  cathédrales 
de  Cologne  et  de  Notre-Dame  de  Paris,  se  reflètent  les  clo- 
chers des  égUses  québecquoises,  et  les  fleuves  qu'il  descend 
le  font  rêver  des  rives  lam'entiennes.  Son  séjour  en  Europe 
développe,  affine  son  sens  patriotique.  Quelles  occasions 
pourtant  il  eut  de  le  perdre  !  De  1888  à  1889  il  étudie  à 
Berlin  où  il  suit  les  cours  de  l'historien  Mommsen.  Il  sé- 
journe à  Vienne  et  à  Rome,  à  Florence  et  à  Naples,  à  Ma- 
drid et  à  Lisbonne.  Il  apprend,  au  com's  de  ces  visites, 
l'allemand  et  l'italien,  l'espagnol  et  le  portugais.  Et,  à 
part  six  mois  vécus  à  Londres,  il  demeure  sept  ans  à  Paris 
où  il  fait  du  journalisme  à  l'agence  Havas.  Si  ce  mélange 
de  littérature  allemande  et  anglaise,  italienne  et  française, 
fait  gagner  en  variété  et  en  couleurs  à  sa  façon  de  penser 
et  à  sa  manière  d'écrire  ce  qu'il  leur  enlève  en  unité  et  en 
cohésion,  admirons-le  du  moins  d'avoir  conservé,  en  dépit 
de  ses  pérégrinations  et  de  tant  d'impressions  diverses, 
un  amour  si  ardent  pour  le  petit  peuple  canadien-français, 
laissé  là-bas  au  pied  des  Laurentides.  Il  n'a  vécu  que  pour 
sa  race.  Toutes  ses  pensées  s'y  ramènent.  Son  œuvre 
entière  n'a  pas  eu  d'autre  objet  que  de  la  servir.  Et  que 
de  sacrifices  il  lui  a  joyeusement  consentis.  Laborieux, 
solitaire,  il  étudie,  avec  l'unique  ambition  d'être  utile  à 


L  ACTION    FRANÇAISE  197 

ses  compatriotes.  Dans  ses  lettres  intimes,  il  revient  sans 
cesse  sur  ce  thème.  Il  insiste  sm*  son  dessein  de  devenir 
une  compétence,  de  se  mettre  en  état  de  «  mener  à  ]VIont- 
réal  une  vie  de  travail  et  de  dévouement  à  la  cause  cana- 
dienne-française ».  «  Depuis  la  date  de  ma  dernière  lettre, 
écrit-il  de  Londres,  je  n'ai  pas  eu  occasion  de  causer  avec 
qui  que  ce  soit,  pas  un  traître  mot.  Ma  solitude  a  été  ab- 
solue. Je  me  trouve  très  heureux  cependant.  Je  pense, 
j'écris,  je  rêve  :  je  pense  au  pays,  à  son  avenir,  je  forme  des 
projets  patriotiques  »...  Et  de  Paris  le  28  septembre 
1899  :  «  Je  suis  au  centre  du  monde,  tout  au  milieu  de  la 
grande  scène  sur  laquelle  se  portent  les  regards  irrités  d'une 
partie  de  l'univers.  Mon  logement  est  en  face  de  Notre- 
Dame.  A  ma  fenêtre,  tous  les  soii's,  je  contemple  la  tour 
de  Quasimado.  Je  suis  certainement  le  plus  solitaire  et  le 
plus  silencieux  des  trois  millions  d'habitants  de  Paris.  La 
solitude  dans  laquelle  je  vis  ne  serait  pas  plus  profonde  dans 
les  forêts  du  Saint-Maïu-ice  ou  de  l'Ottawa.  .  .  Ma  santé 
a  décliné  continuellement  depuis  dix  ans  sans  aucune  in- 
terruption. .  .  Je  prends  mon  mal  en  patience,  je  me  cou- 
che vers  neuf  heures  et  je  me  dis  :  allons,  souffrons  !.  .  . 
A  huit  heures,  je  me  lève,  fais  une  heure  de  violon,  puis 
je  prends  ma  plume  et  je  travaille  tant  bien  que  mal  jus- 
qu'à une  heure.  L'après-midi,  je  vais  généralement  à  la 
bibUothèque.  .  .  De  sept  heures  à  huit  heures,  je  fais  une 
promenade  autour  du  jardin  du  Luxembourg.  »  ^ 

Ce  genre  de  vie  le  tue  peu  à  peu.  Dans  une  lettre  adres- 
sée à  Françoise,  il  avouait  que  l'Ame  américaine  avait  abrégé 

1  Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  le  docteur  J.-M.  Brisebois, 
de  Longueuil,  d'avoir  eu  la  bonne  fortune  de  lire  les  lettres  qu'il  reçut  de 
de  Nevers  et  d'en  pouvoir  citer  quelques  extraits.  Nous  tenons  à  lui 
exprimer  ici  notre  gratitude.  Quelques-unes  de  ces  lettres  sont  pré- 
cieuses par  le  jour  qu'elles  jettent  sur  le  caractère  de  de  Nevers  et  les 
jugements  qu'elles  contiennent  sur  quelques-ims  de  nos  compatriotes. 


198  L  ACTION    FRANÇAISE 

sa  vie  de  moitié.  Pour  imprimer  770  pages  il  en  écrivit 
6,000.  Il  lut  et  feuilleta  2,000  volumes.  Le  livre  paru, 
la  veille  de  son  départ  de  Paris,  il  apprit  que  depuis  dix  ans 
il  souffrait  d'une  maladie  dont  la  guérison  était  impossible. 
«  Je  ne  regrette  rien  »,  se  contenta-t-il  de  conclure.  Et 
pourquoi  tout  ce  labeur  ?  Faire  une  œuvre  utile  à  sa  race. 
Ses  livres  publiés,  il  rêve  de  se  fixer  à  Montréal,  de  faù-e 
profiter  notre  province  des  lumières  acquises  au  prix  de  tant 
d'efforts.  Il  souhaite  occuper  une  chaire  universitah-e  et, 
à  défaut,  donner  des  com's  libres.  Son  destin  était  autre. 
Revenu  d'Europe,  il  recueille  la  position  d'Arthur  Buies, 
à  SI, 000. 00  l'année.  Son  sentiment  patriotique  le  tient 
toujours.  PubUciste  attaché  à  un  ministère  de  Québec, 
il  songe  à  «  préparer  des  Uvres  de  lecture  pour  les  écoles 
dans  lesquels  il  mettra  sous  une  forme  très  simple,  beau- 
coup de  conseils  patriotiques  et  pratiques  ».  La  maladie 
l'en  détourne.  Elle  l'amène  au  recueillement.  Il  meurt 
après  avoir  réveillé  en  lui,  disent  ses  biographes,  le  croj^ant 
endormi.  ^ 


Si  sa  vie  trop  courte  ne  lui  permit  pas  de  faire  l'action 
extérieure  qu'il  rêvait,  il  a  laissé  du  moins  un  enseignement 
qui,  grâce  à  ses  écrits,  a  élargi  le  champ  de  son  influence 
et  la  fera  durer.  A  peine  a-t-il  fréquenté  les  universités 
européennes  et  connu  hommes  et  choses  qu'il  veut  noter 
ses  impressions.  Son  ambition  embrasse  tout,  prose  et 
poésie,  études  ethnologiques  et  romans.  Dès  1893,  sa 
correspondance  nous  le  montre  occupé  à  la  rédaction  d'un 
roman,  Horizons  lointains.     Il  ne  devait  pas  paraître,  pas 

'  Sa  vie  dont  nous  n'avons  pas  reçu  la  pleine  mesure  fut  bonne, 
et  sa  mort  fut  celle  d'un  chrétien  et  d'un  juste,  nota  M.  l'abbé  Camille 
Roy  (Le  Soleil  de  Québec,  20  avril  1906). 


L  ACTION   FRANÇAISE  199 

plus  qu'un  autre  roman,  L.-B.-Z.  Chamard,  l'illustre  tribun, 
étude  de  mœurs  qui,  selon  la  promesse  qu'en  faisait  de  Ne- 
vers,  devait  «  fouter  un  coup  aux  politiciens  ».  Il  veut 
écrire  des  souvenirs  de  voyage,  un  volume  de  poésies,  L  Éter- 
nelle nostalgie,  qu'il  divisera  en  deux  parties  :  Loin  des 
champs,  Loin  des  cités.  Il  songe  à  traduire  un  roman  aus- 
tralien de  Marcus  Clarke.  De  toute  cette  ébullition  lit- 
téraire, il  devait  rester,  —  à  part  quelques  conférences, 
maintes  correspondances  aux  journaux  et  la  traduction 
d'un  ouvrage  de  Matthew  Arnold,  —  deux  œuvres  essen 
tielles  :  l'Avenir  du  peuple  canadien  français  et  l'Ame  amé- 
ricaine. 

Ces  ouvrages  se  ramènent  à  un  sentiment  unique^ 
l'amour  du  peuple  canadien  français,  à  une  idée  centrale, 
contribuer  à  la  grandeur  de  cette  race.  C'est  ce  qui  en  fait 
l'unité  et  l'intérêt  durable.  De  Nevers  n'a  même  entrepris 
l'étude  de  l'Ame  américaine  et  écrit  à  ce  sujet  un  livre, 
((  l'un  des  plus  intéressants  qu'on  ait  publiés  depuis  long- 
temps sur  l'Amérique  )),  reconnut  Brunetière,  que  parce 
qu'il  considérait  urgent  à  ses  compatriotes  de  scruter  le 
passé  et  le  présent  de  la  république  voisine  afin  d'en  prévoir 
l'avenir.  C'est  en  se  répétant  que  «  les  destinées  des 
États-Unis  sont  d'une  importance  suprême  pour  nous, 
Canadiens  français  »,  qu'il  entreprit  ce  grand  ouvrage. 
Ses  aperçus,  ses  observations,  aideront  à  se  guider  ceux  qui 
rechercheront  l'effet  que  la  participation  des  États-Unis  à 
la  guerre  et  à  la  signature  du  traité  de  paix,  aura  sur  l'orien- 
tation des  divers  éléments  qui  ont  formé  l'âme  américaine. 
Loin  de  vieillir,  ses  jugements  renferment  des  données  dont 
devront  toujours  tenir  compte  les  historiens  de  la  patrie 
de  Washington.  Mais  si  remarquables  que  soient  ces  deux 
volumes,  c'est  à  son  premier  ouvrage,  encore  plus  chargé 


200  L  ACTION    FRAiSrÇAlSÏÎ 

d'intérêt  pour  les  Canadiens  français,  que  nous  bornerons 
cette  étude. 

A  peine  rendu  en  Europe,  il  songe  à  dire  à  ses  compa- 
triotes ce  qu'il  pense  d'eux.  Attiré  par  les  études  ethnolo- 
giques, occupé  à  rechercher  l'origine  des  peuples  et  les  causes 
de  leur  évolution,  de  leur  grandeur  ou  de  leur  déchéance,  il 
arrête  de  préférence  son  attention  sur  l'un  d'eux,  petit, 
le  nôtre.  Les  leçons  de  notre  passé,  les  lacunes  du  présent, 
l'amènent  à  rechercher  ce  qu'exige  l'avenir.  Son  amour 
patriotique  le  porte  à  faire  mieux  que  de  rouler  en  son 
esprit  des  idées  sur  l'excellence  de  sa  race.  Il  les  exprime, 
devinant  que  ses  compatriotes  décou\Tiront,  à  méditer  ses  -- 
pensées,  des  motifs  d'action.  Il  publie  à  Paris,  en  1896, 
V Avenir  du  peuple  canadien  français.  S'il  s'est  plu  à 
l'écrire,  si  ces  pages,  à  mesure  qu'il  les  rédigeait,  lui  sem- 
blaient contenir  plus  d'idées  que  n'en  renferment  d'ordi- 
naire les  livres  de  chez  nous,  au  point  qu'il  craint  qlie  le  ton 
ne  nous  apparaisse  trop  philosophique,  il  se  déclare  déçu  dès 
que  le  volume  est  imprimé.  «  C'est  une  balançoire  », 
s'écrie-t-il.  Volontiers,  il  ferait  le  geste  de  maints  auteurs, 
il  brûlerait  son  œuvre.  Il  fera  mieux,  il  la  revisera.  De  la 
première  édition,  promet-il,  il  ne  restera  pas  cinquante 
pages.  Seule  cette  refonte  sera  li\'Tée  au  public.  Ce  projet 
ne  fut  pas  exécuté.  Et  il  n'est  resté  que  la  première  édi- 
tion que  de  Nevers  ne  destinait  pas  au  commerce,  mais 
qu'il  réservait  à  quelques  amis.  Une  seconde  édition 
n'eût  pas  nui  à  sa  gloire  littéraire.  Il  eût  effacé  des  redites, 
mieux  suivi  l'idée  générale  de  l'ouvrage,  fait  preuve  de 
méthode,  de  symétrie  (il  ne  prit  pas  la  peine  de  faire  à  son 
livre  une  table  des  matières).  Mais  eût-il  ajouté  beaucoup 
à  l'acuité  de  ses  observations,  à  la  précision  de  certains  de 
ses  jugements,  à  la  clarté  de  sa  vision?  Il  écrivait  di^ 
Central  Falls  le  29  juin  1897  :     «  Après  cela  (la  publica- 


L  ACTION   FRANÇAISE  201 

tion  de  l'Ame  américaine)  une  nouvelle  édition  du  Peuple 
Cf.  absolument  refondue,  c'est-à-dire  qu'il  ne  restera 
qu'une  cinquantaine  de  pages  de  cette  balançoire.  Je 
refais  tout  en  neuf.  Je  change  même  le  titre  qui  sera  : 
«  Le  peuple  canadien-français.  Le  passé,  le  présent, 
l'avenir  »,  Mon  premier  livre  n'aj^ant  pas  été  mis  en  vente, 
je  le  considère  comme  non  avenu  et  celui-ci  sera  pour  le 
gros  public  une  œuvre  nouvelle.  J'expliquerai  la  chose 
dans  un  mot  de  préface  ». 

Ce  jugement  par  l'auteur  est  trop  sévère.  A  lire 
d'autres  lettres,  il  semble  que  son  refus  de  mettre  en 
librairie  cet  ouvrage  ne  lui  ait  pas  été  suggéré  par  la  seule 
crainte  que  la  forme  ne  fut  trouvée  imparfaite.  Il  se 
vantait  de  dire  dans  ce  livre  des  vérités  et  il  redoutait 
d'être  pris  à  partie.  Les  attaques  que  certaines  gens  d'ici 
dirigeraient  sans  doute  contre  lui  à  raison  de  quelques- 
unes  de  ses  pensées  mal  comprises,  le  mettraient,  croyait-il, 
en  suspicion,  compromettant  ainsi  ses  efforts  futurs.  Ses 
craintes  étaient  exagérées.  Le  sens  de  son  œuvre  fut  saisi. 
Elle  n'a  rien  perdu  de  son  importance.  Et  en  dépit  du 
désaveu  prononcé  par  de  Nevers  lui-même,  nous  tenons 
ce  livre,  dans  sa  forme  inachevée,  comme  l'un  des  ouvrages 
les  plus  précieux,  les  plus  utiles  à  méditer  dont  se  puisse 
glorifier  notre  littérature.  Ainsi  vont  les.  desseins  des 
hommes  !  «  Ma  diplomatie  à  moi,  écrivait-il  le  4  novembre 
1898,  a  toujours  consisté  à  empêcher  que  l'on  parle  de  moi. 
Je  n'ai  pas  permis  qu'on  me  fasse  de  réclame.  »  Repousser 
la  louange  et  s'exécuter  soi-même,  c'est  plus  qu'il  n'en  faut 
pour  entrer  dans  l'oubli.  De  Nevers  ne  resta  pas  ignoré, 
Ses  œuvres  font  son  éloge.  Sa  renommée  sera  de  la  meil- 
leure trempe.  Parce  qu'il  enchâssa  en  ses  phrases  élégam- 
ment tournées  mieux  que  des  oripeaux,  qu'il  sut  animer  son 
œuvre  du  souffle  du  patriotisme,   la  ramener   aux  idées 


202  L  ACTION    FRANÇAISE 

essentielles  dont  vit  notre  race,  la  remplir  de  pensées  neuves 
et  de  lointaine  portée,  ses  compatriotes  garderont  en  même 
temps  que  le  souvenir  de  son  nom  les  leçons  de  son  enseigne- 
ment. 

Le  mérite  de  l'Avenir  du  peuple  canadien-français, 
c'est  d'être  une  tentative  —  la  première  ici,  croyons-nous  — 
de  proposer  aux  Canadiens  français  un  programme  complet 
d'action  publique.  C'est  une  vue  d'ensemble.  Que  nos 
travailleurs  de  l'intelligence  nous  donnent  des  directions 
précieuses,  nous  fassent  saisir  ((  la  subordination  des  pro- 
blèmes dans  une  vue  totale  »,  réclamait  naguère  M.  l'abbé 
Lionel  Groulx.  De  Nevers  comprit  cette  nécessité  et, 
le  premier,  s'essaya  à  créer  ici  «  l'esprit  d'ensemble  )), 
d'établir  «  le  rapport  des  pièces  au  tout  ».  «  La  grande 
parole,  la  parole  de  clarté  et  de  force  »  qu'appelait  M.  l'abbé 
Groulx,  ne  fera  pas  autre  chose  que  de  reprendre  le  livi'e 
de  de  Nevers,  de  le  mettre  à  date,  d'y  faire  ici  quelques 
corrections,  là  quelques  additions,  d'y  Inettre  l'ardeur 
nouvelle  qu'exigent  des  périls  accrus.  En  attendant  que 
cette  voix  retentisse,  ou  que  cette  plume  écrive,  il  y  a  profit 
à  feuilleter  le  livre  de  de  Nevers  pour  en  dégager  les  idées 
essentielles. 

De  Nevers  croit  fermement  à  la  survivance  de  notre 
race  et  au  rôle  qu'il  lui  faut  jouer  en  Amérique.  Du  point 
de  vue  philosophique,  de  Nevers  approuve  le  développement 
qu'a  pris  au  19ème  siècle  dans  la  conscience  humaine  le 
sentiment  de  la  nationalité  et  de  la  race.  Jugeant  facteur 
morbide  l'assimilation  qui  s'est  faite  aux  États-Unis  des 
émigrés  à  l'élément  de  langue  anglaise,  il  croit  au  réveil  de 
ces  fils  de  nations  étrangères.  L'Amérique  du  Nord  ne  sera 
jamais  exclusivement  anglaise,  affirme-t-il.  La  variété  de 
langues,  de  mœurs  et  de  coutumes  est  voulue  par  la  Provi- 


L  ACTION    FRANÇAISE  203 

dence.     Ces  idées  l'amenèrent  à  lutter  pour  conserver  aux 
Canadiens  français  leurs  notes  distinctives. 

Mais  quel  avenir  politique  leur  est  réservé?  Le 
Canada  lui  semble  voué  à  l'annexion  aux  États  Unis.  Une 
union  plus  étroite  avec  l'Empire  britannique  n'est  pas 
possible.  Une  fédération  impériale,  contraire  aux  prin- 
cipes d'économie  politique  et  aux  lois  historiques,  doit  être 
combattue  non  pas  seulement  par  les  Canadiens  français, 
qu'elle  ne  saurait  intéresser  que  du  point  de  vue  matériel, 
mais  par  tous  les  Canadiens  qui  ne  peuvent  y  voir  que  le 
sacrifice  des  colonies  au  dieu  empire.  Peut-on  croire  au 
développement  du  lien  fédératif,  à  la  rupture  des  relations 
qui  unissent  le  Canada  et  l'Angleterre?  L'indépendance 
de  notre  paj's  apparaît-elle  à  l'horizon?  En  des  phrases 
grandiloquentes  nos  politiques  répondent  parfois  affirma- 
tivement à  la  question.  De  Nevers  n'y  croit  pas.  Il  sait 
bien  cependant  à  quelles  conditions  une  nation  canadienne 
pourrait  se  constituer  et  durer.  La  première  serait  l'har- 
monie faite  du  respect  des  droits  de  tous  et  de  chacun,  du 
consentement  à  laisser  les  divers  éléments  ethniques  de  la 
Confédération  libres  de  conserver  leurs  traditions.  Les 
Canadiens  français  ne  sont  pas  un  obstacle  à  la  formation 
de  cette  nation.  Ce  pays,  conquis  en  premier  lieu  par  nos 
pères,  colonisé  par  leurs  bras,  arrosé  de  leur  sang,  est  notre 
seule  et  unique  patrie.  Avec  quelle  joie  nous  aiderions  à 
son  évolution.  Notre  fidélité  aux  souvenirs  du  passé,  notre 
vouloir  à  maintenir  ce  que  nous  ont  légué  nos  ancêtres  et 
ce  que  la  constitution  a  reconnu,  n'impliquent  ni  rancune,  ni 
hostilité  contre  aucune  race.  Qu'un  jour  les  Canadiens 
anglais,  écossais,  irlandais,  en  puissent  dire  autant,  et  une 
nation  naîtra  ici.  Ce  sera  une  Suisse  américaine,  composée 
d'éléments  divers,  vivant  dans  l'union  et  le  progrès.  Mais 
non,  l'obstacle  véritable  à  cet  avancement,  c'est  le  sentiment 


204  L  ACTION   FRANÇAISE 

des  Anglo-Canadiens  à  notre  égard.  Ne  consentant  jamais 
à  se  dire  Canadiens  tout  court,  ils  penseraient  s'abaisser  que 
de  traiter  d'égal  à  égal  avec  nous.  Comme  les  récents 
événements  attestent  la  profonde  psychologie  de  de  Nevers 
écrivant  :  «  Ne  nous  faisons  pas  d'illusion.  Nos  compa- 
triotes anglais  ne  laisseront  pas  se  briser  le  lien  colonial  pour 
partager  avec  les  vaincus  de  1760  et  dans  des  conditions 
égales  la  direction  de  notre  jeune  pays  ».  De  Nevers  ne 
s'afflige  pas  outre  mesure  de  cette  attitude.  Au  souvenir 
de  ses  méditations  sur  la  naissance  et  l'évolution  des  peu- 
ples, il  prononce  que  si  le  Canada  n'imite  pas  l'exemple  de  la 
république  helvétique,  c'est  que  des  lois  historiques  et  socio- 
logiques l'auront  détourné  de  cette  voie.  Las  de  chercher 
à  nous  asservir,  les  Anglo-Canadiens  choisiront  entre  la 
fédération  impériale  et  l'annexion  aux  États-Unis.  Grâce 
aux  conditions  économiques,  cette  dernière  alternative, 
croit  de  Nevers,  ralliera  les  suffrages.  Il  ne  s'en  effraie  pas. 
Dans  l'Union  américaine,  nous  surnagerons.  Retrouvant 
nos  compatriotes  émigrés  là-bas,  nous  formerons  avec  eux 
un  groupe  si  puissant  que  c'est  l'élément  français  qui  domi- 
nera dans  une  partie  de  l'est  américain.  Il  y  aura  bien 
encore  des  attaques  contre  nous.  Elles  viendront  ni  de 
Saint-Paul  ni  de  Boston,  mais  de  Winnipeg  ou  de  Toronto. 
Même  sous  le  drapeau  étoile,  certaines  gens  de  l'Ontario 
et  du  Manitoba  demanderont  parfois  aux  Congrès  l'adop- 
tion d'une  mesure  destinée  à  fermer  nos  écoles  et  à  se  faire 
évanouir  ici  les  vocables  français.  N'ayez  crainte,  continue 
de  Nevers.  Live  and  let  live  est  un  principe  que  les  Amé- 
ricains imposeront  à  nos  ennemis  de  toujours.  Au  reste, 
l'heure  de  notre  union  à  nos  voisins  du  Sud  n'est  pas  venue. 
L'annexion  doit  trouver  les  Canadiens  français  plus  forts 
qu'ils  ne  le  sont.  Soyons  pour  le  statu  quo.  N'étant  pas 
prêts  à  affronter  l'inconnu  que  récèle  notre  existence  au 


l'action  française  205 

sein  de  la  république  américaine,  conservons  le  plus  long- 
temps possible  le  lien  fédératif.  Entre  temps,  efforçons- 
nous  d'atténuer  les  préjugés  des  Anglo-Canadiens  à  notre 
égard.  Il  y  en  aura  toujours  assez  !  Mais,  tâche  princi- 
pale, élevons-nous.  Il  faut  que  notre  race  ajoute  à  sa 
couronne  quelques  fleurons,  qu'elle  n'entre  dans  la  républi- 
que voisine  que  précédée  d'une  haute  réputation.  Nous  ne 
devons  y  pénétrer  que  «  comme  les  fils  d'une  famille  qui 
n'a  pas  déchu  et  avec  laquelle  on  est  fier  de  s'allier  ». 

Des  ennemis  d'ordres  extérieur  et  intérieur  luttent 
contre  nous.  Le  pansaxonnisme  qui  rêve  d'expansion 
anglaise,  voit  dans  le  Québec  une  excroissance  désagréable 
sur  la  surface  unie  et  homogène  du  continent  américain. 
Il  voudrait  la  supprimer.  Les  pansaxonnistes  cherchent 
à  retirer  de  leurs  flancs  cette  épine.  Goldwin  Smith,  par 
exemple,  désirait  si  fort  que  l'Amérique  appartînt  à  la 
langue  anglaise  et  à  la  civilisation  anglo-saxonne,  qu'il 
appelait  l'annexion  comme  l'unique  moyen  d'assimiler 
l'élément  français.  De  Nevers  ne  s'émeut  pas  de  ce  danger. 
L'Anglais  a  tort  de  voir  dans  le  pansaxonnisme  un  progrès. 
Plus  l'Anglais  anglicise,  moins  il  reste  anglais.  Il  perd  à 
ce  jeu  son  unité  de  race,  «  ses  idiosyncrasies  nationales  ». 
Au  reste,  jamais  la  langue  anglaise  ne  fut  reçue  par  les 
classes  supérieures,  comme  ce  fut  le  cas  pour  la  française. 
L'Angleterre  a  imposé  sa  langue,  «  par  une  sorte  de  force 
brutale,  aux  déclassés,  aux  indigents,  aux  déshérités,  à  des 
peuplades  sauvages  ou  demi-civihsées,  vaincues  ».  De 
Nevers  se  repose,  pour  repousser  ici  les  tendances  pan- 
saxonnistes, sur  «  le  fort  sentiment  du  droit  et  de  la  justice, 
l'amoiu"  de  la  paix,  et  surtout  le  bon  sens  pratique  qui  for- 
ment le  fond  de  l'âme  du  Canadien  anglais,  en  général  » 
C'est  de  sa  part  généreuse  naïveté.  De  Nevers  écrirait-il 
cette  phrase  après  l'enfantement  du  règlement  XVII  par 


206  L  ACTION    FRANÇAISE 

la  province  de  l'Ontario  ?  Il  voit  plus  juste  quand  il  nous 
recommande  de  compter  principalement  sur  nous.  «  Ce 
qui  nous  importe,  avant  tout,  c'est  d'affirmer  notre  vitalité 
avec  tant  de  force,  de  nous  rattacher  avec  tant  d'ardeur  à 
tout  ce  que  nous  tenons  de  nos  ancêtres  de  France,  de  mani- 
fester si  hautement  les  qualités  particulières  de  notre  race, 
que  tout  espoir  d'assimilation  disparaisse  de  l'âme  du  pan- 
saxonniste  le  plus  chauvin.  »  Et  si  c'était  montrer  un 
optimisme  exagéré  dans  la  disparition  d'un  état  d'âme  que 
tant  de  têtes  et  de  cœurs  anglais  entretiennent  en  Amérique, 
c'était  du  moins  nous  donner  le  plus  salutaire  des  conseils. 
C'était  nous  inviter  à  repousser  ces  attaques  du  dehors,  en 
nous  débarrassant  tout  d'abord  des  ennemis  du  dedans, 
défauts  qui  tiennent  à  nous,  insouciance  qui  paralyse  nos 
efforts.  Nous  ne  serons  assurés  de  pouvoir  lutter  contre  les 
dangers  qui  menacent  notre  existence  au  sein  de  la  Confédé- 
ration ou  de  l'union  américaine  que  si,  non  seulement  nous 
vivons,  mais  surtout  si  nous  avons  grandi,  si  nous  nous  som- 
mes haussés  à  nos  tâches  nouvelles,  si  nous  avons  conquis 
par  notre  développement  intellectuel,  matériel  et  moral, 
un  droit  inéluctable  à  une  vie  nationale  distincte,  Nous 
sommes  maîtres  de  nos  destinées,  répète  de  Nevers.  Notre 
mort,  notre  infériorité  ne  seront  imputables  qu'à  nous. 
Comment  éviter  l'une  et  l'autre? 

Pour  nous  faire  accepter  des  obligations  nouvelles  il 
rappelle  nos  titres  de  noblesse.  Il  étudie  le  présent.  A 
quelle  phase  de  son  développement  est  rendue  notre  race 
à  l'heure  oh.  il  écrit  ?  Sa  réponse,  élogieuse  pour  le  passé, 
est  d'une  juste  sévérité  pour  le  présent.  Pendant  150  ans, 
ce  fut  une  lutte  admirable  pour  Dieu  et  le  roi;  pendant  100 
autres  années  ce  fut  l'assaut  aux  libertés  constitutionnelles. 
1760  mit  fin  aux  expéditions  guerriàres  et  aux  faits  d'armes 
héroïques.  1867  ferme  la  période  des  luttes  parlementaires 
victorieuses.     De   1867   à    1894,    quelle   page   avions-nous 


l'action  française  207 

ajoutée  à  nos  annales?  Aucune.  Qu'avons-nous  fait,  pour 
la  race?  Rien.  «  Les  vingt -cinq  dernières  années  ont  été 
pour  nous  une  période  néfaste.  »  La  période  des  combats 
militaires  et  constitutionnels  terminée,  il  fallait  prouver  que 
l'élément  français  était  appelé  à  prendre  en  Amérique  une 
part  brillante  aux  luttes  pacifiques  d'une  ère  nouvelle.  Le 
moment  était  venu  de  lever  haut  la  tête,  de  montrer  que 
ce  n'était  pas  en  vain  que  nous  avions  tenu  à  conserver 
l'héritage  de  nos  ancêtres.  Il  fallait  créer  des  richesses 
de  l'ordre  le  plus  élevé.  Nous  avons  oublié  qu'un  peuple 
ne  conquiert  un  droit  incontestable  à  la  vie  que  s'il  ajoute 
quelques  richesses  au  trésor  commun  des  nations.  Tout 
peuple  a  son  rôle  à  jouer,  sa  chose  à  créer.  Pourquoi 
avons-nous  méconnu  cette  vérité  ?  L'âme  canadienne- 
française,  sortie  de  luttes  séculaires,  n'a  pas  encore  trouvé 
sa  voie.  Elle  s'est  laissée  envahir  par  l'apathie  et  l'égoïsme. 
Comme  il  est  urgent  pour  elle  cependant  de  tirer  parti  de 
ses  ressources  matérielles,  de  créer  de  la  vie  intellectuelle,  de 
satisfaire  les  besoins  accrus  des  intelligences,  d'ouvrir  une 
voie  plus  large  aux  facultés  supérieures. 

On  s'en  excuse,  en  rappelant  notre  jeunesse,  notre 
pauvreté,  résultat  des  conditions  sociales  où  nous  avons 
vécu.  Ce  sont  arguments  bons  à  opposer  à  ceux  qui  atta- 
quent notre  race.  Ils  n'ont  plus  lem*  mise  au  cours  de  notre 
examen  de  conscience.  Étudions  plutôt  les  causes  qui  font 
que  nous  piétinons,  que  même  sans  lutte,  «  nous  nous  en 
allons  à  la  dérive,  lentement,  insensiblement,  vers  l'absorp- 
tion finale  ».  L'esprit  dominant  au  Canada  et  aux  États- 
Unis  est  d'essence  mercantile.  «  L'or  est  naturellement  et 
incontestablement  l'idole  de  l'Anglo-saxon,  il  évalue  tout 
en  numéraire  »,  a  écrit  Bagehot.  De  Nevers  craint  que 
«  cet  idéal  mesquin  de  l'homme  d'argent  ne  s'empare  avec 
le  temps  de  l'âme  canadienne,  au  détriment  de  notre  avenir 


208  l'action  française 

national  ».  Un  esprit  d'égoïsme,  de  lucre  domine  les  cou- 
ches de  la  société  où  règne  le  plus  de  bien-être.  Il  absorbe 
toutes  les  autres  aspirations.  De  là  naît  l'apathie.  Le 
temps  des  sacrifices  est  passé,  dit-on.  Désormais,  chacun 
pour  soi.  Ainsi  s'éteint  notre  vieille  fierté  de  race.  A-t-elle 
repris  sa  viguem*  ancienne,  depuis  le  jour  oii  ce  livre  fut 
écrit  ?  De  Nevers  en  eût  douté  s'il  eût  entendu  récemment 
le  R.  P.  Louis  Lalande  éloquemment  parler  pour  elle. 
Comme  il  y  tenait  !  Dédiant  son  livre  à  ses  jeunes  compa- 
triotes, il  leur  propose  cette  devise  :  Soyons  fiers  et  nous 
serons  forts.  C'est  sans  doute  pour  enlever  à  leur  fierté  des 
tentations,  qu'il  dénonça  ironiquement  politique  et  politi- 
ciens. Ah  !  comme  de  Nevers  se  moque  de  l'une  et  des 
autres.  A  proprement  parler,  dans  notre  province,  la 
politique  est  la  seule  plante  qui  fleurit  et  prospère.  Pour 
les  uns  c'est  un  sport,  pour  les  autres,  une  industrie.  Sport 
ou  industrie,  la  politique  accapare  toutes  les  forces  vives 
de  la  nation  et  nous  ruine.  Les  partis  ont  inventé  des 
vertus  :  l'on  dira  traître  à  son  parti,  comme  l'on  dit  renégat 
de  sa  race.  La  déclamation  tient  lieu  de  science.  Oh  ! 
la  speechomanie  des  Canadiens  français  !  Speech,  l'un  des 
maux  dont  se  meurt  notre  nationalité.  «  La  politique 
s'empare  de  tout  ce  qu'il  y  a,  dans  l'âme  de  notre  jeunesse, 
d'ardeurs,  d'enthousiasmes,  de  tendances  vers  le  bien.  » 
On  ne  prend  plus  la  peine  de  se  demander  si,  en  dehors  de 
cette  arène,  il  n'y  a  vraiment  rien  à  faire.  Combien  de  vic- 
times de  la  politique  et  de  ses  partis  auraient  pu,  pourtant, 
faire  de  plus  utiles  sacrifices,  sur  un  autre  terrain,  pour  leur 
race  et  leur  pays.  Combien,  avec  une  autre  direction, 
seraient  devenus  savants  distingués,  brillants  littérateurs, 
grands  artistes,  industriels  ou  commerçants  de  renom.  De 
Nevers  ne  désespère  pas.  «  Nous  nous  guérirons  avec  le 
temps  du  politiquage  à  outrance  ».     La  guérison  en  effet 


l'actiox  française  209 

est  en  voie.  L'on  pouvait  reprocher  à  la  politique  d'acca- 
parer l'attention  du  public,  d'attirer  à  elle  trop  de  jeunes 
hommes,  de  donner  aux  politiques  une  importance  exagé- 
rée. L'on  comprend  enfin  que  les  politiques  ont  un  rôle 
à  remplir,  mais  qu'il  n'est  pas  à  lui  seul  toute  l'action  publi- 
que d'un  peuple,  et  qu'il  est  possible  de  servir  autrement  et 
utilement  son  pays.  De  Nevers  le  croyait.  Sans  avoir 
le  titre  de  ministre  ou  de  député,  il  voulut  orienter  les  initia- 
tives de  ses  compatriotes  et  contribuer  ainsi  à  leur  avance- 
ment. Combien  qui  siègent  au  parlement  et  n'auront 
jamais  son  influence  ! 

Mais  de  Xevers  se  hâte  de  sortir  de  l'ombre  attristante 
que  projette  le  présent  sur  l'histoire  de  sa  race.  C'est 
l'avenir  qui  importe.     Comment  le  préparer  ? 

La  race  gardera  ses  notes  essentielles,  le  cathoHcisme 
et  l'esprit  français.  Elle  se  développera  dans  le  sens  de 
ses  traditions.  «  Que  la  Nouvelle-France  soit,  sur  ce  con- 
tinent, en  même  temps  que  la  fille  aînéS  de  l'ÉgHse,  la  fille 
aînée  de  la  pensée  et  du  progrès,  dans  les  hautes  sphères  de 
la  poésie,  de  la  science  et  des  arts.  »  Notant  que  si  nous 
étions  restés  les  maîtres  de  ces  immenses  territoires  qui  cons- 
tituaient la  Nouvelle-France  les  sauvages  n'en  auraient  pas 
disparu,  il  écrit  :  «  Qui  dira  ce  que  peuvent  faire  naître 
dans  les  cœurs  ces  deux  facteurs  puissants  de  civiUsation  : 
la  charité  chrétienne  et  la  sjTnpathie  de  l'esprit  français  ?  » 
L'Église  lui  apparaît  une  force  morale  nécessaire.  Dans 
nos  districts  rm-aux,  «  l'organisation  paroissiale  et  l'influence 
du  clergé  seront,  à  elles  seules,  suflSsantes  pour  maintenir 
la  cohésion.  »  «  L'Église  catholique,  ajoute-t-il,  est  restée 
pour  les  Canadiens  français  le  centre  d'union,  de  cohésion 
par  excellence  ».  Et  il  semble  que  cette  phrase  n'en  est 
pas  une  de  style  obligé,  qu'elle  répond  plutôt  à  un  sentiment 
intime  puisque  le  1er  mai  1894  il  écrivait  de  Paris  :     «  Je 


210  l'actiox  française 

dis  de  dures  vérités  à  mes  compatriotes,  mais  je  ne  touche 
pas  à  la  question  religieuse.  La  religion  catholique  est  le 
plus  fort  rempart  de  notre  nationalité  et  nous  devons  tout 
faire  pour  la  maintenir  au  sein  de  notre  population.  ;) 

Nous  aurions  souhaité  qu'il  insistât  davantage  sur  la 
nécessité  pour  chaque  être  d'une  réforme  intérieure.  Si 
les  mœurs  environnantes  nous  insufflent  l'égoïsme,  nous 
rendent  apathiques  aux  œu^nres  du  désintéressement,  c'est 
aux  âmes  qu'il  faut  tout  d'abord  s'adresser.  Ce  sont  elles 
qu'il  faut  refaire  ou  réveiller,  et  c'est  par  une  action  du 
dedans  et  indi\'iduelle  qu'on  y  par\dendra.  De  Nevers  l'a 
vaguement  insinué  tout  le  long  de  son  ou\Tage.  Mais  c'est 
à  d'autres  objets  qu'il  s'est  de  préférence  appliqué. 

Il  veut  asseoir  sur  un  fond  sohde  l'édifice  qu'il  rêve 
d'élever  aux  œu^Tes  de  la  pensée.  Si  l'homme  ne  vit  pas 
que  de  pain,  il  lui  en  faut  et,  dans  notre  société  contempo- 
raine, le  pain  signifie  beaucoup  de  choses.  Les  peuples 
doivent  développe!-  les  ressources  de  la  nature  et  ne  pas 
néghger  le  côté  matériel  des  choses.  «  Dans  notre  pays  il 
peut  même  sembler  que  l'on  fait  œu\Te  patriotique  en  s'en- 
richissant.  »  C'est  faire  tout  d'abord,  aux  yeux  de  nos 
voisins,  si  pratiques,  honneur  à  notre  race.  Mais  pour  avoir 
amassé  des  dollars,  ne  perdez  pas  le  but  de  la  vie,  prêche 
de  Nevers.  N'identifiez  jamais  le  bonheur  avec  la  richesse. 
Que  l'or  soit  un  moyen,  non  une  fin;  qu'il  soit  une  force  que 
vous  mettrez  au  service  des  idées  et  des  œuvres.  Rien 
autre.  Comment  les  Canadiens  français  satisferont-ils 
aux  nécessités  économiques  ? 

Partant  du  principe  énoncé  par  Montesquieu  :  «  Les 
campagnes  sont  en  quelque  sorte,  le  laboratoire  où  se 
créent  les  forces  du  bien  »,  de  Nevers- manifeste  sa  prédilec- 
tion pour  la  culture  du  sol.  Il  reprend  à  son  compte  le 
mot  lancé  au  temps  où  il  écrivait  :  emparons-nous  du  sol  ! 


l'action  française  211 

Ne  répète-t-il  pas,  dans  plusieurs  de  ses  lettres,  qu'il  veut 
devenir  colon,  cultivateui-,  aller  vivre  dans  les  forêts  vier- 
ges ?  Mais  il  y  a  ici  plus  qu'une  préférence  personnelle,  la 
conviction  que  la  profession  d'agriculteur  est  à  la  base  des 
nations  bien  organisées,  qu'elle  est  chez  nous  nécessaire. 
Il  reconnaît  bien  que  le  commerce  et  l'industrie  sont  les 
deux  seules  voies  qui  mènent  à  la  richesse,  il  écrit  bien  : 
«  Il  est  bon,  il  est  désirable  que  tous  ceux  d'entre  nous  qui 
se  sentent  des  dispositions  pour  le  commerce  et  l'industrie 
entrent  dans  cette  voie,  qu'ils  y  prospèrent,  qu'ils  soutien- 
nent avec  énergie  la  concurrence  contre  les  hommes  d'af- 
faires qui  les  entourent  »,  mais  son  conseil  ne  s'adresse  qu'à 
des  unités.  A  la  masse,  il  faut  autre  chose.  Dans  le  com- 
merce et  l'industrie,  la  plupart  sont  des  serviteurs.  Il  pré- 
voit que  du  développement  à  outrance  de  l'industrie  naî- 
tront les  ouvriers  en  plus  grand  nombre  que  les  patrons. 
Et  il  trouve  la  situation  du  cultivateur  plus  avantageuse  que 
celle  de  rou\'Tier.  Le  premier  devient  indépendant;  le 
second,  après  dix  ans  donnés  au  labeur  épuisant  de  l'usine, 
n'est  pas  plus  avancé.  Il  est  aussi  pau\Te,  aussi  dépendant 
après  qu'avant.  De  Nevers  voudrait  éloigner  ses  compa- 
triotes du  servage  industriel.  Était-ce  réfuter  à  l'avance 
les  théories  émises  aujourd'hui  par  nos  économistes?  Di- 
sons plutôt  que  ces  derniers  complètent  le  Uvre  dont  de 
Nevers  écrivit  les  premiers  chapitres.  Il  n'y  a  pas  de  con- 
tradiction entre  eux.  «  Le  sol  est  notre  plus  sûre  richesse; 
le  paysan  est  notre  plus  fort  argmnent  »,  écrivait  naguère 
Edouard  Mont  petit.  Et  pour  préciser,  le  distingué  pro- 
fessem-  ajoutait  :  «  Il  ne  s'agit  pas  de  provoquer  l'essor 
industriel  du  Canada  français  aux  dépens  des  campagnes 
dépeuplées,  et  d'assurer  la  prédominance  de  l'industrie  sur 
l'agriculture.     Il  est  clair  que  cela  serait  une  erreur  capi- 


212  l'action  française 

taie.  »  ^  Donc  de  Nevers  eut  raison  de  prêcher,  sur  le  ter- 
rain économique,  et  en  tout  premier  lieu,  en  faveur  de  la 
richesse  accrue  de  nos  campagnes.  Commençons  par  le 
commencement,  défrichons,  agrandissons  l'aire  de  nos 
champs  cultivables.  «  La  conquête  du  défrichem-  est  la 
première  de  toutes  les  œuvres  de  civilisation.  »  Par 
l'article  si  précis,  si  plein  de  données  précieuses  qu'il  publia 
dans  l'Action  française,  en  octobre  dernier,  sur  la  colonisa- 
tion, M.  Henri  Bourassa  a  prouvé  qu'à  ce  point  de  \aie  les 
idées  de  de  Nevers  n'ont  pas  vieilli.  La  conquête  du  sol, 
pensait-il,  est  favorable  au  maintien  de  notre  nationalité. 
Elle  est  avantageuse  au  point  de  vue  économique.  Aug- 
mentant le  nombre  des  propriétaires,  elle  empêchera  une 
partie  de  notre  population  de  passer  dans  les  rangs  du  pro- 
létariat. Aucune  industrie  n'est  chez  nous  comparable 
au  défrichement  de  la  terre,  ni  pour  la  somme  des  richesses 
produites,  ni  pour  l'équité  de  leur  répartition.  Bref,  notre 
richesse  principale,  c'est  la  terre,  l'avenir,  l'agriculture. 
Mais,  dit-on,  tous  nos  cultivateurs  ne  sont  pas  riches.  De 
Nevers  a  garde  d'oublier  sur  ce  chapitre  l'erreur  que  plu- 
sieurs commirent.  Appréciant  mal  les  chances  d'avenir, 
imprévoyants,  trop  enclins  à  contracter  des  dettes,  des  agri- 
culteurs ont  abouti  à  la  ruine.  Que  de  patrimoines  dévorés 
par  les  hypothèques  !  Cela  n'est  pas  normal;  cela,  il  est 
vrai,  a  jeté  l'agriculture  en  discrédit.  Puis  des  préjugés  lui 
font  tort.  Un  jeune  homme  possédant  quelque  instruction 
se  croirait  déshonoré  si,  ses  classes  terminées,  il  remettait 
les  mains  sur  les  mancherons  de  la  charrue.  On  a  cru  trop 
longtemps  que  l'instruction  doit  avoir  pour  conséquence 
nécessaire  l'exercice  d'une  profession.  Le  remède  ?  Diriger 
les  bacheliers  vers  la  fondation  de  nouvelles  paroisses; 
pousser  nos  jeunes  hommes  instruits  au  défrichement,  à  la 

1  L' Action  française,  novembre  1918  et  janvier  1919. 


l'action  française  213 

culture  du  sol.     L'on  ne  criera  pas  à  l'utopie  si  Ton  veut  bien 
se  souvenir  que  ce  programme  fut  parfois  suivi,  que,  chaque 
année,  des  bacheliers  retournent  à  la  terre.     Son  plan  ne 
sera  jamais  complètement  réalisé.     Quel  progrès  cependant 
serait  atteint  si  des  unités  se  fixaient  un  peu  partout  dans 
notre  province,  si  des  compatriotes,  auxquels  une  instruc- 
tion un  peu  supérieure  prêterait  un  certain  prestige,  don- 
naient l'exemple.     De  Nevers  était,   à  ce  point  de  vue, 
optimiste.     On  pourrait  selon  lui  entraîner  à  cette  œuere 
des  milliers  de  jeunes  gens.     On  les  habitue  bien,  disait-il, 
à  aller  applaudir  des  speeches  insignifiants,  à  se  passionner 
pour  des  phrases  creuses.     De  Nevers,   si  intelligent,   si 
peu  gobeur,  pensait  que  s'enthousiasmer  pour  le  vide  d'un 
politicien  était  aussi  pénible  que  d'arracher  les  souches  ou 
d'ouvrir  des  sillons.     Combien  ne  sont  pas  de  son  avis  ! 
Il  reste  que  l'on  peut  recruter  des  unités.     De  Nevers  ga- 
rantit leur  succès.    Attendez  plus  et  mieux  de  jeunes  colons 
inhabitués  au  maniement  de  la     hache,  mais  courageux, 
intelligents,     instruits,     que    de    défricheurs    simplement 
robustes  et  habitués  aux  plus  durs  travaux.     Il  faudra,  par 
l'association,   les  soutenir.     «  Les   Français   ne  sont   tout 
puissants  qu'en  masse  »,  a   remarqué    ]VIadame    de    Staël. 
Aidons-les  par  le  crédit  agricole.     Bref,  il  y  a  là  tout  un 
organisme  à  créer,  à  maintenir.     L'effort  en  vaut  la  peine, 
puisque  la  vie  à  la  campagne,  dans  certaines  conditions 
d'aisance  et  de  culture  intellectuelle,  favorise  grandement 
la  prospérité  d'un  peuple,  le  développement  d'une  race  vi- 
goureuse, d'aptitudes  supérieures. 

Car  c'est  en  vue  de  la  fin  qu'il  faut  ordonner  nos  efforts. 
De  Nevers  n'oubhe  pas  que  l'organisation  de  la  richesse  par 
le  commerce  ou  l'industrie,  l'amélioration  de  la  culture  du 
sol,  l'augmentation  du  nombre  de  nos  agriculteurs,  ne  sont 
que  des  moyens  utiles  à  hâter  le  perfectionnement  des 


214  l'action  française 

individus,  accroître  le  renom  et  l'influence  de  la  race.  Sur 
les  richesses  du  sol,  il  veut  élever  des  richesses  d'un  ordre 
plus  élevé.  «  La  matière  a  ses  prêtres  et  ses  fidèles,  il  faut 
que  la  pensée  ait  les  siens.  .  .  S'il  importe  d'augmenter  le 
bien-être  matériel,  il  n'importe  pas  moins  d'agrandir  l'ho- 
rizon des  âmes.  »  Quelles  belles  pages  il  a  écrites  pour  mon- 
trer la  supériorité  des  arts  de  l'esprit  et  la  nécessité,  en  tout 
pays,  des  chercheurs,  des  «  fabricant?  de  valeurs  non  cotées 
à  la  bourse  ».  Mais  comment  parvenir  à  posséder  et  les 
uns  et  les  autres  ? 

Le  temps  est  depuis  longtemps  venu  d'organiser  ici  une 
vie  intellectuelle  nouvelle.  Dès  après  1867,  il  eût  fallu 
utiliser  les  qualités  de  nos  ancêtres  dans  un  autre  champ  que 
celui  où  ils  luttèrent.  Les  travaux  de  la  paix  devaient  atti- 
rer tous  nos  efforts.  «  Il  nous  a  manqué  l'action  d'une  éUte 
intellectuelle,  l'impulsion  d'une  classe  dirigeante  vraiment 
éclairée,  sainement  patriote.  ))  Qui  donc,  chez  un  peuple 
jeune,  où  tout  est  à  créer,  donnera  aux  forces  nouvelles  une 
direction  que  rien  peut-être  ne  pourra  plus  changer  ?  Quel- 
ques êtres  que  les  études  spéciales,  l'expérience  approfondie 
des  hommes  et  des  choses  ont  mis  en  état  de  voir  haut  et 
loin. 

Il  faut  que  les  classes  dirigeantes  aient  une  foi  éclairée, 
qu'elles  étudient,  veillent  et  prévoient.  Or,  nous  n'avons 
pas  réussi  à  dégager  ces  unités  précieuses  de  la  masse.  Il 
n'y  a  pas  à  désespérer.  «L'âme  canadienne,  détournée 
d'une  voie  longtemps  suivie,  n'a  pas  su  encore  choisir  une 
voie  nouvelle.  »  Hâtons-nous  de  ranimer  la  vie  supérieure 
qui  remuait  l'âme  des  ancêtres,  mais  qui,  depuis  1867, 
étouffe  sous  l'étreinte  de  l'apathie  et  de  l'égoïsme.  Quels 
sujets  grandioses  notre  histoire,  notre  terre  canadienne,  nos 
mœurs  offrent  au  pinceau  du  peintre,  à  la  plume  de  l'his- 
torien ou  du  romancier.     De  Nevers  esquisse  un  tableau 


l'action  française  215 

auquel  Louvigny  de  Montigny,  par  la  préface  qu'il  mit  à 
Maria  Chapdelmne,  ajouta  des  touches  heui'euses.  jMême 
la  science  attend  des  contributions  que  seuls  des  savants  de 
chez  nous  peuvent  lui  apporter  sur  un  terrain  particulier, 
le  nôtre,  celui  que  font  nos  conditions  climatériques,  bio- 
logiques, géologiques.  Pour  les  créer  ces  savants,  ces 
artistes,  ces  écrivains,  augmentons  la  valeur  de  nos  collèges 
classiques,  organisons  les  hautes  études,  fondons  des  bibho- 
thèques,  des  écoles  d'art.  Élevons  par  le  perfectionnement 
de  notre  système  d'instruction  publique,  le  niveau  intel- 
lectuel. Permettons  non  pas  seulement  aux  hommes  de 
génie,  mais  aux  hommes  de  talent  remarquable  de  créer  des 
œuvres  fortes.  Formons,  à  côté  des  poètes  et  des  savants, 
des  connaisseurs  et  des  lettrés  qui  comprennent  les  œuvres 
de  l'esprit,  s'y  intéressent,  en  étendent,  en  perpétuent  l'in- 
fluence. Les  classes  dirigeantes  ont  pour  principale 
raison  la  culture  de  l'esprit.  On  a  méconnu  cette  vérité 
chez  nous.  Les  fervents  de  la  politique  constituent  la 
presque  totaHté  des  ressoui-ces  intellectuelles.  C'est  trop 
peu  !  L'instruction  classique  est  à  la  portée  de  tous.  Le 
nombre  des  jeunes  gens  qui  entrent  dans  les  professions 
libérales  augmente  dans  des  proportions  effrayantes.  Ne 
pouvant  gagner  leur  vie,  ils  s'attellent  aux  pohticiens  pour 
obtenir  un  humble  emploi.  Ils  en  deviennent  les  «cauda- 
taires  »  !  Ces  jeunes  gens,  enlevés  aux  travaux  du  commer- 
ce, de  l'agriculture,  de  l'industrie,  ne  se  rendent  même  pas 
utiles  à  la  société  par  leur  science.  Le  talent  se  perd.  De 
Nevers  a  trouvé  que  quatre-vingt-dix-neuf  pour  cent  d'entre 
eux  ne  deviennent  jamais  des  hommes  instruits. 

Au  point  de  vue  littéraire,  fourbissons  l'arme  essentielle, 
la  langue.  Conservons  arec  un  soin  jaloux  le  parler  fran- 
çais; débarrassons-le  des  scories  qui  le  déparent.  Aucune 
œuvre  littéraire  ne  naîtra  aussi  longtemps  que  nous  n'aurons 


216  L  ACTION    FRANÇAISE 

pas  la  puissance  da  verbe,  une  langue  épurée,  un  vocabu- 
laire enrichi.  A  un  point  de  vue  général,  c'est  par  l'ensei- 
gnement secondaire  renouvelé,  c'est  par  l'enseignement 
universitaii'e  supérieur,  la  création  de  facultés  de  lettres  et 
de  sciences,  que  nous  formerons  une  élite  intellectuelle  sans 
laquelle  un  peuple  reste  inférieur.  En  attendant,  que  nos 
étudiants  aillent  parfaire  en  Europe  leur  culture.  Les 
arts,  les  sciences,  les  belles-lettres  sont  des  fruits  de  vieille 
ci\'ilisation.  Importons-les.  De  Nevers  a  écrit  à  ce  sujet 
des  pages  remplies  d'observations  judicieuses  et  que  doi- 
vent relire  ceux  qui  veulent  avec  lui  faire  de  notre  province 
((  un  centre  rayonnant  de  culture  scientifique,  littéraire  et 

artistique  ». 

* 
*  * 

Cette  analyse  a  montré,  j'espère,  en  quoi  et  de  qui  de 
Nevers  fut  un  précurseur.  Sans  vouloir  le  peindre  plus 
grand  que  nature  et  lui  trouver  une  attitude  à  laquelle  il 
ne  songea  point,  l'on  peut  reconnaître  en  lui  l'un  des  chefs 
du  mouvement  qui  tend  à  sauvegarder,  au  sein  de  la  Con- 
fédération, le  principe  des  nationalités.  Il  nous  a  rappelé 
que  les  minorités  ne  s'imposent  au  respect  du  grand  nombre 
que  par  la  maîtrise  des  forces  économiques,  surtout  par  la 
haute  valeur  de  l'âme,  la  culture  de  l'esprit.  Par  son  œuv^re 
remarquable  et  qui  comptera  au  nombre  des  plus  belles 
de  nos  pubHcistes,  il  a  montré  que  les  Canadiens  français 
ne  manquent  pas  à  leur  devoir  env^ers  la  terre  canadienne  en 
restant  fidèles  à  eux-mêmes,  en  conservant,  pour  l'améliorer 
toujours,  ce  qu'ils  tie^inent  de  la  tradition.  Il  prouva  que 
loin  d'être  un  obstacle  à  la  constitution  d'une  nation  entre 
Vancouver  et  Halifax,  nos  compatriotes  sont  les  seuls 
habitants  de  cette  contrée  pour  qui  elle  est  la  patrie.  En 
cherchant  à  conserver  leur  caractère  ethnique,  ils  demeurent 


l'a.ction  française  217 

dans  la  lettre  et  l'esprit  de  la  constitution,  basée  sur  l'union 
de  deux  peuples.  Ceux  qui  se  réclament  de  cette  politique, 
qui  fut  celle  de  Nev^ers,  sont,  il  est  vrai,  dédaigneusement 
traités  de  provincialistes.  Et  les  assimilateurs  désignent 
sous  cette  expression  non  seulement  les  défenseurs  des  droits 
■constitutionnels  des  provinces,  prises  comme  entités,  contre 
l'empiétement  du  pouvoir  central,  mais  surtout  les  fervents 
des  choses  locales,  les  hommes  soucieux  de  conserver  à 
chacune  des  races  qui  s'associèrent  en  1867  ses  notes  dis- 
tinctives.  Prise  sous  cet  angle,  l'épithète  ne  saurait  ef- 
frayer ceux  qui  ont  médité  sur  le  passé  de  ce  paj'S,  sur  son 
évolution,  sur  le  caractère  que  les  délégués  à  la  conférence 
de  Québec  de  1864  o  it  donné  au  pacte  fédératif .  S'ils 
n'étaient  provincialistes,  les  Canadiens  français  oublie- 
raient vite,  dans  le  tourbillon,  leur  âme  nationale.  De 
Nevers  le  croyait.  Il  entretint  avant  tout  et  par-dessus 
tout  l'amour  de  sa  race,  qu'il  voulait  voir  dotée  des  formes 
supérieures  de  la  vie.  En  face  de  l'impossibilité  de  créer  une 
nation  canadienne  —  les  Anglo-Canadiens  refusant  de  nous 
accepter  comme  associés  —  ,  il  chercha  les  moyens  d'assurer 
à  notre  peuple  la  durée,  fût-il  destiné  à  vivre  longtemps 
encore  sous  la  Couronne  britannique  ou  à  entrer  bientôt 
dans  l'union  américaine.  Il  fut  l'an  des  premiers,  après 
1867,  à  indiquer  comme  but  à  notre  race  la  supériorité. 
Puisque  aux  yeux  des  pansaxonnistes,  avides  d'unité  et 
rêvant  d'assimilation,  nous  formons  tache  sur  le  sol  améri- 
cain, que  cette  tache,  disait-il,  soit  «  lumineuse  ».  Avec 
quel  entrain  il  se  donnerait  aujourd'hui  à  cette  tâche  et 
comme  les  faits  ré\^élateiu's  des  dernières  années  stimule- 
raient son  zèle.  Faisons  nôtre  le  programme  qu'il  traça  de 
la  main  d'un  maître  éclairé  et  patriote.  Que  les  jeunes, 
ceux  auxquels  de  Nevers  s'adressa  de  préférence  parce  qu'il 


218  L  ACTION    FRANÇAISE 

les  croyait  les  maîtres  de  l'avenii',  que  rhétoriciens,  étudiants 
des  facultés  universitaires,  méditent  ses  pages,  comparent 
les  observations  qu'elles  renferment  avec  celles  que  suggè- 
rent hommes  et  événements  d'aujom-d'hui.  Ils  y  puiseront 
des  leçons.  Les  ayant  reçues,  ils  ne  voudront  plus  être  de 
ces  âmes  qui  parurent  à  de  Nevers  «  trop  étroites,  âmes  qui 
ne  voient  pas  dans  l'amélioration  et  le  perfectionnement  de 
leur  être  le  but  principal  de  la  vie,  âmes  trop  faibles  qui  ne 
peuvent  se  maintenir  sur  les  sommets  atteints  et  continuer 
l'ascension  ».  Ils  seront  capables  de  hauts  sentiments  et 
de  fortes  pensées.  Ils  voudront  devenir  les  garants  de 
notre  survivance. 

Au  jugement  de  de  Nevers,  trente  ans  encore  devaient 
marquer  pour  toujom's  notre  avancement  ou  notre  recul. 
C'était  méconnaître  les  règles  de  la  perspective,  enfermer 
en  des  bornes  trop  restreintes  la  vie  des  peuples.  Mais  leur 
évolution,  poussée  par  des  circonstances  particulières,  se 
fait  parfois  plus  rapide.  C'est  le  cas  pour  le  nôtre,  menacé 
de  dangers  persistants  et  qui  s'accroissent.  On  a  fait 
quelques  pas,  depuis  le  temps  où  de  Nevers  nous  pressa  de 
marcher.  Sans  brûler  les  étapes,  ne  les  multiphons  pas  à 
plaisir.  Avançons  d'un  pas  plus  alerte.  Profitons  du 
présent  réveil  de  l'âme  nationale.  Que  sans  tarder  notre 
race  tire  parti  des  ressources  de  son  sol,  de  la  richesse  que 
récèlent  le  comptoir  et  l'usine.  Que  par  des  œuvres  de 
haute  inspiration  et  de  lointaine  portée,  se  révèlent  l'intel- 
ligence et  le  cœur  de  ses  fils.  Pour  eux,  vivre  et  durer  est 
trop  peu.  Atteindre  les  hauteurs  et  s'y  tenir,  c'est  le  mot 
d'ordre  qu'ils  reçoivent  de  nos  traditions  catholiques  et 
françaises. 

Antonio  Perrault. 


LES  CONTES  DE  LA  SAINT- JE  AN- 
BAPTISTE 


Vous  vous  souvenez  de  la  scène  pathétique  de  TAiglon  : 
un  précepteur,  à  qui  on  a  fait  la  langue,  raconte  au  duc  de 
Reichstadt  les  événements  de  1800  à  I8I4  à  sa  façon.  Quand 
le  père  était  le  centre  de  l'univers,  quand  c'était  lui  qui  faisait 
Vhistoire  du  monde,  le  cuistre  signale  au  fils  comme  seul  fait 
important  une  éruption  volcanique  ou  une  secousse  sismique. 

N'était-ce  pas  naguère  un  peu  le  fait  du  petit  Canadien 
français  f  Ses  pères  ont  été  les  croisés  de  l'histoire  moderne; 
dans  un  monde  nouveau  ils  ont  fait  les  gestes  des  Français 
et  ont  égalé  par  la  foi  et  l'héroïsme  les  preux  les  plus  hauts. 
Cependant,  que  racontaient  au  bambin  de  quatre  à  douze  ans 
les  livres  à  gravures  que  l'on  mettait  entre  ses  mains,  sous  ses 
yeux  ?  Les  exploits  de  Turenne  ou  de  Hoche,  de  Condé  ou 
de  Bonaparte,  mais  jamais  ni  un  trait  ni  une  prouesse  de  la 
vie  sublime  des  bâtisseurs  de  pays  qui  furent  ses  ancêtres.  Un 
très  grand  nombre  de  petits  Canadiens  n'auraient-ils  pas  eu 
raison  de  croire  jusqu'à  ce  qu'ils  ouvrissent  en  classe  (quand  ils 
y  restaient  assez  longtemps)  leur  manuel,  que  la  parole  du  gou- 
verneur anglais:  «ïes  Canadiens  sont  un  peuple  sans  histoire)) 
était  cruellement  vraie  ? 

La  Saint-Jean-Baptiste,  dont  les  heureuses  initiatives 
se  multiplient  sans  cesse,  a  changé  tout  cela.  Le  bambin  de 
chez  nous  peut  désormais  dès  qu'il  sait  lire,  ou  plutôt,  dès  qu'il 
sait  voir,  connaître  les  richesses  de  cet  «  écrin  de  perles  igno- 
rées. ))  L'imagerie  d'Épinal  le  cède  à  l'imagerie  canadienne 
et  des  historiens  avertis,  des  écrivains  réputés  se  sont  associés 


220  l'action  française 

à  des  artistes  habiles  pour  faire  V instruction  'patriotique  des 
petits  enfants. 

Je  rie  sais  rien  de  plus  beau,  ni  rien  de  plus  utile,  car  qui 
pourrait  indiquer  la  limite  du  bien  résultant  de  cette  innova- 
tion f  Ses  effets  se  multiplient  à  l'infini  comme  les  ondes  de  la 
nappe  d'eau  où  tombe  une  pierre. 

Autour  de  la  table  familiale,  les  petits  se  pencheront  sur 
les  images  aux  couleurs  vives  que  les  artistes  ont  choisies  ainsi, 
moins  parce  que  leur  art  le  leur  commandait  que  parce  qu'ils 
voulaient  plaire  à  de  jeunes  yeux,  lesquels,  disent  les  éduca- 
teurs, aiment  surtout  le  rouge  et  le  jaune.  La  légende  nette 
et  courte  est  facilement  intelligible,  mais  il  faudra  tout  de  même 
la  compléter,  expliquer  certains  mots,  éclaircir  certaines  épo- 
ques, décrire  certains  costumes  ou  certains  usages  qui  appa- 
raissent mystérieux  à  des  cerveaux  enfantins. 

Qui  se  chargera  du  commentaire  ?  Peut-être  une  sœur 
aînée,  peut-être  la  maman.  Et  ainsi  la  leçon  d'histoire  péné- 
trera la  conversation  générale,  reviendra  dix  fois,  vingt  fois 
peut-être,  grâce  à  la  charmante  manie  des  petits  qui  radotent 
comme  les  très  vieux  et  reviennent  sans  cesse  sur  une  chose 
qui  a  frappé  leur  imagination. 

Toute  la  maisonnée  s'associera  donc,  se  retrempera  donc 
dans  ces  vertus  des  ancêtres  et  qu'en  pourra-t-il  résulter,  sinon 
un  enseignement  de  fierté  nationale,  la  prise  d'une  résolution 
qui  a  été  formulée  dans  une  phrase  lapidaire:  ((noblesse  oblige.)) 
Le  cœur  de  la  génération  d'aujourd'hui  rythmant  ses  batte- 
ments sur  ceux  des  cœurs  des  héros,  elle  trouvera  bien  léger  le 
fardeau  qu'elle  doit  porter,  méprisables  les  luttes  qu'elle  doit 
livrer  pour  se  maintenir  dans  la  tradition  de  ceux  qui  luttaient 
contre  la  sauvagerie,  contre  l'isolement,  contre  des  ennemis 
barbares,  contre  la  mort  les  guettant  derrière  chaque  tronc  d'ar- 
bre. 


l'action  française  221 

Les  contes  merveilleux  de  la  Saint-Jean-Baptiste  chan- 
geront en  autant  de  professeurs  d'énergie  et  de  patriotisme, 
suivant  le  noble  mot  de  Vun  des  conteurs,  les  héros  de  notre 
histoire,  leur  dresseront  une  chaire  dans  chaque  famille  et  un 
autel  dans  le  cœur  de  milliers  de  petits  Canadiens. 

Nous  pouvons  beaucoup  compter  sur  la  génération  qui 
aura  déserté  les  récits  des  guerres  napoléoniennes  pour  le  récit 
du  sacrifice  de  Dollard,  de  l'exploit  de  Madeleine  de  Verchères, 
du  martyre  des  pères  Brébeuf  et  Lallemant. 

Louis  DupiRE. 


LES  PRIX 

Voici  les  distributions  de  prix.  L'occasion  est 
excellente  de  faire  de  la  bonne  et  fructueuse  pro- 
pagande. Que  l'on  voie  à  ne  donner  dans  les  éco- 
les que  des  livres  utiles,  qui  éveillent  de  nobles 
pensées  et  suscitent  des  sentiments  généreux. 
Qu'à  côté  des  chefs  d'œuvre  de  la  littérature 
française,  on  ait  soin  de  donner  et  de  muHiplier 
les  ouvrages  du  terroir,  ceux  qui  apprendront 
aux  enfants  à  mieux  connaître,  à  aimer  davan- 
tage leur  pays. 

Le  service  de  librairie  de  l'Action  française 
se  tient  à  la  disposition  de  tous  ceux,  institutions, 
commissions  scolaires  ou  particuliers,  qui  veu- 
lent se  procurer  de  bons  livres  de  prix. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Questions  Le  vent  est  aux  questions  d'éducation.    Elles  agi- 

d' éduCOtiOfî        *^^*  ^^^  esprits  depuis  quelques  mois.    Elles  font  le 

sujet  de  maintes  conversations.     Elles  ont  même 

provoqué,  dans  les  joxzrnaux  et  jusque  sous  les  voûtes  du  Parlement, 

des  discussions  passionnées. 

De  toutes  les  réformes  proposées  celle  qui  rendrait  l'instruction 
obligatoire  a  surtout  soulevé  l'opinion.  Nous  n'avons  pas  l'intention 
de  traiter  ici  ce  sujet.  Non  que  la  question  du  français  n'y  soit  intéres- 
sée. Dès  lors  que  vous  touchez,  en  matière  d'éducation,  à  la  liberté  des 
parents,  vous  mettez  en  jeu  leurs  droits  les  plus  sacrés.  N'est-ce  pas 
ainsi,  comme  le  prouve  clairement  dans  son  récent  livre,  le  R.  P. 
Hermas  Lalande,  S.J.,  que  s'y  sont  pris  les  gouvernements  des  provinces 
voisines  pour  fruster  nos  compatriotes  d'un  enseignement  qm  leur 
était  dû  ?  Le  principe,  ime  fois  admis,  peut  conduire  aux  plus  désas- 
treuses conséquences.  Mais  la  discussion  de  cette  question  nous 
entraînerait  trop  loin.  Nous  préférons  renvoyer  nos  lectexu-s  à  l'étude 
du  savant  jésuite  :  L' Instruction  obligatoire,  Principes  et  Conséquences, 
ainsi  qu'au  livre  de  M.  Magnan  :  A  propos  d' InMruction  obligatoire, 
et  aux  excellentes  brochiures  de  l'Œuvre  des  Tracts  :  L' Instruction  obli- 
gatoire :  ce  qu'en  pensent  MM.  Gouin,  Tellier  et  Langlois;  L'École  obliga- 
toire par  Mgr  Paquet. 

U CnS6i$,yi€ïyi€'yii       H  est  un  autre  point  que  nous  voulons  exami- 
nés iQflQUCS         ^®'""     -P*^^^   avoir   provoqué  peu   de  débats,   il 
n'en  est  pas  moins  important  et  actuel.     On  s'en 
occupe  d'ailleurs  activement  en  petits  comités.     C'est  l'enseignement 
de  l'anglais  dans  nos  écoles  primaires. 

Que  cette  langue  soit  nécessaire  à  la  plupart  des  nôtres,  à  ceux  du 
moins  qui  vivent  dans  les  villes,  nous  l'admettons  tous,  je  crois.  Là  où 
il  y  a  divergence  d'opinions,  c'est  sur  son  degré  de  nécessité,  ou  mieux, 
sur  sa  nécessité  comparée  à  celle  de  la  langue  française.  11  en  est  parmi 
nous  qui  lui  sacrifieraient  volontiers  le  parler  maternel,  qui  sont  du  moins 
d'avis  que  l'anglais  est  la  première  langue  que  doit  posséder  un  jeune 
homme  qui  se  destine  aux  affaires.  D'où  chez  eux  le  souci  d'un  ensei- 
gnement commercial  donné  en  anglais,  d'où  encore  le  désir  qu'on  mette 
dans  nos  écoles  primaires  les  deux  langues  «  sur  le  même  pied  ». 


l'action  française  223 

ThéOTÏeS  Q^^  penser  de  ces  deux  théories?    La  première 

d(2'}îS6T€US6S  ^  contre  elle  la  valeur  économique,  bien  établie, 
du  français.  EUe  la  méconnaît  en  effet.  EUe  la 
considère  comme  nulle,  au  Canada.  EUe  affirme  implicitement  que 
même  dans  la  pro\'ince  de  Québec  les  affaires  se  transigent  communé- 
ment en  anglais,  que  c'est  la  langue  unique  du  commerce  et  de 
l'industrie,  qu'elle  est  à  la  fois  indispensable  et  suffisante. 

Erreiu-,  en  vérité,  erreur  néfaste.  Encore  un  coup,  noiis  ne  nions 
pas  l'importance  de  la  langue  anglaise,  etqu'unelargesommed'affairesse 
règle  par  eUe;  mais  d'abord  elle  ne  couvre  pas  tout  le  terrain  indus- 
triel ou  commercial  du  pays  :  une  bonne  partie  reste  tributaire  de  la 
langue  française;  ensuite,  si  sa  part  est  si  vaste,  n'est-ce  pas  précisé- 
ment nous  qui  la  faisons  telle  ?  n'est-ce  pas  notre  apathie  et  notre  sno- 
bisme plutôt  que  la  nature  même  des  choses  ?  n'est-ce  pas  encore  notre 
enseignement  commercial  unilingue,  de  plus  en  plus  répandu  ? 

Académies  et  H  faut  bien  l'avouer  en  effet,  il  faut 

collèges  commerciaux  l'avouer  et  le  déplorer  hautement  :  la 
plupart  de  nos  académies  et  de  nos  col- 
lèges commerciaux  nous  paraissent  manquer  sur  ce  point  à  leurs  devoirs. 
Ils  enseignent  le  catéchisme,  l'orthographe,  la  géographie,  l'histoire,  en 
français;  mais  dès  qu'ils  abordent  une  matière  se  rapportant  directe- 
ment au  commerce  :  arithmétique,  tenue  des  hvres,  dactylographie, 
etc.,  c'est  la  langue  anglaise  qui  entre  en  jeu  et  est  uniquement  employée. 
Manuels,  explications  du  maître,  exercices  de  l'élève  ne  connaissent  que 
cette  langue. 

Le  résultat  d'un  tel  sj-stème  est  évident.  Les  jeimes  Canadiens 
français  ainsi  formés  prennent  rang  dans  la  grande  armée  des  compta- 
bles, des  commis,  des  marchands,  des  industriels  qui  font  leurs  affaires 
en  anglais.  Non  seulement  chacun  l'augmente  d'une  unité  nouvelle, 
mais  encore  il  lui  apporte  souvent  l'influence  de  la  maison  qu'il  sert  ou 
qu'il  dirige.  Si  cela  ne  s'appelle  pas  trahir  les  intérêts  de  sa  race,  qu'est- 
ce  donc? 

KïTeUT  La  seconde  théorie  n'est  pas  moins  condamnable, 

ÙédaSO^ioue      ^^l®  pèche,  ceUe-ci,  non  seulement  par  manque  de 

patriotisme,  mais  aussi  par  erreur  pédagogique.     On 

ne  saurait  apprendre  parfaitement,  du  même  coup  et  de  la  même 

manière,  sa  langue  maternelle  et  une  langue  étrangère.     La  nature  a 


224  l'action  française 

des  exigences  qu'on  ne  peut  impunément  méconnaître.  Elle  finit  tou- 
joiu-s  par  prendre  sa  revanche.  Qui  veut  créer,  malgré  elle,  un  prodige, 
produit  un.  monstre,  vm  homme,  dans  l'espèce,  ne  sachant  bien  aucune 
langue  et  dont  l'esprit  formé  par  des  influences  diverses  manque  d'unité 
et  d'équilibre.     C'est  ce  que  proclamait  récemment  le  provincial  des 

Jésuites,  au  Canada,  le  R.  P.  Filion,  quand  il  déclarait  à  une  réunion 
d'amis  et  d'anciens  élèves  du  collège  Loyola,  qu'on  ne  pouvait  élever 
de  la  même  manière  {along  the  same  Unes)  des  Français,  des  Anglais  ou 

des  Italiens. 

Que  quelques-uns  de  ceux  qui  s'occupent  actuellement  de  la  réforme 
de  notre  enseignement  ignorent  ces  vérités,  leurs  propos  et  leurs  écrits 
le  montrent  amplement.  Ne  nous  en  étonnons  pas  :  la  pédagogie 
est  une  science  qui  ne  s'apprend  ni  dans  le  maniement  des  chiffres  ni 
dans  les  spéculations  immobihères. 

JLe  ïGpPOït       C'est  une  tout  autre  mentalité  heureusement,  c'est 
J?QÇQ  une  doctrine  non  improvisée,  mais  basée  siu  une  réelle 

connaissance  de  l'école  primaire,  une  expérience  person- 
nelle de  l'enseignement,  une  vraie  compréhension  de  nos  besoins  et  des 
vues  à  la  fois  traditionnalistes  et  progressives,  qui  se  manifestent  dans 
le  rapport  présenté  récemment,  sur  sa  demande,  au  conseil  de  l'Ins- 
truction publique,  par  le  distingué  principal  de  l'École  normale  de 
Rimouski,  Mgr  F.-X.  Ross. 

L'idée-mère  de  ce  remarquable  travail,  celle  sur  laquelle  s'appuient 
les  différentes  suggestions  qu'il  contient, c'est  le  retour  de  l'école  primaire 
à  son  véritable  rôle  :  l'enseignement  élémentaire  des  connaissances  indis- 
pensables à  tout  homme.  De  spécialisation  commerciale  ou  autre,  il  ne 
saurait  être  ici  question.  Aux  écoles  complémentaires  ou  spéciales  d'y 
voir,  non  à  celles  dont  la  tâche  est  simplement  d'y  préparer  les  esprits. 
Ainsi,  par  exemple,  dans  ces  écoles  complémentaires  seulement  com- 
mence, en  Belgique  où  la  vraie  notion  de  l'école  primaire  est  comprise, 
l'étude  de  la  langue  seconde. 

Une  SU^^estion        Scrait-ce    aller    trop    loin    que    de    suggérer 
ÙTClti0U€  l'adoption  ici,  pour  le  problème  qui  nous  occupe, 

d'un  i)lan  analogue?  Il  a  fait  ailleurs  ses  preu- 
ves. On  s'efforcerait  principalement,  à  l'école  primaire,  de  former 
l'oreille  du  petit  Canadien  français  aux  mots  saxons,  de  lui  tourner  la 
langue  dans  le  sens  que  requiert  leur  prononciation . . .  quitte  à  lui  ac- 
corder plus  tard  l'étude  approfondie  dont  il  aurait  besoin. 


l'action  française  225 

Grâce  à  cette  méthode,  nos  jeunes  compatriotes  ne  seraient  pas 
exposés  à  subir,  durant  leur  stage  scolaire,  une  formation  composite, 
faite  d'éléments  hétérogènes,  bonne  tout  su  plus  à  créer  des  mentalités 
embrouillées  et  des  âmes  flottantes  et  suaves. 

VCTS  les  écoles  Les    écoles    «  nationales  »    nous    effraient    à 

"flQtîOHClles"  ^^°  droit.  Nous  les  repoussons  avec  indigna- 
tion quand  quelque  sectaire  ontarien  parle  de 
nous  les  imposer,  mais  franchement  les  théories  utihtaires  de  quelques- 
uns  des  nôtres  ne  nous  acheminent-elles  pas  inconsciemment  vers  le 
même  but,  vers  un  enseignement  neutre  qui  moulera  tous  les  enfants  du 
pays  sur  un  même  type  ?  Que  nos  écoles  placent  siu-  le  même  pied  la 
langue  française  et  la  langue  anglaise,  ne  seront-elles  pas  envahies  peu 
à  peu  par  des  enfants  des  autres  nationalités?  Et  ceux-ci  une  fois 
entrés,  ne  tentera-t-on  pas  de  mettre  de  côté  l'enseignement  reUgieux, 
confessionnel,  afin  de  ne  pas  blesser  leiu"s  croyances  ?  N'est-ce  pas  ce 
qui  se  passe  actuellement  pour  les  écoles  protestantes  que  fréquentent 
les  Juifs  ?  Ainsi  le  culte  exagéré  de  la  langue  anglaise  nous  aura  con- 
duits à  démolir  nous-mêmes,  avec  la  plus  naïve  inconscience,  le  meilleur 
rempart  de  nos  traditions  et  de  nos  droits,  que  nous  étions  prêts  d'ail- 
leurs à  défendre,  unguibus  et  rostro,  contre  tout  venant.  . .  de  l'autre 
race.  En  vérité,  il  est  temps  que  les  amis  clairvoyants  de  notre  langue 
se  comptent  et  s'unissent  pour  sauver  ses  positions. 

Pierre  Homieh. 


EXPOSITION  DE  BONBONS  ET  DE 
BISCUITS 

Notre  exposition  de  biscuits  et  de  bonbons  devait  avoir  lieu  en 
juin.  A  la  demande  de  quelques  fabricants  qui  nous  promettent  pour 
cet  été  des  "créations"  merveilleuses,  elle  est  remise    en   septembre. 


CONTRE  REMBOURSEMENT 

N'oubhez  point  que,  partout  au  Canada  où  il  y  a  des  bureaux  de 
messageries,  vous  pouvez,  par  simple  carte  postale,  adresser  à  notre 
service  de  Ubrairie,  des  commandes  pour  $5.  et  plus,  payables  sur 
livraison. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


UN  CHEVALIER  DE  NOS  JOURS  ^ 

Coïncidence  intéressante  :  depuis  plusieurs  semaines,  l'auteur  de 
ces  lignes  s'était  plongé  dans  la  lectui'e  des  grands  maîtres  de  la  littéra- 
ture italienne,  il  venait.de  fermer  la  «  Jérusalem  délivrée  »  du  Tasse  et 
le  «  Roland  furieux  »  de  l'Arioste,  et  il  avait  encore  dans  les  yeux  les 
figiu-es  héroïques  des  chevaliers  d'autrefois  —  Roland,  Renaud,  Roger, 
Astolphe,  Godefroy  —  quand  il  ouvrit  le  volume  que  venait  de  publier 
l'Action  française  :  «  Paul-Emile  Lamarcke.  —  Œuvres  —  Homma- 
ges. »  Et  franchement,  en  le  parcoiu^ant  avidement  et  tout  d'un  trait, 
il  lui  sembla  qu'il  n'avait  point  changé  de  lecture. 

C'était  bien  encore  un  vrai  chevalier  qui  était  campé  devant  ses 
regards,  si  tant  est  que  la  chevalerie  de  jadis  et  de  toujours,  c'est  la 
force  au  service  du  droit  et  de  la  faiblesse,  c'est-à-dire  la  victoire  du 
dévouement  chrétien  sur  l'égoïsme  païen.  Et,  pour  compléter  la  simi- 
Utude  du  tableau,  cette  fois  encore  quand  le  héros  s'est  couché  dans  la 
mort,  ses  compagnons  de  vaillance  l'entourent,  pieux  et  tristes,  et  chacun 
exhale  sur  sa  tombe  ses  regrets  et  ses  espoirs. 

Le  chevalier  !  Voilà  donc  le  type  que  Lamarche  a  incarné  aux 
yeux  de  ses  contemporains,  comme  déjà  l'a  si  bien  buriné  noti'e  excellent 
poète  Lozeau  —  les  poètes  sont  les  voyants  de  la  foule  —  : 

«  Il  fut  le  chevalier  sans  heaume  et  sans  cuirasse 
«  Qui,  du  seul  vêtement  de  son  courage  armé, 
«  Par  V amour  du  bon  droit  noblement  animé, 
«  Descendit  dayis  l'arène  y  défendre  sa  race.  » 

Et  c'est  ainsi  qu'il  restera  devant  le  tribunal  de  la  postérité. 

Et  en  donnant  au  public  ce  volume  —  de  tenue  d'ailleurs  par- 
faite—  V Action  française  fait  une  œuvre  de  haute  portée,  puisqu'il  va 
répandre,  surtout  chez  les  jeunes,  ce  qui  manque  le  plus  à  notre  vie 
nationale,  comme  à  toute  la  vie  moderne  :  le  culte  de  la  chevalerie. 

'  A  propos  d'un  livre  récent  :  «  Paul- Emile  Laraarche,  Œuvres- 
Hommages  »  (Bibliothèque  de  V Action  française) . 


l'action  française  227 

La  chevalerie  armée  n'existe  plus,  mais  l'idéal  qui  en  était  le  fond 
doit  durer  aussi  longtemps  que  l'idéal  chrétien.  Il  y  a  bientôt  quarante 
ans,  Léon  Gautier  disait  dans  la  préface  de  son  monumental  ouvrage 
«  La  Chevalerie  »  :  «  Nous  avions  conçu  un  autre  dessein ...  :  c'était 
d'agrandir  les  âmes;  c'était  de  les  arracher  au  mercantilisme  qui  les 
abaisse  et  à  l'égoïsme  qui  les  tue  :  c'était  de  leur  communiquer  de 
fiers  enthousiasmes  pour  la  Beauté  qui  est  menacée  et  pour  la  Vérité 
qui  semble  vaincue.  Il  y  a  plus  d'une  sorte  de  chevalerie,  et  les 
grands  coups  de  lance  ne  sont  pas  de  rigueur.  A  défaut  d'épge,  nous 
avons  la  plume;  à  défaut  de  plume,  la  parole;  à  défaut  de  parole, 
l'honneur  de  notre  vie.  L'auteur  de  la  «  Chevalerie  »  s'estimerait 
heiu-eux,  s'il  avait  fait  des  chevaliers.  »  Et  il  ajoutait  dans  la  con- 
clusion de  son  livre  :  «  Il  ne  faudrait  pas  s'imaginer  que  la  chevalerie 
ait  été  le  caractère  spécial  de  telle  ou  telle  époque.  L'institution  a  pu 
mourir,  mais  son  esprit  nous  est  resté...  Il  faut  ajouter  pour  ne 
décourager  personne,  qu'il  est  encore  possible  d'être  chevalier  de  nos 
jours,  et  que  l'heure  est  peut-être  venue  d'être  plus  chevaUer  que 
jamais.  . .  Sans  doute  la  société  n'est  plus  construite  comme  il  y  a 
huit  ou  neuf  cents  ans;  mais  il  y  a  encore  la  Patrie .  . .  qui  est  en  droit 
de  compter  parmi  nous  sur  toutes  les  intelligences  comme  sur  toutes 
les  épées.  Il  est  toute  une  école,  nombreuse  et  influente,  où  l'on 
prétend  que  le  bien-être  est  le  seul  but  que  doive  désormais  poursuivre 
l'hiunanité  «  régénérée.  »  Ces  sophistes  se  trompent  étrangement, 
même  quand  ils  nous  donnent  l'Amérique  comme  exemple.  Une 
nation  qui  aime  avant  tout  le  confort  est  une  nation  perdue,  et  ses 
fils  sont  condamnés,  grâce  à  ce  bien-être  fatal,  à  s'étioler  misérablement 
dans  leurs  âmes  comme  dans  leurs  corps,  et  à  être  tôt  ou  tard  asservis 
par  un  peuple  plus  jeune  et  plus  viril.  C'est  la  chevalerie  qui  sauve  les 
nations  et  qui  en  est  l'arôme.  Et  la  chevalerie,  c'est  le  dédain  pour 
toutes  les  petites  aises  d'une  vie  amollie  et  sans  nerfs;  c'est  le  mépris 
de  la  souffrance;  c'est  la  mise  en  action  de  l'antique  Esto  vir.  Il  est 
un  dernier  commandement  de  l'ancienne  chevalerie  qui  nous  semble 
d'une  utilité  encore  plus  contemporaine  :  «  Ne  pas  mentir.  »  J'en- 
tends par  là  qu'il  faut,  dans  la  conduite  de  nos  idées  et  de  notre  vie, 
avoir  horreur  des  petites  habitudes  rampantes,  des  moyens  tortueux, 
des  finesses  menteuses,  des  sous-entendus  et  des  nuances.  De  toutes 
les  choses  d'ici-bas,  la  chevalerie  est  celle  qui  est  la  plus  réfractaire  à 
la  nuance.  Elle  veut  que  nous  affrontions  les  périls  de  l'heure  présente 
avec  la  franchise  la  plus  lumineuse;  que  nous  ne  cachions  point  notre 


228  l'action  française 

drapeau;  que  nous  répétions,  si  nous  croyons  au  Christ  éternel,  le 
cri  des  premiers  martyrs  :  «  Je  suis  chrétien,  »  et  que,  le  front  dé- 
couvert et  l'âme  transparente,  nous  sachions  non  seulement  mourir 
pour  la  vérité,  mais,  ce  qui  est  plus  difficile,  vivre  pour  elle.  » 

Qu'on  nous  pardonne  cette  longue  citation,  elle  justifie  l'apprécia- 
tion que  nous  donnons  de  l'œuvre  de  notre  héros. 

Et  vraiment,  l'enseignement  qui  se  dégage  de  la  vie  de  Lamarche 
vient  à  son  hem-e  —  à  l'heure  où  notre  jeunesse  serait  tentée  d'hésiter 
dans  le  choix  d'un  idéal. 

Lamarche  entre  de  plain-pied  dans  la  lignée  de  nos  héros,  dans  la 
lignée  des  Bédard,  des  Papineau,  des  La  Fontaine,  des  Cartier,  des  Mer- 
cier, des  Langevin  — ■  pour  ne  parler  que  des  morts  —  ,  et  il  y  entre  sans 
même  une  ombre  à  ses  principes  religieux.  Il  a  foulé  aux  pieds  l'argent, 
les  honneurs,  les  attaches  de  parti,  parce  qu'il  n'avait  au  cœur  qu'une 
grande  passion  :  la  défense  du  droit.  11  mit  son  grand  talent  d'avocat 
au  service  de  ses  chents  et  de  sa  ville,  il  le  mit  encore  plus  au  service 
de  sa  race.  Dans  tout  ce  qui  reste  de  son  œuvre,  on  découvre  tou- 
jours la  même  pensée  et  la  même  passion  dominante. 

Que  dis-je?  son  désintéressement,  son  oubli  de  lui-même,  éclate 
jusque  dans  son  style  où  il  peut  encore  servir  de  modèle  à  notre  jeunesse, 
non  seulement  il  parle  comme  un  orateur  et  il  écrit  comme  un  écrivain  — 
ce  qui  déjà  est  très  rare  même  parmi  les  mieux  doués  des  nôtres,  —  mais 
il  parle  et  il  écrit  dans  cette  langue  du  grand  siècle  qui  reste  à  jamais 
classique  précisément  parce  qu'elle  est  impersonnelle.  D'après  Brune- 
tièrC;  le  fond  du  romantisme  a  été  le  culte  du  moi,  ce  qui  est  encore  une 
forme  de  l'égoïsme;  or,  le  culte  du  moi  ne  consiste  pas  seulement  à  parler 
de  soi-même  ou  à  employer  le  mot  «  je  »,  il  se  manifeste  encore  plus 
laidement  dans  le  souci  de  faire  montre  de  son  talent  dans  le  choix  des 
expressions  rares,  dans  la  construction  tourmentée  de  la  phrase,  dans  la 
recherche  du  «  mot  »  ;  on  se  préoccupe  alors  de  sa  propre  gloriole  bien 
plus  que  de  chercher  à  enfoncer  une  vérité  ou  ime  détermination  dans 
la  tête  ou  dans  le  cœur  des  autres;  on  ressemble  au  virtuose  qui  veut 
éblouir  l'auditoire  par  le  prestige  de  sa  technique,  plutôt  qu'à  l'artiste 
qui  s'efface  en  tâchant  de  faire  communier  les  âmes  à  son  propre  rêve 
de  beauté.  Au  rebours  de  Pascal,  qui  en  lisant  cherchait  un  écrivain  et 
s'émerveillait  de  trouver  un  homme,  la  foule  cherche  un  homme,  un  hom- 
me qui  déploie  passionnément  toutes  ses  puissances  pour  l'éclairer  et 
l'entraîner,  et  elle  ne  trouve  qu'un  écrivain,  un  virtuose  de  la  parole 
écrite  ou  parlée. 


L  ACTION    FRANÇAISE  229 

En  lisant  l'œuvre  de  Lamarche  —  nous  préférons  y  renvoyer  plutôt 
que  d'en  citer  des  extraits,  — •  la  foule  sera  délicieusement  surprise  d'y 
trouver  un  homme,  un  homme  qui  l'a  aimée,  et  qui  a  mis,  sans  retour 
sur  lui-même,  les  trésors  de  sa  science,  de  sa  dialectique,  de  son  esprit, 
de  son  ironie,  de  sa  tendresse  —  à  la  défendre  pour  qu'elle  survive.  Et 
c'est  pourquoi  cet  homme  restera  à  ses  yeux  le  type  du  parfait  chevalier 
de  l'action  française. 

Abbé   J.-A.-M.    Brosseau. 


LES  RECITS  LAURENTIENS^ 

J'ai  lu  les  Récits  laurentiens  avec  gourmandise,  comme  on  mange  un 
bonbon  de  chez  nous,  fait  du  sucre  de  nos  érables  et  de  la  crème  de  nos 
laiteries.     C'est  savoureux  et  réconfortant. 

Le  Fr.  Marie-Victorin  a  le  don  de  vision  pour  les  choses  de  chez  nous, 
et  pour  la  vie  de  nos  gens,  il  voit  les  grandes  hgnes  et  les  petits  détails, 
il  voit  la  vie  mêlée  aux  choses,  et  il  voit  le  bon  côté  de  la  vie  et  des  choses, 
celui  par  lequel  nous  sommes  une  race  fière  et  encore  solidement  enra- 
cinée à  la  terre  laurentienne  ;  le  Fr.  Marie-Victorin  sait  encore  se  pénétrer 
de  cette  vie  des  choses  et  des  gens;  il  la  revit  avec  intensité,  avec  une 
émotion  qui  se  communique  nécessairement  quand  toutes  ces  visions 
et  toutes  ces  sensations  nous  sont  traduites  en  la  plus  belle  langue  du 
monde,  qui  est  la  nôtre. 

D'autres  furent  peut-être  plas  fins  ciseleurs,  mais  nul  encore, 
semble-t-il,  n'a  réussi  à  rendre  aussi  pénétrante  l'émotion  que  l'on  res- 
sent en  présence  de  la  vie.  Le  jour  s'approche  sans  doute  où  toutes  ces 
peintures,  où  toutes  ces  études  de  détail,  parues  depuis  quelques  années, 
et  que  l'on  admire  pour  elles-mêmes,  serviront  un  jour  d'ornement  dans 
des  œuvres  de  plus  longue  haleine,  dans  de  plus  vastes  moniunents  de 
notre  Uttérature. 

Le  Fr.  Marie-Victorin  sait  communiquer  l'émotion,  ce  sentiment  si 
déUcat  qui  fait  battre  le  cœur  à  l'unisson  des  héros,  qui  nous  fait  mélan- 
cohques,  joyeux,  soufîrants  et  fiers  avec  eux. 

Serait-ce  aller  contre  la  pensée  de  l'auteur  que  de  distinguer  dans 
son  livre  deux  sortes  de  récits  :  les  uns  feraient  naître  en  nous  des  sen- 
timents moins  profonds,  toujours  de  chez  nous,  mais  n'exprimant  pas 
ce  qu'il  y  a  de  plus  intime  dans  l'amour  de  la  terre  laurentienne;  les 

1  Récits  laurentiens,  par  le  Frère  Marie-Victorin,  des  Écoles  chré- 
tiennes. 


230  l'action  française 

autres  feraient  vibrer  des  cordes  plus  solides  au  fond  de  nos  cœurs 
Ceux-ci  seraient  les  quatre  derniers, 

Sans  doute  la  mélancolie  s'empare  de  nos  âmes,  comme  de  celles 
des  Hamel,  quand  il  faut  couper  l'orme  plus  que  séculaire.  Nous 
devenons  tristes  avec  eux.  «  La  conversation  de  toutes  ces  vieilles  gens 
était  dans  le  passé,  et  le  passé  est  peuple  de  fantômes  évanouis,  de  bon- 
heurs brisés  et  de  cercueils.  » 

C'est  plaisir  aussi  de  revivre  les  scènes  naïves  et  si  nôtres  de  la 
paroisse  de  Lorette,  croyant  au  Rosier  de  la  Vierge,  et  de  croire,  avec 
l'auteur,  que  les  rejetons  du  rosier  mariai  «  ont  gardé  quelque  chose  de 
religieux  et  de  consacré  ». 

Nous  sentons  bien,  nous  deAanons  que  ce  «  Mets  cela  au  ^ied  de  la 
Croix  »  est  le  secret  de  toutes  les  patiences,  de  tous  les  labeurs  énergi- 
que ment  acceptés  par  la  race. 

Et  c'est  une  évocation  de  mille  souvenirs  enchanteurs  que  de  courir 
dans  les  champs,  que  de  revoir  «  les  ruisseaux  dans  les  bois  »,  que  de 
pêcher  la  truite  vlimeuse,  que  de  revenir  sur  la  «  charge  branlante  ». 
Et  comme  on  rit  de  bon  cœur,  quand  le  bambin,  au  miUeu  des  veilleux, 
se  plantant  devant  le  vieux  Juneau,  crie  sa  colère  :  «  Vous,  si  vous 
dormiez  à  manger  à  votre  jument,  elle  ne  se  boiu"rerait  pas  avec  le  butin 
des  autres.  » 

Mais  une  terre  est  plas  qu'un  orme  et  les  pleurs  que  nous  mêlons  à 
ceux  de  Félix  Delâge,  obligé  de  mettre  en  vente  la  terre  des  ancêtres,  la 
bonne  mère  nourricière  des  générations  disparues,  la  terre  tant  aimée,  la 
terre  que  le  vieux  Canadien  contemple  avec  toute  la  majesté  du  chef  des 
Rocquevillard,  ces  pleurs  partent  de  profondeurs  plus  intimes,  comme 
plus  grande  et  plus  intense  est  la  joie  du  grand-père,  qui  après  le 
«  Ne  vends  pas  la  terre  »  des  tout  petits,  les  embrasse,  et  se  hâte  de 
jeter  dans  les  «  hautes  tiges  d'herbe  Saint-Jean  »,  l'écriteau  de  malheur. 

Avec  Jacques  Maillé,  que  la  Providence  amène  au  refuge  de  l'en- 
fant prodigue,  avec  le  colon  Lévesque,  dont  l'héroïsme,  le  vrai,  nous 
Ijoule verse  et  nous  étreint  à  la  gorge,  le  «  Mets  cela  au  pied  de  la  Croix  » 
prend  un  sens  plus  large,  et  se  perd  en  des  horizons  sans  fin. 

Puis  vient  cette  charmante  Thérèse  Bédard,  servante  du  noble 
Lord  anglais,  mais  pas  servante  comme  toute  autre.  C'est  une  Cana- 
dienne, qui  sait  son  histoire  et  qui  est  fière  de  sa  race,  et  qui  ne  se  trouve 
pas  si  petite,  après  tout,  en  présence  des  gentilshommes  d'Angleterre. 
Elle  appartient  elle  aussi  à  une  race  de  gentilshommes,  et,  servante  loyale, 
elle  écrit  le  Thou  respectueux  et  officiel,  —  elle  connaît  les  manières  —  , 


l'action  française  231 

mais,  petite  Canadienne, elle  accole  au  Thou  leliest,  quigiffleet  qui  venge. 
La  voilà  notre  race,  notre  bonne  race,  notre  race  pure,  notre  race 
combattante  pour  se  garder  ce  que  son  histoire  a  voulu  qu'elle  fût. 
C'est  là  la  race  des  Récits  laurentiens,  et  parce  qu'ils  nous  la  font  aimer 
davantage,  parce  qu'ils  nous  la  montrent  attachée  toujours  au  sol,  à  la 
croix,  aux  vieilles  choses,  ces  récits-là  sont  un  geste  d'action  française, 
qu'il  nous  fait  plaisir  de  souligner.  M.  Massicotte  y  a  dessiné  le  type 
éternel  du  Canadien  français,  et  le  Fr.  Marie- Victorin  aussi. 

M.  H.-B. 


EN  VEILLANT  AVEC  LES  PETITS  DE  CHEZ  NOUS  i 
M.  l'abbé  Géhnas  a  fait  de  ses  causeries  historiques,  publiées  dans 
le  Bien  Public  des  Trois-Rivières,  un  joh  volume  de  trois  cents  pages. 
Un  autre  recueil  avait  précédé  :  Au  Foyer,  pour  les  petites  de  chez 
nous.  2  Ce  sont  des  traits  de  l'histoire  du  Canada  que  l'abbé  conte  tout 
bonnement,  le  soir,  en  famille,  en  attendant  que  le  sommeil  gagne  les 
petits.  Il  évoque  devant  eux  toute  une  galerie  d'hommes  et  de  femmes 
illustres,  les  plus  pures  gloires  de  nos  trois  siècles  de  passé.  A  Ure  ces 
causeries,  j'allais  dire  ces  conversations,  on  croit  entendre  et  voir  le 
conteur  au  miheu  de  son  petit  monde,  interpellant,  questionnant,  répon- 
dant, mêlant  à  l'histoire  une  profusion  de  conseils  et  de  réflexions.  Bien 
des  grands,  sans  doute,  se  sont  laissés  prendre  à  ces  récits  destinés  aux 
petits  de  la  région  trifluvienne.  Des  personnages  peu  connus  se  déga- 
gent et  prennent  rang  parmi  les  plus  illustres  :  Martine  Messier,  Nor- 
manville,  Marguerite,  François  Hertel,  Jean  Nicolet,  d'autres  encore, 
dont  les  belles  actions  peuvent  inspirer  aux  jeunes  cet  amour  du  passé 
de  chez  nous,  cette  fierté  nationale  que  l'auteur  cherche  à  leur  communi- 
quer. «  Mes  petits  amis,  soyez-en  fiers,  leur  dit-il,  nous  appartenons 
à  une  grande  race,  à  une  race  d'apôtres  »  {En  veillant,  p.  284).  «  Parlez 
souvent  de  notre  belle  histoire  du  Canada,  de  ces  nobles  femmes  dont  le 
souvenir  doit  orner  votre  mémoire,  comme  les  chers  portraits  de  famille 
ornent  le  salon  de  votre  maman  »  {Au  Foyer,  p.  96). 

Fournir  des  lectures  canadiennes  pour  le  foj'er,  rien  n'est  plus  oppor- 
tun, et  les  lecteurs  de  l'Action  française  ne  peuvent  que  se  réjouir  de 

1  En  veillant  avec  les  petits  de  chez  noiis,  causeries  historiques  par 
M.  l'abbé  J.-G.  Géhnas,  du  séminaire  des  Trois-Rivières.  Imprimé  au 
Devoir,  Montréal. 

^  Au  Foyer,  causeries  historiques  pour  les  petites  de  chez  nous. 
Providence  Maison  Mère,  Montréal. 


232  L  ACTION    FRANÇAISE 

pareilles  initiatives.  C'est  un  des  moyens  les  plus  eflBcaces  pour  pro- 
curer ce  perfectionnement  intellectuel  et  moral  des  Canadiens  français 
qu'ils  désirent  avec  tant  d'ardeur.  En  effet,  ce  qui  manque  aux  nôtres, 
beaucoup  plus  que  l'enseignement  des  maîtres,  c'est,  dans  toutes  les 
classes  de  notre  société,  la  formation  par  la  lecture  personnelle.  Notre 
peuple  n'est  pas  assez  ciurieux  d'histoire,  de  géographie,  de  toutes  ces 
sciences  qui  ornent  l'esprit  et  complètent  l'éducation.  Il  faut  à  tout 
prix  inspirer  à  notre  jeimesse  le  goût  de  ces  lectures  saines  et  bienfaisan- 
tes. A  la  campagne  comme  à  la  ville,  les  enfants  devraient  prendre  à 
l'école  l'habitude  de  lire  d'autres  li\'Tes  que  leurs  manuels.  Actuelle- 
ment, une  foule  de  jeimes  gens  bien  doués  abandonnent  toute  étude  en 
sortant  de  l'école  et  bientôt  se  distinguent  à  peine  des  illettrés.  C'est 
pour  eux  surtout  que  la  fondation  de  bibliothèques  scolaires  et  parois- 
siales devient  une  nécessité.  A  la  campagne,  les  élèves  avancés  de- 
vraient apprendre  à  lire  les  journaux  d'agricultm-e,  les  revues  agricoles, 
les  pubUcations  officielles,  les  brochures  de  colonisation.  Ces  lectures 
orienteraient  leur  esprit  vers  les  choses  de  leiu-  profession  et  les  dispose- 
raient à  devenir  des  cultivateurs  progressifs.  On  habituerait  aussi  nos 
jeunes  gens  à  hre  autre  chose  que  les  faits  divers  des  journaux  à  images 
et  les  scandales  de  la  gazette  des  tribunaux.  La  fondation  de  bibhothè- 
ques  scolaires,  l'initiation  des  enfants  à  la  lecture  sérieuse,  avuraient  sur 
la  formation  inteUectueile  de  notre  peuple  une  influence  plus  appréciable 
que  les  mesures  discutables  proposées  parfois  pour  la  diffusion  de  l'ins- 
truction. 

En  attendant  cette  institution  nécessaire,  il  convient  de  féliciter 
ceux  qui,  comme  M.  l'abbé  GcHnas.  s'emploient  à  préparer  aux  enfants 
un  aliment  intellectuel  qui  leur  convient,  agréable  et  substantiel,  nour- 
rissant l'esprit  tout  en  réchauffant  le  cœur.  Adélard  Dugré,  S.  J. 


PROPAGANDE!  PROPAGANDE! 

Propagande  !  ProfKigatide  !  C'est  le  cri  que  nous  ne  cesserons 
d'adresser  à  nos  amis,  car  la  propagande  est  la  condition  essentielle  du 
progrès  de  notre  œuvre.  Propagande  constante,  propagande  sur  tous 
les  terrains.  Propagande  par  l'action  quotidienne,  par  les  revendica- 
tions et  les  protestations,  par  la  diffusion  des  tracts  et  des  brochures. 
Propagande  par  l'abonnement,  propagande  par  la  souscription,  propa- 
gande par  la  mise  en  œuvre  méthodique  de  toutes  les  bonnes  volontés. 
Le  champ  est  immense. 

Ainsi  nous  lançons,  ces  jours-ci,  tout  un  essaim  de  publications 
diverses  :    les  Rapaillages  et  la  Naissance  d'une  Race,  de     M.  l'abbé 


l'action  française  233 

Groulx,  le  Canada  apostolique,  de  M.  Heru'i  Bourassa,  Pour  la  défense 
de  nos  lois  françaises,  de  M.  Antonio  Pen^ault.  Nous  possédons  toute 
une  collection  de  volumes  et  de  brochures  à  prix  varies  :  Paul-Émile 
Lamarche;  La  Langue,  gardienne  de  la  Foi,  de  M.  Henri  Bourassa;  La 
Race  suvérieure,  du  R.  P.  Louis  Lalande;  la  Veillée  des  berceaux,  de  M. 
Edouard  Montpetit;  la  Valeur  économique  du  français,  de  M.  Léon 
Lorrain;  Pour  V  Action  française  et  Si  Dollard  revenait.  . .,  de  M.  l'abbé 
Groulx;  la  Déportation  des  Acadiens,  d'Henri  d'Arles;  les  Choses  de  cher 
nous,  les  Refrains  de  chez  nous.  Nous  sommes  dépositaires  des  publi- 
cations de  la  Ligue  de  Ralliement  français  en  Amérique,  nous  pouvons 
procurer  à  nos  lecteiu-s  toutes  les  œuvres  canadiennes  et  les  meilleures 
œuvres  françaises.  Quelle  magnifique  occasion  alors  de  répandre  des 
œuvres  saines  et  de  nous  aider  en  même  temps  !  Que  tous  ceux  qui 
veulent  offrir  des  prix  particulièrement,  que  tous  ceux  qui  ont  leur  avis  à 
donner  là-dessiLS  songent  à  nous  ! 

Avec  les  Rapaillages  nous  faisons  un  vaste  essai  de  diffusion  du  livre 
canadien  populaire.  Nous  prions  nos  amis  de  nous  aider  à  en  assurer 
l'éclatant  succès.  Le  livre  est  connu,  il  sera  illustré  de  douze  dessins 
inédits  de  Franchère,  avec  couverture  en  deux  couleurs,  il  est  publié  en 
deux  éditions,'  populaire  et  de  luxe,  qui  satisferont  tous  les  goûts. 

Nous  prions  nos  amis  d'employer,  poiu-  assurer  la  diffusion  des 
Rapaillages,  les  méthodes  qui  ont  obtenu  un  si  grand  succès  dans  le  cas 
de  VAlmanach.  Il  y  a  là,  pour  les  propagandistes,  groupes  ou  individus, 
une  occasion  splendide  de  répandre  de  la  Uttérature  du  terroir.  On 
verra,  par  les  détails  donnés  à  la  Vie  de  l'Action  française,  que  les 
réductions  offertes  par  notre  administration  sont  très  avantageuses. 

Il  ne  faut  jamais  oublier,  naturellement,  notre  revue,  qui  est  le 
moteur  de  toute  l'œuvre.  On  commence  à  la  donner  en  prix,  nous 
avons  reçu  des  abonnements  jusque  de  l'Afrique.  Il  faut  que  ce  mou- 
vement s'accentue.  Quel  est  celui  de  nos  lecteurs  qui  ne  pourrait 
vraiment,  s'il  y  mettait  une  énergique  et  bonne  volonté,  nous  procurer 
à  plus  ou  moins  lointaine  échéance,  un  nouvel  abonné?  Il  y  a  des 
exceptions,  sans  doute,  mais  elles  sont  plus  que  compensées  par  le 
nombre  de  ceux  qui  pourraient  nous  amener  trois  ou  quatre  recrues 
nouvelles. 

Et  puis,  il  y  a  le  fonds  de  propagande  proprement  dit.  C'est  celui 
qui  a  été  le  plus  négligé  ces  derniers  temps.  Pourtant  il  nous  permettrait 
de  faire  une  très  utile  besogne,  d'expédier  aux  bons  endroits  des  ouvrages 
de  propagande,  etc.     Qu'on  y  songe  !  Jean  Beauchemin. 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 

Nos  conférences  —  Notre  sixième  conférence  a  eu  lieu  au  Monument 
National,  le  8  mai,  sous  la  présidence  d'honneur  de  M.  le  Dr  Louis  de 
Lotbinière  Harwood,  do3'en  de  la  Faculté  de  Médecine  de  l'Université 
Laval,  à  Montréal.  L'allocution  d'ouvertiue  a  été  prononcée  par  M. 
Edouard  Montpetit  et  la  conférence  proprement  dite  par  M.  l'abbé 
Grouk.  Celui-ci,  dans  ime  étude  très  fouillée,  a  évoqué  de  la  plus 
prenante  façon  la  \'ie  intime  de  nos  pères.  Cette  étude  sera  prochaine- 
ment pubUée.  MM.  Montpetit  et  Harwood  ont  parlé  dans  les  termes 
les  plus  élogieux  de  rœu\Te  de  V Action  française. 

Nos  publications  —  Elles  se  mvdtiphent.  Nous  donnons,  presque 
en  même  temps,  le  Canada  apostolique,  de  M.  Bourassa,  La  Naissance 
d'une  Race  et  les  Rapaillages,  de  M.  l'abbé  Groulx,  qui  paraîtront  dans 
les  premiers  jours  de  juin.  Pour  la  défense  de  7!0S  lois  françaises,  de  M. 
Antonio  Perrault,  qui  sera  mis  en  vente  le  cent,  S70  La  série  orange 
(10  sous  l'exemplaire,  SI  la  douzaine,  S8  le  26  mai  le  mille,  frais  de 
port  en  plus)  vient  de  s'enrichir  de  la  Déportation  des  Acadiens,  d'Henri 
d'Arles. 

Le  Canada  apostolique,  revue  des  œuvres  de  missions  des  commu- 
nautés franco-canadiennes,  se  vend  60  sous  franco.  (A  la  douzaine, 
S6.00;  au  cent,  $48.00.     Frais  de  port  en  plus). 

Pour  nos  lois  françaises  appartient  à  la  série  verte  (l'exemplaire, 
25  sous,  27  sous  franco.  $2.00  la  douzaine,  $20.00  le  cent,  $175.00  le 
mille,  port  en  plus).  La  Naissance  d'une  Race,  histoire  de  nos  origines, 
inaugure  la  série  bleue  :  75  sous  l'exemplaire,  80  sous  franco.  La 
douzaine,  $7.50;  le  cent,  $60.00,  frais  de  port  en  plus.  Poiu-  les  Rapail- 
lages, il  y  aura  deux  éditions,  toutes  deux  illustrées  :  l'édition  de  luxe 
(60  sous  l'exemplaire,  $6  la  douzaine,  $50  le  cent,  $225  les  cinq  cents, 
port  en  plus);  l'édition  populaire  ($2.50  la  douzaine,  $20  le  cent,  $92.50 
les  cinq  cents,  $175  le  mille,  port  en  plus). 

J.  B. 


ARRERAGES 


Quelques  abonnés  de  1918  sont  encore  en  retard,  de  mémo  qu'un 
certain  nombre  de  ceux  de  1919,  bien  que  l'abonnement  soit  payable 
d'avance.     Nous  les  prions  de  vouloir  bien  régler  ces  arrérages. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 

LA  QUESTION  BILINGUE  ONTARIENNE 

Le  Droit,  dans  son  numéro  du  22  mai,  a  publié  le  texte  de  la  pétition 
suivante,  récemment  adressée  au  gouvernement  ontarien  et  signée,  dit-il, 
par  tous  les  prêtres  de  la  capitale,  tant  de  langue  française  que  de  langue 
anglaise,  un  excepté,  l'Association  d'Education  d'Ontario,  la  Société 
Saint-Jean-Baptiste  d'Ottawa,  nombre  d'autres  prêtres  du  diocèse  et  de 
citoyens  éminents. 

AU    MINISTRE    DE    L'ÉDUCATION,    TORONTO 

«  Honorable  Monsieur  :  —  La  rumeur  nous  est  parvenue  que  le 
gouvernement  a  l'intention  de  nommer  une  nouvelle  commission  ou  un 
administrateiu"  dans  le  but  de  diriger  les  écoles  séparées  de  la  ville  d'Ot- 
tawa, la  dite  commission  ou  administrateur  devant  remplacer  la  com- 
mission des  écoles  séparées  dans  l'administration  de  ces  écoles. 

«  Nous  voulons  faire  entendre  ime  protestation  respectueuse  con- 
tre cette  mesure  parce  qu'elle  enlèverait  aux  contribuables  le  droit 
d'administrer  leurs  écoles  sans  savoir  de  quelle  manière  est  dépensé 
leur  argent,  contrairement  au  principe  :  «  pas  d'imposition  sans  repré- 
sentation ».  Nous  croyons  fermement  qu'une  telle  atteinte  aux  droits 
des  contribuables  aiderait  à  renouveler  les  troubles  et  la  lutte,  en  même 
temps  qu'elle  prolongerait  les  difficultés  sans  les  régler. 

«  Nous  suggérons  donc,  respectueusement,  que  le  ministère  de 
l'Education  applique  un  autre  remède,  un  remède  bien  simple  qui  ren- 
contrera l'assentiment  de  tous  les  cathoUques  de  la  ville  d'Ottawa. 

«  Il  consiste  en  ceci  :  que  le  gouvernement  donne  l'administration 
des  écoles  séparées  d'Ottawa  à  deux  comités  autonomes  sous  la  juridic- 
tion d'une  même  commission  scolaire  et,  en  plus,  que  le  gouvernement 
légalise  cet  accord  soit  en  amendant  la  loi  des  écoles  séparées,  soit  par 
tout  autre  manière  qui  le  rendra  stable  et  permanent. 

«  Nous  espérons  sincèrement  que  cet  espoir  se  réalisera,  croyant 
qu'il  est  de  nature  à  donner  le  meilleur  gouvernement  des  écoles,  à  pro- 
mouvoir la  cause  de  l'éducation,  l'établissement  de  l'harmonie  dans  la 
communauté  et  le  bien  public  en  général.  » 


236  L  ACTION    FRANÇAISE 

MGR  RICE  ET  LES  FRANCO-AMÉRICAINS   . 

L'Ui}ion,  de  Woonsocket,  R.I.,  publie,  dans  sa  livraison  de  mai,  le 
texte  d'un  projet  de  loi  présenté  au  Vermont  et  de  la  lettre  qu'il  a  provoquée, 
de  la  part  de  Mgr  Rice,  évêque  de  Burlington  : 

S.  84 
Reported  from  the  Committee  on  Education. 

AN  ACT  REQUIRIXG  THE  EXCLUSIVE  USE  OF  THE 

ENGLISH    LANGUAGE    IN    SCHOOLS 

It  is  hereby  enacted  by  the  General  Assembly  of  the  State  of  Vermont  •' 

Section  1.  The  English  language  shall  be  used  exchisively  in  the 
instruction  of  childi'en  and  for  the  piu"poses  of  adminis-t  i  ation  in  ail 
pubhc  or  private  schools  in  the  State,  but  the  requirement  of  such 
exclusive  use  shall  not  be  construed  as  prohibiting  the  conduct  of 
devotional  exercises  in  a  language  other  than  EngUsh  nor  as  prohib- 
iting the  teaching  of  a  foreign  language  in  accordance  with  a  course 
of  study  outlined  or  approved  by  the  State  board  of  éducation  under  the 
provisions  of  section  1237  of  the  General  Laws. 

Sec.  2.  This  act  shall  take  effect  July  first  nineteen  hundred  and 
nineteen. 

*      *     * 
Honorable  Ira  LaFleur, 

State  House, 

Montpelier,  Vt. 
Dear  Senator  LaFleur  : — 

I  am  at  a  loss  to  know  what  possible  good  could  foUow  the  passage  of 
Senate  Bill-84;  practically  the  only  class  of  people  affected  by  it  are  the 
French  Canadians. 

To  outward  appcarances  this  Bill  S.84is  apatriotic  measurebut  we 
know  fully  well  that  evcrything  labcled  patriotic  is  not  necessarily 
patriotic;  S.-84  is  a  measurc  dictated  neither  bj*  éducation  nor  patriotistn, 
l)Ut  by  sociali.sm;  it  dénies  to  a  father  his  essential  rights  in  cducating 
his  child  and  it  arrogates  to  the  State  the  right  which  the  Creator  bas 
made  inhérent  in  parenthood  itself  ;  doubtless  you  arc  aware,  dear  Sena- 
tor, that  niany  of  the  cducators  in  the  United  States  hâve  for  years  been 
trained  direct  ly  or  indirect!}'  by  socialistic  German  prof  essors,  hence,  it 
is  not  surprising  that  they  sbould  attempt  to  foist  their  pernicious 
doctrines  on  the  community.     After  having  conquered  Gcrmany  by 


L  ACTION    FRANÇAISE  237 

force  of  arms  we  are  now  to  be  conquered  by  German  socialism  unless 
we  call  a  hait  on  the  apostles  of  German  socialism  masquerading  as 
American  Educators. 

S-84  seems  to  cast  a  slur  on  the  patriotism  of  the  graduâtes  of  the 
French  schools  of  Vermont,  yet  can  the  proponents  of  this  Bill  instance 
any  cases  in  which  the  graduâtes  of  the  French  schools  of  Vermont, 
did  not  measure  up  to  the  loftiest  standards  of  patriotism  during  this 
last  war? 

The  French  schools  of  Vermont  are  and  hâve  been  a  priceless  asset 
to  the  welfare  of  our  country;  day  after  day  as  I  scanned  the  casualty 
lists  I  noticed  the  honorable  and  conspicuous  place  occupied  bj-  graduâtes 
of  French  schools  and  1  hâve  heard  army  oflBcers  say  how  priceless  and 
indispensible  were  their  services  as  interpreters  in  France. 

We  ail  know  what  a  dismal  failure  our  English  speaking  schools 
hâve  made  of  the  teaching  of  foreign  languages;  our  State  pays  annually 
thousands  upon  thousands  of  dollars  to  teach  French  in  oiu:  high  schools 
but  without  very  noticeable  results. 

Our  State  seems  to  recognize  by  its  attempt  to  teach  French  that  it 
is  a  very  désirable  and  usef ul  thing  for  the  State  to  hâve  a  goodly  number 
of  its  citizens  capable  of  speaking  the  French  language;  why  then  enact 
a  law  which  will  prevent  the  children  of  French  parents  from  acquiring 
a  knowledge  of  French  ? 

The  French  schools  hâve  not  cost  the  State  of  Vermont  one  permy 
and  thej'  hâve  been  eminently  successful  in  teaching  their  pupils  a 
knowledge  of  both  French  and  English,  whereas  the  teaching  of  French 
in  the  high  schooLs  of  the  State  has  already  cost  hundreds  of  thousands 
of  dollars  and  it  has  been  a  decided  failure. 

The  interpreters  in  the  American  army,  the  thousands  of  téléphone 
operators  who  volunteered  for  service,  were  almost  without  exception 
graduâtes  of  French  schools.  The  essential  quaUfications  of  thèse  inter- 
preters and  téléphone  operators  was  a  perfect  speaking  knowledge  of 
French  and  English  :  now  how  many  of  our  high  school  graduâtes  or 
collège  graduâtes  could  measure  up  to  that  requirement?  Very,  very 
few  !  The  army  was  obUged  to  dépend  almost  entirely  and  exclusively 
on  the  graduâtes  of  the  schools  that  Senate  Bill-S4  is  aimed  at. 

It  seems  singularly  inconsistent  to  attempt  to  prevent  the  teaching 
of  French  in  the  only  practicable  way  in  which  it  can  be  learned,  i.e., 
by  young  children  in  French  schools  which  cost  the  State  nothing  and 
then  turn  around  and  waste  hundreds  of  thousands  of  dollars  of  tax 


238  L  ACTION    FRANÇArSE 

payers'  money  in  a  futile  effort  to  teach  young  men  and  young  women 
the  French  language. 

I  am  not  of  French  extraction  but  I  hâve  spent  many  happy  years 
of  my  hfe  in  a  close  intimacj'  vnth.  the  Canadian  people;  I  know  them 
thoroughl}',  therefore  I  love  and  admire  them  for  feheir  sterling  qualities 
and  in  the  name  of  true  Americanism  and  honest  patriotism  I  raise  my 
voice  to  protest  against  this  short-sighted  and  ungrateful  treatment  of 
the  loyal  French  Canadians  of  Vermont. 
Yours  very  respectfully, 

Joseph  J.  Ri  CE, 
April  7,  1919.  Bishop  of  Burlington 


Ce  projet  de  loi  n'a  pas  été  adopté. 


LA   RENAISSANCE  DE  LA   LANGUE   IRLANDAISE 


The  Irish  Press,  de  Philadelphie,  a  pubhé  dans  son  numéro  du  12 
avril  1919  (vol.  2,  no  4),  sous  les  titres  :  Must  save  Gaelic  tongue  now, 
says  Près.  De  Valera.  Is  lostforever  unless  preserved  by  Présent  Génér- 
ation, déclares  St.  Patrick's  Statement,  rarticle  suivant  : 

St.  Patrick's  Day  célébrations  in  Ireland  hâve  corne  to  be  associated 
principally  with  the  effort  to  préserve  and  extend  a  knowledge  of  the 
national  language.  An  interesting  event  in  this  connection  this  year 
was  a  message  from  Président  De  Valera,  which  was  pubUshed  in  the 
Irish  papers.  Sooner  or  later,  Mr.  De  Valera  sajs,  Ireland's  independ- 
ence  will  bc  assiired;  "but  the  language,  that  must  be  saved  by  us,  Or 
it  is  lost  forever."     The  statement  reads  : 

"To  save  the  national  language  is  the  especial  duty  of  this  génér- 
ation. The  ultimate  winning  back  of  our  statehood  is  not  in  doubt. 
Sooner  or  later  Ireland  will  recover  the  sovereign  independence  she  once 
enjoyed;  should  we  fail  a  future  génération  will  succced  —  but  the 
language,  that  must  be  saved  by  us  or  it  is  lost  forever. 

"It  is  fortunatc  that  the  more  pressing  duty  is  the  one  casier  for 
us  to  accomphsh.  To  recover  our  national  indej^endence  we  must  bend 
the  wills  of  other  nations  to  ours;  to  restore  the  langviage  we  need  the 
concurrence  of  no  will  but  our  own.  Let  the  men  and  women,  the  boys 
and  girls  of  Ireland  today  only  will  it  stroiigly  cnough  and  our  national 
language  can  bc  made  as  safe  as  our  nationhood. 


L  ACTION    FRANÇAISE  239 

"The  language  is  djnng.  To-morrow  it  will  be  too  late.  Shall 
we  not  save  it  today  when  we  may  ? 

"Think  how  Président  Wilson,  when  M.  Clemenceau  greeted  him 
with  —  I  speak  American  —  must  hâve  regretted  that  America  haa 
not  trulj'  a  distinctive  language  of  her  own.  What  would  he  hâve 
felt,  what  would  every  young  American  hâve  felt  had  some  past  génér- 
ation wilfull}'  let  such  a  language  die  and  left  them  with  only  a  borrowed 
tongue  ? 

"Are  we,  who  are  ready  to  make  sacrifices  that  the  future 
générations  m^ay  be  free,  going  to  rob  thèse  générations  of  that  they 
would  most  fondly  cherish  —  of  that  they  would  be  proudest  of  as  the 
very  cro^Ti  of  their  freedom  ?  Are  we  going  to  doom  them  to  bemoan 
forever  that  which  they  themselves  can  never  by  any  means  restore  — 
their  own  distinctive,  their  own  traditional  —  their  own  beautiful  Irsih 
tongue?'' 

To  this  statement  the  Gaehc  league  appends  the  followtng  appeal  : 

Irishmen  and  Irishwomen,  you  are  today  "a  wearin,  of  the  Green." 
You  feel  a  glow  of  pride  you  cannot  fuUy  express.  Your  heart  is  swelling 
with  love  for  yoiu-  countrJ^  Your  race-pride  is  stirring.  The  sham- 
rock  gives  a  visible  expression  to  it.  It  has  sprung  from  the  soil  of 
Ireland.  So  has  the  Irish  language.  Like  the  shamrock,  it  is  root«d 
deep  in  Irish  soil.  It  is  interwoven  in  your  Uves.  It  enshrines  the 
proudest  traditions  of  your  race.  But  it  languishes.  Will  you  not 
help  it  ?  Our  génération  can  save  it.  If  we  let  it  die  we  deprive  our 
children  of  part  of  the  rich  héritage  of  Ireland.  What  will  they  say 
of  us? 

Contributions  for  the  work  of  preserving  the  Irish  language,  if 
sent  through  the  Irish  Press,  will  be  forwarded  to  the  Gaelic  League 
headquarters  in  Dublin. 

The  Leader,  de  Dublin,  dans  sa  Uvraison  du  5  avril  1919  (vol 
XXXVIII,  no  9),  a  pubUé  la  note  suivante  : 

On  Tuesday  evening  next  the  Gaelic  League  opens  a  forward 
éducation  campaign  at  a  pubUc  meeting  in  the  Mansion  House,  Dublin, 
and  in  due  time  the  country  will  fall  in  behind  the  lead  of  the  capital. 
Hère  is  the  programme  for  the  Primary  schools,  and  Primary  schools 
include  ail  National  schools  and  other  schools  or  part  of  schools  attended 
by  children  of  the  Primary  school  âge  :  A.  In  purely  Gaelic  districts. 
1.  Ail  school  subjects  (excepting  English  and  other  foreign  languages) 
to  be  taught  through  the  médium  of  Irish  only.     2.     Irish  History  to 


240  L^ACTION    FRANÇAISE 

be  taught  to  ail  pupils.  Even  the  infants  ought  to  be  told  stories  of 
our  Saints  and  Heroes.  3.  Irish  Music  to  be  taught  in  ail  classes. 
The  words  of  the  old  songs  ought  to  be  taught  as  poetry  and  the  music 
to  which  they  are  set  ought  to  be  taught  in  the  Music  Class.  4.  Irish 
dancing  to  be  permitted  as  part  of  the  DriU  Lesson  and  teachers  to  be 
encouraged  to  teach  it.  B. — In  Semi-Gaelic  districts. — 1.  Irish  to  be 
the  ofEcial  school  language  i.  e.,roll-call,  orders,  prayers,  etc.,to  be  in 
Irish. .  2.  A  Bilingual  Programme  to  be  in  use.  After  a  few  years, 
however,  Irish  should  predominate  over  English  in  the  higher  classes. 
3,  4  and  5. — Same  as  2,  3  and  4  above  (in  A.)  6.  Foreign  languages — 
Each  foreign  language  to  be  taught  through  the  médium  of  that  tongue 
o  r  through  the  mediimi  of  the  language  best  understood  bj'  the  children. 
C. — In  purely  Enghsh-speaking  districts. — 1.  Irish  to  be  the  officiai 
language,  as  in  B.  2,  3,  4  and  5. —  History,  Music  and  Foreign  Lan- 
guages, as  above.  6.  Irish  to  be  taught  for  vemacular  use  to  each 
child  for  at  least  one  hour  per  day.  7.  In  two  years  'time  it  should  be 
feasible  to  commence  teaching  Reading,  Writing,  Grammar,  Oral 
Composition,  Kindergarten,  etc.,  in  Irish  and  EngUsh  on  alternate  daj'S 
in  the  three  lower  standards,  and  ail  school  subjects  in  the.other  stand- 
■  ards.  8.  In  five  years  'time  it  should  be  feasible  to  hâve  a  BiUngual 
Programme  in  ail  school  subjects  except,  perhaps,  in  the  case  of  infants. 

An  adaptation  of  the  programme  is  also  set  out  for  the  Secondary 
Bchools;  and  as  regards  Universities  a  spoken  knowledge  of  Irish  and 
knowledge  of  Irish  History  is  demanded  as  essential  for  matriculation. 

The  time  is  ripe,  indeed  overripe,  for  this  campaign  on  the  nation- 
killing  Anglicisation  of  our  schools.  The  schools  want  a  good  shake, 
and  there  is  no  reason  to  believe  that  those  of  them  conducted  by 
people  with  Irish  sympathies  will  not  welcome  the  shake  as  much  as 
the  gênerai  Irish  public.  We  foar  that  the  Protestant  schools  will 
remain  a  great  obstacle,  as  they,  for  the  most  part,  look  at  the  Irish 
language  as  dangerous  and  séditions.  The  securing  of  the  adoption 
of  the  suggested  programme  by  High  School,  Mountjoy,  and  Andrews 
in  Dubhn,  to  go  no  fxirther,  will  take  somc  doing.  No  doubt  thèse  and 
similar  schools  will  stand  by  England  for  the  présent,  and  the  develop- 
ment  of  the  programme  will  be  almost  exclusively  the  work  of  Catholic 
schools  and  collèges.  If  the  Catholic  schools  and  collèges  Irishise 
themselves  they  will  in  largo  part  regain  for  the  country  the  power  of 
absorbing  strangers  and  the  rest  will  follow  as  a  matter  of  natural  and 
national  dovelopment. 


l'Action  française 
JUIN  1919 


Les  Précurseurs 


PIERRE  BËDARD  ET  LA  RESPONSA- 
BILITE MINISTERIELLE 

à  T.  C. 


Précurseur,  Pierre  Bédard  le  fut  dans  toute  la  force 
glorieuse  de  ce  mot  viril.  Il  en  eut  la  clairvoyance  pro- 
phétique et  l'ardeur  intrépide.  Champion  et  martva-  de 
notre  cause,  il  est  le  premier  en  date  de  tous  nos  grands 
parlementaires.  Son  patriotisme  ardent  et  résolu  a  fait 
de  lui  l'un  des  pionniers  de  notre  unité  nationale.  Il  a 
créé  l'expression  même  de  a  notre  nation  canadieywe))^  et, 
surtout,  il  lui  a  donné  un  sens  précis  et  vivant.  Il  a  tiré 
des  limbes  où  elle  sommeillait  ciicore  l'âme  de  notre  nationa- 
lité. 

Artisan  séculaire  de  l'autonomie  coloniale  de  tout 
l'empire  britannique,  à  lui  revient  l'indiscutable  mérite 
d'avoir  le  premier  formulé  (et  avec  quelle  netteté  bien 
française  !)  le  principe  vital  de  notre  responsabilité  minis- 
térielle. 

Pierre  Bédard  était  né  le  13  septembre  1762.  Trois 
ans  jour  pour  jour  après  la  bataille  des  plaines  d'Abraham. 
Sorti  da  Petit  Séminaire  de  Québec  en  1784,  il  devint 
avocat  le  6  novembre  1790.  Membre  de  notre  premier 
parlement,  pendant  vingt  années  consécutives  (1792-1812), 
il  dirigea  tous  les  grands  débats  de  cette  époque  historique. 
Il  fut  l'un  des  meilleurs  chefs  de  notre  race. 

^  F.  Bradshaw  —  Self  Government  in  Canada,  ch.  III. 


Vol.  III,  Nn  6 


242  l'action  française 

J'ai  déjà  esquissé  en  une  humble  ébauche  la  biogra- 
phie de  ce  chevalier  sans  peur  et  sans  reproche  de  la  liberté 
et  du  droit.  J'ai  évoqué  sa  belle  amitié  pour  ses  deux 
condisciples  Boardages  et  Baillargé.  J'ai  rappelé  la 
fondation  da  Canadien  et  j'ai  salué  en  Pierre  Bédard  le 
père  du  joarnalisme  canadien-français.  J'ai  résinné  à 
grands  traits  son  attitude  sur  la  question  seigneuriale,  les 

subsides,  les  privilèges  de  la  presse Je  n'examinerai  ici 

que  son  rôle  d'apôtre  de  la  responsabilité  ministérielle. 

Dicey  appelle  ce  principe  de  la  responsabilité  minis- 
téjielle  la  plus  conventionnelle  de  toutes  nos  maximes  d'é- 
quité constitutionnelle.  Privés  comme  nous  le  sommes  en 
cette  matière  de  documentation  législative,  il  nous  est 
extrêmement  difficile  de  suivre  à  travers  les  temps  l'évolu- 
tion de  cet  usage  parlementaire  d'une  importance  pourtant 
si  capitale.  Aucun  texte  de  loi  même  aujourd'hui  n'en 
reconnaît  l'existence  officielle. 

A  l'époque  précise  qui  nous  intéresse,  le  sj'stème 
ministériel  traversait  en  Angleterre  sa  phase  définitive.  Il 
subissait  aux  mains  du  monartiue  britannique  sa  dernière 
et  triomphale  épreuve.  George  III  était  un  vivant  anachro- 
nisme. Par  le  plus  déconcertant  des  illogismes,  cet  Hano- 
vrien  voulait  ressusciter  au  lOième  siècle  l'absolutisme 
désuet  des  Stuai'ts.  Au  commencement  de  son  règne,  il 
siège  avec  ses  ministres.  En  1761,  il  intrigue  tant  et  si 
bien  qu'il  renverse  son  premier  ministre,  Pitt  le  père. 
Pendant  les  vingt  années  qui  suivent,  il  gouverne  person- 
nellement sous  le  masque  de  ses  différents  grands  vizirs. 
En  1781,  Pitt  le  jeune  entre  au  parlement.  A  25  ans,  il 
devient  premier  ministre  et  pendant  quelque  six  mois 
(1783-1784),  il  garde  les  rênes  gouvernementales  malgré 
seize  votes  adverses  des  Communes.  ^     Il  ignore  systéma- 

'  Taylor  :     Origin  and  Growlh  of  thc  Conslitulion,  vol.,  II,  p.  507 


l'action  française  243 

tiquement  le  précédent  établi  par  Walpole  en  1742  de  rési- 
gner sur  tout  vote  de  non-confiance.  Pitt  défie  les  Cham- 
bres et  en  appelle  finalement  au  peuple.  Le  corps  électoral 
lui  donne  raison.  Vainqueur,  il  façonne  le  cabinet  britan- 
nique suivant  sa  forme  actuelle.  Par  là,  je  ne  prétends 
nullement  assigner  une  date  définie  au  plein  épanouissement 
du  système  moderne  de  la  responsabilité  ministérielle.  La 
constitution  anglaise,  tout  comme  un  véritable  organisme 
vivant,  croît  et  se  développe  par  an  procédé  incessant  et 
gi-aduel.  Ainsi  que  le  remarque  Anson,  ^  le  ministère  s'est 
élaboré  en  une  lente  évolution.  Ni  en  Angleterre,  ni  aux 
Colonies,  il  n'a  jailli  spontanément  et  tout  développé. 
Ainsi  en  1791,  l'année  même  qu'il  nous  faisait  octroyer  notre 
seconde  constitution,  Pitt  est  aux  prises  avec  Thurlow. 
Ce  dernier  persiste  à  occuper  son  poste  de  chancelier  malgré 
la  volonté  formelle  du  premier  ministre  qui  n'en  peut  mais. 
La  solidarité  du  cabinet  et  la  toute-puissance  de  son  chef 
étaient  loin  d'être  définitivement  reconnues  à  la  fin  du 
ISième  siècle. 

Ici,  grâce  à  l'influence  bienfaisante  de  lord  Dorchester, 
l'administration  du  pays  se  fait  sans  heurt.  L'anta- 
gonisme qui  allait  éclater  plus  tard  entre  le  pouvoir  exécutif 
et  la  législature  ne  s'annonçait  pas  encore  à  notre  horizon 
politique.  De  1792  à  1796,  notre  machine  représentative, 
bien  qu'elle  fut  loin  d'être  parfaite,  fonctionne  sans  difficulté. 

Pendant  la  décade  suivante,  les  victoires  napoléonien- 
nes se  succèdent  sans  interruption.  L'Assemblée  législa- 
tive de  Québec  se  trouve  ainsi  condamnée  à  une  docilité 
absolue  et  à  un  mutisme  presque  complet.  Tout  geste 
d'indépendance  de  sa  part  l'aurait  fait  instantanément 
taxer  de  rel:)ellion. 

1  Anson  :     Law  and  Cuatom  oj  ihe  Constilulion,  vol.  II,  p.  69. 


244  l'action  française 

En  Angleterre,  en  1804,  George  III  congédie  autocrati- 
quement  Pitt  à  cause  de  son  bill  d'ém-ancipation  des  catho- 
liques. Au  mois  d'août  de  la  même  année,  Bourdages, 
l'ancien  condisciple  de  Bédard,  est  élu  député  de  Richelieu. 
Dès  lors,  les  deux  finissants  de  1784  deviennent  d'insépara- 
bles frères  d'armes.  Les  lattes  qu'ils  soutinrent  furent 
vraiment  glorieuses.  Leur  vaillance  et  leur  patriotisme  ont 
auréolé  leur  front  de  la  gloire  la  plus  pare.  Précurseurs 
injustement  oubliés,  ils  ont  écrit  aux  premières  pages  de 
nos  annales  parlementaires  une  merveilleuse  épopée.  Le 
bronze  devrait  éterniser  leurs  sacrifisos  en  un  monunient  qui 
célébrerait  dignement  leur  double  souvenir.  Aucun  peuple 
n'eût  des  défenseurs  plus  héroïques.  En  ignoiant  leur 
mémoire  sacrée,  nous  commettrions  envers  notre  race  un 
acte  stupide  d'ingratitude  imméritée. 

Au  cours  de  la  session  de  1805,  fut  passée  cette  fameuse 
loi  des  prisons  qui  alluma  ici  une  lutte  des  plus  acrimonieu- 
ses entre  les  deux  éléments  de  notre  population.  Le 
22  novembre  1806,  au  milieu  de  cette  polémique  violente, 
paraît  le  premier  numéro  du  Canadien.  Bédard  donnait 
ainsi  à  notre  race  son  premier  organe.  Son  journal  ne  devait 
vivre  que  trois  ans  et  demi,  mais  :  «  Il  marque,  dit  Gar- 
neau,  l'ère  de  la  liberté  de  la  presse  au  Canada.  I>'impul- 
sion  qu'il  a  donnée  aux  idées  constitationnelles  fut  telle 
qu'à  ce  titre  son  nom  mérite  d'être  placé  à  la  tête  de  l'his- 
toire de  la  presse  en  ce  paj's.  ))  ^ 

Le  Canadien  naissait  à  un  moment  critique^.  La 
guerre  de  races  faisait  rage  au  C'anada.  «  Cette  province, 
lisait-on  dans  les  colonnes  du  Mercury  de  Québec,  est 
déjà  trop  française  pom*  une  colonie  britannique.  Depuis 
quarante-sept  ans  que  nous  la  possédons,  il  est  juste  qu'elle 

1  Garncau  :     Histoire  du  Canada,  (2e  éd.),  vol.  III,  p.  112. 


l'action  française  245 

devienne  anglaise  ».  Ces  menaces  de  dénationalisation  ne 
pouvaient  plus  rester  sans  réponse.  L'apparition  de  notre 
hebdomadaire  québecquois  s'imposait  donc  comme  une 
véritable  nécessité  nationale.  Son  existence  était  urgente; 
elle  était  iii dispensable  au  triomphe  de  notre  cause.  Aussi, 
en  certain  milieu,  le  Canadien  rencontra  dès  sa  naissance  une 
opposition  violente.  I^es  cirrconstances  allaient  hélas  ! 
trop  bien  servir  les  adversaires  de  la  feuillt  de  Bédard  : 
le  8  octobre  1807  débarquait  à  Québec  sir  James  Craig. 

Dix  mois  après  son  arrivée,  (le  8  août  1808),  Craig 
adressait  à  lord  Castlereagh  une  dépêche  officielle  dont  l'ex- 
trait suivant  ne  manque  certes  ni  d'intérêt,  ni  de  piquant. 
«  Ils  croient  ou  affectent  de  croire  »,  écrivait  notre  nouveau 
gouverneur  en  parlant  de  Pierre  Bédard  et  de  ses  partisans, 
«  c^u'il  existe  ici  un  ministère  et  qu'à  l'imitation  de  la  cons- 
titution de  la  Grande-Bretagne,  ce  ministère  leur  est 
responsable  de  la  conduite  du  gouvernement  ».  «  Je  n'ai 
pas  besoin  d'indiquer  à  vos  Excellences  »,  ajoutait  respec- 
tueusement notre  zélé  fonctionnaire,  <(  à  quelles  mesures  une 
pareille  idée  pourrait  les  conduire  ».  ^ 

Ainsi  donc,  Craig  dénonçait  l'attitude  des  champions 
canadiens-français  de  la  responsabilité  ministérielle  comme 
un  acheminement  possible  v-ers  la  révolution.  Tout  en 
nous  refusant  le  bénéfice  de  ce  principe  constitutionnel,  le 
vieux  vétéran  en  reconnaît  pleinement  l'existence  en 
Angleterre.  Cet  aveu  est  précieux.  En  effet,  l'année  pré- 
cédente (1807),  Georges  III  avait  arbitrairement  congédié 
Gren  ville. 

L'opinion  de  Craig  indique  donc  que  l'incohérence 
de  son  monarque  ne  constituait  qu'une  exception  acciden- 
telle et  momentanée  à  une  doctrine  déjà  solidement  établie, 

^  Archives  canadiennes  —  Q.  107,  p.  312. 


246  l'action  française 

malgré  des  crises  passagères.  Elle  prouve  que  Bédarcl  ne 
faisait  que  demander  à  l'Angleterre  l'application  logique 
de  ses  propres  principes.  Précurseur,  il  l'était  héroïque- 
ment; il  en  a  toute  la  gloire.  D'un  révolutionnaire,  il 
n'avait  rien.  Il  fut  un  patriote  loj'al  entre  tous.  Son  âme 
de  jurisconsulte  était  trop  éprise  de  l'amour  de  la  justice 
et  de  l'ordre  pour  qu'il  s'abaissât  aux  violences  dangereuses 
d'une  inutile  rébellion. 

M.  Bradshaw  lui-même  ^  admet  que  les  rédacteurs  du 
Canadien  s'en  prirent  toujours  au  gouvernement  seulement 
et  qu'ils  s'abstinrent  soigneusement  de  toute  propagande 
anti-anglaise.  S'inspirant  à  même  Blackstone,  Bédard 
puisait  sa  science  légale  dans  les  œuvres  des  interprètes  les 
plus  autorisés  des  institutions  de  notre  métropole.  Fort 
de  ces  textes  et  de  la  leçon  de  liberté  qui  s'en  dégage,  il 
réclamait  pour  notre  assemblée  législative  tous  les  privilèges 
dont  jouissait,  à  Londres,  la  Chambre  des  Communes. 

Ainsi,  à  la  session  de  1808,  il  fait  voter,  avec  Bourdagcs, 
la  loi  destinée  à  exclure  les  juges  du  parlement.  Bien- 
tôt, Little  King  Craig,  offusqué  par  cette  mesure,  retranche 
de  la  liste  des  officiers  de  milice  Bédard,  Panet,  Taschereau, 
Blanchet  et  Borgia  sous  prétexte  qu'ils  sont  propriétaires 
du  Canadien.  Cet  acte  injuste  n'enlève  nullement  à  notre 
champion  populaire  son  ardeur. 

A  la  session  de  1809,  Bédard  fait  en  effet  l'une  des 
plus  belles  harangues  de  sa  carrière,^  Il  y  pose  avec  une 
clarté  admirable  le  principe  essentiel  de  la  responsabilité 
ministérielle.  «  Le  premier  devoir  de  l'Assemblée,  troisiè- 
me branche  de  la  Législature,  disait-il,  est  de  défendre  son 
indépendance   même   contre   les   tentatives   que   ferait   le 

^  F.  Bradshaw  :    Self-Government  in  Canada,  p.  46. 

*  Garneau  :  Histoire  du  Canada,  (2e  éd.),  vol.  III,  p.  120.  —  Voir 
aussi  Le  Canadien,  17  et  31  janvier  1807  et  16  juillet  1808. 


l'action  française  247 

Conseil  exécutif  pour  la  restreindre.  En  adoptant  le  senti- 
ment de  ceux,  qui  disent  qu'il  n'y  a  point  de  ministère  au 
Canada,  il  faudrait  ou  bien  qu'elle  renonçât  à  se  maintenir 
ou  bien  qu'elle  dirigeât  ses  accusations  contre  le  représen- 
tant même  du  Roi,  ce  qui  serait  une  chose  monstrueuse 
parce  que  nous  devons  voir  en  notre  gouv^erneur  la  personne 
sacrée  de  sa  Majesté  et  lui  appliquer  les  mêmes  maximes.  » 

Résumant  la  question,  Garneau  s'exprime  ainsi  au 
sujet  de  Bédard  :  «  Il  lui  paraissait  qu'un  ministère  était 
un  rouage  al^solument  nécessaire  dans  le  gouvernement 
parlementaire  du  Canada.  Il  fit  observer  qu'en  fait  et 
indépendamment  de  toute  maxime  constitutionnelle, 
le  gouverneur  qui  était  dans  le  pays  depuis  si  peu  de  temps, 
ne  pouvait  connaître  les  dispositions  des  habitants  que 
d'après  les  renseignements  qu'on  lui  donnait.»  «Il  est  vrai 
qu'il  n'y  avait  pas  de  ministère  tel  que  nous  le  concevons 
aujourd'hui,  mais  il  y  avait  des  ministres  secrets,  des  per- 
sonnages de  marque,  occupant  de  très  hautes  charges, 
lesquels  tout  irresponsables  qu'ils  fussent  conseillaient  le 
gouverneur  en  petit  comité.  L'orateur,  dans  ce  discours 
remarquable  où  il  indiquait  si  nettement  le  principal  défaut 
de  la  constitution  de  1791  et  où  il  expose  un  système  qui 
devait  être  accordé  au  Canada  quarante  ans  après,  fut 
regardé  comme  l'apôtre  d'une  idée  révolutionnaire.» 

Le  15  mai  1809,  Craig  fait  soudainement  irruption 
au  Parlement  et  le  dissout  par  un  véritable  coup  d'état. 
A  la  suite  de  l'exclusion  dt  la  Chambre  d'Ezéchiel  Hart, 
représentant  Israélite  des  Trois-Rivières,  le  gouverneur 
lance  aux  membres  de  l'Assemblée  un  discours  plein  de 
reproches.  Le  Canadien,  sans  relever  ces  propos  acerbes, 
cite  Blackstone,  Rapin  et  Locke.  Il  démontre  à  l'évidence 
que  le  Roi  jouit  du  privilège  absolu  de  dissoudre  la  chambre 
mais  qu'il  ne  lui  est  pas  permis  de  faire  des  remarques 


248  l'action  française 

injurieuses  sur  les  actes  de  la  législature  qui,  est  absolument 
indépendante  de  son  autorité. 

Toujours  sous  la  direction  de  Bédard,  l'Assemblée 
législative  propose,  en  1810,  une  adresse  au  Roi,  s'offrant 
à  subvenir  à  toutes  nos  dépenses  civiles.  Cette  initiative 
n'était  que  la  réalisation  tardive  d'un  vœu  émis  par  lord 
Dorchester  en  1793.  En  possédant  entre  ses  mains  la 
clé  d'or  des  coffres  publics,  l'Assemblée  législative  aurait 
placé  son  autonomie  au-dessus  de  toute  atteinte.  Craig 
déclara  cette  proposition  subversive  et  contraire  à  toute 
tradition  parlementaire.  Il  refusa  catégoriquement  de 
transmettre  cette  résolution  au  ministère  britannique. 

Le  26  février  1810,  les  députés  aj'^ant  exclu  de  la 
chambre  par  simple  résolution  le  juge  de  Bonne,  le  gouver- 
neur proroge  immédiatement  les  chambres.  Il  accuse 
l'assemblée  de  violer  la  constitution.  Décidés  à  sévir 
impitoj'ablement,  les  adversaires  du  parti  populaire  scru- 
tent le  Canadien.  Le  17  mars  1810,  messircs  Stilling  et 
Stiles,  deux  aubergistes,  dénoncent  comme  entachés  de 
tendances  séditieuses  les  numéros  des  3,  10  et  14  mars 
1810  de  notre  organe  québecquois.  Ordre  est  aussitôt 
donné  de  saisir  manu  militari  le  journal,  d'arrêter  Bédard, 
Taschereau,  Blanchet  et  Lefrançois,  de  patrouiller  la  ville 
en  tous  sens,  de  détenir  les  malles  royales,  etc.,  etc.  Cette 
mise  en  scène  mélodramatique  était  peut-être  habile. 
Elle  était  absolument  injustifiée.  L'emprisonnement  de 
Bédard,  le  19  mars  1810,  était  un  acte  inqualifiable  de  des- 
potisme de  la  part  de  ses  ennemis. 

Aux  élections  du  mois  suivant  (21  avril  1810),  notre 
premier  mart3'r  politique  languissait  encore  dans  sa  sordide 
cellule  de  la  rue  Dauphine.  Ce  fut  la  Basse-Ville  de 
Québec  qui  eut  l'honneur  de  l'élire  comme  député.  En 
vain,  à  la  .session  de  1810-1811,  Joseph  Papineau  et  Louis 
Bourdages  tentetit  l'impossible  pour  obtenir  la  libération 


L  ACTION    FRANÇAISE  249 

de  leur  collègue.  Leurs  démarches  se  heurtent  à  l'entête- 
ment  sénile  du  gouverneur.  Bédard  n'en  avait  pas  moins 
une  «  très  douce  »  consolation.  Craig  annonçait,  en  effet, 
en  prorogeant  les  Chambres  «  qu'il  sanctionnait  avec  une 
satisfaction  toute  particulière  »  la  fameuse  loi  d'exclusion 
des  jdges.  (C'était  elle  qui  avait  causé  en  bonne  partie 
l'emprisonnement  d\i  fondateur  du  Canadien.)  Son  apo- 
théose se  couronnait  d'ailleurs  au  printemps  de  1811  par 
.sa  libération  «  sans  procès.  » 

Incapables  de  prouver  devant  les  tribunaux  un  seul 
de  leurs  allégués,  les  accusateurs  de  Bédai'd  retiraient  lâche- 
ment et  cyniquement  leur  vile  plainte.  Ainsi,  ils  se  stig- 
matisaient eux-mêmes  à  tout  jamais. 

Et,  pour  comble,  vingt  mois  après  sa  sortie  de  prison 
(le  11  décembre  1812),  sir  George  Prévost  nommait  juge 
aux  Trois-Rivières  le  prisonnier  de  Craig. 

Cet  honneur  privait  sans  doute  notre  représentation 
parlementaire  de  son  meilleur  chef.  Il  n'en  constituait  pas 
moins  pour  toute  notre  race  une  éclatante  revanche. 

*     *     * 

Bédard  fut  pour  les  nôtres  un  initiateur  et  un  modèle. 
Précurseur  direct  de  I^a  Fontaine,  il  a  jeté  les  premières 
semences  de  notre  autonomie  actuelle.  Champion  de  la 
responsabihté  ministérielle  à  l'aurore  indécise  du  XIXe 
siècle,  il  a  le  premier  contribué  à  faire  de  notre  pays  le 
berceau  du  système  colonial  de  tout  l'Empire  britannique. 

Quand  donc  rendra-t-on  à  cet  héroïque  pionnier  la 

gloire  qui  lui  est  indiscutablement  due  ? 

Léon-Mercier  Gouin. 
Bibliographie  : 

F.-X.  Garneau  :     Histoire  du  Canada  (2e  édi.). 

T.-P.  Bédard  :     Histoire  de  50  ans. 

Dr  Dionne  :     Pierre  Bédard  et  ses  Jils. 

Etienne  Parent  :     Pierre  Bédard  {Journal  de  V  Instruction  Publi- 
que, 1859,  vol.  III,  no  2). 

Bibaud  :     Histoire  du  Canada,  vol.  II. 


GRAND  CONCOURS  DE  PROPAGANDE 


SlOO  EX  PRIX  —  LES  CONDITIONS 

Pour  stimuler  la  diffusion  de  la  revue,  nous  avons  décidé 
dHnstituer  cet  été  un  grajid  concours  de  "propagande.  Nous 
convions  à  cette  lutte  courtoise  tous  nos  amis. 

Seize  prix  seront  attribués,  selon  le  nombre  des  points 
recueillis  : 

1  premier  prix  de     S25 

1  deuxième  prix  de  $15 

2  prix  de  SIO 
4  prix  de                    S  5 

8  prix  de  ;!>  2 .  50 

Les  points  seront  calculés  d'après  V échelle  suivante  : 

Abonnements  de  1919,    5  points  chacun 

Abonnements  de  1920,  10  points  chacun 

Abonnements  de  1918,  10  points  chacun 

Les  trois  abonnements 

à  la  même  adresse,        30  points 

En  tout  cas,  il  ne  peut  s'agir  que  d'abonnements  nou- 
veaux. Les  renouvellements  et  prolongations  ne  coînptent 
point,  pas  plus  que  les  soldes  d'abonnements  en  cours.  La 
collection  de  1918  sera  tout  de  suite  adressée  aux  nouveaux 


3 


l'action  française  251 

abonnés,  de  même  que  les  livraisons  parues  de  1919.  La 
collection  de  191 S  se  vend  $2,  V abonnement  de  1919  et  de  1920 
est  de  SI  par  année,  payable  d'avance. 

Le  concours  s'ouvrira  le  1er  juillet  pour  se  terminer  avec 
le  dernier  courrier  distribué  à  Montréal  le  31  août.  Le 
résultat  sera  proclamé  dans  la  livraison  de  septembre  de 
r Action  française.  Les  concurrents  sont  libres  de  recueillir 
les  abonnements  où  ils  voudront,  de  grouper  leurs  efforts,  etc. 
Nous  ferons  simplement  le  total  des  abonnements  et  des  points 
obtenus. 

Nous  prions  qu'on  ait  bien  soin,  en  expédiant  chaque 
nouvel  abonnement,  de  spécifier  :  Pour  le  concours .  .  .  Doit 
être  attribué  à  X .  .  . ,  en  précisant  bien  les  noms  et  les  adresses. 

Les  vacances  amènent  une  vaste  dispersion  de  nos  amis. 
Nous  les  prions  d'en  profiter  pour  faire  connaître  la  revue 
partout  où  on  l'ignore,  pour  fixer  les  adhésions  hésitantes, 
pour  pousser  à  l'action  les  bonnes  volontés  fiottantes. 

Que  tous  ceux-là  prennent  part  au  concours  qui  le  peu- 
vent !  Que  ceux  qui  ne  peuvent  s'engager  dans  cette  lutte 
amicale  n'en  travaillent  pas  moins  à  la  diffusion  de  la  revue  ! 
Au-dessus  du  concours,  il  y  a  la  besogne  générale  de  propagan- 
de, et  le  concours  n'est  qu'un  moyen  de  la  faciliter  et  de  l'accé- 
lérer. 

A  l'œuvre  donc,  tout  de  suite  et  partout  ! 

L'Action  française. 

P.  S. — Toute  la  correspondance  doit  être  adressée  à 
Concours  d'abonnement,  ^Action  française,  32,  Immeuble 
de  la  Sauvegarde,  Montréal, 


LE  PÈLERINAGE  AU  LONGS AULT 


Il  se  rencontie  des  Canadiens,  —  ils  sont,  je  crois,  assez 
nombreux,  —  qui  confondent  Ticondéroga  avec  le  Long- 
Sault,  bien  que  l'un  soit  au  fond  du  lac  Champlain  et  l'autre 
sur  l'Outaouais,  à  quarante  milles  de  son  embouchure.  Cette 
méprise  a  une  excuse.  La  bataille  de  Carillon,  chantée 
par  Crémazie,  s'est  déroulée  à  Ticondéroga,  c'est  incontes- 
table; mais  par  une  fantaisie  géographique  assez  agaçante, 
le  village  qui  garde  le  pied  du  Long-Sault,  porte 
aussi  le  nom  de  Canllon .  .  .  C'est  à  ce  Carillon,  bien  cana- 
dien et  même  québecquois,  que  V Action  française  nous  avait 
conviés  le  24  mai  dernier. 

A  quelle  fin  ?  Il  s'agissait  d'aller  y  glorifier  Dollard. 
Nous  croj'ons  superflu  de  raconter  ici  le  combat  surhumain 
qui  l'a  immortalisé.  Nous  venons  justement  d'achever  la 
lecture  d'une  étude  de  M.  Benjamin  Suite,  sur  ce  sujet, 
d'où  il  ressort  qu'à  cette  date  de  1660,  les  Indiens  allaient 
entreprendre  avec  toutes  les  chances  de  succès  une  razzia 
définitive,  de  Ville-Marie  à  Québec.  L'expédition  de  Dol- 
lard et  de  ses  compagnons  nous  apparaît  alors  d'une  témé- 
rité inouïe.  Elle  ne  fut  pas  entrepiise  après  de  froids  calculs, 
mais  bien  sous  la  poussée  d'une  intuition  de  héros.  Ceux 
qui  partaient  sentaient  fort  bien  qu'il  faudrait  allci-  «  jus- 
qu'au bout  )),  sans  espoir  de  retour.  .  . 

U Action  française  a  voulu  glorifier  ces  héros  et  elle  a 
institué,  il  y  a  plus  d'un  an,  un  pèlei-inage  patriotique  à  ce 
coin  du  pays  qui  a  été  témoin  de  leur  mort  et  qui  a  bu  leur 
sang.     Le  voyage  prenait,  cette  année,  un  attrait  de  plus 


l'action  française  253 

et  un  caractère  tout  spécial.  On  se  rappelle  que,  vers  1910, 
on  commença  à  recueillir  des  souscriptions  afin  d'ériger 
à  Dollard  un  monument.  Les  sommes  s'acciunulèrent 
tant  et  si  bien  que,  une  fois  le  concours  de  sculptm-e  jugé 
et  le  monument  estimé,  le  comité  d'érection  fut  en  présence 
d'un  surplus.  On  eut  alors  l'idée  excellente  de  placer  au 
Long-Sault,  non  pas  une  réplique  —  c'eût  été  impossible  — , 
mais  une  pierre,  mais  un  bronze,  mais  une  inscription,  qui 
arrêtât  le  touriste  distrait  et  lui  dit  :  «  Ici  s'est  passé  quelque 
chose  de  gi*and  !  » 

Nous  partions  donc  de  la  ville,  un  samedi  matin,  quel- 
ques jom's  seulement  après  l'anniversaire  de  la  fondation 
de  Ville-^Iarie.  Un  train  tout  entier  était  à  notre  disposi- 
tion. Certainement  d'autres  pieux  pèlerins  auraient  pu  nous 
accompagner  sans  nous  nuire.  .  .  Ce  sera  pour  l'an  pro- 
chain !  Il  y  avait  à  bord,  comme  il  convenait,  des  minis- 
tres, des  orateurs  et  des  militaires.  Nous  avons  pu  admirer^ 
sous  un  très  beau  ciel,  le  vaste  paysage  lacustre  de  Vau- 
dreuil  et  longer  près  d'une  heure  le  puissant  Outaouais  dé- 
bordé. A  la  Pointe-Fortune  il  fallut  descendre,  et  à  la  file 
indienne,  siu-  un  trottoir  fait  de  deux  planches,  atteindre 
la  rive  tout  auprès.  Là  un  bateau  passeur  et  un  yacht  da 
gouvernement  attendaient  les  pèlerins.  Ce  fut  une  joie 
de  traverser  le  courant  impétueux  et  de  sentir  sur  nos  visages 
le  vent  qui  vient  des  forêts  d'en  haut. 

Au  village,  on  nous  attendait.  L'hospitalité  canadien- 
ne S'y  donna  libre  cours.  Dans  le  soubassement  de  l'église, 
la  fabrique  avait  dressé  une  table  abondante  pour  ses 
hôtes.  Chacun  y  prit  place  et  gaîment  calma  un  appétit 
que  le  voj'age  avait  largement  ouvert.  Celui  qui  écrit  ces 
lignes  avait  en  face  de  lui  un  jeune  mihtaire  de  la  Grande 
Guerre,  un  frère  de  Dollard  par  l'intrépidité,  et  à  sa  gauche 


254  l'action  française 

une  descendante  de  ce  Juillet  qui  se  noya  quelques  heures 
après  le  départ  de  la  troupe,  tout  près  de  Ville-]\Iarie. 

Après  ce  repas,  un  acte  fut  passé  par  devant  notaire,  en- 
tre le  Comité  du  monument  et  la  fabrique  de  Carillon. 
Parmi  les  signataires  se  trouvaient  un  représentant  de  la 
province,  un  représentant  de  la  France,  le  président  du 
Comité,  le  président  de  la  Société  Historique,  un  éloquent 
panégyriste  de  Dollard  et  jusqu'à  un  descendant  de  ce  Ga- 
briel de  Quej^lus  qui  bénit  les  combattants  dans  l'église  de 
Ville-Marie. 

Le  pèlerinage  comportait  deux  étapes.  Une  première 
au  site  présumé  de  l'holocauste,  une  seconde  au  monument. 
Une  croix  a  été  dressée  à  l'endroit  à  peu  près.  .  .  précis 
où  s'érigeait  le  fort  de  pieux.  Un  vaste  plateau  le  domine 
d'où  la  vue  s'étend  sur  le  Long-Sault  lui-même  et  sur  le 
vUlage,  tandis  que  l'ombrage  des  hêti'es  centenaires  pro- 
tège contre  un  soleil  ardent. 

La  bénédiction  de  la  croix  terminée,  les  pèlerins  redes- 
cendirent à  la  live.  Une  fanfare  jouait  au  loin;  elle  pré- 
cédait tout  un  régiment  de  jeunes,  venus  par  eau,  du  collège 
de  Rigaud.  Ils  avaient  été  certes  bien  inspirés  et  donnaient 
là  un  btl  exemple  !  Sans  eux,  malgré  la  présence  de  beau- 
coup de  membres  de  l'Association  de  la  Jeunesse,  la  fête 
n'eut  pas  été  complète.  Bientôt,  devant  le  monument 
encore  voilé,  se  massa  la  foule.  En  face,  les  orateurs,  le 
sculpteur  et  les  invités;  à  gauche,  les  petits  garçons  des 
bonnes  Religieuses,  à  droite  les  collégiens,  tout  autour  les 
pèlerins  jeunes  et  vieux,  prêts  à  écouter  les  discours. 

Déjà,  à  l'arrivée,  une  adresse  de  bienvenue  avait  été 
lue  par  le  maire  de  Carillon,  et,  —  faut-il  le  dire  ?  —  nous 
craignions  bien  un  peu  que  les  cinq  ou  six  discours  qu'on 
nous  annonçait  ne  fussent  des  rééditions  du  même  sujet; 
nous  pensions  aussi  qu'ils  seraient  très  longs. . .    Or,  il  n'en 


l'action  française  255 

fat  rien.  Chacun  au  contraire  avait  sa  marque  très  per- 
sonnelle et,  en  une  heure,  tout  fut  dit.  M.  Jean-Baptiste 
Lagacé  raconta  l'histoire  du  monument,  et  comment  et 
pourquoi  il  s  érigeait  là,  devant  nous;  M.  Victor  ]\Iorin  rap- 
pela les  faits  consignés  dans  les  annales  de  Ville-Marie; 
INI.  le  curé  de  Carillon,  l'abbé  Verner,  en  prose  et  en  vers, 
félicita  d'une  voix  magnificiue  les  organisateuis;  le  capitaine 
de  Clerval  dit  dans  un  langage  très  soigné  la  part  cj^ue  pre- 
nait la  France  dans  notre  fierté;  M.  l'abbé  Broph}-,  natif 
de  l'endroit,  fit  une  étude  topogiaphique;  enfin  M.  l'abbé 
Groulx  tira  les  leçons  morales  de  la  fête.  De  la  voix,  du 
geste  et  d'un  style  enflammé,  il  montra  aux  jeunes  qui  l'écou- 
taient,  la  beauté  du  sacrifice,  la  hardiesse  de  l'entreprise, 
et  l'indomptable  ténacité  de  Dollard  et  de  ses  frères  d  armes. 
Sa  parole  lutta  victorieusement  avec  la  rumeur  des  rapides 
et  le  claquement  des  drapeaux  dans  le  v^ent. 

Après  chaque  orateur  la  fanfare  avait  joué  les  hymnes 
nationaux  et  les  petits  garçons  avaient  chanté  en  chœur. 
Dès  la  fin  du  premier  discom'S,  Mademoiselle  Juillet  avait 
dévoilé  le  monument,  et  maintenant  tous  étaient  avides 
d'approcher  pour  l'admirer.  Il  faut  le  voir  de  la  i-ue.  C'est 
un  haut  socle  de  granit  gris.  Sur  la  face  sont  sculptées 
deux  épées  entre  lesquelles  s'alignent  les  noms  des  héros. 
Au  pied,  un  médaillon  en  bronze  représente  le  chef  de  Dol- 
lard, dans  l'attitude  du  guerrier  qui  jette  son  dernier  com- 
mandement. Au  sommet,  une  admirable  tête,  également 
de  bronze,  symbolise  la  Nouvelle-France,  c'est  le  plus  beau 
morceau  de  l'œuvre,  et  nous  souhaitons  de  le  retrouver  dans 
le  monument  de  jMontréal.  Il  s'en  dégage  une  calme  dignité 
qui  impressionne.  Le  bas  de  la  figm*e  et  le  ph  de  la  bouche 
dénotent  une  décision  que  rien  ne  pourra  réduire,  pendant 
que  le  regard,  lointain  et  un  peu  triste,  est  celui  des  hommes 


256  l'action  française 

qui  ont  beaucoup  \écu.     On  s'empressait  autour  du  scu%)- 
teur  pour  le  féliciter  :  ce  n'était  pas  à  tort. 

Puis,  il  fallut  reprendre  le  chemin  du  retour.  Le  pas- 
seur attendait  au  pied  du  canal,  qui  nous  a  paru  gracieux 
comme  un  étang  au  milieu  d'un  jardin,  sous  de  grands  ar- 
bres. Nous  avons  pu  admirer,  en  prenant  le  large,  l'im- 
pétuosité des  «  bouillons  d'eau  »,  comme  disaient  les  Décou- 
vreui's,  et  nous  imaginer  sur  la  crête  des  vagues,  les  hordes 
d'Iroquois  descendant  vers  le  massacre.  A  gauche,  au 
contraire,  Carillon  allignait  ses  maisons  dans  la  verdure, 
et  nous  saluâmes  en  passant,  à  côté  de  l'église,  au  milieu 
du  carré  dont  il  fera  désormais  le  plus  bel  ornement,  le  mo- 
nument Dollard  des  Ormeaux. 

Cette  journée  cVAdion  française  se  termina  dans  la 
pleine  satisfaction  de  tous.  Tous,  les  jeunes  siutout,  reve- 
naient pénétrés  d'une  grande  leçon  d'amom*  pom*  la  patrie, 
de  dévouement  et  de  sacrifice;  les  vieux  se  sentaient  rajeunis 
au  contact  de  cette  vie  entraînante  et  bien  française.  Bref, 
l'insigne  que  nous  portions  ce  jour-là,  marqué  au  nom  et  à 
l'effigie  de  Dollard,  nous  rappellera  un  souvenir  d'énergie 
et  de  fierté  nationale. 

Olivier   ■\Iaurault,  p.  s.  s. 


r^T'E,  partout,  la  célébration  de  la  Saint- 
^  Jean-Baptiste  soit  l'occasion  de  réso- 
lutions fermes,  précises,  ou,  mi«.iix  encore, 
d'actes  d'un  patriotisire  vrai  ! 


SOUVENIRS  D'HIER,  MENACES 
DE  DEMAIN 


L'Association  cVÉducation  vient  de  publier  les  discours 
prononcés  au  congrès  franco-ont arien  de  février  dernier  par 
Mgr  l'Archevêque  de  Saint-Boniface  et  Mgr  l'Êvêque  de 
Haileybury.  Ils  comprennent  des  réflexions  et  des  aver- 
tissements qu'il  importe  de  souligner. 

Que  faut-il  penser  d'abord  de  la  lutte  qui  s'est  pour- 
suivie, depuis  tant  d'années,  autour  de  l'école  bilingue 
ontarienne  ?  Mgr  l'Êvêque  de  Haileybury,  dont  chacun 
connaît  le  calme  et  la  pondération,  qui  a  suivi  de  près  le 
cours  des  événements,  a  carrément  abordé  la  question.  Se 
tournant  vers  les  délégués,  tous  mêlés  à  ce  drame  poignant, 
le  vénérable  prélat  leur  a  déclaré  : 

Voulez-vous  que  je  vous  dise  ce  que  je  pense  de  votre  conduite 
depuis  l'origine  de  ces  tristes  événements  ? 

En  la  modifiant  pour  l'adapter  à  la  circonstance,  j'aime  à  vous 
répéter  la  parole  adressée  un  jour  par  le  Christ  à  saint  Thomas  d'Aquin  : 
«  Frères,  vous  avez  bien  combattu  »;  avec  sagesse,  avec  dignité,  avec  succès. 

Plusieurs  de  vos  chefs  spirituels,  pour  des  raisons  que  je  respecte 
sans  les  discuter,  voas  ont  laissés  sans  direction,  ^'ous  avez  dû  vous 
organiser  seuls  et  seuls  maintenir  la  défense  en  face  de  l'oppression  et 
vous  avez  donné  le  miracle  d'une  armée  qui  va  sans  chefs  et  qui  remporte 
des  victoires.     N'est-ce  pas  la  Providence  elle-même  qui  vous  guidait  ? 

D'aucuns  vous  reprochent  certaines  manœuvres  imprudentes 
Autant  vaudrait  reprocher  à  la  Belgique  et  à  fa  France  d'avoir  incidem- 
ment allumé  quelques  incendies  dans  la  lutte  héroïque  qu'elles  ont 
soutenue  poiu:  défendre  leurs  foyers  contre  l'invasion  des  barbares. 

Oh  !  qu'il  est  facile  de  critiquer,  de  la  coUine  voisine,  les  vaillantes 
brigades  qui  disputent  un  édifice  à  l'envahissement  des  flammes  et  qu'il 
y  a  peu  de  mérite  à  découvrir,  quand  on  a  été  acculé  dans  im  chemin 
diflScile,  que  peut-être  il  v  avait  un  peu  plus  loin  un  chemin  plus  favora- 
ble. 


258  l'action  française 

Mais  après  tout,  je  me  le  demande  :  Qu'avez-vous  donc  fait  que 
vous  fi' eussiez  pas  dû  faire? 

Vous  vous  êtes  unis.  Mais  depuis  quand,  est-ce  donc  un  crime  de 
s'unir  poiu:  exploiter  des  richesses  ou  pour  défendre  la  propriété  ? 

Sans  moyens  violents  vous  avez  résisté  à  ceux  qui  voulaient  vous 
priver  du  droit  que  Dieu  vous  a  donné  de  faire  enseigner  dans  vos  écoles 
la  langue  de  votre  foyer. 

Certes,  quand  je  repasse  dans  ma  mémoire  les  événements  dont  nous 
avons  été  les  témoins  attristés  depuis  plus  de  huit  ans,  je  ne  puis  m'em- 
pêcher  d'être  frappé  d'admiration  pour  votre  sagesse  et  de  reconnaissance 
pour  Dieu  qui  vous  a  guidés.  Cette  direction  du  pape  que  nous  venons 
de  recevoir,  on  dirait  que  vous  ra\'iez  sous  les  yeux  quand  vous  orga- 
nisiez votre  résistance  si  noble,  si  énergique,  si  loyale. 

Vous  avez  épuisé  tous  les  moyens  diplomatiques  en  votre  pouvoir 
et  quand  on  vous  refusait  tout,  jusqu'à  enlever  un  iota  des  lois  draco- 
niennes qui  pesaient  sur  vous,  quand  nous  a\'ions  peur  de  vous  voir  vous 
lever  en  masse  et  mettre  à  la  porte  les  lois  iniques  et  les  intrus,  vous  vous 
êtes  contentés  de  dire  à  vos  enfants  :  «  Revenez  au  foyer  jusqu'à  ce 
que  l'école  soit  habitable  pour  de  petits  Canadiens  français.  » 

yiais  dira  quelqu'un  :  qu'a-t-on  gagné  par  la  résistance  ?  Frères, 
vous  avez  gagné  votre  langue.  Si  vous  vous  étiez  croisé  les  bras,  si 
vous  eussiez  consenti  à  la  tentation  d'essayer  le  régime  qu'on  vous  pré- 
sentait, si,  pour  des  considérations  d'argent  ou  de  faveurs  gouvernemen- 
tales, vous  eussiez  cédé,  la  cause  sacrée  du  français  dans  nos  écoles  serait 
perdue  depuis  longtemps. 

Et  Mgr  de  Haileybury  ajoutait,  d'une  voix  profondé- 
ment émue  : 

Oh  !  qu'il  fait  bon  espérer,  surtout  quand  l'espérance  s'appuie  sur 
la  justice,  surtout  quand  le  pape  nous  dit  que  nos  espérances  et  nos 
revendications  sont  légitimes.  Merci,  auguste  pontife,  d'avoir  répété 
tout  haut  ce  que  vous  m'aviez  dit  à  l'oreille  :  «  Je  pense  comme  vous  » 
et  je  sais  de  science  certaine  que  Votre  Sainteté  pense  comme  pensait 
Pie  X.  «  Ils  font  bien  »,  disait  ce  pape,  en  1913,  à  un  cvêque  canadien» 
en  parlant  précisément  de  la  sortie  de  nos  enfants  d'école  à  l'arrivée  de 
l'inspecteur  protestant. 


l'action  française  259 

Cela,  c'était  pour  le  passé,  mais  les  deux  évêques, 
admirables  chefs,  aussi  clairvoyants  que  vigilants,  n'ont 
pas  voulu  se  borner  à  parler  du  passé,  ni  même  de  la  lutte 
qui  se  déroule  sur  le  sol  ontarien.  Ils  ont  porté  leurs 
regards  plus  haut  et  plus  loin.  Presque  dès  le  début  de  son 
discours,  Mgr  Béliveau  déclarait  qu'il  n'était  pas  besoin 
d'être  prophète  pour  dire  «  que  l'assaut  se  prépare  pour 
reinplacer  partout,  sans  excepter  Ontario  et  Québec,  l'école 
confessionnelle  et  séparée  par  l'école  Nationale  qui  sera,  cela 
va  sans  dire,  neutre  en  attendant  qu'elle  soit  à  peu  près  exclu- 
sivernent  anglaise.  ))  Avec  sa  douloureuse  expérience  des 
«  chiffons  de  papier  »,  il  répondait  d'avance  à  ceux  qui 
pourraient  parler  de  la  sécurité  des  garanties  législatives  : 

Mais  vous  n'oubliez  pas  qu'il  y  a  l'Acte  de  l'Amérique  Britannique 
du  Nord  sur  le  chemin  de  l'idée  en  marche.  . .  Pas  plus  que  j'oublie 
qu'il  y  avait  l'acte  du  Manitoba  chez  nous;  et  l'acte  du  Manitoba  était 
devenu  un  acte  impérial  en  1S71. 

S'il  n'}-  a  qu'un  texte  légal  sur  le  chemin,  la  difficulté  sera  vite 
renversée. 

D'ailleurs  le  fait  que  pubhquement  on  parle  de  conférer  des  préro- 
gatives au  gouvernement  fédéral,  en  matière  d'éducation,  n'est-il 
pas  le  premier  coup  de  bélier  conti'e  l'Acte  de  l'Amérique  Britannique 
du  Nord  qui  donne  aux  provinces  d'Ontario  et  de  Québec  leurs  droits 
exclusifs  en  matière  scolaire. 

Remplacer  partout  l'école  séparée  et  confessionnelle  par  l'école 
publique  et  neutre  qu'on  décore  du  nom  pompeux  d'école  Nationale, 
voilà  une  lutte  déjà  commencée.  Elle  n'est  encore  qu'à  l'état  de  cul- 
ture d'idées  pour  certaines  provinces,  mais  elle  aura  peut-être  gagné 
l'arène  fédérale  plus  tôt  qu'on  ne  croit,  et  de  là  l'arène  impériale. 

Mgr  de  Haileybury  parlati  dans  le  même  sens. 

Il  y  a  là  un  avertissement  qui  tombe  de  trop  haut  pour 

n'être  point  retenu  et  médité. 

Omer  Hêroux 


JEANNE  MANCE  ET  LA  FONDATION 
DE  MONTREAL 


Nos  glorieux  anniversaires  se  groupejit  en  ce  moment  à  la 
façon  dhine  gerbe  exquise.  L'ancienne  floraison  d'héroïsme 
s'épanouit  de  tous  les  côtés  à  la  fois.  C'est  au  matin  du  18 
mai,  le  souvenir  de  la  fondation  de  Ville-Marie,  l'évocation  du 
geste  créateur  de  Jérôme  de  la  Dauversière  et  de  Jean-Jacques 
Olier,  de  Maisonneuve  et  de  Jeanne  Mance.  La  sainteté,  la 
vaillance,  la  claire  intelligence  des  réalités  extérieures  s'unis- 
sent autour  de  ce  fait.  C'est  encore,  durant  une  belle  journée 
de  mai,  la  commémoration  des  morts  du  Long-Sault,  la  vision 
persistante  des  jeunes  et  purs  chevaliers,  de  Dollard  et  de  ses 
preux,  «  couchés  dessus  le  sol  à  la  face  de  Dieu  ».  Comment 
Ville-Marie  n'aurait-elle  pas  vécu,  puisque  l'on  mourait  pour 
elle,  avec  une  telle  passion  au  cœur,  et  de  l'extase  plein  les 
yeux?  Ce  sera  enfin,  au  24  juin  prochain,  par  toute  une  jour- 
née d'attentive  dévotion,  la  consécration  de  ces  événements 
impérissables  et  le  rajeunissement  de  nos  traditions  françaises, 
au  contact  des  générations  nouvelles,  debout,  aux  écoutes, 
l'âme  respectueuse  et  vibrante.  N'allons  pas  nous  refuser 
l'espoir  d'une  longue  survivance  puisque  de  tels  réveils  frémis- 
sants restent  possibles  chez  nous. 

Un  peu  de  recueillement,  en  ces  jours  de  ressouvenance, 
fait  notre  émotion  pénétrante.  Notre  vue  s'aiguise.  Des 
perspectives  ignorées  sortent  de  l'ombre  et  s'illuminent.  Cer- 
tains actes  de  nos  héros  nous  apparaissent  sous  un  jour  incon- 
nu. Et  nous  interrogeons  daris  notre  besoin  de  précision,  les 
livres  vénérables,  ces  gardiens  éternels  de  la  mémoire  des  âmes 
d'élite. 


l'actiox  française  261 

Ainsi,  me  suis-je  demandé  au  matin  du  18  mai,  connaît-on 
bien  le  rôle  admirable  de  Jeanne  Mance  dans  la  fondation 
de  Montréal  ?  A-t-on  déjà  détaché,  en  un  relief  que  Von  sou- 
haiterait saisissant  et  fidèle,  quelques-uns  des  incidents  qui 
témoignent  de  son  action  fructueuse  en  la  circonstance  f 

La  belle  figure  de  Jeanne  Mance  émerge  de  l'ombre  dès 
que  la  fondation  de  Ville-Marie  est  décidée.  L'histoire  l'ac- 
cueille en  ses  pages.  En  champenoise  discrète  et  avisée,  elle 
surgit  à  point  nommé.  Quelques  lignes  de  M.  Paillon  dans 
son  Histoire  de  la  colonie  française  en  Canada,  rapportent  cet 
événement  avec  un  bonheur  d'expression  qui  vous  ravit  : 
«  A  la  veille  du  départ,  dit-il,  l'on  s'aperçut  qu'il  manquait 
un  secours  indispensable,  que  tout  l'argent  qu'on  avait  ne 
pouvait  procurer.  C'était  une  femme  intelligente  et  sage, 
d'un  courage  à  toute  épreuve,  d'une  résolution  mâle,  qui  les 
suivit  dans  ce  pays,  pour  prendre  soin  des  denrées  et  des 
diverses  nourritures  nécessaires  à  la  subsistance  de  la.  colonie 
et  en  même  temps  pour  servir  d'hospitalière  aux  malades  et 
aux  blessés.  » 

Quel  signalement  de  l'époque  peut  mieux  évoquer  l'image 
de  notre  grande  Jeanne  Mance  !  Et  quel  important  aveu 
dans  la  bouche  d'un  historien  informé  :  Jeanne  Mance  est 
déjà  déclarée  indispensable  à  la  réussite  de  V entreprise  de 
Montréal. 

M.  de  la  Dauversièré  ((reçoit  comme  un  présent  du  Ciel  », 
cette  femme  de  méinte.  Elle  entre  par  ses  soins  dans  la 
«  Société  de  Notre-Dame  de  Montréal  »,  Son  admission 
suit  de  près  celle  de  M.  de  Maisonneuve.  Les  membres  de 
cette  Société  so7it  appelés  à  veiller  au  succès  de  l'établissement 
de  Ville-Marie,  et  doivent  procurer  aux  colons  les  fonds  et 
les  vivres  nécessaires.  Tout  ceci,  en  vue  particulièrement 
d'obtenir  la  conversion  des  sauvages  de  la  Nouvelle-France. 


262  l'action  française 

Cette  compagnie  est  peu  florissante.  Elle  ne  comprend  encore 
que  huit  associés,  en  tenant  compte  de  M.  de  Maisonneuve 
et  de  Jeanne  Mance.  Et  il  serait  fort  désirable  qu'elle  prit 
de  V extension.     Des  besoins  nombreux  vont  surgir. 

Il  est  donné  à  Jeanne  Mance  de  parer  à  cet  état  de  choses, 
avec  une  rare  et  heureuse  sagacité. 

Revoyons-la  à  La  Rochelle  quelques  jours  avant  son 
départ  pour  la  Nouvelle-France.  Elle  s'entretient,  calme  et 
sereine,  avec  M.  de  la  Dauversière.  Un  projet  lui  vient  tout- 
à-coup  à  Vesprit.  Comme  il  lui  païait  excellent,  elle  s'em- 
presse de  le  communiquer.  Pourquoi  M.  de  la  Dauversière 
«  ne  mettrait-il  pas  par  écrit  le  dessein  -de  Mcrdréal,  ne  lui 
en  remettrait-il  pas  les  copies,  qu'il  n'enverrait  que  lorsqu'elle 
y  aurait  joint  une  lettre  de  sa  main,  à  Mme  la  princesse  de 
Condé,  à  Mme  la  Chcvncelière,  à  d'autres  dames  et  surtout 
à  Mme  de  Bullion  ))  ? 

Au  moyen  de  ce  projet  très  simple,  exécuté  de  point  en 
point  par  AI.  de  la  Dauversière,  Jeanne  Mance  recrée  vérita- 
blement la  «  Société  de  Notre-Dame  de  Montréal,^»  et  assure 
à  la  colonie  naissante  de  puissantes  influences. 

Quelques  années  plus  tard,  elle  doit  organiser  et  affermir 
à  nouveau  la  Société.  Des  esprits  7nalveillants  ont  ruiné 
son  prestige.  Elle  possède  une  élocjuence  fine  et  chaude, 
Jeanne  Mance.  De  plus,  elle  voit  clairement  les  choses, 
ainsi  ejne  le  remareiue  M.  Dollier  de  Casson.  Elle  i-éussit 
à  convaincre  les  membres  de  la  Société  de  la  nécessité  de  l'œuvre 
de  Montréal.  Elle  obtient  à  l'assemblée  du  21  mars  1650,  à 
laciuelle  elle  assiste  à  Paris,  l'assurance  que  leur  haute  pro- 
tection est  encore  acquise  aux  colons  de  Ville-Marie. 

Nommer  Mme  la  princesse  de  Condé  ou  Mme  de  Bullion, 
n'est-ce  pas  rappeler  les  amitiés  précieuses  de  Jeanne  Mance? 


l'action  française  263 

Et  elle  sait  attacher  encore  plus  à  sa  cause  qu'à  elle-même,  les 
cœurs  que  retient  sa  personnalité  sympathique.  Elle 
comprend  la  nécessité  d'en  agir  ainsi  dans  la  conduite  d'une 
œuvre.  Et  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  Jeanne  Mance  ne 
rend-elle  pas  à  la  colonie  un  service  incomp  .  'c  en  inspirant 
un  vif  sentiment  de  considération  à  la  ri  Madame  de 
Bullionf  L'on  doit  un  jour,  à  ses  dons  généreux,  le  salut 
de  la  colonie  tout  entière.  Nous  avons  à  ce  sujet  le  témoignage 
de  M.  de  Denonuille,  gouverneur  général  de  l'époque.  Il 
écrit  :  «  Du  consentement  de  la  fondatrice,  on  prêta  22,000 
livres,  à  la  Compagnie  de  Montréal  »,  pour  lever  cent  hommes, 
afin  de  garantir  cette  île  des  insultes  des  Iroquois.  Ces 
hojnmes  l'ont  sauvée  en  effet,  et  tout  le  Canada  aussi.  »  Jeanne 
Mance  demeure  l'inspiratrice  en  tout  ceci.  Elle  crée  et  dessine 
le  plan  de  l'affaire.  Elle  use  d'une  diplomatie  lumineuse.  Qui 
ne  se  souvient  de  la  limpidité  de  son  raisonnement  en  cette 
circonstance,  de  sa  merveilleuse  mise  au  point  des  événements  : 
((  Ville-Marie  est  perdu,  sjnge-t-elle,  si  l'on  n'obtient  du 
lenfort.  Comment  alors  utiliser  jamais  le  don  de  Mine  de 
Bullion  destiné  à  l'hôpital.  Sauver  Ville-Marie,  c'est  sauver 
l'hôpital  ?  ))  Prompte  à  l'action  comme  à  la  pensée,  elle  court 
chez  M.  de  Maisonneuve,  lui  fait  part  de  son  dessein,  et  pié- 
pare  avec  lui  l'ingénieux  programme  qu'il  suivra.  Il  a,  nous 
venons  de  le  rappeler,  toute  l'efficacité  que  l'on  en  a  désirée. 

Pour  la  seconde  fois,  Jeanne  Mance  consolide  l'œuvre 
de  la  fondation  de  Montréal. 

La  vocation  providentielle  de  Jeanne  Mance  nécessite  de 
rares  dons  naturels.  Ils  ne  lui  manqueiit  pas.  Des  qualités 
de  charme  et  de  distinction,  de  la  dignité,  une  belle  loyauté 
dans  le  regard,  et  la  voix,  une  humeur  agréable  lui  constituent 
un  ascendant  personnel  auquel  on  ne  résiste  pas.  Jeanne 
Mance,  souvenons-nous,  reçoit  les  confidences  spontanées  de 


264  L  ACTION    FRANÇAISE 

M.  de  la  Dauversière  et  du  saint  M.  Olier.  Elle  provoque 
sans  qu'elle  y  soit  pour  rien  Vardente  amitié  de  cette  délicieuse 
Madeleine  de  Chauvigny.  Mme  de  la  Peltrie  ne  peut  se 
résoudie  à  quitter  Jeanne  Mance  au  printemps  de  1643,  elle 
l'accompagne  à  Montréal,  au  jour  de  la  fondation,  et  seul  le 
commandement  de  ses  directeurs  peut  la  ramener  à  Québec  et 
à  ses  œuvres.  Et  comment  oublier  V abandon  confiant  de  M.  de 
Maisonneuve  auprès  de  Jeanne  Mance?  Elle  est  sa  conseil- 
lère des  bons  et  des  mauvais  jours.  Il  ne  décide  rien  d'impor- 
tant qu'il  ne  lui  ait  d'abord  soumis.  Et  que  de  fois,  il  reçoit 
de  la  bouche  de  cette  femme  forte,  et  sensée,  le  mot  sauveur  et 
attendu. 

Oui,  Jeanne  Mance,  par  l'influence  morale  qu'elle  a 
possédée,  et  qu'elle  exerça  au  seul  profit  de  l'œuvre  de  Montréal, 
Jeanne  Mance  par  ses  initiatives  opportunes  et  décisives, 
demeure  «  presque  à  l'égal  de  Maisonneuve  la  fondatrice  de 
Ville-Marie  ».  Ce  jugement  a  été  rendu  un  jour,  par  Mon- 
seigneur Gauthier,  dans  son  vibrant  discours  au  Congrès 
eucharistique  international  de  Lourdes.  Je  suis  heureuse 
de  le  rendre  de  nouveau  avec  lui.  Et  ainsi  que  je  l'énonçais 
au  début  de  cet  article:  Au  matin  du  18  mai,  en  l'anniver- 
saire de  la  fondation  de  Montréal,  évoquons  le  geste  créateur 
de  Jérôme  de  la  Dauversière  et  de  Jean-Jacques  Olier,  de 
Maisonneuve  et  de  Jeanne  Mance.  Ville-Marie  est  née  par 
les  soins  réuriis  de  ces  grands  cœurs,  et  de  ces  hautes  intelli- 
gences. 

Et  peid-être,  l'an  prochain,  en  cette  journée  du  18  mai, 
nous  sera-t-il  donné  de  déposer  au  pied  de  la  statue  de  Jeanne 
Mance,  une  couronne  d'honneur,  un  symbole  gracieux  de 
vénération  et  de  reconnaissance?     C'est  mon  pieux  espoir. 

Marie-Claire  Daveluy. 
1  If  juin  1919. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Afyi^S  ^  '  ^^s  braves  tj^pos  !  Ils  pourraient  vous  faire  pendre 
opYljpc  poiu-  un  mot  !  Essayant  d'analyser,  dans  la  chronique  du 
mois  dernier,  le  produit  d'une  éducation  mi-française,  mi- 
anglaise,  j'écrivais  qu'elle  crée  «  des  mentalités  embrouillées  et  des  âmes 
serves  ».     Le  typographe  a  mis,  même  après  correction,  suaves  ! 

On  admettra  qu'il  y  a  une  nuance.  Remettons  donc  :  serves,  car 
c'est  bien  le  mot  qui  convient.  Serves,  veules,  sans  liens  et  sans 
racines  :  voilà  les  âmes  que  façonne  l'enseignement  «  utilitaire  »  cher 
à  quelques-\ms  des  nôtres,  et  c'est  parce  que  nous  avons  besoin  d'âmes 
d'une  tout  autre  trempe,  d'âmes  viriles,  d'âmes  fières,  d'âmes  vail- 
lantes que  nous  le  repoussons  avec  énergie. 

AtfîCS  Heureusement  bon  nombre  d'écoles  ne  l'ont  pas  encore 
fièïeS  ^^opté-  Elles  lui  ont  préféré  une  éducation  patriotique. 
Les  résultats  leur  donnent  raison,  tel,  par  exemple,  l'incident 
suivant.  Il  montre  de  quelle  vaillance  certaines  âmes  d'enfant  sont 
capables.  Tout  dépend  des  sentiments  qu'on  cultive  en  elles.  Je 
cite  textuellement  la  lettre  qui  m'a  été  envoj'ée,  n'omettant  que  la 
signature. 

Montréal,  le  mercredi  30  avril  1919. 
«  Cher  monsieur, 

«  Permettez-moi  de  vous  relater  un  fait  de  vérité  authentique 
arrivé  sur  le  train  réguher  qui  va  d'Ottawa  à  Montréal. 

«  En  août  dernier  quatre  voj-ageurs,  quatre  enfants  d'ime  famille 
de  Sainte-Gene\'iève,  montaient  dans  une  voitvire  à  Beaconsfield.  Ils 
jaspinaient  depuis  quelques  minutes;  et  sans  doute  les  deux  plus  jeunes, 
qui  ne  dépassaient  pas  douze  ans  et  qui  faisaient  leur  premier  voyage 
sans  leurs  parents,  n'étaient  pas  sans  une  certaine  appréhension,  quand 
le  conducteur,  un  unilingue  enragé,  arrive  et  leur  jette  un  :  ticket, 
■please,  à  faire  dresser  les  cheveux  sur  la  tête.  Les  deux  plus  vieux, 
c'est-à-dire  les  moins  jeunes,  ils  ont  quatorze  et  quinze  ans,  font  la 
sourde  oreille.  A  un  nouveau  ticket,  please,  l'un  d'eux  répond  :  «  Par- 
lez français.  »  Du  coup  l'employé  se  fâche;  il  dit  bien  des  niaiseries 
unihngues;  il  suppHe,  il  menace.  Enfin  il  fait  fermer  les  portes  et  parle 
de  la  pohce  qui  les  attendra  à  Montréal.  Au  mot  de  pohce  les  plus 
jeunes  lâchent  pied.  «  Que  va  dire  maman  !  nous  autres  en  prison.  » 
Ils  pleurent  presque.     Le  conducteur  passe  et  repasse  et  chaque  fois  la 


266  l'actiox  française 

mélodie  unilingue  recommence.  «  Parlez  français  !  »  C'est  leur 
seule  réponse  mais  combien  juste  écho  de  la  voix  de  l'enfant  du  fort  de 
Verchères.  A  la  fin  des  fins  un  autre  employé  arrive,  qui  a  suivi  la 
scène  et  qui  leur  demande  d'un  air  paternel:  «Donnez  don:  vos 
billets,  mes  garçons.  »  Une  main  se  tend  et  on  lui  répond  :  «  Tenez, 
monsieur,  vous  parlez  srançais,  vous  !  » 

«  Ces  faits  se  passent  de  commentaires.  Leur  seule  méditation  nous 
vaut  bien  les  «mots en  l'air»  du  24  juin.  Une  race  qui  a  de  tels  enfants 
ne  mem"t  pas. 

FoyCTS  de  X'est-ce  pas  qu'il  est  charmant,  ce  récit  ?     Quelle 

■hnf:-'pf^'çi}ip  source  profonde  il  nous  découvre  où  baignent  les 
fiertés  de  la  race!  C'est  d'elle  qu'ont  jailU  les 
héroïsmes  d'un  Dollard  et  d'mie  Madeleine  de  Verchères;  c'est  elle 
qu'alimente  une  éducation  basée  siu"  notre  histoire,  nos  traditions, 
notre  foi.  Vivent  les  foyers  et  les  maisons  d'enseignement  où  se  donne 
une  telle  éducation,  où  l'atmosphère  en  est  pénétrée,  où  quelque  événe- 
ment vient  de  temps  en  temps  rappeler  son  importance. 

Je  ne  sais  si  l'Action  française  a  signalé,  à  l'époque,  la  jolie  séance 
organisée  au  Sault-au-R.'CoUet  pour  récompenser  les  jeunes  écoliers  qui, 
stimulés  par  leurs  maîtres,  avaient  répandu  VAlmanach  de  la  Langue 
française  ?'  Élèves  et  parents  en  rapportèrent  une  très  vive  impression. 
Une  initiative  semblable  eut  heu,  quelques  jours  plus  tard,  à  la  Pointe 
Saint-Charles  de  Montréal  où  se  trouve  un  groupe  ardent  de  patriotes 
sans  cesse  à  l'affût  des  bonnes  œuvres. 

Une  grande  soirée  Et   voici   que  nous  arrivent   les  échos 

d' action  française  ^''^'^^  «''-^^^^  ^°^^'-'<'  d'action  française, 
tenue  récemment  au  collège  de  Lévis. 
Cette  maison  est  coutumière  des  mouvements  patriotiques.  Les  saines 
traditions  y  sont  conservées  avec  un  soin  touchant.  Et  on  fait  aux 
œuvres  nouvelles  le  plus  cordial  accueil,  dès  lors  qu'elles  sont  marquées 
d 'un  patriotisme  éclairé. 

Or  donc,  le  30  avril  dernier,  la  société  littéraire  Saint-Augustin 
conviait  tout  le  collège  à  un  régal  qu'elle  savait  lui  être  spécialement 
agréable.  On  allait  parler  d'action  française,  d'action  française  en 
généeral  et  en  particulier, puisqu'il  allait  être  question  non  seulementde 
ce  que  chacun  peut  f.iire  dans  les  intérêts  de  sa  langue,  mais  encore  de 
ce  que  fait  notre  modeste  revue.  Le  premier  travail,  en  effet,  que 
présenta  un  élève  de  philosophie  et  qui  devait  être,  avec  la  conféren3e,la 


L  ACTION    FRANÇAISE  267 

pièce  de  résistance  de  la  soirée,  avait  pour  titre  :  La  Ligue  des  Droits 
du  français.  Son  auteur,  M.  Marie-Louis  Beaulieu.  raconta  les  hum- 
bles origines  de  notre  œuvre,  loua  son  but  et  ses  moyens  d'action,  p\us 
recommanda  chaleureusement  à  tous  la  lecture  et  la  propagande  de 
l'Action  française.  Après  quelques  déclamations  patriotiques,  l'abbé 
Elias  Roy,  directeur  des  ecclésiastiques,  parla  du  langage  des  collégiens. 
En  éducateur  averti  il  sut  indiquer  à  côté  des  fautes  signalées  le  remède 
approprié.  Enfin,  pour  couronner  cette  fête,  le  supérieur  même  du 
collège,  approuvant  les  remarques  faites  sur  l'importance  du  bon 
parler  français  annonça,  pour  ceux  qui  le  cultiveraient  tout  spécialement, 
non  seulement  des  prix  à  la  fin  de  l'année,  mais  encore  deux  médailles 
d'or  chaque  mois,  une  au  cours  classique,  l'autre  au  cours  commercial. 

PïO^TQTiîTUC  Voilà,    certes,    d'excellente   action   française.     II 

de  VQCClflCCS  ^^^  ^  souhaiter  que  de  telles  soirées  aient  Heu  dans 
toutes  nos  maisons  d'éducation.  Plusieurs  ont 
l'habitude  d'avoir  une  séance  d'alliu^e  intime,  la  veille  de  la  sortie. 
Pourquoi  ne  lui  donnerait-on  pas  ce  caractère  de  patriotisme  praticiue  ? 
On  3'  pourrait  tracer,  sans  formules  pédagogiques  et  comme  à  bâtons 
rompus,  un  joli  programme  de  vacances. 

Si  la  séance  n'est  pas  possible,  que  chaque  classe  ait  au  moins 
l'heure  de  l'action  française.  Le  professevir  dira  aux  élèves  en  quoi 
consiste  pour  eux  cette  action,  durant  les  mois  de  vacances.  Ce  sera 
d'abord  évidemment  le  bon  parler.  Les  leçons  reçues  vont  être  mises 
à  l'épreuve.  Qu'ils  aient  à  cœur  d'en  sortir  triomphants  !  Qu'ils 
fassent  fleurir  autour  d'eux,  à  la  maison,  au  magasin,  à  la  ferme,  les 
belles  expressions  de  notre  langue  ! 

Toilette  A  ce  premier  travail,  un  second  peut  être  ajouté. 

fïClfî'^Gise  ^''^  physionomie,  la  toilette  du  miUeu  où  ils  vivent 
sont-elles  françaises?  Avis  des  autorités  fédérales, 
provinciales,  municipales;  enseignes  des  marchands;  annonces  des 
industriels;  produits  divers  :  épiceries,  Ijiscuits,  bonbons;  objets  d'usage 
commun,  etc.,  etc;  que  de  choses  ils  peuvent  observer  et  essayer,  s'il 
}•  a  lieu,  de  franciser.  C'est  par  ime  telle  croisade,  menée  avec  entrain 
et  bonhomie,  que  nos  campagnes  retrouveront  le  cachet  de  distinction 
française  que  plusieiu-s  ont  peu  à  peu  perdu. 

Ce  programme  d'action  ne  s'accomplira  pas  sans  incidents  :  -•  il 
donnera  Heu  à  différents  exploits.  Pourquoi  le  jeune  collégien  ne  les 
noterait-il  pas  au  jour  le  jour?  Ne  serait-ce  pas  là  un  excellent  devoir 
de  vacances  ? 


268  L  ACTION    FRANÇAISE 

Les  laUîéaiS  Ceci  m'amène  à  commettre  ime  petite 

de  V  action  française  indiscrétion,  à  dire  un  mot  d'mi  projet 
que  caresse  V Action  française  et  qu'elle 
espère  réaliser  sous  peu.  Depuis  sa  fondation,  notre  revue  s'est  appli- 
quée à  signaler  —  pour  les  faire  disparaître  —  les  manquements  au 
patriotisme,  les  faiblesses  nationales,  les  abandons  de  nos  droits,  surtout 
en  matière  de  langue.  Pris  par  cette  besogne  nécessaire,  nous  n'avons 
peut-être  pas  assez  loué,  nous  avons  trop  laissé  dans  l'ombre  la  contre- 
partie de  ces  faits,  les  gestes  fiers  accomplis  de  ci  de  là  par  les  nôtres. 
Le  temps  nous  semble  venu  de  combler  cette  lacune.  Quelle  initiative 
nouvelle  surgira  de  cette  préoccupation  ?  Sera-ce  une  séance  solennelle 
oij  l'un  de  nos  directeurs  racontera,  dans  un  rapport  vivant,  les  exploits 
de  l'année  et  proclamera  les  laïuéats  de  l'action  française  ?  Sera-ce 
diverses  soirées  où  des  délégués  de  1'^.  F.  iront  remettre  à  quelque 
héros  un  parchemin  ou  une  médaille  attestant  sa  fierté  ?  Que  ce  soit 
l'une  de  ces  initiatives  ou  quelque  autre  encore,  les  devoirs  de  vacances 
dont  nous  venons  de  parler  aideront  à  sa  réahsation.  Aussi  nous  per- 
mettons-nous de  les  recommander  vivement. 

Le  catalogue         Un   mot,    avant   de   terminer,   pour  signaler  le 
Pathé  catalogue  de  la  Compagnie  Pathé.     Cette  maison 

est  d'origine  française.  Elle  a  son  principal  siège 
d'affaires  à  Paris.  Mais  comme  ses  quartiers-généraux  canadiens  ont 
été  établis  à  Toronto,  elle  était  exposée  à  commetre  cette  faute  dans 
laquelle  tant  d'autres  maisons  parisiennes  sont  tombées  :  le  catalogue 
original  français  envoyé  au  Canada,  traduit  en  anglais,  puis  servi  de  la 
sorte  aux  Canadiens  français,  ou  encore  retraduit,  à  leur  usage,  en 
Parisian  French,  i.e.  en  français  torontonien.  Heureusement  la  faute, 
cette  fois,  a  été  évitée.  Et  c'est  un  bon  catalogue  français  que  nous 
offre  la  maison  Valiquette,  représentant  à  Montréal  de  la  Cie  Pathé. 

Nous  notons  ce  fait  d'autant  plus  volontiers  qu'im  de  nos  corres- 
pondants se  plaint  justement  du  mauvais  français  d'une  grosse  maison 
montréalaise,  d'origine  américaine  celle-là,  et  qui  écoule  chez  les  nôtres 
un  grand  nombre  de  «  gramophoncs  ».  Aux  remarques  qu'il  a  cru 
devoir  faire,  on  a  répondu  que  notre  métropole  ne  possédait  guère  de 
traducteurs  compétents...  Il  est  des  gens  qui  essaient  ainsi  de  se 
tirer  d'un  mauvais  pas  par  quelque  faux  fuyant  ridicule.  Ceux-ci  n'y 
réussiront  pas.  La  Ligue  des  Droits  du  français  vient  de  leur  faire 
connaître  son  adresse.  . .  et  quelque  autre  chose  aussi. 

Pierre  Homieh. 


LA  VIE  DE  VACTION  FRANÇAISE 


An  pays  de  DoUard  —  M.  l'abbé  Maurault  raconte  ailleurs  le 
deuxième  pèlerinage  de  V Action  française  au  pays  de  DoUard.  Tous  les 
rêves  que  formulait  M.  l'abbé  Groulx,  au  mois  de  mai  1918,  en  annon(;ant 
que  l'Action  française  voulait  dissiper  l'oubli  qui,  depuis  si  longtemps 
flottait  sur  le  théâtre  du  combat  de  1660,  sont  à  la  veille  de  se  réaliser. 
Il  voulait  qu'un  monument  se  dressât  face  à  VOutaouis  :  c'est  déjà 
fait;  il  voulait  que  les  foules  apprissent  le  chemin  du  Long-Sault  :  cela 
aussi  est  fait;  il  voulait  que  les  jeunes  gens  allassent  au  pays  de  Dollar d 
«  prêter  leur  serment  à  la  patrie  »  :  cela  est  à  la  veille  de  se  faire.  Nous 
avons  vu  les  collégiens  de  Rigaud  accompagner  en  corps  les  pèlerins  du 
24  mai.  Quelques  joiu-s  plus  tard,  un  groupe  d'écoliers  de  Beauharnois 
se  rendait  à  son  tour  au  Long-Sault.  J,e  24  juin,  des  centaines  de  collé- 
giens, élèves  des  divers  collèges  de  la  région  de  Montréal,  reprendront, 
par  l'Outaouais  aux  rives  peuplées  de  souvenirs  historiques,  la  route  des 
compagnons  de  Dollard.  Ce  pèlerinage  se  fera  sous  le  patronage  de 
l'Action  française,  le  premier  secrétaire-général  de  la  Ldgue  des  Droits 
du  français,  M.  le  docteur  Gauvreau,  nous  fera  l'honneur  d'y  prendre 
la  parole  en  notre  nom,  mais  nous  tenons  à  préciser  que  tout  le  mérite 
de  cette  initiative  re\âent  aux  collégiens  eux-mêmes. 

Notons  brièvement  que  le  voyage  se  fera  par  le  vapeur  Empress 
(départ  de  Lachine  à  8  heures  20,  le  matin,  après  l'arrivée  du  train  qui 
part  de  Montréal,  gare  Bonaventure,  à  S  heiu-es  2  —  on  peut  aussi 
partir  par  tramway  et  descendre  à  la  32e  avenue)  ;  que  le  prix  du  billet, 
aller  et  retour,  est  de  SI. 2.5  et  que  les  billets  sont  en  vente  chez  Oranger 
Frères,  au  Devoir,  à  V Action  française,  aux  presbytères  du  Saint-Enfant 
Jésus  et  de  Saint-Stanislas,  à  Montréal.  MM.  l'abbé  Fauteux,  du 
Saint-Enfant  Jésus,  et  Charbonneau,  de  Saint-Stanislas,  sont  à  la  dispo- 
sition de  ceux  qui  désireraient  des  renseignements  supplémentaires. 

La  rumeur  ajoute  qu'un  autre  groupe  se  propose  de  faire  tout  pro- 
chainement aussi  le  pèlerinage  du  Long-Sault.  La  route  est  ouverte, 
l'habitude  se  crée.  Ce  n'est  pas  le  seul  lieu  historique  vers  lequel 
V  Action  française  ambitionne  de  pousser  jeimes  et  vieux. 


270  l'action  française 

Nos  publications  —  Xos  publications  ont  été  si  nombreuses  ces 
derniers  temps  que  nous  avons  à  peine  trouvé  le  moj^en  de  les  signaler. 
On  lira  plus  loin  quelques  notes  svu-  La  Naissance  d'une  Race  et  les 
Rapaillages  de  M.  l'abbé  Groub:,  ainsi  que  sur  le  Pour  la  défense  de  nos 
lois  françaises  de  M.  Antonio  Perrault.  Presque  en  même  temps 
paraissait  dans  notre  Bibliothèque  le  Canada  apostolique  de  M.  Henri 
Bourassa.  Nous  en  publierons,  le  mois  prochain,  une  appréciation 
détaillée.  Notons  tout  de  suite  que  cette  «  revue  des  œuATes  de 
missions  des  commimautés  franco-canadiennes  »  a  déjà  obtenu  im  suc- 
cès presque  sans  précédent  au  pays.  Plus  de  douze  mille  exemplaires  de 
ce  volume  sont,  au  moment  où  nous  publions  ces  lignes,  entre  les  mains 
du  public  canadien.     C'est  assez  dire  l'intérêt  qu'il  suscite. 

D'autres  études  sont  en  préparation. 

Pour  les  vacances  —  Nous  l'indiquons  déjà  par  notre  grand  con- 
cours :  noLis  voudrions  que  les  vacances,  au  lieu  d'être  poiu-  notre  pro- 
pagande et  notre  action  lui  moment  de  relâche,  marquassent  une  période 
d'intense  activité.  Et  tout  veut  qu'il  en  soit  ainsi.  Grand  nombre  de 
nos  amis  s'en  vont  à  la  campagne,  voyagent  dans  des  milieux  où  notre 
œuvre  est  peu  connue  :  quelle  magnifique  occasion  de  nous  recruter  de 
nouveaux  amis,  de  faire  connaître  les  façons  diverses  dont  l'on  peut 
nous  aider,  de  populariser,  par  exemple,  notre  service  de  librairie,  de 
jeter  les  bases  de  conférences  pour  l'automne  prochain  ! 

Que  chacun,  en  partant  pour  ses  vacances,  se  dise  —  et  se  redise 
souvent  au  cours  de  ces  deux  mois  :  Que  puis-je  faire  pour  l'Action 
française  ? 

Les  Rapaillages  —  Il  faut  pousser  à  la  propagande  de  toutes  nos 
publications,  mais  il  est  indiscutable  que  celle  qui,  actuellement,  prête 
le  plus  à  la  propagande  rapide,  est  l'édition  populaire  des  Rapaillages. 
Avec  elle,  et  par  les  mêmes  méthodes,  on  devrait  pouvoir  répéter  le 
succès  de  VAlmanach.  Songez  qu'elle  se  vend  seulement  25  sous 
l'exemplaire,  S2..Ï0  la  douzaine,  S20  le  cent,  S92.50  les  cinq  cents,  S175 
le  mille  (port  en  plus)  —  ce  qui  laisse  ime  marge  de  $75  par  mille  aux 
groupes  qui  voudront  en  organiser  la  propagande  sur  une  grande 
échelle. 

L'édition  de  luxe  des  Rapaillages,  comme  la  Naissance  d'une  Race, 
l'œuvre  de  Lamarchc,  le  Canada  apostolique,  est  un  beau  livre  de  biblio- 
thèque, un  fort  joli  cadeau. 


L  ACTION    FRANÇAISE 


271 


Pour  la  défense  —  U Action  française,  par  son  sen-ice  de  librairie, 
tient  à  la  disposition  de  ses  clients  tous  les  bons  li^■Tes,  elle  facilite  la 
constitution  des  bibliothèques  paroissiales,  etc.,  mais  elle  se  fait  une 
spécialité  surtout  de  la  diffusion  des  li%Tes  et  des  brochures  de  défense 
nationale.  EUe  est  dépositaire  au  Canada  de  toutes  les  brochures  de  la 
Ligue  de  Ralliement  français  en  Amérique,  elle  est  en  relations  avec 
l'Association  d'Éducation  de  l'Ontario  et  les  sociétés  similaires.  Elle 
s'occupe  particulièrement  aussi  de  la  diffusion  des  brochures  qui  peuvent 
servir  notre  cause  dans  les  milieux  anglais.  Ce  qu'elle  n'a  pas  sous  la 
main,  elle  s'efforce  de  se  le  procurer.  Qu'on  s'adresse  avec  confiance  à 
ses  bureaux. 

Xotre  enquête  —  Un  certain  nombre  de  nos  amis  ont  bien  voulu 
répondre  à  notre  demande  de  l'autre  jour  et  nous  donner,  avec  leurs 
noms,  l'indication  des  services  qu'ils  croient  pouvoir  rendre  à  l'œmTe 
commime.     Que  d'autres  veuillent  bien  suiATe  leur  exemple. 

II  s'agit  d'organiser  la  coopération  des  efforts. 

Xotre  Almayiach  —  Nous  sommes  actuellement  à  préparer  notre 
Almanach  de  1920.  Xous  nous  efforcerons  de  le  faire  plus  vivant,  plus 
varié  encore  que  les  années  précédentes.  Avis  aux  propagandistes. 
Qu'ils  songent  tout  de  suite  à  ce  qu'ils  pourraient  faire  autour  d'eux. 


Il  faut  dépasser  de  beaucoup  le  succès  de  l'an  passé. 


x3 


L'abonnement  de  65  —  L'abonnement  de  Sô  a  obtenu  un  trè 
gros  succès.  On  sait  à  quoi  il  se  résume  :  Vous  versez  S5  à  V Action 
française  et,  de  ce  moment,  vous  recevez,  sans  avoir  à  les  demander, 
toutes  les  publications  nouvelles  de  l'Action  française,  sauf  la  re\nie, 
jusqu'à  épuisement  de  la  somme  souscrite.  Si  vous  désirez  plusieurs 
exemplaires  d'un  ouvrage  qui  vous  plaît  particuhèrement,  vous  n'avez 
qu'à  jeter  à  la  poste  une  carte  postale.  Vos  Sô  épuisées,  si  le  système 
vous  convient,  vous  n'avez  qu'à  renouveler  votre  souscription  pour  que 
les  envois  continuent. 

Ce  système  évite  beaucoup  d'ennuis,  de  lettres  et  de  timbres  inu- 
tiles . 

Jean  BEArcHEMix. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


POUR   LA   DÉFENSE   DE  NOS  LOIS  FRANÇAISES^ 


«  Quelle  magnifique  construction  intellectuelle  !  »  c'est  le  mot  d'un 
professeur  de  droit  de  l'Université  de  Lille  au  sortir  de  la  conférence 
de  M.  Antonio  Perrault,  le  15  jan\ner  dernier.  C'est  encore  le  mot 
qu'on  se  redit  à  soi-même,  quand,  après  avoir  entendu  la  conférence, 
on  relit  attentivement  :  Pour  la  défense  de  7(0S  lois  françaises. 

Que  de  choses  substantielles,  vigoureusement  ordonnées,  noblement 
en...  3,  en  ces  soixante-onze  pages  du  jeune  ])rofe.sseur  de  Laval.  Que 
nos  pères  aient  aperçu  dans  nos  lois  l'un  des  éléments  de  la  nationalité, 
'"•■l'stoire  de  leurs  luttes  poiu*  les  m.aintenir  le  prouve  surabondamment. 
Cette  vive  clairvoyance  n'a  pas  manqué  à  nos  ancêtres  de  1760.  Le 
droit  représente  bien  autre  chose  que  les  vaines  procédures,  les  combats 
ruineux  du  Palais  de  justice.  11  est  intimement  mêlé  à  la  vie  individuelle, 
familiale,  sociale.  A  côté  de  la  rehgion  et  de  la  morale,  il  apparaît 
comme  un  facteur  essentiel  de  la  paix  et  de  la  justice;  il  possède  une 
valeur  morale  et  économique,  il  garantit  l'usage  des  facultés  d'action. 
Le  droit  se  manifeste  dans  les  lois.  «  L"n  peuple  dont  l'histoire  retient 
le  nom,  a  sou  droit  incarné,  cristallisé  dans  les  textes.  »  Là,  des  prin- 
cipes universels  se  rencontrent,  communs  à  tous  ks  peuples.  Mais 
chaque  peuple  ajoute  à  ce  premier  fond  immuable  im  élément  qui 
jaillit  de  son  âme  propre,  qui  exprime  sa  mentalité,  qui  est  le  «  produit  de 
son  histoire  »  et  qui  fait  ainsi  des  lois  nationales  une  chose  sacrée.  Or 
le  peuple  canadien-français  possède  des  lois  qvii  lui  sont  propres.  Dans 
le  domaine  législatif  que  lui  ont  réservé  les  constitutions,  il  a  gardé,  en 
l'adaptant  aux  évolutions  de  sa  vie,  le  vieux  trésor  apporté  de  France. 
Ce  droit,  issu  de  la  coutume  de  Paris,  la  plus  parfaite  des  coutumes 
françaises,  se  rattache  à  l'antique  et  auguste  »êrpus  jnris  des  Romains, 
pendant  que  le  Common  law  venu  de  la  Grande-Bretagne  et  adop  tépar 
nos  huit  provinces  anglaises,  est  i)lutôt  d'origine  et  d'inspiration  teu- 
tonique.  Cette  différence  d'origine  suffit  à  elle  seule  à  faire  pressentir 
quel  élément  de  supériorité,  quelles  vertus  latines  emporterait  avec  elle 

1  F&it  partie  delà,  série  verte  delà,  Bibliothèque  de  l'Action  française. 
Prix  :  25  sous  l'exemplaire. 


l'action  française  273 

la  disparition  de  nos  lois  françaises.  Le  droit  romain  élevé  et  pnrifié 
par  le  droit  canonique,  clarifié  par  le  vieux  droit  français,  c'est  la  plus 
parfaite  expression  de  la  loi  humaine,  c'est  la  raison  écrite.  En  ses 
préceptes,  en  son  ordonnance  brille  une  lumière  d'ordre,  de  clarté,  de 
précision;  il  porte  en  lui  la  discipline  intellectuelle  de  la  plus  haute 
sagesse.  Le  Common  laiv  c'est  l'œuvre  fragmentaire,  c'est  la  mosaïque 
de  pièces  rapportées,  sans  viies  d'ensemble,  sans  le  lien  dominateur  des 
principes  généraux,  c'est  un  groupement  de  faits  juridiqiies,  de  faits 
particuliers  accumulés  sans  logique,  au  hasard  des  années  et  des  événe- 
ments. Et  cependant  c'est  ce  Common  law  que,  depuis  cent  cinquante 
ans,  l'on  travaille  à  substituer  à  ce  qui  est  devenu  notre  Code  civil.  La 
constitution  fédérative  a  porté  le  premier  coup  à  l'arche  de  nos  lois  en 
accordant  au  pouvoir  fédéral  des  matières  réservées  jusque  là  aux 
législatures  des  provinces.  Aujourd'hui  des  associations  de  légistes  et 
d'avocats  reprennent  une  attaque  sournoise  et  travaillent  à  l'unifor- 
misation des  lois  canadiennes.  Contre  ces  tentatives,  notre  devoir 
nous  commande  non  seulement  de  défendre  nos  lois  françaises,  mais  il 
importe  également  de  les  faire  connaître  et  de  les  illustrer  par  de  lumi- 
neuses études  juridiques;  il  importe  de  les  faire  évoluer  selon  leur  esprit, 
selon  les  besoins  de  notre  race  et  de  notre  province.  Défendre  ce  qui 
nous  fut  légué  par  la  tradition  doit  nous  être  un  motif  de  fierté,  l'un  de 
nos  buts  de  vivre.  C'est  le  signe  d'une  humanité  supérieure  que  la 
volonté  de  ne  pas  subir  l'étranger,  de  n'accepter,  selon  le  mot  de  Barrés, 
que  ce  qui  s'accorde  avec  notre  sentiment  intérieur. 

Voilà  résumée  bien  superficiellement  une  belle  et  solide  étude  de 
philosophie  du  droit.  M.  Antonio  Perrault  vient  d'écrire  de  très  fortes 
pages  et  de  prononcer  des  paroles  de  vie  que  voudi'ont  recueillir  non 
seulement  nos  étudiants  et  les  hommes  du  métier,  mais  les  profanes 
eux-mêmes  qui  en  seront  charmés  et  éclairés.  Tous  y  fortifieront  leur 
volonté  de  tenir,  de  ne  rien  sacrifier  du  vieil  héritage  national.  Ici 
comme  ailleurs,  ils  verront  qu'en  défendant  notre  patrimoine  nous  ne 
cédons  pas  à  un  simple  goût  de  la  bataille,  aux  vaines  satisfactions  d'un 
orgueil  de  race;  nous  défendons  une  supériorité.  Ils  apprendront  aussi 
à  connaître  l'un  des  beaux  talents  de  la  jeune  génération.  Quand  M. 
Antonio  Perrault  défend  avec  une  émotion  à  peine  contenue  l'ordonnance 
majestueuse,  la  logique  supérieure  du  di'oit  romain,  nous  découvrons 
avec  bonheur,  au  grand  air  de  son  travail,  qu'il  est  lui-même  un  héritier 
de  cette  tradition  intellectuelle,  le  fils  de  cette  latinité.  Il  y  apparaît 
jusqu'en  son  style  où  brillent  avant  tout  les  valeiu"s  de  l'intelhgence,  les 
qualités  de  clarté,  de  soUdité  et  d'élégance,  vertus  exclusivement  latines 


274  l'action  française 

et  françaises.  Et  l'on  se  prend  à  songer,  non  sans  beaucoup  de  regret, 
aux  œu\TCS  que  de  tels  travailleurs  poiuTaient  léguer  à  leur  race,  si 
seulement  l'on  vivait  dans  im  pays  où  les  intellectuels  auraient  le  loisir 
de  penser. 

Pourquoi  n'ajouterai-je  pas  ime  dernière  réflexion  ?  Voici  que  poiu* 
mieux  combattre  le  régionalisme  et  s'en  moquer  à  meilleur  marché, 
quelques-uns  n'en  prétendent  apercevoir  que  les  manifestations  folk- 
loristes,  quand  il  veut  être  toute  notre  \'ie  littéraire,  l'expression  de 
notre  personnalité  intellectuelle.  M.  Antonio  Perrault  \'ient  de  démon- 
trer, qu'à  propos  de  thèmes  canadiens,  l'on  peut  s'élever  jusqu'aux  plus 
hauts  problèmes  et  manier  les  idées  les  plus  largement  humaines. 

—  Lionel  Groulx,  pire. 

LES  RAPAI  LIAGES^ 

M.  l'abbé  Lionel  Groulx  a  réuni  sous  ce  titre,  qui  est  une  déUcieuse 
trouvaille,  dix  contes  précédés  d'un  poème  liminaire.  Le  plus  bel 
éloge  que  l'on  puisse  faire  de  cet  ouvrage,  à  l'occasion  de  sa  réédition 
par  V Action  française,  c'est  de  rappeler  le  succès  du  premier  tirage. 
Huit  mille  volvunes  furent  dévorés  avec  une  insatiabiUté  telle  qu'elle 
est  le  très  sûr  garant  de  la  rapidité  avec  laquelle  s'enlèveront  les  25,000 
vokmies  illustrés  par  Franchère. 

C'est  un  événement  httéraire  d'une  haute  signification  que  la 
popularité  extraordinaire  de  ce  petit  volume  qui  se  distingue  surtout  par 
l'ardeur  de  son  régionaUsme,  par  la  fervem-  de  son  culte  pour  ceux  q\ii 
ont  fait  la  patrie  ce  qu'elle  est. 

Le  style  est  vif,  direct,  sans  apprêt,  réaliste  parfois.  11  peint  avec 
une  vérité  qui  donne  l'illusion  de  la  vie.  Tout  le  volume  vibre  par 
ailleurs  d'une  émotion  continue  qui  égale  ces  récits  famiUers  à  certaines 
des  pages  les  plus  éloquentes  écrites  sur  la  noble  mission  du  laboureur. 

La  réédition  des  RapaiUages  arrive  à  son  heure,  répond  ù  un  besoin. 
Le  moment  n'est  plus  où  l'on  voulait  faii'c  des  lettres  canadiennes  une 
pâle  imitation  des  ouvrages  étrangers,  une  plante  anémiée  et  sans 
racine.  On  a  compris  qu'un  peuple  en  lutte  ne  peut  négliger  aucm^e 
arme,  surtout  la  plus  puissante  de  toutes,  celle  qui  assure  la  vie  à  la  lan- 
gue, le  sel  qui  la  préserve  de  la  corruption. 

Et  c'est  parce  que  les  RapaiUagcs  marquent  ime  réaction  contre 
l'extranéité  de  notre  littératm'e,  parce  qu'ils  puisent  Icvu-  inspiration 
dans  le  sol,  qu'ils  plongent  «  dans  l'humus  des  grands  érables  morts  » 
qu'un  tel  succès  les  a  accueillis. 

^Les  Ra pniUagc.-^, hibVuAhcqwô  de  V A iicion  française.  Illustrations  de 
J.-C.  Franchère.  Deuxième  éditions  (populaire  et  de  luxe.) 


l'action  française  275 

Le  conte,  récit  bref  et  familier,  exige  plus  de  vigueur,  de  ramassé, 
d'aptitude  chez  l'auteur  à  choisir  l'essentiel  que  tous  les  autres  genres 
de  la  littérature.  N'y  excelle  pas  qui  veut  :  seuls,  les  maîtres  du  style 
peuvent  s'y  essayer. 

Mais,  à  regarder  de  près,  sont-ce  bien  des  contes  que  les  Rapaillages  ? 
Ce  titre  charmant,  qui  a  pour  des  citadins  la  saveur  d'une  fraise  des 
champs,  indique  quelque  chose  qui  manque  d'homogénéité  et  d'ordre, 
quelque  chose  de  ramassé  un  peu  au  hasard.  Or  il  nous  semble  qu'il  existe 
une  unité  parfaite,  im  hen  tangible  entre  ces  divers  récits  qui  sont  comme 
autant  de  chants  du  poème  de  la  vie  agreste,  comme  autant  de  tableaux 
des  labeurs  et  des  joies  du  laboureur  et  de  sa  famille.  Les  Rapaillages 
sont  presque  ime  autobiographie,  mais  dans  ces  pages  se  peint,  avec 
l'âme  de  l'écrivain,  l'âme  du  paysan  canadien. 

Je  ne  sais  si  la  lecture  de  l'herbe  écartante  vous  fera  le  même  effet, 

mais  j'y  ai  vu  un  symbole  frappant.  La  gi'and'mère  des  Rapaillages  lui 

prêtait  des  maléfices  qui  entraînent  des  maux  physiques  effroyables, 

mais  je  crois  que  cette  herbe  agit  surtout  sur  les  esprits  et  sur  les  cœurs. 

Elle  se  trouve  à  la  campagne,  siir  bien  des  terres.     C'est  parce  qu'ils  ont 

pié  sur  elle  que  tant  de  jeimes  gens  désertent  la  terre  ancestrale  et  s'en 

viennent  s'atrophier  au  point  de  vue  moral  et  matériel  dans  l'atmosphère 

dissolvante  et  empoisonnée  des  villes. 

* 
*  * 

L'auteur  des  Rapaillages  avait  pié  sur  l'herbe  écartante,  mais  il  fut 
retrouvé  et  pansé  à  temps;  aussi  n'a-t-il  pas  déserté  les  hautes  fonctions 
de  semeur  :  il  s'est  fait  semeur  de  la  bonne  parole  évangéhque  et  de  la 
bonne  parole  patriotique.  Puisse  ce  grain  tomber  sur  un  terrain  fécond, 
puisse-t-on  Ure  et  relire  dans  toutes  les  familles  ses  ouvrages  qui  ne  sont 
pas  seulement,  comme  tant  d'autres  livres  de  nos  jours,  une  belle  forme 
sans  âme,  mais  des  excitateurs  d'énergie,  une  prédication  mâle  et  per- 
suasive. Puissent-ils  surtout  tomber  dans  le  cœm'  des  jeunes  gens 
insensibles  à  la  beauté  et  à  la  hautem'  de  leur  devoir  de  réserve  de  la  race 
et  de  continuateurs  des  anciens,  dans  le  cœur  des  jeunes  gens  qui  ne  se 
défient  pas  assez  de  l'herbe  écartante  et  qui  tournent  les  yeux  vers  la 
grand'ville. 

Le  petit  volume  des  Rapaillages  vaut,  à  lui  seul,  comme  agent  de 
retour  ou  d'attachement  à  la  terre,  tout  un  budget  de  colonisation  ou 
d'agriculture.  Quel  admirable  manuel  de  lectiu"e  pour  les  petits 
enfants  du  rang  du  Bois  Vert  et  de  tous  les  rangs  ! 

Louis  DupiRE. 


276  l'action  française 

LA  NAISSANCE  D'UNE  RACE^ 

M.  l'abbé  Groubc  vient  de  publier,  sous  ce  titre,  sc-s  dernières 
conférences  sur  l'histoire  du  Canada,  données  à  l'Université  Laval  de 
Montréal.  Ce  volume  de  trois  cents  pages  est  une  contribution  pré- 
cieuse à  notre  bibliothèque  historirjue.  Ce  n'est  pas  une  histoire  de  nos 
origines,  ce  n'est  pas  tout  \  fait  une  apologétique  nationale;  c'est  l'ana- 
lyse des  facteurs  qui  ont  contribué,  dès  le  début,  à  faire  des  Canadiens, 
français  le  petit  peuple  bien  caractérisé  qu'ils  formaient  dès  1760. 
«  C'est  cette  vie,  nous  dit  l'auteur,  cet  aspect  d'himianité  lentement 
élaboré  par  nos  pères,  pui^  fixé  à  la  fin  en  des  formes  héréditaires,  que  je 
me  propose  de  vous  décrire.  J'écarterai  les  superf  état  ions  de  l'histo  ire 
De  la  vaste  accumulation  des  faits,  ceux-là  m'intéresseront  plus  que 
les  autres  qui  viendront  marquer  l'évolution  du  type  humain,  qui 
auront  une  valeur  ou  une  signification  psj-ohologique  »  (p.  12).  Les 
détails  pittoresques  et  suggestifs  que  lui  ont  révélés  les  archives,  les 
mémoires,  les  monographies  se  rapportant  à  l'histoire  du  Canada, 
servent  au  profcssexir  à  nous  faire  voir  «  les  influences  du  milieu,  les 
péripéties  de  l'histoire  »  qui  ont  forgé  notre  caractère. 

Écrites  d'une  main  ferme  et  rapide,  animées  d'une  intense  ferveur 
p.atriotique,  ces  pages  sont  pour  les  Canadiens  extrêmement  intéressan- 
tes. D'autres,  particuhèrement  nos  amis  de  France,  ne  dédaigneront 
pas,  espérons-le,  d'aller  3'  chercher  des  renseignements  dont .  ils  ont 
grand  besoin,  s'ils  veulent  se  faire  xme  idée  exacte  de  ce  que  nous  som- 
mes. Ils  y  trouveront  le  procès,  rondement  mené,  des  procédés  de 
colonisation  de  la  France  au  Canada,  et  l'explication  de  certaines  de  nos 
attitudes  qui  les  surprennent.  Ils  y  apprendront  également  ce  qu'il 
faut  penser  de  bien  des  légendes  trop  accréditées  chez  les  étrangers. 
Les  Canadiens  y  trouveront,  eux,  l'histoire,  la  raison  profonde  de  leurs 
plus  belles  qualités  et  de  quelques-uns  de  leiu-s  défauts.  Ils  dégageront 
les  plus  précieuses  leçons  de  ces  rapprochements  de  faits  et  de  ces  vues 
pénétrantes.  M.  l'abbé  Groulx  a  dignement  continué,  dans  ce  beau 
travail,  l'cruvre  importante  qu'il  a  entreprise  sur  l'histoire  de  notre  pays. 

A.  D. 

1  La  Naissance  d'une  Race,  par  l'abbé  Lionel  Groulx.  Bibliothè- 
que de  V Action  française. 


POUR  LA  FÊTE  NATIONALE 


QUELQUES  PROJETS  DE  DISCOURS 


En  vue  de  faciliter  les  manifestations  patriotiques  pratiques  darts  tous 
les  coins  du  pays,  nous  nous  permettons  de  suggérer  certains  sujets  de  dis- 
cours qui  pourraient  se  développer  facilement  et  fournir  matière  à  réflexion 
efficace.  Nou^  ne  touchons  que  quelques  points  :  on  peut  amplifier  cer- 
taines parties  et  négliger  les  autres,  selon  les  besoins  locaux.  L'important, 
c'est  de  rendre  notre  peuple  conscient  de  ses  devoirs  et  de  la  part  qu'il  peut 
et  doit  accomplir  dans  la  défensive  générale. 

Si  l'on  veut  traiter  de  la  fierté,  de  la  grandeur  de  notre  race,  des 
beautés  de  notre  histoire,  de  la  colonisation,  etc.,  /'Action  française  a 
tout  un  arsenal  où  l'on  s'arme,  et  la  société  Saint-Jean-Baptiste  {Monu- 
ment National,  rue  Saint-Laurent,  Montréal),  envoie  moyennant  dix  sous 
l'édition  de  propagande  de  Vers  les  terres  neuves,  ofi  la  thèse  colonisatrice 
se  trouve  résumée,  prête  à  exposer  aux  cidtivateurs. 

Ces  plans  de  discours  n'ont  pas  de  prétentions  outrées,  qu'on  veuille 
le  croire  :  s'ils  peuvent  aider  à  faire  quelque  bien,  leur  but  sera  atteint. 

Yves. 

EXAMEN   DE   CONSCIENCE   NATIONAL,   OU   INVENTAIRE 
AVEC  ACTIF  ET  PASSIF 

Un  proverbe  dit  que  si  chacun  balaye  devant  sa  porte,  toute  la  rue 
sera  nette.  De  même,  si  chaque  Canadien  a  le  courage  d'examiner,  et 
de  corriger  ses  défauts;  puis  d'entreprendre  des  œuires  nationales,  toute  la 
race  ira  bien  et  marchera  vers  l'avenir. 

I — Partie  négative — Défauts  à  faire  disparaître — Défauts  person- 
nels ou  sociaux,  défauts  généraux  ou  particuliers  à  certaines  localités. 
Ne  pas  craindre  démettre  le  doigt  sur  la  plaie,  et  de  préciser.  Notons- 
en  quelques-ims  pour  doimer  une  idée  : 

Corrigeons  donc  tous  notre  langage.  Nous  aimons  notre  langue, 
nous  le  crions  partout,  et  nous  la  martyrisons,  hélas  !  nous  la  bafouons 
dans  notre  manière  de  la  parler.  Quand  des  fanatiques  nous  accusent 
d'avoir  im  patois,  nous  bondissons,  et  pourtant.  . .  n'3'  a-t-il  pas  trop 
de  négligences  dans  notre  prononciation  ?     Nous  avons  bien  des  bouches 


278  l'action  française 

molles,  nous  avons  ceux  qui  prononcent  comme  au  XVIIe  siècle  moé, 
aouèr  (avoir),  père,  brcîs,  etc.  .  .  N'est-il  pas  traître  à  sa  langue  celui 
qui  dit  :  «  Quiens,  j'cré  bin  qu'y  a  faite  frette,  c'te  nuitte  !  »  Horreur  ! 
Je  sais  bien  que  partout  le  bon  peuple,  anglais,  français,  italien  ou  autre, 
se  permet  de  ces  fautes,  mais  nous,  nous  n'avons  pas  le  droit  de  torturer 
ainsi  notre  langue,  si  attaquée,  si  isolée .  . .  Défendons-la  en  public, 
dans  nos  revendications,  et  dans  notre  particulier,  en  la  parlant  bien. 

Ne  la  faisons  jamais  servir  à  proférer  des  grossièretés,  des  canaille- 
ries,  des  jiu-ements .  . .  Cette  belle  langue,  divinisée  à  l'usage  de 
l'Eglise  et  des  missionnaires,  ne  la  laissons  pas  profaner  dans  des  dis- 
cours honteux  ou  blasphématoires.  Lavons-nous  de  l'accusation  d'être 
une  «  race  de  sacreurs  »...  Dernièrement,  dans  une  manifestation 
populaire  au  Sacré-Cœur,  le  prêtre  faisait  dire  à  la  foule,  devant  le 
Très-Saint-Sacrement  :  «  Seigneur,  bénissez  la  langue  fraiiçaise  ». 
Quel  beau  geste  !  Restons  à  cette  hauteur  :  parlons  dignement  une 
langue  hénie. 

Evitons  les  critiques  indignes,  les  attitudes  de  coqs  de  village,  qm 
s'opposent  à  toutes  les  mesures  progressives  du  curé  ou  du  con.seil 
municipal.  Gardons-nous  d'un  sans-gêne  exagéré  en  public,  en  voyage, 
en  chemin  de  fer,  dans  les  villes  mixtes .  . .  Qu'il  est  triste  parfois  de 
voir  le  débraillé  des  rares  individus  qui  parlent  français  sur  un  train, 
un  bateau,  etc.  Grâce  aux  campagnes  anti-alcoohques  du  moins,  les 
spectacles  d'ivrognerie  disparaîtront .  . .  Ces  défauts  de  tenue  ne  nous 
sont  certes  pas  particuliers,  mais  nous  devons  nous  en  guérir  pour 
l'honneur  de  la  politesse  française.  Soyons  partout  des  gentilshommes. 
Que  d'autres  points  à  signaler  ! 

II — Partie  positive  — Œuvres  à  étabhr  — Elles  sont  légion.  Chacim 
peut  les  découvrir  dans  les  besoins  locaux.  A  la  cami^agne,  gardons  nos 
gars,  retenons,  faisons  revenir  les  déserteurs.  Enseignons  comment 
trouver  des  fermes  pour  tous.  Certaines  villes  instituent  des  fêtes  du 
Retour,  et  les  annoncent  siu-tout  dans  les  journaux  franco-américains. 
Un  mouvement  s'accentue  vers  nous,  aiLx  États-Unis,  profitons-en. 
Francisons  les  noms  de  rues  et  de  plusieurs  paroisses  des  Cantons  de 
l'Est,  et  d'ailleurs.  Prenons  notre  part  des  immigrants  qui  s'établis- 
sent dans  Québec  :  enseignons-leur  le  français.  Améliorons  nos  écoles  : 
fondons  des  bibliothèques  scolaires  où  les  enfants  apprennent  à  lire 
les  pul)lications  qui  les  aident  plus  tard,  et  les  ouvrages  du  terroir. 
Fondons  des  bourses  pour  les  enfants  pauvres  de  la  paroisse,  qui  se 
sentiraient  une  vocation  :  les  Acadiens  ont   une   cinquantaine  de  ces 


l' ACTION    FRANÇAISE  279 

bourses.  Embellissoos  nos  fermes,  nos  rues,  nos  parcs,  nos  routes, 
tout,  pour  que  nos  jeunes  s'j^  attachent  et  que  les  étrangers  nous 
respectent. 

POUR  SURVIVRE 

La  proportion  française  diminue  toujours  au  Canada,  et  c'est  notre 
faute  :  nous  ne  sommes  plus  que  25%  de  la  population,  et  nous  conti- 
nuons à  déserter  aux  Etats-Unis.  Pour  survi\Te  il  nous  faut  le  nombre, 
le  territoire  et  la  qualiié. 

I — NoiinS  obtiendrons  le  nombre — an  gardant  en  vie  les  enfants  qui 
naissent,  grâce  à  l'hygiène,  aux  gouttes  de  lait,  pouponnières,  etc; 

b)  En  établissant  nos  familles  chez  nous ...  A  quoi  sert-il, 
du  point  de  vue  de  notre  accrois.sement  numérique,  d'élever  des 
dix  ou  douze  enfants,  si  nous  les  donnons  tout  élevés  à  l'étranger  ? 
Nous  avons  perdu  deux  millions  de  compatriotes,  en  soixante  ans .  . . 
Les  immigrants  d'Europe  viennent  prendre  notre  sol  fertile  de  l'Ouest, 
de  l'Ontario,  même  de  Québec.  . .  4%  de  notre  province  seulement 
sont  habités.  ..  JXous  sommes  confinés  aux  bords  du  Saint-Laurent. 
Multiplions  nos  fermes  à  proportion  des  familles .  . . 

II — Emparons-nous  du  territoire — Nos  familles  rurales  se  doublent 
tous  les  vingt  ans  :  nous  de\Tions  doubler  aussi  l'étendue  de  nos 
terres  de  temps  à  autre.  .  .  Il  n'en  est  rien  :  nous  n'avons  pas  doublé 
depuis  1860  !  Nos  gars  désertent  pour  les  usines,  où  ils  sont  trop 
souvent  la  proie  des  meneurs  et  des  révoltés.  Au  lieu  de  les  laisser 
devenir  des  prolétaires,  des  non-propriétaires  et  des  agitatevus,  lançons- 
les  à  la  conquête  de  fermes  nouvelles  dans  nos  régions  de  colonisation. 
Les  victoires  sont  nobles  et  faciles  contre  la  forêt.  Quand  on  voit  les 
peuples  d'Europe  s'égorger  pour  des  territoires  grands  comme  une  couple 
de  nos  comtés,  ne  de^Tait-on  pas  comprendre  l'importance  de  s'emparer 
du  sol  ?  Des  millions  d'acres  fertiles  au  nord  de  Québec,  d'Ontario  et 
au  INIanitoba  ont  été  explorés  par  nos  décou\Teurs.  L'auteur  du 
Clash  admet  que. nous  .sommes  partout  chez  nous.  Conquérons  donc 
cela  à  notre  foi  et  à  notre  langue.  Nous  sommes  le  quart  de  la  popula- 
tion canadienne  :  occupons- nous  le  quart  du  territoire  ?  Non,  loin  de  là! 
et  c'est  notre  faute  !  —  Que  les  futm-es  cartes  du  Canada  contiennent 
des  milhers  de  nos  paroisses,  là  où  rien  ne  se  lit  encore. 

III — Gardons  notre  qualité — Nous  sommes  de  la  vieille  race  agricole 
des  Vendéens  et  des  Normands.  Que  nos  fils  de  cultivatem-s  aient  donc 
tous  la  chance  de  se  prociuer  des  terres.  La  campagne  est  notre 
château-fort  :  conservons-la,  étendons-la.     EUe  nous  a  sauvés  après 


280  l'action  française 

1760.  Elle  donne  les  familles  fortes,  nombreuses,  imies,  de  foi  simple 
et  de  travail  consciencieux.  Oh  !  les  l^eau-x  hommes  que  nous  ont  volés 
les  manufactm'es  américaines  !.  .  .  La  physionomie  pure  de  notre  race 
se  retrouve  sur  les  fermes.  Là  sont  les  héritiers  du  bon  esprit  de  la 
vieille  France,  —  qu'admirent  leè  Européens  en  visite.  Ils  résistent  à 
l'américanisation;  ne  leiir  montrons  pas  trop  d'anglais:  cela  les  pousse 
encore  plus  à  déserter  le  sol.  Plusieurs  de  nos  citadins  sont  de  purs 
«  Amcricains  parlant  français  :  »  nos  ruraux  sont  canadiens-français 
jusqu'à  la  moelle.  Multiplions  ces  groupes  si  précieux,  si  forts.  Déve- 
loppons la  coopération  dans  les  vieilles  paroisses;  prêchons  la  colonisa- 
tion; demandons  au  gouvernement  des  réserves  prêtes  à  concéder,  des 
chemins  de  pénétration,  des  embranchements,  des  aides  de  toutes  sortes, 
afin  que  nos  campagnes  reprennent  le  dessus,  et  que  les  désertions  ces- 
sent.    11  y  va  de  la  survivance  de  notre  race. 

VERS  LA  SUPÉRIORITÉ 

1  —  Introduction:  A  l'heure  actuelle,  le  patriotisme,  poiu-  nous, 
consiste  à  nous  perfectionner.  Perfectionnement  sur  toute  la  ligne  : 
comme  individus  et  comme  citoyens;  dans  le  domaine  économique, 
intellectuel  et  moral.  Nous  devons  tendre  à  faire  de  nous  le  groupe  le 
plus  accompli  de  l'.lmérique  du  Nord.  Des  Anglais  qui  nous  connai.s- 
sent  commencent  à  appeler  notre  province  «  la  plus  progressive  des 
provinces  du  Canada  »  :  méritons  cet  éloge  pour  notre  race  elle-même. 
Nous  devons  nous  perfectionner  dans  l'agriculture,  l'industrie,  le 
commerce,  les  carrières  libérales,  les  beau.K-arts,  etc. 

Ce  que  nous  devons  désirer,  cependant,  ce  n'est  pas  de  copier  des 
modèles  étrangers;  restons  nous-mêmes  et  développons  nos  qualités 
natives.  Nos  modèles,  ce  n'est  pas  à  côté  de  nous  que  nous  devons  les 
chercher  :  c'est  chez  nous,  dans  notre  histoire. 

II — A^os  caractéristiques  :  L'amour  du  sol  et  de  la  famille:  l'esprit 
de  corps  qui  fait  que  nous  nous  recherchons  et  que  nous  aimons  à  nous 
grouper;  le  culte  des  vieux  souvenirs;  l'ambition  de  vivre  en  paix  parmi 
les  siens  et  d'étal:)lir  autour  de  soi  la  génération  qui  continuera  l'œuvre 
commencée;  l'attachement  aux  traditions,  à  la  langue,  à  la  religion;  le 
souci  des  choses  de  l'esprit;  voilà  les  dispositions  innées  que  nous  avons 
reçues  de  nos  ancêtres  et  que  nous  devons  cultiver.  Par  de  meilleur 
moyen  d'assurer  notre  avenir  dans  l'ordre  et  la  stabilité.  Les  meilleurs 
de  nos  ancêtres  ont  été  des  défricheurs,  des  constructeurs  méthodiques, 
non  des  spéculateiu-s  fiévreux  ou  des  brasseurs  d'argent. 


l'action  française  281 

III — Motjen  d'ascension  :  VÉducation  —  Tous,  ouvriers,  agricul- 
teiu-s,  hommes  d'affaires  ou  de  profession,  tous  ont  besoin  d'vme  ins- 
truction de  plus  en  plus  soignée,  s'ils  veulent  monter  plus  haut.  Ins- 
truction de  l'école  d'abord;  instruction  par  soi-même  ensuite;  instruc- 
tion poiu-suivie  sans  cesse  par  l'étude  personnelle  et  la  lecture  des 
ouvrages  relatifs  à  sa  profession.  C'est  le  moyen  de  ne  pas  retomber  au 
rang  des  illettrés,  de  devenir  des  ouvriers  habiles,  des  agriculteurs  pro- 
gres.sifs,  de.s  compétences  dans  sa  branche.  Sachons  estimer  l'éducation 
à  sa  valeur.     De  cette  estime  on  tirera  trois  con.séquences  : 

1  °  On  sera  plus  porté  soi-même  vers  l'étude  et  la  culture  de  l'in- 
telligence. Il  y  a  toujours  quelque  chose  à  apprendre.  Moyen  de 
relever  le  niveau  général,  d'être  plus  poK,  plus  affiné.  Le  livre  vaut 
mieux  que  les  conversations  de  club,  ou  le  spectacle  des  sports  brutaux, 
pour  polir  une  race. 

2°  On  portera  plus  d'intérêt  à  l'éducation  des  enfants.  Les 
parents  doivent  veiller  à  l'assiduité  de  leius  enfants  à  l'école.  Rien  de 
fatal  au  progrès  des  élèves  comme  le  manque  d'assiduité.  Les  parents 
doivent,  de  plas,  s'intéresser  au  progrès  de  leurs  enfants,  les  encourager, 
les  stimuler,  soutenir  l'autorité  des  maîtres.  Enfin,  ils  doivent  les  main- 
tenir à  l'école  aussi  longtemps  que  le  permettent  leurs  moyens,  fût-ce 
au  prix  de  sacrifices  considéraljles. 

3°  On  comprendra  que  les  personnes  qui  se  consacrent  à  l'enseigne" 
ment  méritent,  outre  notre  s\^mpathie,  un  salaire  plus  élevé  que  celu^ 
de  n'importe  quelle  classe  de  travailleurs.  Nous  de^Tions  rougir  de 
payer  plus  cher  l'ouvrier  qui  travaille  la  pierre  fait  des  meubles  ou 
pétrit  le  jjain,  que  celui  qui  pétrit  les  cerveaux  et  forme  la  mentalité  de 
nos  enfants.  Qui  d'entre  vovis  voudrait  changer  de  salaires  et  de  métier 
avec  l'instituteur  ?  C'est  une  honte  que  nous  ayons  si  maigrement  payé 
l'enseignement  jusqu'ici.  Comme  tout  le  reste,  l'éducation  vaut  ce 
qu'elle  coûte.  "  Mettons-y  le  prix  et  la  sollicitude  qu'elle  mérite,  et  nous 
ferons  un  bon  placement.  D'ailleurs,  ce  ne  sont  pas  seulement  les 
écoles,  ce  sont  aussi  nos  collèges  et  nos  universités  qui  souffrent  du 
manque  d'argent.  Nous  avons,  proportionnellement  à  notre  nombre,  mi 
système  d'éducation  merveilleux.  Mais  jusqu'ici  c'est  le  dévouement 
qui  en  a  fait  les  principaux  frais,  et  nous  nous  sommes  trop  facilement 
contentés  d'exploiter  le  sacrifice  des  autres.  Rappelons-nous  ce  que 
dépensent  les  protestants  pour  l'éducation.     Imitons-les  en  cela. 

Enfin,  appliquons-nous  à  tirer  meilleur  parti  de  l'enseignement  mis 
à    notre    disposition,    enseignement    primaire    ou    classique,    agricole, 


282  l'action  française 

technique  ou  supérieiu*;  classes  du  soir  ou  cours  de  vacances,  conférences 
agricoles  et  autres,  profitons  de  tout.  Ayons  le  goût  de  la  lecture, 
fondons  des  bibliothèques  scolaires  et  paroissiales,  utihsons  celles  qui 
existent .  . . 

J'ajoute  un  dernier  mot  :  ayons  une  idée  juste  de  ce  que  doit  pro- 
curer l'éducation.  Une  fausse  conception  de  l'enseignement,  à  l'heure 
actuelle,  pourrait  nous  être  fatale.  Le  triomphe  de  l'école  ou  du  col- 
lège, ce  n'est  pas  de  bien  enseigner  l'anglais  ou  la  tenue  des  livres,  ce 
n'est  pas  "de  faire  à  nos  jeunes  gens  une  mentalité  américaine.  C'est  de 
former  de  bons  Canadiens,  sachant  parfaitement  lem-  langue  maternelle, 
sachant  assez  l'autre  langue  pour  se  faire  comprendre  de  leurs  conci- 
toj^ens,  mais  restant  dans  la  tradition  de  leurs  aînés;  semblables  à  leurs 
pères,  plus  parfaits  cependant,  visant  plus  haut,  mais  les  estimant  tou- 
jours et  ne  les  reniant  jamais.  Avec  cet  idéal  en  vue,  allons  sans  crainte. 
Si  nous  nous  décidons  à  nous  perfectionner  ainsi,  rious  ne  serons  pas  un 
peuple  inférieur  et  notre  avenir  est  assuré. 

DISCOURS    PATRIOTIQUE    DE    M.    LE    DOCTEUR 

I.  Je  serai  bref,  car  je  parle  contre  mes  intérêts.  • 
II.  Je  vous  suggère  un  moj^en  d'éviter  les  maladies:  c'est  l'hygiène. 

III.  Dans  les  villes,  les  santés  s'affaiblissent,  la  race  dépérit  d'une 
façon  alarmante.  Maladies  plus  fréquentes,  complications  dangereuses, 
convalescences  longues  et  laborieuses.  .A  tout  prix  il  faut  enrayer  la 
tuberculose  et  la  mortalité  infantile.  L'enfant  meurt  sui'tout  parce 
que  la  mère  est  malade.  C'est  la  santé  générale  qu'il  faut  fortifier.  Il 
y  a  des  moyens  particuliers,  gouttes  de  lait,  traitements .  . . 

IV.  J'insiste  sur  un  moyen  qui  est  à  la  portée  de  tous,  le  traitement 
par  l'air  pur.  C'est  l'air  pur  qui  nous  manque  surtout.  Conditions 
déplorables  dans  les  usines  et  les  magasins;  logements  trop  étroits,  mal 
éclairés  et  mal  ventilés.  Un  logement  suffisant  pour  une  famille  anglaise 
de  trois  ou  quatre  personnes  ne  suffit  pas  pour  une  famille  canadienne  de 
dix  ou  douze.  Il  faut  compenser  le  plus  possible  par  la  marche  en  plein 
air  et  la  ventilation.  Or,  notre  éducation  n'est  pas  encore  faite  sur  ce 
point.  Nos  Itères,  qui  vivaient  à  la  campagne,  dans  des  maisons  de 
bois,  et  qui  cliauffaicnt  leurs  cheminées  avec  des  troncs  d'arbres,  n'a- 
vaient pas  besoin  d'ouvrir  leurs  fenêtres.  Le  soleil  les  rejoignait 
toujours,  dans  leurs  soHtudes.     Mais  nous  ? .  . . 


l'action  française  283 

Et  puis,  on  quitte  l'usine  pour  le  tramway,  le  tramway  pour  le  logis' 
et  le  logis  pour  le  théâtre.  C'est  aller  de  mal  en  pis.  On  ne  marche 
plus  dehors.  Aussi,  les  poumons  sont  faibles,  le  sang  est  pauvre,  le 
rhume  est  continuel.  Ou  s'habille,  ou  plutôt  on  ne  s'habille  plus.  Des 
bas  tout  en  trous,  des  semelles  en  papier,  les  épaules  et  la  poitrine  nues. 
Qui  pourrait  résister  à  un  pareil  régime  ?  Et  c'est  ainsi  que  se  forment 
les  mères  de  demain!  Mes  chers  amis,  l'avenir  est  beau  pour  les  méde- 
cins ! 

V  Péroraison  :  Mes  amis,  vous  faites  bien  des  choses  de  travers, 
corrigez-vous.  Faites  courir  les  enfants  dehors.  Amenez-les  à  la 
montagne,  au  bord  du  fleuve,  dans  la  banlieue.  Notre  campagne  est 
si  jolie  !  Pour  cinq  sous  le  tramway  vous  y  conduit,  pour  cinq  sous  il 
vous  ramène...  Chez  voas,  ou\Tez  les  fenêtres,  écartez  les  rideaux, 
enlevez  les  tapis  qui  sont  des  nids  à  microVies.  Faites  entrer  l'air  et 
le  soleil  dans  vos  maisons,  vous  en  chasserez  le  médecin.  C'est  ce  que 
je  souhaite  de  tout  mon  cœur. 


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PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LE  DISCOURS  DE  M.  L'ABBÉ  GROULX  AU  LOXG-SAULT 


Voici  le  texte  du  discours  prononcé  au  Long-Sault,  à  l'occasion 
du  dévoilement  du  monument  DoUard,  le  2-1  mai  dernier,  par  M.  l'abbé 
GrouLx,  délégué  du  comité  directeur  de  V Action  française  : 

Mesdames,  Messieiu"s, 

Depuis  quelques  heures  que  nous  sommes  ici  nous  éprouvons  tous 
ensemble  la  vertu  particulière,  excitatrice  et  magique  de  ce  coin  de  terre 
du  Long-Sault.  Des  émanations  d'héroïsrne  s'échappent  du  sol,  flottent 
dans  l'atmosphère;  des  fantômes  de  beaux  chevaliers,  au  AÔsage  clair, 
à  l'épée  triomphante,  passent  devant  nos  j'eux,  et  noias  avons  la  certi- 
tude de  communier  à  une  humanité  supérieiu-e,  plus  grande  que  nature. 
Et  nous,  de  race  française,  noas  avons  le  bonheiu"  de  nous  retrouver 
après  presque  trois  siècles,  parlant  la  même  langue,  gardant  la  même 
âme,  continuant  la  même  histoire,  dans  la  fraternité  de  ces  héros. 

J'ai  cherché,  moi  aussi,  quelle  réunion  de  rares  vertus  avait  déter- 
miné le  fait  d'annes  du  Long-Sault.  Aujourd'hui,  avec  vous,  j'essaie 
d'anahser  l'arôme  spirituel  qui  monte  de  ce  sol  sacré,  et  je  sens  qu'il 
faut  regarder  plus  haut  que  la  terre  et  plus  haut  que  les  hommes.  Si 
nous  avons  eu  DoUard  et  ses  compagnons;  si  un  jour,  dans  notre  pre- 
mière histoire,  s'est  insérée  cette  page  de  beauté  unique,  c'est  qu'une 
belle  nature  française  s'est  rencontrée  avec  tous  les  enthousiasmes  de  la 
foi.  Ces  jevmes  gens  de  notre  race  sont  montés  jusqu'à  une  telle  gran- 
deur parce  que,  croyants,  ils  avaient  donné  rendez-vous  dans  leur  âme 
aux  vertus  surhumaines;  parce  qu'au  commenrcment  et  jusqu'à  la  fin 
de  leur  sacrifice,  ils  avaient  rencontré  l'appui  de  Dieu. 

Ils  étaient  jeimes;  ils  avaient  autoiu-  d'eux  des  mères,  des  sœurs j 
des  fiancées;  l'un  d'eux,  ce  Biaise  Juillet,  avait  femme  et  quatre  enfants. 
Ils  avaient  pas-^ié  les  mers  pom-  venir  se  créer  ici  im  établissement,  ils 
avaient  commencé  de  se  faire  de  la  terre  et  ils  s'y  sentaient  fortement 
attachés;  ils  Jetaient  l'élite  d'une  colonie  qui  n'avait  qu'ime  poignée 
d'hommes;  ils  étaient  les  futurs  chefs  de  famille,  les  fondateurs  d'une 


l'action  française  285 

race  qui  avaient  toutes  les  raisons  de  se  montrer  économe  de  son  sang; 
ils  vivaient  à  une  époque  de  terreur  où  chacun  se  terrait  dans  sa  maison, 
oîi  un  grand  nombre,  découragés,  s'apprêtaient  à  quitter  le  pays. 

Mais  ils  étaient  aussi  de  Villemarie, — Villemarie,  fondation  de  héros 
et  de  saints,  miniatiu^e  de  la  primitive  Église  dans  les  forêts  du  Nouveau- 
Monde;  Villemarie  qui  a  voulu  se  constituer  aux  portes  de  la  barbarie 
la  marche  de  l'Ouest,  le  rempart  suprême  de  la  Nouvelle-France;  Ville- 
marie où  travaillent  et  prient  ensemble  des  hommes  et  des  femmes  qui 
s'appellent  Maisonneuve,  Lambert  Closse,  Jeanne  IMance,  Marguerite 
Bourgeoys;  Villemarie,  école  de  chevalerie  où  l'on  bâtit  la  cité  avec  la 
truelle  et  l'épée,  où  l'on  prie  autant  que  l'on  travaille  et  que  l'on  se  bat, 
où  tous  les  hommes  vaUdes  sont  mihciens  de  la  Sainte  Vierge  et  vivent 
dans  la  familiarité  de  la  mort  et  de  l'héroïsme.  DoUard  et  les  seize  ont 
vécu  une  partie  de  leiu"-  jeimesse  dans  cette  atmosphère  de  chevalerie 
chrétienne  où  les  pliLS  grands  étaient  ccilx  qui  avaient  le  plus  de  foi,  et 
quand  ailleurs  l'on  tremblait,  que  terrifié  l'on  attendait  chez  soi  l'inva- 
sion ou  que  l'on  fuyait  devant  le  barbare,  dix-sept  petits  Montréalistes 
se  levèrent,  baisèrent  au  front  la  Nouvelle-France,  tendirent  leur  gant 
au  Dieu  de  nos  martjTS,  et,  un  jour  d'avril  1660,  décidaient  de  venir  ici, 
sur  le  passage  même  des  bandes  iroquoises,  accepter  l'immortelle  tran- 
chée. 

Ils  ont  eu  besoin  de  leur  foi  pour  concevoir  l'idée  de  leur  sacrifice. 
C'est  à  leur  foi  qu'ils  vont  aussi  demander  la  force  de  l'accompUr.  Au- 
tour d'eux  on  leur  disait,  même  en  ce  temps-là,  qu'ils  n'étaient  point 
le  nombre  et  qu'ils  seraient  écrasés;  on  leur  disait  d'attendre,  que  ce 
n'était  pas  l'heure,  qu'ils  étaient  des  téméraires,  qu'ils  iraient  compro- 
mettre leur  cause  et  vainement  sacrifier  leur  vie.  Autour  d'eux,  il  y 
avait  des  larmes  étouffées,  des  sanglots  qui  leur  prenaient  le  cœur,  des 
étreintes  qui  voulaient  les  retenir  et  qm  les  enchaînaient.  Un  moment 
toutes  ces  larmes  et  tous  ces  conseils  de  prudence  et  de  faiblesse  mena- 
cent de  l'emporter.  Un  de  leurs  camarades  se  désiste  de  sa  promesse 
et  la  fermeté  du  petit  groupe  menace  de  se  dissoudre.  C'est  alors  que 
les  autres  s'accrochent  au  soutien  suprême.  Dans  mie  pensée  de  sublime 
désintéressement  quelques-uns  font  leur  testament  et  se  dépouillent 
de  leurs  biens.  Malgré  tout  ce  qui  les  retient,  un  matin,  les  chevaUers 
se  retrouvent  tous  les  dix-sept  dans  la  petite  chapelle  de  l'Hôtel-Dieu. 
Là,  ils  se  confessent  et  ils  communient.  Et  quand  ils  se  relèvent,  plus 
forts  que  toutes  les  pusillanimités,  convaincus  que  le  nombre  n'écrase 
pas  des  âmes,  que  la  mort,  pour  sauver  une  cause,  vaut  mieux  quelque- 


286  l'action  française 

fois  que  la  vie,  en  présence  des  autels,  à  l'appel  du  prêtre  et  de  leur  chef 
Dollard,  ceux  qui  vont  partir  lèvent  la  main  et,  par  un  serment  solennel, 
s'engagent  à  ne  demander  et  à  n'accepter  aucun  quartier,  mais  à  com- 
battre jusqu'au  dernier  souffle  de  leur  poitrine. 

Les  voici  maintenant  dans  leur  tranchée  du  Long-Sault.     Autour 
d'eux,  autour  de  leiu-  fragile  rempart  de  palissade,  l'enfer  s'est  déchaîné. 
Huit  cents  barbares  les  assaillent  jour  et  nuit  de  coups  de  feu  et  de  cla- 
meurs sauvages.     Dans  leur  fortin  de  pieux,  étroitement  serres,  les  pau- 
vres assiégés  souffrent  de  la  faim  et  de  la  soif.     Ils  passent  aussi  par  les 
tentations  de  la  peur.     Quand  l'ouragan  des  cris  s'est  élevé  plus  fort 
après  l'arrivée  des  Iroquois  du  Richelieu,  les  Hurons  terrorisés  ont  sauté 
la  palissade  et  seul  est  resté  celui-là  qui  avait  donné  sa  parole  aux  Fran- 
çais.    Les  assiégés  éprouvent  aussi  les  tentations  du  cœur  et  du  sang 
pendant  ces  huit  longs  jours  et  ces  huit  longues  jiuits  de  martyre  où  leur 
re\'ient  le  paj'sage  de  Villemarie,  le  souvenir  des  choses  qu'ils  ont  aimées, 
la  figure  de  leiu's  mères,  de  leurs  fiancées  qu'Ll^  ont  laissées  et  qui,  là-bas 
par  delà  la  montagne,  les  rappellent  et  leur  tendent  les  bras.     Main- 
tenant qu'ils  ont  perdu  tout  espoir  de  vaincre,  qu'ils  peuvent  tout  au 
plus  retarder  leur  mort  et  leur  défaite  de  quelques  heures,  ils  se  deman- 
dent avec  angoisse,  eux  aussi,  s'ils  n'ont  pas  follement  sacrifié  lem-  jeu- 
nesse et  leur  bonheiu-,  s'ils  n'auront  pas  vainement  décimé  Villemarie 
et  la  Nouvelle-France;  ils  se  demandent  si  l'oubli  après  la  mort  ne  pla- 
nera pas  éternellement  sur  le  coteau  funèbre  du  Long-Sault.     Ah  !  dans 
leur  détresse,  quand  cet  ennemi  plus  terrible  que  le  barbare  a  franchi 
la  paUssade  et  \nent  faire  trembler  leur  cœur,  où  donc  nos  martyrs  ont-ils 
trouvé  la  force  de  rester,  de  tenir  jusqu'au  bout  ?     A  cette  heure  su- 
prême où  les  forces  humaines  d'ici-bas  sont  trop  peu  de  chose  pour  tenir 
l'homme  debout,  face  à  la  bataille,  les  dix-sept  compagnons  appelaient 
à  leur  aide  la  force  qui  ne  fléchit  pas.     Contre  la  peur,  le  doute  angois- 
sant, les  appels  de  la  chair  et  du  sang  unis  à  la  tempête  du  dehors,  entre 
deux  assauts,  les  enfants  de  Villemarie  avaient  rccoius  à  la  force  qui  ne 
fléchit  pas;  ils  prenaient  leur  cœur  à  deux  mains,  ils  tombaient  à  genoux, 
appuyés  sur  leurs  fusils,  leurs  yeux  imploraient  le  ciel,  et  leurs  doigts 
de  combattants  brûlés  par  la  poudre  remuaient  les  grains  d'un  chapelet. 
Ils  priaient  comme  prient  les  martyrs;  ils  prièrent  ainsi  tant  qu'ils  furent 
quelques-uns.     Et  quand  vint  le  suprême  assaut,  ils  se  relevèrent  pour 
combattre  jusqu'au  bout,  pour  combattre  dos  deux  mains,  à  coups  d'ar- 
quebuse, à  coups  de  pistolet  et  à  coups  d'épée;  jusqu'au  bout,  les  che- 


l'action  française  287 

valiers  qui  avaient  prié  gardèrent  leur  serment  de  ne  pas  demander  quar- 
tier, et  ils  tombèrent  le  visage  haut,  face  à  l'ennemi,  agitant  au  bout 
de  leur  poignet  la  croix  delem-  épée. 

Mesdames,  Messieurs,  nous  qui  sommes  venus  ici  chercher  ime 
•  inspiration  et  peut-être  un  mot  d'ordre,  nous  savons  maintenant  à  quel- 
les conditions,  puisque  l'histoire  recommence,  puisque  la  barbarie  est 
à  nos  portes,  puisque  l'âme  de  la  Nouvelle-France  est  toujoiu-s  assaillie, 
nous  savons  à  quelles  conditions  de  pareils  sacrifices,  de  pareils  gestes 
sauveurs  resteront  possibles.  L'héroïsme  français  n'est  d'aucun  métier 
ni  d'aucune  profession.  Parmi  les  jeunes  hommes  qui  sont  venus  tom- 
ber ici,  dans  une  attitude  de  martyrs,  il  y  a  deux  cent  soixante  ans,  pres- 
que tous  étaient  des  humbles  et  des  obscm'S,  de  pauvres  petits  artisans , 
de  petits  ouvriers  de  France  qui  n'avaient  que  leurs  bras  et  leur  cœur. 
S'ils  ont  été  si  grands,  c'est  que  de  leur  race  ils  ont  élevé,  jusqu'au  plus 
haut  point,  les  meilleures  vertus,  les  plus  parfaites  hérédités,  le  courage 
ardent,  le  don  absolu  de  soi-même,  dans  une  pensée  de  foi  sublime.  Fai- 
sons que  chez  nous  siu-vivent  les  meilleurs  éléments  de  l'humanité;  dé- 
fendons, gardons  intacte  notre  âme  latine  et  chrétienne;  vous  surtout, 
jeunes  gens,  qui  êtes  re.sponsables  de  l'avenir.  Un  jour,  si  c'est  néces- 
saire, si  les  heures  tragiques  surviennent,  dans  l'atmosphère  morale  du 
pays,  maintenue  ardente  et  purifiante,  des  âmes  plus  grandes  surgiront, 
des  hommes  s'élèveront,  incarnations  de  toutes  les  volontés,  de  toutes 
les  aspirations  de  la  race;  ime  fois  de  plus  ce  sera  la  rencontre  d'une  belle 
nature  française  et  de  tous  les  enthousiasmes  de  la  foi,  et  dans  l'histoire 
de  la  Nouvelle-France  apparaîtra  la  deuxième  légion  Dollard. 

La  même  alhance  de  la  foi  et  de  l'âme  française  perpétuera  chez 
nous  les  dévouements  dont  nous  avons  besoin  non  pas  une  seide  fois, 
mais  souvent,  mais  tous  les  jours,  non  pas  seulement  aux  heures  tragi- 
ques, mais  à  chaque  instant  de  notre  vie  nationale  toujours  menacée. 
Elle  seule,  cette  alliance,  ne  nous  le  cachons  pas,  élève  les  âmes  assez 
haut  pour  qu'elles  s'égalent  au  sacrifice  et  pour  qu'elles  aillent  jusqu'au 
bout. 

Ici,  près  du  champ  clos  où  se  sont  immolés  les  chcvahers,  je  puis 
en  appeler  à  leur  exemple.  Mais  j'en  appelle  aussi  à  toute  notre  his- 
toire.    Si,  depuis  trois  siècles,  nous  nous  sommes  entêtés  à  ne  pas  mourir. 


288  l'action  française 

si  nous  gardons  tous  les  bienfaits  de  la  culture  française,  si  ceux  qu'on 
opprime  parmi  nos  frères,  voient  encore  des  secours  venir  vers  eux  ;  si  la 
Nouvelle-France  est  restée  vme  réalité  vivante;  si  notre  foi  écarte  de 
chez  nous  le  grand  conflit  social;  si  nos  poitrines  se  dilatent  dans  une 
atmosphère  respirable;  si  les  égoïstes  et  les  démissionnaires  eux-mêmes 
peuvent  poursui\Te  en  paix  leurs  rêves  de  sensualistes  et  de  fainéants, 
à  qui  le  doivent-ils,  à  qui  le  devons-nous,  si  ce  n'est  toujoiu^s,  aujoiu- 
d'hui  comme  hier  et  demain  comme  aujourd'hui,  à  cette  petite  minorité 
de  fous  et  d'idéahstes,  de  combatifs  et  de  croj-ants  assez  forts  pour  avoir 
dompté  en  eux  tous  les  assauts  de  la  peur  et  des  intérêts,  assez  arriérés 
pour  croire  et  professer  qu'il  existe  quelque  chose  de  plus  haut  que  le 
portefeuille  personnel,  de  plus  haut  que  les  calculs  intéressés,  que  les 
frayeurs  des  pusillanimes  et  continuent,  malgré  les  ricanements  des  uns 
et  les  lâchetés  des  autres,  à  vivre,  à  s'user  et  quelquefois  à  mourir,  pour 
leur  pays,  pour  l'amour  du  prochain  et  pour  le  Christ. 


Comme  jadis  elle  a  gardé  serrés  les  uns  près  des  autres  les  compa- 
gnons du  Long-Sault,  comme  elle  les  a  liés  jusqu'à  la  fin  dans  le  serment 
de  la  mort,  gardons  la  foi  qui  nous  unit;  entre  nous  tous  défendons  le 
lien  que  le  temps  ne  brise  pas.  Et  gardons  aussi  la  langue  qui  nous  rehe 
à  cette  glorieuse  histoire. 

Un  soir  de  la  dernière  guerre,  dans  les  tranchées  allemandes  qui 
sillonnent  la  terre  de  Pologne,  tout  à  coup,  vm  chant  s'élève  la  nuit, 
plaintif  et  traînant,  du  côté  des  tranchées  russes;  les  Polonais  prêtent 
l'oreille;  ils  reconnaissent  leur  chère  prière  nationale  à  la  Vierge,  les  Peti- 
tes heures  de  l'Immaculée-Conception  :  «  Hâte-toi  de  nous  secourir, 
Vierge  clémente  ».  Les  Polonais  allemands  répondent  à  leurs  frères 
de  Poznam  qui  sont  là  enrégimentés  en  face  d'eux,  et  ainsi  par-dessus 
les  tranchées  ennemies,  par  le  lien  de  la  foi  et  de  la  langue,  se  renoue 
la  fratei:nité  polonaise.  De  même,  Mesdames,  Messieurs,  de  cette  tran- 
chée fermée  il  y  a  deux  siècles  et  demi,  monte  une  prière  qui  est  encore 
la  nôtre,  qui  s'élève  dans  la  même  langue,  avec  le  même  accent  Sa- 
chons l'entendre,  sachons  y  répondre;  sachons  entendre  aussi  la  prière 
chrétienne  et  française  qui  monte  des  marches  ontarienncs,  de  nos  mar- 
ches de  l'Ouest,  de  celles  d'Acadie,  de  celles  d'au-delà  de  la  frontière; 
par-dessus  les  tranchées  qui  nous  séparent,  renvoyons-nous  l'hymne 
de  la  foi  inviiuibk;  et  fraternelle  et  ((ue  se  maintienne  à  jamais  l'unité 
de  la  Nouvelle-France. 


l'Action  française 

JTTILLÈT  1919 


Les  précurseurs 

Mgr  L ANGEVIN 

**  Il  en  est  qui  pensent  qu'ils  n'est  pas 
opportun  de  résister  de  front  à  l'iniquité 
puissante  et  dominante,  de  peur  que  la 
lutte  n'exaspère  davantage  les  méchants. 

Léon  XIII, 
{Sapientiae  Christianae) 

«  Un  homme  vient  de  mourii-  qui  était  mi  homme;  un 
évêque  vient  de  mourir,  qui  était  un  évêque.  »  C'est  ainsi 
que  Léon  Gautier  annonçait  la  fin  de  Mgr  Freppel,  ce  vieux 
soldat  frappé  au  miheu  de  la  grande  bataille,  et  qui  confon- 
dait dans  un  même  amour  l'Église  et  la  Patrie.  Ces  paroles 
nous  reviennent  à  la  mémoire  au  moment  où  nous  tâchons 
de  revivre  les  heures  de  juin  1915,  quand  la  mort  terrassa 
Mgr  Louis-Philippe-Adélard  Langevin,  archevêque  de  Saint- 
Boniface.  Ce  militant  que  Son  Éminence  le  Cardinal 
Bégin  appela  alors  «  un  défenseur  de  la  foi  et  de  notre 
race,  ))  est  \Taiment  le  champion  qui  là-bas  protestait 
avec  énergie,  ciuand  on  insultait  Jésus-Christ  ou  l'Église, 
ou  qu'on  nous  contestait  l'un  ou  Tautre  de  nos  droits  si 
vaillamment  conquis  par  tout  le  pays. 

C'est  qu'au  jour  de  la  prise  de  possession  de  son  siège, 
Mgr  Langevin  entendait  la  grande  voix  de  ses  prédécesseurs 
lui  crier  de  conserver  le  dépôt  à  lui  confié  :  pure  doctrine 
de  Jésus-Christ  telle  qu'enseignée  par  la  Sainte  Église 
catholique;  droits  scolaires,  alors  comme  aujourd'hui,  si 
malheureusement  foulés  aux  pieds.  Lisez  ces  lignes  écrites 
avec  toute  la  spontanéité  de  son  âme  d'apôtre  et  de  lutteur  : 
«  Comme  hommes  libres,  comme  chrétiens  surtout,  nous 

Vol.  III  No  7 


290  l'action  française 

devons  maintenii-  les  droits  inaliénables  que  la  loi  natiu'elle 
confère  aux  pères  de  famille  poiu'  l'éducation  de  leurs 
enfants.  Au  nom  de  ces  droits  sacrés,  sauvegardés  par  les 
traités  les  plus  solennels,  les  promesses  royales  elles-mêmes, 
et  reconnus  parle  tribunal  de  l'Empire  britannique,  que 
dis-je?  par  Sa  Majesté  elle-même  en  conseil;  au  nom  de  la 
justice  et  de  l'équité,  et  pour  l'honneur  du  drapeau  britanni- 
que et  de  la  province  de  Manitoba,  Nous  ne  cesserons  de 
réclamer  nos  écoles  catholiques.  »  ^ 

D'aucuns  ont  sans  doute  trouvé  ciue  cette  âme  puis- 
sante réclamait  avec  trop  d'éclat.  Disons  tout  de  suite 
qu'il  nous  plaît  de  ranger  Mgr  Langevin  dans  la  catégorie 
des  grands  évêques  dont  saint  Grégohe  de  Nazianze,  leur 
contemporain,  a  dit  :  «  Quelque  doax  et  traitables  qu'on 
les  connaisse  d'ailleurs,  ils  ne  supportent  point  de  devenu- 
modérés  et  faciles,  quand  le  silence  et  le  repos  traliiraient  la 
cause  de  Dieu;  alors  ils  sont  ardents  à  la  lutte,  impétueux 
dans  le  combat  (car  ici  le  zèle  c'est  une  flamme),  et  ils  sacri- 
fieraient tout  plutôt  que  d'omettre  rien  du  devoir.  » 

Ces  paroles,  l'archevêque  de  Saint-Booiface  ne  les  a 
jamais  oubliées.  On  l'a  toujours  vu  plein  d'ardeur  pour 
la  cause  de  Dieu  et  la  caase  de  sa  patrie.  Il  n'a  point  cher- 
ché la  lutte,  il  ne  la  désirait  point,  car  si  l'évêque  lutte,  c'est 
que  l'Église  souffre,  que  les  droits  des  siens  sont  sacrifiés. 
Les  politiques  infatués  de  ce  qu'ils  appellent  l'esprit  de 
tolérance  permettent  bien  à  l'évêque  de  prier,  de  bénir,  de 
pardonner;  ils  supportent  même  chez  lui  l'apparence  de 
l'action  publique,  à  condition  qu'il  reste  dans  les  généralités 
reconnues  inoffensives.  Mais  veut-il  combattre  l'impiété 
de  manière  à  gêner  les  impies,  il  manque  de  mesure;  s'il 
précise  les  doctrines  de  l'ennemi,  s'il  le  nomme,  il  manque 

•  Mandement  de  prise  de  possession  de  Mgr  Langevin. 


l'action  française  291 

de  charité;  s'il  touche  aux  questions  rehgieuses  mêlées  aux 
questions  politiques,  il  manque  de  prudence.  Le  mot  est 
lancé.  Prudence  !  que  de  capitulations  l'on  fait  en  ton  nom  ! 
Ici  comme  ailleurs,  nous  sommes  plus  ou  moins  imbus  de 
libéralisme,  et  nous  aimons  trop  la  théorie  du  moindre  mal  : 
le  vrai  bien  en  souffre.  Nous  poussons  trop  loin  le  sj^stème 
de  la  tolérance  et  des  concessions;  on  oublie  que  l'opportu- 
nisme «  est  un  vice  contraire  à  la  prudence,  parce  qu'il  fait 
fi  de  la  vérité.  »  ^ 

Le  parti  des  transactions,  qui  aime  à  s'appeler  ie  parti 
de  la  conciliation,  essaie  d'affaiblir  la  vérité;  on  veut  que 
celle-ci  consente  à  respecter  l'erreur  et  la  spoliation  des 
droits  les  plus  chers  à  l'Église,  à  une  race  qui  ne  veut  pas 
mourir.  C'est  ainsi  qu'on  arrive  à  déplorer  les  maux  si 
bien  décrits  par  le  Père  Jan\'ier  :  «  Avouons-le  franche- 
ment, plus  d'une  fois,  nous  avons  manqué  de  décision,  et 
cette  faiblesse  a  été  le  principe  de  mécomptes  et  de  mal- 
heurs que  chacun  déplore  trop  tard.  Sans  doute  à  certaines 
heures,  la  tâche  du  pouvoir  est  difficile;  un  mot  maladroit, 
un  faux  pas,  un  geste  téméraire  risquent  de  compromettre 
l'avenir  et  la  fortune  d'un  peuple.  Je  conviens  de  tout  cela 
et  j'estime  que  nous  devons  être  indulgents  pour  ceux  qui 
ont  erré  par  excès  de  timidité.  Cependant,  je  suis  obligé 
de  rappeler  c^ue  l'on  n'est  point  capable  de  gouverner  si 
l'on  n'est  capalîle  de  résoudre,  au  moment  voulu,  les  pro- 
blèmes compliqués;  si,  par  crainte  des  oppositions,  des  cri- 
tiques, des  responsabilités,  on  recule  devant  les  actes  et  les 
bienfaisants  décrets  réclamés  par  l'intérêt  de  tous;  que  l'ex- 
cès de  prudence  n'est  plus  de  la  prudence.  »  ^ 

^  Exposition    de   la   inorale   catholique.     La   prudence    chrétienne^ 
carême  1917,  page  19,  Père  Janvier. 

^   Prudence,  Père  Janvier,  p.  126. 


292  l'action  française 

Mgr  Langevin  aimait  trop  l'Église  et  son  pays  pour 
n'être  pas  homme  de  combat.  Il  nt  garda  dans  auemie  lutte 
la  neuti-aiité.  Pouvait-il  être  neutre,  quand  les  intérêts  de 
la  religion  étaient  en  cause,  quand  on  voiuait  s'emparer  de 
l'âme  des  enfants,  de  ses  écoles,  quand  on  refusait  aux  siens 
le  droit  de  parler  la  langue  des  aïeux?  Pouvait-il,  sous 
prétexte  de  modération,  de  sagesse,  de  conciliation,  se  prêter 
à  des  compromis  de  nature  à  entamer  'es  droits  de  la  vérité 
et  le  droit  naturel  ? 

Le  compromis  offre  parfois  des  avantages  transitoires 
sur  les  questions  de  fait;  il  est  toujours  dangereux  au  point 
de  vue  des  principes.  Aussi  Mgr  Langevin  la-t-il  toujours 
repoussé.  Il  voulait  sauvegarder  avant  tout  la  pureté  des 
docti'ines  et  voyait  dans  la  netteté  des  opinions  la  plus  sûre 
des  tactiques. 

Êvêque,  il  s'engageait  à  être  le  vigilant  gardien  le  la 
vérité,  au  besoin  son  vengeur.  «Je  suis  évêque,  aurait-il 
pu  dire  avec  Mgr  Pie.  Je  suis  parmi  vous  le  consul  do 
la  Majesté  divine.  Si  le  nom  du  roi,  mon  maître,  est  outragé, 
si  le  drapeau  de  son  Fils,  Jésus,  nest  pas  respecté,si  les  droits 
de  son  Eglise  et  de  son  sacerdoce  sont  méconnus,  si  l'autorité 
de  sa  doctrine  est  menacée,  je  suis  évêque,  donc  je  par- 
lerai, j'élèverai  la  voix,  je  tiendrai  haut  et  ferme  l'étendard 
de  la  vérité,  l'étendard  de  la  vraie  liberté,  qui  n'est  autre 
que  l'étendard  de  la  foi,  l'étendard  de  mon  Dieu.  » 

Au  moins  à  trois  époques  solennelles  de  notre  histoire, 
l'archevêque  de  Saint-Boniface  se  leva  dans  toute  sa  fierté 
d'évêque  et  de  patriote  pour  défendre  les  écoles  catholiques. 
En  Amérique  comme  en  Europe,  les  regards  se  tournent  vers 
les  écoles  où  les  enfants  de  ténèbres  veulent 'supplanter  les 
fils  de;  lumière. 


l'action  française  293 

Je  n'ai  pas  à  refaire  ici  cette  histoire  lamentable  de 
la  spoliation  de  nos  dioits  scolaires  en  dehors  de  la  province 
de  Québec.   ElJc  serait  longue  et  inutile. 

Qu  il  nous  suffise  de  rappeler  que  sous  l'épiscopat  de 
]\Igr  Langevin  nous  avons  traversé  trois  crises  scolaires  : 
La  première  est  celle  du  Manitoba  commencée  en  1890,  et 
qui  s'est  terminée  par  le  fameux  règlement  Laurier-Green- 
way-Tarte  que  le  Pape  Léon  XIII  a  qualifié  de  «  loi  défec- 
tueuse, imparfaite,  insuffisante  ». 

La  seconde  s'est  développée  lors  de  la  constitution  des 
deux  nouvelles  provinces  de  l'Alberta  et  de  la  Saskatchewan, 
où  nous  avons  obtenu  dans  sa  forme  définitive  l'article  17 
qui  a  du  moins  sauvegardé  le  principe  du  droit  des  mino- 
rités aux  écoles  séparées  et  à  l'enseignement  confessionnel. 
La  troisième  enfin  naît  à  l'occasion  de  l'annexion  en  1912 
au  Manitoba  de  la  vaste  contrée  connue  sous  le  nom  de 
Keewatin,  qui  perdait  alors  ses  droits  garantis  par  la  clause 
scolaire  toujours  vivante,  «sortie  du  cerveau, de  la  pensée  et 
du  cœur  d'Edward  Blake,  et  votée  en  1875  avec  le  concours 
des  deux  partis  politiques,  afin  d'assurer  pour  toujours, 
disaient-ils,  le  droit  des  minorités  et  la  paix  sociale  dans 
toute  l'étendue  de  ces  territoires.  »  ^  Il  n'entre  pas  dans  le 
cadre  de  cet  article  de  résumer  les  débats  du  temps  et  de 
porter  un  jugement  définitif  sur  les  principaux  acteurs  de  ce 
grand  drame.  Mais  ce  qui  nous  incombe  c'est  de  montrer, 
planant  au-dessus  des  partis  politiques,  la  grande  figure  de 
Mgr  Langevin  qui  réclame  en  1896  comme  en  1905,  et  en 
1912  comme  en  1896  et  1905,  les  droits  des  parents  et  de 
l'Église  en  matière  éducationnelle.  Cette  indépendance 
courageuse  ne  fit  que  grandir  sa  popularité,  et  de  son  vivant 

1  Pour  la  justice.  — ■  Discours  prononcé  au  Monument  National, 
le  9  mars  1912,  par  M.  Henri  Bowassa. 


294  l'action  française 

même  la  légende  s'emparait  de  ses  actes  comme  il  arrive 
presque  toujom-s  pour  les  grands  hommes.  C'est  qu'il 
pouvait  dire  en  toute  sincérité  avec  Mgr  Pie  :  «  Un  seul 
parti  pourra  sauver  le  monde,  le  parti  de  Dieu.  Il  n'y  a  de 
salut  que  là.  AWjurer  nos  rêves  d'indépendance  à  l'égard 
de  l'être  souverain,  et  nous  soumettre  à  lui;  relever  parmi  les 
hommes  le  drapeau  du  prince  de  la  miUce  céleste,  avec  sa 
devise  :  «  Qui  est  comme  Dieu  ?  —  Quis  est  ut  Deus  f  »  La 
conciliation?  Eh  !  oui,  sans  doute,  mais  nous  avons  plus 
et  mi^ux  à  faire  que  de  rapprocher  les  hommes  entre  eux;  le 
grand  rapprochement  à  opérer,  c'est  de  réconcilier  la  terre 
avec  le  ciel.  Qu'on  ne  s'y  méprenne  pas  :  la  question  qui 
s'agite  et  qui  agite  le  monde  n'est  pas  de  l'homme  à  l'homme; 
elle  est  de  l'homme  à  Dieu.  .  .  N'espérons  point  par  de 
<3crètt  -  capitulations  ressaisir  ce  que  le  ciel  lui-même 
•  p^.se.  Le  règne  des  expédients  est  fini;  il  faut  que  le  règne 
des  prii  'ipes  commence.  » 


L'.iiiportant  et  le  difficile  dans  ce  monde,  c'est  de  voir 
assez  tut  l'œuvre  qu'on  doit  y  f  aire,de  s'y  consacrer  tout  entier, 
sans  esprit  de  retour.  Au  jom-  de  son  sacre,  Mgr  Langevin 
eut  le  bonheur  d'entrevoir  l'œuvre  à  accomplir  dans  les  vas- 
tes régions  de  l'Ouest.  C'est  ce  qui  donne  une  si  merveil- 
leuse fécondité  à  sa  carrière  épiscopale.  Les  âmes  de  ses 
diocésains,  il  les  voulait  pour  les  donner  à  Dieu;  et  il  prit 
les  moyens  les  plus  efficaces  pour  les  sauver.  L'un  de  ces 
moyens,  c'est  la  conservation  de  la  langue  nationale. 
L'archevêque  de  Saint-Boniface  faisait  écho  à  la  grande  voix 
de  la  tradition  de  l'Église  romaine  qu'il  aimait  avec  passion, 
quand  il  défendait  la  langue  des  siens  et  voulait  évangéliser 
les  nouveau-venus  dans   l'idiome  ancestral.      Partout    et 


l'action  française  295 

toujours  l'Église  s'est  faite  la  protectrice  des  langues 
nationales,  parce  qu'elle  reconnaît  que  le  droit  à  la  langue 
maternelle  est  l'un  des  di-oits  naturels  les  mieux  établis. 
Elle  se  rend  également  compte  que  l'usage  du  parler  des 
aïeux  est  l'un  des  éléments  les  plus  précieux  de  son  apostolat. 
Aussi  bien,  Mgr  Langevin  fut-il  au  premier  plan  quand  il 
s'est  agi  de  défendre  l'idiome  de  nos  pères.  Et  qui  oserait 
lui  en  faire  un  crime  ?  La  langue  française  pour  nous  est 
gardienne  de  la  foi.  «  Née  avec  la  France  chrétienne, 
grandie  et  perfectionnée  sous  l'aile  maternelle  de  l'Église, 
elle  s'est  plus  pénétrée  de  catholicisme,  de  cathohcisme 
pensé,  raisonné,  convaincu  et  convaincant  que  ses  sœurs 
latines,  que  tous  les  autres  dialectes  de  l'Europe,  »  ^  C'est 
cette  langue  mise  pendant  des  siècles  au  service  de  la  foi 
catholique  que  nous  avons  le  bonheur  de  parler  et  de  comp- 
ter comme  une  des  langues  officielles  dans  notre  confédéra- 
tion anglo-française.  C'est  dans  cette  langue  que  se  fait 
la  transmission  de  la  foi  au  foj'er  familial.  L'enseignement 
de  l'école,  l'enseignement  de  l'Éghse  continuent  celui  de  la 
mère  et  du  père  de  famille.  La  foi  devient  vie  et  lumière 
parce  qu'on  l'apprend  dans  l'idiome  coutumier,  qui  est  la 
langue  des  premières  prières  et  des  premiers  credo,  celle  qui 
a  construit  en  nous  l'édifice  des  connaissances,des  croyances, 
de  la  mentalité  intime. 

Avec  quelle  ardeur  Mgr  Langevin  luttait  pour  la  langue 
française  et  comme  il  se  serait  réjoui  des  paternels  encoura- 
gements du  vicaire  de  Jésus-Chiist  qui  veut  bien  que  nous 
réclamions  «  par  tous  les  moyens  légitimes  ...  les  interpré- 
tations et  même  les  mutations  »  qui  nous  paraissent  néces- 
saires pour  assurer  notre  droit  de  parler  et  d'entendre  notre 

*  Bibliothèque  de  i' Action  française.  —  La  Langue,  gardienne  de  la 
Foi,  par  M.  Henri  Bourassa. 


296  l'action  française 

langue  à  l'égiise,  à  l'école,  partout.  Toutefois,  la  foi 
ardente  et  le  zèle  apostolique  de  Mgr  Langevin  ne  se  sont 
pas  bornés  à  la  défense  de  la  langue  française  comme  gar- 
dienne des  croyances  religieuses.  Suivant  l'affirmation 
si  juste  de  Mgr  Béliveau,  le  très  digne  et  très  ferme  succes- 
seur de  Mgr  Langevin  :  «  La  conservation  de  la  foi  chez 
les  nombreux  immigrants  que  le  gouvernement  amenait 
dans  nos  plaines  de  l'Ouest,  lui  était  un  continuel  souci. 
Pour  atteindre  ce  but,  il  s'est  efforcé  de  prendre  le  plus  court, 
l'unique  moyen  :  donner  à  chaque  nationalité  des  pasteurs 
parlant  sa  langue.  »  ^ 

Aussi  voyons-nous  Mgr  Langevin  créer  à  Winn-ipeg 
deux  nouveaux  centres  de  vie  religieuse  pour  ses  diocésains 
de  langue  anglaise  dont  il  possédait  la  langue  avec  maîtrise. 
Il  procure  des  missionnaires,  des  églises,  des  prêtres,  des 
écoles  et  des  fonds  à  ses  diocésains  chi  rite  ruthène.  Sur  les 
quatre-vingt-une  paroisses  qu'il  érige  en  vingt  ans,  il  s'en 
trouve  pour  les  Allemands,  les  Polonais,  les  Italiens,  les 
Syriens.  Il  envoya  même  en  Galicie  des  prêtres  canadiens 
s'initier  au  rite  ruthène  et  acquérir  la  connaissance  de  la 
langue  de  ce  peuple. 

Son  rêve  dans  l'établissement  de  son  petit  séminaire 
pour  le  recrutement  du  clergé,  était  aussi  de  donner  des 
institutions  spéciales  à  ses  chers  Ruthènes,  dont  il  voulait 
sauver  les  âmes  à  tout  prix.  Et  c'est  cet  apôtre  que  de 
vils  calomniateurs  ont  pai-fois  accusé  d'aimer  plus  la  langue 
des  siens  que  la  foi  de  Jésus-Christ. 

* 
*  * 

Ah  !  sa  patrie,  il  l'a  aimée  sans  doute.  Et  le  Chiist 
n'a-t-il  pas  aimé  la  sienne  et  pleuré  ses  malheurs?  Mais 
toujours  Mgr  Langevin  s'est  souvenu  qu'il  était  évêque  et 

'  Mandement  de  prise  de  possession  de  Mgr  Arthur  Béliveau. 


l'action  française  297 

père  de  toutes  les  âmes  que  Jésus-Christ  lui  avait  confiées. 
Comme  son  maître,  il  avait  le  droit  et  le  devoir  d'aimer  sa 
patrie;  et  il  l'a  aimée  de  toute  sa  gi'ande  âme.  «  Nous, 
Canadiens  français,  nous  avons  une  patrie  qui  n'est  ni  la 
France,  ni  l'Irlande,  ni  l'Allemagne,  ni  l'Angleterre,  ni 
l'Ecosse,  mais  le  Canada.  Ne  vous  étonnez  pas  que  nous 
éprouvions  pour  le  maintien  de  notre  langue  un  sentiment 
auquel  tous  les  autres  sont  étrangers.  Nous  sommes  les 
Canadiens  par  excellence.  » 

Et  certes,  Mgr  Langevin  avait  laison. 

Au  surplus  son  patriotisme,  qui  s'iiLspirait  de  l'amour 
de  la  petite  patrie  d'abord,  de  l'amour  du  village  natal,  de 
sa  chère  province  de  Québec,  qu'il  salua  avec  tant  de  cœur 
et  d'éloquence  au  Congrès  de  la  Langue  française,  s'étendait 
au  Canada  tout  entier.  Relisez,  ou  plutôt  écoutez  encore 
l'évêque  patriote,  qui  nous  disait  en  ce  jour  de  sa  voix  clai- 
ronnante : 

«  Nous  sommes  chez  nous,  au  Canada,  partout  où  le 
drapeau  britannique  porte  dans  ses  plis  glorieux  nos  droits 
sacrés  avec  la  trace  de  notre  sang. 

«  Debout,  Ubres  et  fiers,  auprès  de  cet  étendard  qui 
flotte  triomphalement  sur  tous  les  océans,  nous  lui  jurons 
avec  joie,  foi  et  fidélité,  mais  nous  lui  demandons  en  retour 
de  protéger  toujours  nos  libertés,  et  nous  clamons  à  tous 
les  échos  du  pays,  la  vieille  devise  normande  :  «  Dieu  et 
mon    droit  ». 

«  Pour  nous,  la  patrie  s'étend  jusqu'au  dernier  morceau 
de  terre  canadienne,  jusqu'à  la  dernière  motte,  jusqu'au 
dernier  brin  d'herbe.  Chacun  de  nous  l'emporte  avec  lui 
dans  son  cœur,  comme  un  trésor  sans  prix;  et  l'exilé  mourant, 
loin  des  chers  siens  et  de  la  douce  terre  natale,  évoque  avec 
amour  l'âme  de  la  patrie,  lui  envoie  encore  son  souvenir  le 


298  l'action  française 

plus  affectueux,  et  lui  réserve,  avec  Dieu,  le  dernier  batte- 
ment de  son  cœur.  » 


Au  joiu'  de  la  mort  de  Mgr  Langevin,  on  a  affirmé  de 
son  caractère  les  traits  les  plus  variés.  Ils  étaient  tous 
vrais,  parce  que  le  prélat  a  déployé  dans  presque  tous  les 
sens  les  énergies  de  sa  riche  nature,  parce  qu'il  a  réuni  dans 
sa  personnalité  puissante  les  qualités  les  plus  diverses, 
et  d'ordinaii'e  les  pius  inconciliables  :  une  énergie  indomp- 
table, et  une  bonté  de  cœur  qui  se  fondait  parfois  en  ten- 
dresse, la  hardiesse  dans  les  conceptions  et  1  art  de  conbiner 
les  moyens  dans  la  pratique. 

Rien  ne  lui  a  manqué  de  ce  qui  fait  les  ouvriers  des 
grandes  choses:  il  eut  la  science,  acquise  surtout  pendant 
ses  huit  années  d'enseignement  à  l'Université  d'Ottawa; 
sa  foi  était  vive.  Comme  le  dit  si  bien  Mgr  BéHveau  : 
«  Au  milieu  des  manifestations  diverses  de  cette  débordante 
activité,  son  grand  esprit  de  foi  lui  rappelait  sans  cesse  la 
nécessité  de  la  prière  pour  l'établissement  et  la  consoli- 
dation des  œuvres  de  Dieu.  Cette  pensée  du  rôle  capital 
de  la  prière,  il  a  voulu  l'affirmer  par  l'étabhssement  d'un 
Carmel  à  Saint-Boniface.  » 

Plein  dune  tendre  piété  pour  Marie-Immaculée  à 
laquelle  il  s'était  consacré  dans  la  Communauté  des  Oblats, 
il  faisait  du  chapelet  sa  prière  préférée.  li  fut  surtout 
finalement  soumis  au  Saint-Siège.  Toujours  et  sans  hési- 
tation il  inclina  sa  personnalité  altièrt  et  indépendante 
devant  l'autorité  souveraine  du  chef  de  l'Église  pour  lequel 
il  avait  «  de  la  dévotion  ». 

Mais  entre  toutes  les  qualités  diverses  du  grand  dis- 
paru, le  zèle  religieux  et  le  patriotisme  ont  établi  une  sorte 


l'action  fi^ançaise  299 

d'harmonie  supérieure  et  facile  à  saisir.  Aussi  bien  l'opi- 
nion publique,  qui  se  trompe  si  souvent,  n'a  pas  erré  quand 
elle  a  affirmé  sur  toutes  les  notes  de  la  gamme  qu'avec  Mgr 
Louis-Philippe-Adélard  Langevin  disparaissait  un  grand 
évêque  et  un  grand  patriote. 


Dans  le  Roman  de  V Énergie  nationale,  Majrice  Barrés 
nous  représente  sept  jeunes  «  déracinés  »,  tous  petits-fils 
des  soldats  de  la  grande  armée,  sous  le  dôme  des  Invalides, 
penchés  «  sur  ce  puits  où  les  architectes,  qui  désespéraient  » 
de  dresser  à  Napoléon  «  un  trône  suffisant,  laissèrent  s'en- 
foncer ))  son  trop  lourd  cad-ivre.  Ces  jeunes  écoutent  le 
clairon  épique  qui  redit  tous  les  grands  instants  de  la  vie 
de  l'empereur  des  Français,  et  la  légende  se  mêle  à  l'histoire 
pour  raconter  la  destinée  de  celui  qui  avait  ie  «  don  d'élec- 
triser  les  hommes  ».  Mais  ce  qui  est  l'aboutissant  de  toutes 
les  phases  de  l'histoire  et  des  transformations  de  la  légende, 
c'est  la  formule  si  caractéristique  : 

«  Napoléon  !  professeur  d'énergie.  » 

Des  professeurs  d'énergie  !  Il  nous  en  faut  à  l'heure 
actuelle.  Il  faut  savoir  profiter  des  leçons  qu'ils  nous  don- 
nent, si  nous  voulons  être  dignes  toujours  des  grands  aïeux 
qui  ont  tant  peiné  pour  la  défense  et  la  propagation  de  la 
foi,   pour  la  conservation   de  notre   patrimoine   national. 

A  genoux,  près  de  la  tombe  de  Mgr  Langevin,  grandis- 
sons nos  âmes,  transformons-les  dans  l'amour  intense  de  la 
religion  et  de  la  patrie. 

Abbé  Philippe  Perrier. 


LE  PATRIOTISME  DE  JEANNE  LE  BER 


,.  Comme  une  sentinelle  ■v'igilante,  elle 
se  tenait  debout  pour  la  patrie." 
(Eloge  funèbre  de  Jeanne  Le  Ber.) 


Aucun  élément  de  beauté  ne  devait  manquer  à  la  Ville- 
Marie  héroïque  et  mystique.  Le  sentiment  religieux  et  le 
patriotisme  se  nuancent,  dans  les  âmes,  d'harmoiiieuses 
diversités.  Ainsi  la  foi  chevaleresque  et  délicate  de  Paul  de 
Maisonneuve  s^ oppose  à  la  a'oyance  robuste  et  vive  de  Jeanne 
Mance;  la  piété  sereine  de  Marguerite  Bourgeoys  met  un  peu 
de  douceur  aux  convictions  impétueuses,  qui  appellent  les 
miracles,  de  Dollard  des  Ormeaux.  Et  bientôt,  la  vie  de  piière, 
d'ombre  et  de  silence  de  Jeanne  Le  Ber,  V admirable  recluse, 
nous  révèle  une  mysticité  très  achevée. 

Des  forces  spirituelles  profondes  façonnent  vraiment  ces 
héros.  Si  bien,  qu'ils  semblent  même,  en  servant  la  patrie, 
transposer  dans  leur  conduite  extérieure  les  qualités  du 
croyant.  N'ont-ils  pas,  dans  l'action,  cette  confiance  hardie 
«  qui  soulève  les  montagnes  )),  une  capacité  sublime  de  sacri- 
fice et  d'oubli  de  soi;  ne  reti ouve-t-on  pas,  chez  quelques-iins, 
les  signes  caractéristiques  des  mystiques  agissants  :  la  lucidité 
du  regard,  une  pénétration  lumineuse  des  faits,  l'utilisation 
très  à  point  des  ressources  immédiates,  une  prévoyance  tenant 
presque  de  la  divination?  Leurs  yeux  qui  plongent  au  loin, 
perçoivent  également  les  sinuosités  de  la  route. 

Dollard,  par  sa  fin  héroïque,  symbolise  tout  ce  que  le 
patriotisme  doit  à  cettaines  heures  de  force,  d'endurance  et 
d'exaltation  magnifique  à  la  foi.  Il  est  donné,  par  contre, 
à  Jeanne  Le  Ber  d'apporter  au  monde  la  preuve  nouvelle 
qu'un  spiritualisme  élevé  peut  s'allier  à  Vamom  clairvoyant 
de  la  pairie. 


l'action  française  301 

C'est  aujourd'hui  ce  caractère  de  la  vie  de  la  recluse  que 
je  désire  rappeler.  Quelques  traits,  choisis  avec  soin,  con- 
sidérés attentivement,  appuieront,  cette  assertion. 

L'année  1662  voit  naître  Jeanne  Le  Ber,  année  tragique 
et  malheureuse,  assombrie  par  la  mort  de  Lambert  Classe, 
le  sauveur  de  Vtlle-Marie.  Faut-il  voir  dans  le  rapproche- 
ment de  ces  deux  faits  plus  qu'une  simple  coïncidence,  une 
disposition  secourable  de  la  Providence  ?  L'enfant  prédestinée 
de  Jacques  Le  Ber  et  de  Jeanne  Lemoyne  devait,  elle  aussi, 
vivre  et  mourir  des  armes  puissantes  à  la  main  :  celles  de 
l'imploration  et  de  l'adoration  réparatrice.  Mais  qui  tran- 
chera jamais  ce  mystérieux  débat?  Entre  ceux  qui  luttent 
et  ceux  qui  prient,  le  monde  saurait-il  désigner  avec  certitude, 
ses  plus  invincibles  défenseurs  f 

La  popidation  de  Ville-Marie,  le  5  août  1695,  assiste 
à  un  spectacle  inoubliable  et  rare.  Jeanne  Le  Ber,  la  riche 
héritière,  la  parente  de  l'illustre  famille  des  Lemoyne  de  Lon- 
gueuil,  cette  femme  douce,  de  charmes  extérieurs,  intelligente 
et  cultivée,  adorée  de  son  père,  s'achemine  vers  la  cellide  cons- 
truite par  ses  soins,  et  attenante  à  la  chapelle  'des  religieuses 
de  la  Co7igrégation.  Entre  les  nuirs  étroits  de  ce  réduit,  elle 
va  vivre  désormais.  L'Eglise  bénit  son  vœu  de  réclusion  per- 
pétuelle, et  la  foule  présente  à  la  /cérémonie  contient  à  peine 
les  témoignages  de  son  admiration. 

L'image  de  la  recluse  dans  la  grâce  et  la  beauté  de  son 
immolation,  devait  se  graver  dans  V esprit  du  peuple  de  Ville- 
Marie.  Souvent,  dans  la  suite,  il  attribuera  à  cette  vie 
silencieuse  et  suppliante  l'obtention  de  faveurs  de  choix. 

Se  trompe-t-il,  vraiment,  le  peuple  de  Ville-Marie  f  Les 
lèvres  de  la  recluse,  lorsqu'elles  s'ouvrent,  ne  font  pas  entendre 
des  paroles  indifférentes  ou  glacées.     La  réserve  de  Jeanne  Le 


302  l'action  française 

Ber  recouvre  une  sensibilité  exquise.  Tout  ce  qui  touche  à 
son  paijs  ou  aux  siens  Vatieint  'profondément.  Anne  Barroy, 
la  coimne  choisie  entre  toutes  pour  communiquer  avec  la 
recluse,  connaît  ce  trait  particulier  de  sa  nxiture  et  rapporte, 
à  V occasion,  devant  sa  paiente,  les  événements  décisifs  de 
Ville-Marie. 

On  lui  en  intime  parfois  V ordre.  Ainsi,  en  1711,  à  la 
nouvelle  de  V arrivée  imminente  de  V armée  anglaise,  déterminée 
à  conquérir  le  Canada  peu  en  mesure  de  se  défendre,  Ville- 
Marie  spontanément  se  tourne  vers  Jeanne  Le  Ber.  Le 
danger  qui  menace  le  pays,  elle  demande  qu'on  le  lui  révèle. 
Anne  Barroy  reçoit  de  la  recluse,  très  attentive,  dès  les  premiers 
mots  de  la  communication,  cette  calme  réponse  :  «  Non,  ma 
sœur,  la  très  Sainte  Vierge  aura  soin  de  ce  pays,  elle  en  est  la 
gardienne.  Nous  ne  devons  rien  craindre.))  U espoir  renaît 
partout  à  cette  déclaration.  On  ne  met  pas  en  doute  un  seul 
instant  les  vues  optimistes  de  Jeanne  Le  Ber.  Témoignage 
manifeste  de  la  vénération  populaire  à  so7i  égard  !  Le  baron 
de  Longueuil,  cependant,  désire  recevoir  de  sa  cousine  une 
preuve  palpable  de  son  union  d'âme  avec  ses  compatriotes.  Il 
sollicite  la  faveur  d'un  drapeau  sur  lequel  elle  aurait  tracé 
quelques  mots.  Jeanne  Le  Ber  acquiesce  avec  simplicité  à  ce 
vœu.  Et  bientôt,  «  M.  de  Belmont,  supérieur  du  Séminaire, 
bénit  l'étendard,  le  remet  solennellement  entre  les  mains  de 
M.  de  Longueuil,  dans  l'église  paroissiale  de  Ville-Marie,  en 
présence  du  peuple  accouru  ». 

Détail  touchant  !  Jeanne  Le  Ber  se  préoccupe,  à  cette 
heure  critique,  de  la  moisson  des  religieuses  de  la  Congréga- 
tion. Elle  les  prie  de  fixer,  à  la  porte  du  bâtiment  qui  la 
contient,  une  image  de  la  Vierge,  qu'elle  a  entourée  d'une 
invocation.  La  dévotion  du  peuple  dérobe  cette  image,  et^ 
confuse,  la  douce  recluse  doit  la  remplacer. 


l'action  française  303 

« 

Les  événements  confirment  les  paroles  piophétïques  de 
Jeanne  Le  Ber.  Nous  savons  par  Vhistoire  quelle  déroute 
subit  l'armée  de  Walker,  dont  une  partie  de  la  flotte  va  s'anéan- 
tir sur  les  récifs  de  Vlle-aux-OeuJs.  Ville-Marie  n'a  à 
déplorer  aucune  perte  de  vie. 

Si  des  faits  d'une  telle  gravité  trouvent  chez  Jeanne 
Le  Ber  une  oreille  attentive,  l'exposition  de  besoins  plus 
simples  ne  la  touche  pas  moins.  Les  pauvres  reçoivent  des 
vêtements  confectionnés  de  sa  main.  Les  souliers  de  paille 
qu'elle  porte  en  toutes  saiso7is,  son  unique  robe  de  serge  gris- 
blanc,  lui  permettent  de  faire  des  largesses.  La  tâche  de  pré- 
dilection de  la  recluse,  cependant,  est  de  préparer  les  linges 
et  les  ornements  destinés  aux  églises  de  Ville-Marie.  Il  serait 
impossible,  nous  disent  les  historiens,  d'évaluer  le  nombre  de 
ses  ouvrages.  En  1721,  M.  de  Belmont  écrit  :  «  Outre 
presque  tous  les  ornements  qui  sont  présentement  à  la  Congré- 
gation, elle  a  fouriii  à  toutes  les  paroisses  du  Nord  et  du  Sud 
du  gouvernement  de  Montréal,  des  chasubles,  des  devants 
d'autel,  des  bouquets  et  d'autres  orîiements.  »  L'église  de 
Ville-Marie  lui  doit,  à  elle  seide,  «  un  ornement  complet  à 
fond  glacé  d'argent,  cornposé  du  devant  d'autel,  de  la  chasuble, 
des  dalmatiques,  et  de  la  chape,  entièrement  brodés  de  sa 
main  ». 

Jeanne  Le  Ber,  il  faut  le  rappeler,  a  conservé  l'usage  de  sa 
fortune.  Elle  couvre  elle-même  les  frais  de  ses  dons  multiples. 
Entraînée  par  l'élan  de  sa  foi,  elle  avait  voidu,  à  l'époque  de 
son  vœu  de  réclusion,  se  dépouiller  de  ses  biens.  Son  père, 
appuyé  par  son  directeur,  n'y  avait  pas  consenti.  Prévision 
remplie  de  sagesse.  Nul  mieux  que  cette  âme  avertie  ne  pou- 
vait en  disposer  utilement. 


304  l'action  française 

Peu  de  temj)s  avant  sa  mort,  elle  donne  une  dernière 
preuve  de  sa  générosité  clairvoyante.  Durant  l'année  1713, 
youssée^ sans  doute  par  le  pressentiment  de  sa  fin  prochaine, 
elle  presse  les  Sœurs  de  la  Co7ujrégation  d'accomplir  le  vœu 
de  Marguerite  Bourgeoys  mourante  :  la  reconst)  uction  et 
V agrandissement  du  pensionnat  de  la  Coiigrégation.  Elle 
assure  la  religieuse  économe,  effrayée  des  responsahilités 
matérielles  à  encourir,  que  tout  viendra  à  point.  Elle  ne  se 
trompe  jms.  Des  secours  inattendus  parviennent  aux  reli- 
gieuses, et  un  an  plus  tard,  les  bâtisses  sont  achevées. 

Jeanne  Le  Ber  s'accorde  alors  la  douceur  de  faire  un  don 
suprême  au  Couvent  qu'elle  aime  par-dessus  toid,  et  sur 
lequel  plane  le  souvenir  de  Marguerite  Bourgeoys,  l'amie  dont 
elle  garde  fidèlement  la  mémoire.  N'a-t-elle  pas  désiré  vivre 
sous  le  même  toit  que  la  fondatrice  de  la  Congrégation?  Ne 
donnait-elle  pas,  à  cette  époque,  afin  de  lever  certaines  difficul- 
tés, «  la  plus  grande  partie  de  la  somme  nécessaire  à  la  cons- 
truction de  la  nouvelle  église  du  Couvent  »,  qui  devait  également 
contenir  sa  cellule? 

En  vertu  d'un  contrat  signé  un  mois  avant  sa  mort,  le 
9  septembre  1714,  Jeanne  Le  Ber  consacre  ce  qui  lui  demeure 
de  fortune  à  la  fondation  de  sept  places  gratuites  dans  le  pen- 
sionnat nouvellement  construit.  «  Ne  croyant  pas,  dit-elle 
dans  l'acte,  pouvoir  faire  du  peu  de  bien  qui  lui  reste,  un 
meilleur  usage  et  qui  contribue  davantage  à  la  gloire  de  Dieu 
d'en  appliquer  le  revenu  au  soidagement  d'un  certain  nombre 
de  fdles,  dont  les  parents  sont  dans  l'impossibilité  de  leur  faire 
donner  toute  l'instruction  et  V  éducation  nécessaires.))  Il  faut 
relire  ce  document,  et  s'édifier  du  sens  pratique  de  la  recluse. 
Elle  détermine  elle-même  le  genre  d'éducation  que  recevront 
ses  protégées. 


l'action  française  305 

Par  ce  beau  geste,  Jeanne  Le  Ber  procure' de  précieux 
avantages  à  ses  compatriotes.  Les  besoins  scolaires  de  Ville- 
Marie  vont  croissam,  et  la  recluse  fait  preuve,  une  fois  de  plus, 
d'un  esprit  préventif  étonnant. 

Entre  la  cellule,  où  parviennent  à  peine  les  bruits  du 
onde,  et  les  demeures  chrétiennes  de  Ville-Marie,  un  mysté- 
rieux courant  de  sympathie  s'est  établi.     De    secrètes  intelli- 
gences, une  solidarité  merveilleuse  apparaissent  entre  celle  qui 
implore,  et  ceux  qui  agissent  et  combattent. 

Jeanne  Le  Ber.  ce  beau  lys  de  l'Église  canadienne,  cette 
adoratrice  qui  veille  et  prie  pour  la  patrie  qu  elle  aime,  cdtache 
plus  profondément  encore  son  regard  de  sainte  sur  le  coin  de 
terre  privilégié  de  Ville-Marie. 

Marie-Claire  D  a  velu  y. 
12  juillet  1919. 


La  fête  acadienne 

Cette  livraison  de  TAction  française  est  la  der- 
nière que  recevront  nos  lecteurs  avant  la  fête 
nationale  acadienne.  Nous  voulons  en  profiter 
pour  offrir  à  nos  frères  d'Acadie,  les  aines  de 
la  famille  française  sur  ce  continent,  Vhom- 
mage  de  notre  infrangible  souvenir  et  nos 
meilleurs  vœux  de  bonJieur. 

-    Dieu  protège  à  jamais  la  noble  Acadie! 


INNOCENS  EGO  SUM 


«  Je  suis  innocent  du  sang  de  cet  homme  juste  !  )) 
Telle  est  la  phrase  que  Pilate  jeta  à  la  foule  des  Juifs 
ameutée  contre  Jésus  et  réclamant  sa  tête.  Le  proconsul 
se  lavait  les  mains  du  crime  qu'il  savait  qu'elle  allait  com- 
mettre. Tout  l'ouvrage  d'Acadia,  d'Edouard  Richard, 
tend  également  à  montrer  que  la  Grande-Bretagne  peut  se 
rendre  ce  témoignage  :  «  Je  suis  innocente  des  malheurs 
du  peuple  acadien  !  Je  puis  me  laver  les  mains  de  sa 
déportation,  de  son  exil  sur  des  plages  inhospitalières.  » 

A  ce  point  de  vue,  le  chapitre  trentième  de  ce  grand 
travail,  remarquable  à  tant  d'autres  égards,  avait,  dans  la 
pensée  de  l'auteur,  une  importance  tout  à  fait  exception- 
nelle :  il  marquait  le  point  culminant  de  la  thèse  qu'il 
s'était  juré  à  lui-même  de  faire  accepter  du  public,  et  qu'à 
force  de  se  payer,  j'allais  dire  de  se  griser  de  mots,  il  avait 
fini  par  regarder  comme  une  vérité  désormais  hors  du 
domaine  de  la  discussion.  Voici  la  genèse  de  cette  thèse 
dans  son  esprit  : 

Comme  tant  de  nos  hommes  politiques  canadiens- 
français,  Richard  était  extrêmement  épris  des  institutions 
britanniques;  pour  lui,  l'Angleterre  avait  toujours  été  la 
grande  dispensatrice  des  idées  libérales  dans  le  monde. 
Ayant  étudié  le  régime  parlementaire  anglais  surtout  à 
travers  les  considérations  tendancieuses  et  imprécises  de 
publicistes  tels  qu'un  Macaulay  par  exemple,  il  s'était 
constitué  au  sujet  de  tout  le  système  de  gouvernement 
britannique  un  état  d'esprit  très  curieux,  à  base  de  bienveil- 
lance et  d'admiration  ingénue.  En  1895  ou  96,  alors  qu'il 
était   à   Arthabaska,    je   me    rappelle    qu'il   publia,    dans 


l'actiox  française  307 

V  Union  des  Cantons  de  l'Est,  un  article  pour  expliquer,  dans 
un  sens  éminemment  favorable,  un  mot  qu'a\ait  prononcé 
Wilfrid  Laurier,  et  qui  avait  donné  lieu  à  bien  des  critiques. 
Se  caractérisant  lui-même,  Laurier  s'était  appelé  British 
to  the  cote,  expression  qui  à  plusieurs  avait  paru  étrange  dans 
la  bouche  d'un  Canadien  français.  Edouard  Richard 
prétendit  en  donner  la  justification  :  Laurier  avait  voulu 
signifier  par  là  non  seulement  sa  loyauté,  mais  encore  son 
admiration  à  l'égard  des  institutions  britanniques  en  général, 
et,  dans  l'espèce,  son  amour  pour  la  forme  de  gouvernement 
que  l'Angleterre  avait  donnée  au  Canada,  et  qui,  à  ses 
yeux  attendris,  était  comme  une  sorte  d'idéal.  Or,  dans 
tout  ce  commentaire  apologétique  de  la  pensée  de  son  ami, 
l'on  sentait  que  Richard  se  définissait  aussi  bien.  British 
to  the  core  lui  semblait  la  formule  propre  à  servir  de  devise 
à  tout  homme  politique  canadien,  et,  en  général,  à  tout  sujet 
anglais,  à  quelque  nationalité  qu'il  appartînt.  Pareil  état 
d'esprit  datait  de  loin  chez  notre  auteur.  L'on  conçoit 
qu'il  en  était  de  meilleurs  pour  aborder  impartialement, 
et  sans  parti-pris,  une  période  scabreuse  pour  la  politique 
anglaise  comme  l'histoire  de  l'Acadie,  surtout  depuis  1710 
jusqu'à  la  déportation  et  au  delà.  Il  lui  fallait  donc,  à 
toute  force,  admettre  ce  fait  brutal  —  la  déportation  de 
tout  un  peuple,  —  et,  chose  difficile  !  le  concilier  avec  le 
hbéralisme  britannique,  ou  du  moins  faire  en  sorte  que  ce 
prétendu  libéralisme  ne  souffre  pas  détriment  d'un  pareil 
crime.  Pour  y  arriver,  le  plus  simple  était  de  disjoindre  les 
éléments  de  cette  question  complexe,  et  de  montrer,  d'un 
côté,  les  hommes  d'État  anglais,  sinon  ignorant  tout  de  ce 
qui  se  tramait  dans  la  péninsule  acadienne,  sinon  s'en 
désintéressant  avec  un  égoïsme  superbe  et  jugeant  de  très 
haut  cette  petite  difficulté  coloniale,  du  moins  se  laissant 
involontairement  tromper  par  leurs  mandataires,  incapables, 


308  l'action  française 

de  si  loin,  de  voir  le  fond  des  choses,  ouvrant  enfin  les  yeux 
aprèsdes  années  et  des  années  d'inconsciexit  aveuglement, 
intervenant,  à  la  dernière  heure,  dans  la  personne  du  secré- 
taire d'État,  Thomas  Robinson,  pour  empêcher  la  perpétra- 
tion du  forfait,  quand  il  était  trop  tard,  hélas; — de  l'autre, 
des  gouverneurs  sans  entrailles,  un  "William  Sliirley,  de  son 
siège  de  Boston,  un  Cornwallis,  surtout  un  Lawrence,  qui, 
de  longue  main,  préparent  ce  plan  d'exil  des  Acadiens, 
s'entendent  pour  que  la  métropole  n'en  soupçonne  rien, 
bernent  leurs  supérieurs  hiérarchiques,  agissent  comme  des 
potentats,  méprisent  même  les  ordres  si  sages  qui  leur 
viennent  d'outre-mer.  Et  quand  Lawrence,  exécuteur  des 
hautes  œuvres,  s'en  oiimra  à  I^ondres,  tout  aura  été  con- 
sommé. 

Le  tableau  que  nous  venons  de  dresser  résume  la  thèsC' 
capitale  de  l'autem-  d'Acadia,  concernant  le  partage  des 
responsabilités  dans  l'affaire  de  la  déportation.  A  l'appari- 
tion de  son  ouvrage,  la  presse  anglaise  et  française  du 
Canada,  comme  aussi  bien  journaux  et  revues  d'Angleterre, 
naturellement  !  avaient  accepté  sans  plus  ses  conclusions 
là-dessus.  Après  tout,  comme  dirait  l'autre,  on  est  loyaliste 
ou  on  ne  1  est  pas.  Et  si  on  l'est  !.  .  .  Mais  aux  États-Unis, 
le  paradoxe  sur  lequel  reposait  cette  thèse  fut  clairement 
saisi  et  franchement  signalé  par  quelques  critiques.  L'on 
nous  permettra  d'en  apporter  ici  des  preuves.  Ainsi,  le 
11  janvier  1896,  le  Neiv  York  Times  consacrait  à  l'ouvrage 
une  longue  étude  qui  se  terminait  par  ces  réflexions  : 
«  M.  Richard  considère  évidemment  ce  qu'il  a  à  dire  sur  la 
question  de  la  responsabilité  comme  la  partie  la  plus 
importante  de  son  travail.  Il  blâme  le  gouverneur  Law- 
rence pour  avoir  expulsé  les  Acadiens,  et  prétend  avoir  bien 
prouvé  que  cet  homme  doit  porter  la  pleine  responsabilité 
de   ses   cruels   édits.     Il   a   conscience,   avoue-t~il,   que  le 


l'actiox  française  309 

gouvernement  de  la  métropole  n'a  pas  autorisé  l'acte  de  ce 
goaverneui",  n'a  pas  été  informé  que  cet  acte  devait  se 
produire,  ni  ne  l'a  approuvé  après  qu'U  eut  été  accompli. 
Or,  les  preuves  qu'apporte  M.  Richard  sur  ce  point  ne  nous 
paraissent  pas  concluantes.  Il  y  a  au  contraire  des  docu- 
ments, dont  l'auteur  fait  usage  dans  son  livre,  qui  montrent 
avec  évidence  que  l'Angleterre,  pendant  des  années,  en  fait, 
pendant  toute  la  captivité  des  Acadiens,  voulait  se  débar- 
rasser de  cette  colonie  [d'étrangers]  ;  il  n'y  a  pas  l'ombre  d'un 
signe  qui  indique  que  l'Angleterre  se  souciait  le  moins  du 
monde  de  ce  qui  pouvait  arriver  aux  Acadiens;  enfin,  et 
ceci  est  grave,  il  n'y  a  pas  le  moindre  indice  que  l'Angleterre 
ait  fait  quoi  que  ce  soit  pour  améliorer  le  sort  de  ceux  qui 
avaient  été  exilés,  ou  accompli  le  plus  petit  acte  de  répara- 
tion envers  ceux  qui  avaient  été  traités  le  plus  iobumaine- 
ment  du  monde.  Il  nous  est  impossible  de  tomber  d'accord 
avec  le  jugement  de  M.  Richard,  h^ Angleterre  a  été  res- 
ponsable de  la  déportation  des  Acadiens  et  elle  doit  en  assumer 
l'ignominie.  » 

L  auteur  de  cette  critique  s'est  donc  donné  la  peine 
de  recenser  tout  l'ouvrage,  et  il  trouve,  avec  beaucoup  de 
raison,  que  les  pièces  mêmes  que  l'auteur  cite  à  l'effet 
d'exonérer  la  Grande-Bretagne,  loin  de  prouver  sa  thèse, 
l'infirment  et  disent  tout  le  contraire.  L'on  conviendra  que 
ce  n'est  pas  là,  pour  un  historien,  une  démonstration  que 
l'on  peut  appeler  réussie.  .  . 

Dans  le  Midland  Magazine  d'avril  1896,  nous  lisons 
ceci  :  «  ]\I.  Richard  acquitte  généreusement  le  gouverne- 
ment de  la  métropole  de  toute  participation  au  crime, 
nonobstant  certaine  correspondance  publiée  qui  en  porte  la 
responsabilité  tout  près  des  Lords  du  Commerce;  de  leur 
bureau  de  Londres,  ceux-ci  exerçaient  un  contrôle  direct  sur 
Lawrence,   président   du   Conseil   de  la   Nouvelle-Ecosse. 


310  l'action  française 

L'on  tient  d'ordinaire  un  gouvernement  responsable  des 
actes  de  ses  agents;  et  il  semble  qu'i.  y  a  toutes  les  raisons  de 
regardeï-  les  Lords  du  Commerce  comme  ayant  endossé  les 
mesures  prises  par  leur  représentant.  .  .  »  Pour  finir,  voici 
un  extrait  d'un  long  article  consacré  à  Acadia  par  la  New 
York  Tribune  :  «  Le  lecteur  remarque  que  l'une  des  prin- 
cipales «  découvertes  »  de  M,  Richard  est  l'innocence  du 
gouvernement  britannique  dans  l'affaire  de  la  déportation. 
L'expulsion  fut  un  épisode  purement  et  exclusivement 
colonial.  L'auteur  a  des  pages  et  des  pages  là-dessus. 
L'on  pourrait  en  inférer  que  la  question  ne  s'est  jamais 
présentée  à  aucun  historien  antérieur;  mais  c'est  chose 
connue  depuis  longtemps  qu'en  ce  cas-ci,  comme  en  tout 
autre  cas  du  même  gem-e,  le  gouvernement  britannique 
s'arrangea  de  façon  à  décliner  toute  responsabiHté  diplo- 
matique. .  .  » 

Ces  diverses  citations  montrent  bien  que  Richard  n'a 
persuadé  de  Tinnocence  du  gouvernement  anglais  dans 
l'affaire  de  la  déportation  que  ceux  qui,  pour  une  raison  ou 
pour  une  autre,  étaient  d'avance  convertis  à  cette  idée,  ou 
encore  ceux  qui  ont  accepté  de  confiance  sa  thèse,  sans 
prendre  la  peine  de  la  confronter  avec  les  textes.  Mais  les 
esprits  indépendants,  libres  de  tout  préjugé  en  l'espèce,  et 
qui  ont  examiné  la  question  de  près,  n'ont  pas  manqué  de 
voir  que  l'auteur,  en  voulant  exonérer  la  métropole,  s'était 
d'abord  lancé  dans  une  entreprise  risquée,  maladroitement 
chevaleresque,  que,  pour  son  malheur,  les  documents  mêmes 
qu'il  citait  ruinaient  par  la  base.  Il  avait  eu  beau  solliciter 
les  pièces  ofiicicllcs,  et  les  tirer  par  les  cheveux,  leur  sens 
obvie  donnait  souvent  un  démenti  formel  à  ses  commentaires 
et  annihilait  au  préalable  l'effet  de  ses  triomphantes 
conclusions.  Encore  un  coup,  ce  n'est  pas  là  un  résuitat 
dont  un  historien  puisse  être  très  fier. 


l'action  française  311 

Et  donc,  sa  thèse  héroïque,  qui  s'accordait  si  bien  à 
son  état  d'esprit,  presque  inexplicable  chez  un  descendant 
direct  d'un  peuple  persécuté  à  mort  par  les  Anglais,  et  dont 
il  avait,  au  surplus,  emprunté  les  grandes  hgnes  à  Casgrain, 
Edouard  Richard  l'avait  énoncée  dès  la  préface  de  son 
ouvrage;  il  y  était  revenu  fréquemment  au  cours  des  vingt- 
neuf  premiers  chapitres,  parfois  sans  apporter  l'ombre  d'une 
preuve  propre  à  l'étayer,  et  parfois,  —  ô  merveille  d'illo- 
gisme !  —  à  l'occasion  d'un  document  ofl&ciel  qui  se  retour- 
nait contre  l'idée  même  qu'il  voulait  mettre  en  relief  :  en 
sorte  que  le  lecteur  tant  soit  peu  averti  ouvrait  de  grands 
yeux,  et  se  demandait  ce  que  venaient  faire  ces  éloges 
intempestifs  de  la  largeur  de  \'ues,  de  la  sagesse  poUtique,  du 
libéraUsme  des  hommes  d'État  britanniques,  quand  les 
dépêches  émanées  de  ces  hauts  personnages  allaient  à 
rencontre  de  ces  belles  affirmations.  ]Mais  c'était  au  cha- 
pitre trentième  d'Acadia  qu'il  se  réservait  de  produire  la 
maîtresse-pièce  qui  allait,  selon  lui,  éclairer  d'un  jour 
aveuglant  la  magnifique  ordonnance  de  sa  construction 
arbitraire,  et  lui  donner  ime  solidité  telle  qu'elle  s'en  irait 
vers  la  postérité  revêtue  de  toutes  les  garanties  possibles  de 
durée.  Ce  point  d'histoire  sortait  désormais  du  domaine 
des  questions  discutées  et  passait  au  rang  des  vérités 
définitivement  acquises  à  l'esprit  humain.  Aussi,  il  faut 
admirer  avec  quel  accent  triomphal  l'auteur  chante  sa 
découverte  et  de  quels  dithyrambes  il  l'accompagne  !  Nous 
doutons  que  Pindare  lui-même  se  soit  élevé  plus  haut  dans 
l'échelle  du  IjTisme.  Seulement,  pourquoi  faut-il  que  toute 
cette  dépense  d'enthousiasme,  ce  chquetis  de  mots  sonores 
et  vides,  cette  éloquence  à  froid  tombent  à  piat  devant  la 
réalité?  Voici,  en  effet,  des  réflexions  de  bon  sens  qui 
jettent  une  douche  sur  ce  beau  feu,  et  qui  calment  ces 


312  l'action  française 

ardeiu's  dont  la  générosité  n'a  eu  que  le  tort  de  se  tromper 
d'adresse. 

Il  s'agit  donc  de  la  «  fameuse  »  dépêche  du  secrétaire 
d'État,  Thomas  Robinson,  si  chère  au  cœur  de  tous  ceux 
qui  \'oient  dans  la  politique  coloniale  britannique  un 
modèle  d'humanité,  et  dans  son  attitude  à  l'égard  des 
Acadiens,  en  particulier,  le  nec  plus  ultra  d'un  libéralisme 
où  la  tendresse  le  dispute  à  la  justice  sociale.  Cette 
dépêche  est  datée  du  13  août  1755.  Fut-elle  expédiée  sur- 
le-champ?  Quand  arriva-t-elle  à  destination?  Les  ar- 
chives que  nous  avons  pu  consulter  ne  le  disent  pas.  Tout 
ce  que  nous  savons,  c'est  que  Lawrence  l'avait  reçue  avant 
le  30  novembre  1755,  puisqu'il  la  mentionne  dans  une  lettre 
écrite  ce  jour-là  au  même  personnage.  lAii  était-elle 
parvenue  beaucoup  plus  tôt  ?  ou  venait- elle  seulement  de 
lui  êti'e  remise?  Là-dessus  nous  nous  perdons  en  conjec- 
tures. Maintenant,  prenons  cette  dépêche  pour  ce  qu'elle 
n'est  pas,  à  savoir  :  une  protestation  contre  la  déportation 
projetée,  une  défense  d'opérer  pareille  chose,  alors  1°  Nous 
pouvons  trouver  que  cette  défense  vient  bien  tard:  quand, 
par  ses  communications  datant  déjà  d'un  an,  Lawrence 
avait  donné  clairement  à  entendre  que  c'était  cela  qu'il 
voulait,  expulser  les  Acadiens,  pourquoi  le  ministre  avait-il 
tant  attendu  avant  de  se  mettre  en  travers  de  ce  plan  et 
de  l'étouffer  dans  l'œuf  ?  2°  Puisque  Robinson  affirme  que, 
dès  le  mois  de  mai  1755,  uçie  sorte  de  concordat  avait  été 
conclu  entre  l'ambassadeur  de  France  et  le  roi  d'Angleterre, 
pour  régulariser  le  sort  des  Acadiens,  pourquoi  n'est-ce 
qu'en  août,  c'est-à-dire  trois  mois  après,  qu'il  s'est  décidé 
à  en  faire  part  à  Lawrence  ?  3  °  Devons-nous  plutôt  prêter 
à  Robinson  un  réel  machiavélisme,  et  croire  qu'il  aura 
envoyé  cotte  dépêche  sans  se  faire  d'illusion  aucune  sur  sa 
portée  piatiquc,  et  seulement  pour  se  couvrir,  lui  et  son 


L  ACTION    FRANÇAISE 


313 


gouvernement,   devant  la  postérité,  et  se  laver  ainsi  les 
mains  du  crime  qui  allait  être  perpétré  ? 

La  vérité  est  beaucoup  plus  simple  que  tout  cela.  Et 
la  vérité  est  qu'il  n'y  a  pas  trace,  dans  ce  document,  de 
protestation  contre  la  déportation.  Le  temps  pi-essait 
cependant,  et  Robinson  n'était  pas  sans  le  savoir.  Pour- 
tant, toute  la  première  partie  de  sa  lettre  est  consacrée  à 
ergoter  sm-  les  divers  sens  possibles  des  mots  :  to  drive  away 
the  French  inhahitants,  que  Lawrence  avait  employés  dans 
sa  dépêche  du  '?'<§  juin  1755,  relative  à  la  prise  de  Beau- 
séjour,  et  à  laquelle  Robinson  répondait.  Oui,  comme  un 
pédagogue  en  mal  de  distinctions,  il  repasse  les  significations 
variées  que  l'expression  susdite  pouvait  avoir  dans  l'esprit 
du  gouverneur.  Et  pour  conclure  à  quoi  ?  L'on  s'imagine, 
en  bonne  logique,  que  Robinson,  après  ce  préambule,  va 
dire  à  Lawrence  :  «  Quoi  que  ce  soit  que  vous  ayez 
entendu  par  là,  et  que  vous  ayez  voulu  parler  de  tous  les 
habitants  français  de  la  péninsule,  ou  des  Acadiens  des 
villages  avoisinant  Beauséjour,  ou  seulement  de  ceux  qui 
étaient  dans  Beauséjour  même,  nous  ne  voulons  admettre 
aucune  de  ces  diverses  interprétations,  et  nous  vous  défen- 
dons absolument  d'exécuter  quoi  que  ce  soit  qui  ressemble 
à  une  expulsion  partielle  ou  générale.  »  Si  le  secrétaire 
d'Etat  avait  parlé  ainsi,  l'on  pourrait  encore  trouver  qu'il 
s'y  était  pris  un  peu  tard  pour  intervenir  en  faveur  des 
Acadiens;  du  moins  y  aurait-il  eu  intervention  véritable  de 
la  part  de  son  gouvernement;  et  la  dépêche  en  question 
constituerait  un  argument  sérieux,  irréfutable  même,  à 
l'appui  de  la  non- complicité  de  l'Angleterre  dans  le  martyre 
infligé  aux  Acadiens. 

Au  lieu  d'une  conclusion  semblable  et  d'une  pareille 
fin  de  non-recevoii",  voici  à  quoi  Robinson  aboutit  : 


314  l'action  fkançaise 

«  LET  YOUR  INTENTION  HAVE  BEEN  WHAT  IT 
WILL,  IT  IS  NOT  DOUBTED,  BUT  THAT  YOU 
WILL  HAVE  ACTED  UPON  A  STRICT  PRIN- 
CIPLE  OF  IMMEDIATE  AND  INDISPENSIBLE 
SECURITY   TO   YOUR  GOVERNMENT. . .  » 
C'est-à-dire  :     «  Quelle  qu'ait  pu  être  votre  intention, 
et  quelque  signification  qu'il  faille  attacher  aux  mots  de 
votre  lettre  :  io  drive  away  the  French  inhahitants,  il  n'est  pas 
douteux  que  vous  ayez  agi  en  vous  inspirant  du  strict  prin- 
cipe de  la  nécessité  d'assurer  le  salut  public;  vous  aurez 
pris  pour  base  de  la  mesure  que  vous  aurez  adoptée,  quelle 
qu'elle  ait  été  d'ailleurs,  l'indispensable  nécessité  de  procurer 
la  sécurité  de  votre  gouvernement.  )) 

La  phrase  est  au  passé.  Qu'est-ce  à  dire  ?  Sinon  que 
Robinson  considère  que  ce  drive  away  the  French  inhahitants, 
sous  quelque  forme  que  Lawrence  l'ait  conçu,  est  déjà 
accompli.  Et  c'est  là  la  dépêche  que  l'on  arbore  triomphale- 
ment pour  établir  que  la  Grande-Bretagne  s'est  opposée 
à  la  déportation  !  Tout  ce  qui  inquiétait  le  secrétaire 
d'État  était  que  l'alarme  se  répandît  dans  le  camp  acadien, 
qu'une  révolte  y  éclatât,  ou  que,  chassés  de  la  province,  ces 
habitants  n'allassent  renforcer  les  colonies  françaises 
avoisinantes.  La  question  dîhumanité  n'entre  pas  en 
Ijgne  de  compte  ;  l'intérêt  matériel  prime  tout.  Et  du 
moment  qu'il  saura  que  Lawrence  s'y  est  pris  de  façon  que 
non  seulement  il  n'ait  pu  y  avoir  de  révolte,  pour  la  bonne 
raison  que  l'on  aura  eu  la  précaution  d'enlever  aux  Acadiens 
leurs  armes,  et  que,  sous  prétexte  de  les  convoquer  pour 
leur  donner  lecture  d'une  proclamation  royale,  l'on  aura 
emprisonné  des  centaines  de  chefs  de  famille;  du  moment 
qu'il  saura  que  Lawrence  s'est  arrangé  de  façon  que  la 
déportation  ait  lieu,  mais  pas  à  l'avantage  des  établisse- 
ments  français  voisins,    puisque   les  Acadiens  auront  été 


l'action  française  315 

dispersés  parmi  les  colonies  britanniques,  et  qu'on  ne 
leur  aura  pas  même  laissé  la  liberté  de  choisir  le  lieu  de 
leur  exil,  alors,  sir  Thomas  Robinson  n'aura  plus  qu'à 
battre  des  mains  devant  tant  de  prévoj-ance  de  la  part 
du  gouverneur  de  la  Xouveile-Écosse  et  qu'à  ratifier  sa 
belle  action.  Ce  que  lui  et  ses  collègues  n''ont  pas  manqué 
de  faire  du  reste,  ainsi  qu'on  le  peut  voir  dans  la  lettre 
édifiante  des  Lords  du  Commerce  à  LawTence,  en  date  du 
25  mars  1756.  «  Xous  avons  soumis  au  secrétaire  d'Etat 
de  Sa  Majesté  le  passage  de  votre  lettre  relatif  à  la  dépor- 
tation des  habitants  français  et  aux  mesures  que  vous 
avez  prises  pour  l'exécuter  ;  et  comme  vous  représentez 
que  cette  déportation  était  indispensablement  nécessaire  à 
la  sécurité  et  à  la  protection  di  la  Province  dans  la  pré- 
sente situation  critique  de  nos  affaires,  nous  ne  doutons 
pas  que  votre  conduite  à  ce  sujet  ne  reçoive  l'approba- 
tion  de  Sa  Majesté.»    {N.S.D.  page  298) 

Que  si,  malgi'é  la  phrase  condamnatrice  de  la  dépêche 
du  13  août,  l'on  osait  encore  soutenir  contre  toute  é^àdence 
que  ladite  dépêche  renfermait  le  veto  du  gouvernement  au 
projet  de  déportation,  alors  que  restait-il  à  faire  à  l'égard 
du  téméraire  qui  avait  passé  outre  à  l'ordre  de  ses  chefs? 
Le  devoir  de  ceux-ci  n'était-il  pas  de  le  casser,  de  le  rappeier, 
de  lai  faire  son  procès,  de  le  désavouer?  C  est  la  pratique 
constante  du  pouvoir  en  pareil  cas.  Or,  cela  n'a  pas  eu 
lieu  pour  Lawrence.  Au  contraire  :  en  récompense,  on  l'a 
nommé  immédiatement,  de  président  du  conseil  et  Heute- 
nant-gouverneur  qu'il  était,  gouverneur-en-chef  de  la 
Nouvelle-Ecosse.  Singulier  désaveu  de  sa  conduite  !  Et 
quand,  malgré  tout  cela,  nos  historiens  persistent  à  vouloir 
exonérer  la  Grande-Bretagne  de  toute  compUcité  dans  cette 
affaire  de  la  déportation,  en  vérité  ils  s'enfoncent  dans 
l'inexplicable  et  s'abiment  dans  l'absurde. 


316  l'actiox  française 

Il  nous  a  été  très  pénible  de  constater  que,  dans  son 
manuscrit  original,  aussi  bien  que  dans  l'édition  anglaise, 
Acad^a^  Edouard  Richard  avait  laissé  de  côté,  dans  sa 
citation  de  la  dépêche  de  Robinson,  la  petite  phrase,  mais 
d'une  importance  souveraine  en  la  matière  !  —  où  la 
déportation  est  considérée  comme  une  chose  du  passé.  Nous 
ne  soupçonnions  pas  d'abord  qu'il  avait  ainsi  amputé  cette 
lettre  de  sa  partie  la  plus  essentielle;  nous  nous  en  sommes 
aperçu  en  confiontant  son  texte  avec  celui  de  Akins 
(N.S.D.  278-9-0.).  qui  est  officiel.  Et  cela  nous  a  fait  mal. 
Casgrain  en  avait  fait  autant,  il  est  vrai.  Et  Richard  serait 
excusable  dans  une  certaine  mesure  s'il  n'avait  eu  sous  les 
yeux  que  Casgrain.  Mais  il  était  à  la  source,  il  possédait 
la  compilation  des  Nova  Scotia  Documents.  Seulement,  il 
5'  avait,  dans  la  source,  quelque  chose  qui  le  gênait.  Et, 
tout  comme  l'auteur  de  Un  Pèlerinage  au  pays  d'Évangéline, 
il  a  écarté  cet  obstacle,  il  a  sauté  prestement  par-dessus  une 
toute  petite  phrase,  parce  que  cette  phrase  malencontreuse 
ruinait  l'échafaudage  de  ses  sophismes  et  de  ses  paradoxes, 
tenacement  monté  dans  le  seul  dessein  préconçu  d'exonérer 
l'Angleterre  de  participation  à  l'un  des  plus  grands  crimes  de 
l'histoire.  Et  cela  n'est  pas  à  sa  louange,  nous  le  disons  à 
regret ,  mais  la  probité  nous  y  oblige. 

Après  tout  ce  que  nous  venons  d'examiner,  la  conclusion 
qui  s'impose  est  celle-ci  :  l'Angleterre  s'est  rendue  respon- 
sable de  la  déportation  des  Acadiens. 

La  conscience  religieuse  n'a  jamais  ratifié  l'absolution 
que  Pilate  se  donnait  à  lui-même  quand  il  disait  :  «  Je  suis 
innocent  du  sang  de  ce  juste  !  » 

La  conscience  humaine  ne  peut  pas  davantage  ratifier 
le  verdict  d'innocence  que  les  historiens,  complaisants  ou 
intéressés,  accordent  à  la  Grande-Bretagne  dans  la  question 
de  la  déportation  acadicnne. 

Dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  les  faits  sont  là,  qui 
en  disent  plus  que  toutes  les  paroles  :  et  ces  faits  sont 
accablants.  Henri  d' Arles. 


ON  DEMANDE   UN  MECENE 


La  vieille  querelle  est,  je  i^ense,  en  bonne  voie  d'ajmise-' 
ment  :  Xous  avons  une  littérature.  Mais  une  autre  question 
se  pose  :  Quelles  manifestations  de  vie  donne-t-elle  ?  Malgré 
un  jjrogrès  dont  nous  nous  réjouissons,  convenons  que  notre 
littérature  n'est  encore  remarquable  ni  par  sa  qualité,  ni  par 
son  abondance,  ni  par  sa  variété.  Son  pire  défaut,  du  reste, 
c'est  peut-être  que  trop  souvent  elle  ii'est  pas  canadienne  dans 
soti  inspiration.  L'auteur  du  meilleur  roman  du  terroir  est 
un  François.  Sans  engager  7ios  écrivains  à  pasticher  avec 
des  variantes  infinies  Maria  Chapdelaine,  on  peut  regretter 
que  ce  ne  soit  pas  l'un  d'eux  qui  ait  écrit  cette  œuvre  forte. 
Mais  le  filon  n'est  pas  épuisé.  Il  y  a  d'autres  veines  et 
d'autres  sources.  Ce  n'est  pas  la  matière,  c'est  l'ouvrier  qui 
fait  défaut.     Bref,  la  littérature  manque  de  bras. 

Pourquoi  notre  littérature  n'est-elle  pas  plus  parfaite, 
plus  abondante,  plus  canadienne  f  N'est-ce  pas  surtout  parce 
que  le  temps  manque  à  nos  écrivains  et  à  plusieurs  autres  qui 
pourraient  écrire?    ■ 

Il  faut  vivre,  et  vous  avez  sans  doute  entendu  dire  que  la 
vie  est  chère.  Le  bruit  court  aiissi  que,  dans  notre  pays, 
écrire  n'est  pas  un  métier  ou,  si  vous  préférez,  une  carrière. 
Quand  on  veut  écrire,  chez  nous,  il  faut  commencer  par  faire 
autre  chose,  autre  chose  qui  n'a  la  plupart  du  temps  qu'un 
vague  rapport  avec  les  lettres.  Un  tel  pratique  le  droit,  un 
poète  est  tout  prosaïquement  notaire,  celui-ci  catalogue  à  la 
journée  des  livres  disparates,  celui-là  est  versé  dans  une 
spécialité  étrangère  à  son  art.  On  ne  peut  être  au  four  et  au 
moulin.  Aussi  loisque  le  soir,  la  tête  encore  bourdonnaïUe 
de  la  besogne  et  des  préoccupations  du  jour,  l'écrivain  à  ses 
heures,  comme  on  le  nomme  judicieusement,  s'installe  à  sa 
table  de  travail,  il  n'a  ni  le  temps  ni  la  lucidité  qu'il  faut  pour 
écrire  et  —  ce  qui  est  plus  grave,  sans  doute  —  jjour  méditer. 


318  l'actiox  française 

Or,  comme  il  est  plus  facile  de  faire  courir  son  imagination, 
cravachée  par  des  réminiscences  livresques,  que  d'observer  et 
de  peindre,  cela  explique  peut-être  pourquoi  notre  littérature 
n'est  pas  plus  souvent  canadienne. 

Et  le  public  se  désintéresse.  Il  lit  peu  d'ouvrages  cana- 
diens et  s'en  excuse  en  assurant  que  les  oeuvres  manquerd, 
tandis  que  plusieurs  qui  pow  raient  écrire  ne  le  font  guère  et 
se  justifient  en  affirmant  que  le  public  manque.  C'est,  on  le 
voit,  le  cercle  vicieux,  l'impasse.  Comment  en  sortir  f  On  a 
voulu  constituer  d'abord  un  public.  Ne  vaudi  ait-il  pas  mieux 
favoriser  auparavant  Véclosion  des  oeuvres  qui  finiraient  bien 
par  faire  violence  au  publie  f 

Le  gouvernement  de  Québec,  à  la  législature  de  1917,  a 
inséré  dans  la  loi  des  subventions  aux  municipalités  scolaires 
le  vœu  que  celles-ci  affectassent  à  l'achat  d'ouvrages  canadiens 
la  moitié  du  subside  attribué  aux  livres  de  prix.  Pour  des 
raisons  que  nous  ignorons,  ce  texte  est  jusqu'ici  demeuré 
inopéi  ant.  Et  c'est  dommage,  car  il  faudrait  bien,  une  bonne 
fois,  attacher  un  peu  moins  d'importance  à  la  rutilance  des 
couvertures  et  se  préoccuper  un  peu  plus  de  la  valeur  littéraire 
et  éducative  des  livres  de  récompense.  Cette  discrète  initiative 
aura  peut-être  des  suites  quelque  jour;  mais  elle  demeurera 
insuffisante.  Ce  qu'il  nous  faut,  c'est  un  Mécène.  Et  voilà 
le  grand  mot  lâché. 

Nous  sommes  en  présence,  quoi  qu'on  dise,  d'une.  .  . 
question  économique.  L'homme  de  lettres,  bien  qu'il  ne  vive 
pas  seulement  de  pain,  ne  peut  s'en  passer.  En  attendant  le 
succès  de  librairie,  ne  serait-il  pas  expédient  de  créer  des  prix 
de  littérature?  Ce  genre  d'encouragement,  qui  présente 
quelques  inconvénients  s'il  offre  plusieurs  avantages,  a  en 
France  même  des  partisans  et  des  adversaires.  Dans  une 
enquête  que  mena  naguère  la  Revue,  on  posa  des  obiections 
vite  réfutées  par  les  avocats  des  prix  littéraires,  qui  Vempor- 


l'action  française  319 

tèrent  par  13  voix  contre  9.  «  Seule  V absence  d'une  critique 
sérieuse  et  avertie  —  déclare  un  antagoniste  —  donne  une 
apparence  de  raison  d'être  à  l'institution  des  prix.  ))  Et  je 
crois  bien  que,  dans  notre  pays,  l'argument  se  retourne.  A 
ceux  qui  craignent  que  «  la  séduction  des  prix  ne  risque 
d'exercer  une  influence  fâcheuse  sur  d^excellents  talents,  en 
les  écartant  des  voies  où  ils  auraient  pu  laisser  libre  cours  à 
une  originalité  qui  pourrait  devenir  savoureuse,  ))  Paul 
Reboux  rétorque  :  «  Jadis,  les  pensions  accordées  aux 
adeptes  des  beaux-arts  et  des  belles-lettres  assuraient  à  l'Art 
ce  qui  lui  manque  aujourd'hui  :  de  l'unité,  de  la  discipline, 
du  style.  La  cassette  de  François  1er,  celles  de  Louis  XIV 
et  de  Louis  XV  n'ont  pas  empêché  la  production  de  chefs- 
d'œuvre.  Pourquoi  n'en  serait-il  pas  de  même  pour  la  cassette 
de  Marianne  ?  »  Souriant,  E.-M.  de  Vogué  ajoute  :  «  Les 
prix  littéraires  font  des  heureux  sans  nombre;  ils  flattent 
doucement  la  vanité  :  1°  de  ceux  qui  les  fondent;  2°  de  ceux 
qui  les  décernent;  3°  de  ceux  qui  les  reçoive7it.  Pourquoi 
négliger  ce  moyen  facile  de  faire  plaisir  à  tant  d'honnêtes 
gens  ?  ))     C'est  là  leur  moindre  avantage. 

Aussi  en  France,  où  écrire  est  cependant  une  profession 
régulière,  les  prix  de  littérature  abondent  (Prix  Concourt,  Prix 
national.  Prix  Sully-Prudhomme,  Prix  des  Annales,  Prix  de 
ci,  Prix  de  ça).  Au  Canada,  où  tout  décourage  d'éaire, 
personne  ne  songe  à  encourager  l'écrivain.  Loin  de  prétendre 
qu'il  soit  vénal  je  soutiendrais  que,  le  médecin  excepté,  c'est 
celui  qui  travaille  le  plus  pour  la  gloire  et  pour  des  prunes; 
j'affirmerais  même  que,  sans  excepter  le  journalier,  c'est  de 
tous  les  hommes  qui  peinent  le  moins  rétribué.  Le  peintre 
vend  ses  toiles,  le  sculpteur  obtient  des  commandes,  le  musicien 
a  un  public,  des  élèves;  mais  l'éciivain  n'a  rien  à  attendre  de 
personne.  Quand  son  gagne-pain  lui  permet  de  satisfaire 
aux  exigences  de  l'éditeur,  il  publie  parfois  un  livre  qui  se 


320  l'action  française 

ressent  d'avoir  été  con^u  dans  la  fatigue.  Et  soti  œuvre 
provoque,  au  milieu  de  Vimmuable  indifférence  du  public, 
quelques  ^critiques  blessantes  et  quelques  louanges  si  outrées 
qu'elles  sont  peut-être  encore  plus  blessantes. 

Il  conviendi ait  pourtant  de  reconnaître  la  valeur  de  V effort 
littéraire;  il  importerait  d'encourager  Véoivain  en  suscitajit 
ensemble  des  œuvres,  des  lecteurs  et  des  critiques.  C'est  pour 
cela  qu'on  demande  un  Mécène.  Que  le  mécénat  soit  exercé 
par  le  gouvernement  ou  par  un  particidier,  qu'importe  ! 
pourvu  qu'on  ait  un  Mécène.  A  dire  vrai,  le  rôle  mécénien 
siérait  plutôt  à  VÉiat,  car  le  développement  de  notre  littérature 
est  une  question  nationale.  Au  fait,  Mécène  n  était-il  pas  un 
homme  d'État? 

Justement,  la  Chambre  s'est  préoccupée  il  y  a  quelques 
mois  de  foi  mer  une  élite  intellectuelle.  M.  Séverin  Létourne^u 
proposa  même  le  vote  de  ■325,000  dans  l'objet  d'envoyer  chaque 
année  en  Europe  et  aux  États-Unis  «  dix  de  nos  jeunes  gens 
les  mieux  doués  »  afin  d'en  faire  de  «  véritables  compétences  ». 
Eyi  attendant  que  ces  louables  propos  académiques  piennent 
la  consistance  d'un  texte  d"  loi,  ne  pourrait-on  pas  attribuer 
annuellement  trois,  quatre  ou  cinq  mille  dallais  en  prix  litté- 
raires répartis  par  roulement  sur  les  matières  suivantes,  par 
exemple  :  Histoire,  géographie,  roman,  poésie,  théâtre,  ouvra- 
ges d'enseignement,  de  vidgarisatio7i,  de  critique? 

Une  initiative  comme  celle-là  ne  tarderait  pas,  nous 
semble-t-il,  à  donner  des  résultais.  Elle  mettrait  les  intel- 
lectuels en  mesure  de  consacrer  plus  de  temps  aux  recherches, 
au  travail  littéraire,  à  la  rédaction  d'ouvrages  propres  à  répan- 
dre l'instruction,  à  ouvrir  l'intelligence.  Toutes  les  œuvres 
ne  seraient  pas  excellentes,  sans  doute;  mais  plusieurs,  qui 
offriraient  quelque  intérêt,  verraient  le  jour.  Lues  davantage 
parce  qu'elles  auraient  plus  de  notoriété  et  de  prestige,  elles 
formeraient  le  public  canadien  qui  n'a  besoin  que  d'être  formé. 

Léon  Lorrain. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


CoWptClbilité  Comme  pour  confiimer  les  quelques  reiuai(iues 
anglaise  ^"*^  contenait  notre  chronique  de  mai,  un  lecteur 
m'envoie  le  nom  du  traité  de  comptaVjilité  en  usage 
dans  l'académie  commerciale  que  fréquente  son  fils  :  American 
Bookkeeping  Séries  by  Lloy  E.  Goodyear,  édité  par  Goodyear-Marshall 
Publishing  Co.,  Cedar  Rapids,  lowa. 

Un  autre  se  plaint  en  ces  termes  :  «  On  me  signale  que  dans  la 
nouvelle  liste  des  livres  adoptée  par  la  connnission  scolaire  de  Montréal, 
V exclusif  manuel  de  comptabilité  est  anglais.  Si  le  fait  est  authentique, 
il  y  a  certes  lieu  plus  que  jamais  pom'  la  Ligue  des  Droits  du  français 
d'intervenir  promptement  et  énergiriuement.  L'institution  de  la 
grande  commission  scolaire  porte  en  soi  plus  d'une  atteinte  à  la  liberté 
des  municipaUtés,  des  paroisses  et  des  pères  de  famille  dans  l'éducation. 
Que  des  raisons  sérieuses  aient  mihté  en  faveur  d'une  telle  institution, 
passe  !  Mais  nous  ne  sam-ions  permettre  que  la  nouvelle  commission 
use  de  ses  prérogatives  exorbitantes  pour  dénationaUser  nos  enfants  en 
eur  imposant  une  comptabilité  anglaise.  » 

UU€  ïéfOTÏïlC  Chose  certaine,  c'est  que  cet  enseignement 
nécPSSÛÎTC  utiUtaii'e  qui  satisfait  peut-être  quelques  esprits, 
déplaît  à  la  grande  majorité  de  nos  compatriotes. 
Si  nos  maisons  d'éducation  veulent  conserver  la  confiance  des  pères  de 
famille,  elles  ne  peuvent  continuer  dans  cette  voie.  Nous  leur  deman- 
dons respectueusement  d'étudier  avec  soin  la  question  —  les  vacances 
s'y  prêtent  —  et  d'y  apporter  la  solution  que  leur  suggéreront  le  bon  sens, 
l'amour  des  traditions  et  la  saine  pédagogie. 

La  lettre  suivante  stimulera  peut-être  les  bonnes  volontés  hésitan- 
tes. Elle  montre  que  le  français  occupe  dans  les  affaù-es.au  Canada,  la 
place  que  nous  voulons  qu'il  occupe.  Son  sort  est  réellement  entre 
nos  mains.  C'est  un  brave  curé  des  Cantons  de  l'Est  qui  écrit  au  secré- 
taire de  la  Ligue  des  Droits  du  français  : 

«  Monsieur  le  secrétaire, 

«  En  février  dernier  je  recevais  \m  superbe  catalogue  de  la  maison 
Ckrislie  Grant  Limited,  de  Winnipeg;  il  avait  cependant  un  énorme  dé- 
faut pour  nous,  puisqu'il  était  uniUngue  (va  sans  dire  «  anglais  »). 


322  l'action  française 

«  Je  pris  sur  moi  de  le  faire  remarquer  respectueusement,  mais 
fermement  aux  expéditeurs,  leur  faisant  part  de  mon  intention  Ijien 
arrêtée  de  ne  prendre  connaissance  que  du  catalogue  français  ou 
bilingue  qu'ils  voudraient  m'envoyer.  Plusieurs  ont  souri  à  ce  mou- 
vement jugé  inutile  et  quasi  ridicule. 

«Voici  qu'après  un  mois  d'attente,  je  reçois  de  la  maison  nommée 
plus  haut  des  circulaii'es  rédigées  en  excellent  français  et  la  promesse  d'un 
catalogue  sous  peu. 

«  C'est  de  nature  à  encourager  les  moins  ardents  dans  la  lutte  et  à 
faire  rougir  de  honte  ceux  qui  sont  prêts  à  sacrifier  leur  langue  pour 
obtenir  la  sympathie  des  Anglais  ou  leurs  faveurs. 

«  Ce  succès  n'est  pas  le  premier  que  je  puis  enregistrer,  et  j'ai  plus 
que  jamais  l'intention  de  continuer  le  travail  commencé  pour  le  triomphe 
de  Sa  Majesté  la  Langue  française.  » 

Quand  on  veut  Autre  exemple.  Un  avocat  de  Montréal  vit  un 
s' ClfiÎT97î€T  ^^^^  s'installer  dans  son  quartier,  un  peu  cosmopo- 
lite, une  pharmacie  qui  sur  ses  enseignes  ignorait 
complètement  le  français.  Cette  manière  d'agir,  écrivit-il  aussitôt  au 
propriétaire,  vous  privera  certainement  de  ma  chentèle  et  de  plusieurs 
autres.  Quelques  jours  plus  tard,  réparation  était  faite  et  les  lettres 
françaises  s'aUgnaient,  à  côté  des  lettres  anglaises,  sur  la  devanture 
repeinte  à  neuf. 

Même  fierté  chez  im  jemie  notake.  Une  banque  canadienne-fran- 
çaise lui  sert  des  chèques  {spécial  chèque)  uniquement  rédigés  en  anglais. 
Plainte  au  bureau  de  l'inspecteur,  qui  se  défile.  Intervention  auprès 
du  président  lui-même.  Intervention  courtoise  mais  ferme,  dont  les 
effets  se  font  aussitôt  sentir.  On  s'étonne,  on  affii-me  que  le  principe 
de  la  banque  a  toujours  été  de  servir  les  chentèles  françaises  et  anglaises 
dans  leur  langue  respective,  puis  finalement  on  avoue  qu'ordre  vient 
d'être  donné  de  faire  imprimer  aussitôt  les  chèques  demandés... 

InCîtic  Malheureusement,  pour  deux  ou  trois  qui  protestent 

COUÙClhls  ^^  agissent,  combien  dorment  et  supportent  tout  ! 
Ainsi  une  compagnie  montréalaise  affiche  actuellement 
à  la  porte  ou  à  la  fenêtre  de  nos  meilleurs  citoyens  une  pancarte  com- 
plètement anglaise,  indiquant  le  nombre  de  livres  de  glace  que  chacun 
désire.  C'est  une  insulte  !  On  dit  même  que  priée  de  respecter  notre 
langue,  la  compagnie  s'y  est  obstinément  refusée.  Qu'altcnd-on  alors  ? 
Qu'attend-on  pour  agir?  pour  faire  le  seul  geste  qui  convienne  —  car  il 


l'action  feançaise  323 

n'y  a  pas  l'embarras  du  choix  —  d'autant  plus  que  d'autres  compagnies 
fournissent,  elles,  des  pancartes  bilingues? 

Ah  !  quel  vent  ou  quel  fléau  viendra  secouer  notre  inertie  et  nous 
redonner  la  fierté  de  notre  sang  ? 

Kn  allQflt  Nous  avions  terminé  cette  chronique,  quand  un  ami 

OU  COnSîès  ^^^  venu  nous  raconter  l'incident  arrivé  au  cours  du 
voyage  des  congressistes  de  l'A-CJC.  Un  des  garçons 
de  table,  sur  le  bateau,  ignorait  totalement  le  français.  Or  le  premier 
convive  qu'il  eut  à  servir  était  le  président  de  l'Association  catholique 
des  Voyageurs  de  commerce,  un  des  plus  vaillants  défenseurs  des  droits 
de  notre  langue.  On  devine  ce  qui  se  produisit.  Il  fallut,  pour  régler 
le  cas,  faire  venir  un  des  principaux  officiers.  Celui-ci  donna  des  expli- 
cations qui  n'expUquaient  pas  grand  chose.  A  la  suite  de  cet  inci- 
dent, ime  protestation,  concernant  à  la  îois  le  texte  uniUngue  des 
menus  et  celui  des  affiches,  fut  aussitôt  signée  par  les  nombreux 
passagers.  Elle  est  actuellement  entre  les  mains  du  gérant  de  la 
Canada  Steamship  Co.  Espérons  qu'elle  produira  des  fruits.  Quoi  qu'il 
en  arrive  d'ailleurs,  le  geste  du  président  de  l'A.C.V  C.  n'aura  pas  été 
vain.  «  Après  avoir  entendu  cet  homme,  me  disait  im  jeune,  je  n'hé- 
siterai pliLS  jamais  à  protester.     Je  me  sentais  trop  fier  ce  jour-là  [  » 

Pierre  Homier. 


ARRERAGES 


Quelques-uns  de  nos  abonnés  sont  encore  en  retard.  Ainsi 
que  nous  les  en  avons  avertis  par  lettre,  nous  prendrons  la  liberté 
de  faire  traite  sur  eiux  dans  un  délai  de  10  jours,  à  défaut  de  paie- 
ment. 

Nous  savons  bien  que  ces  retards  ne  sont  dûs  qu'à  la  distrac- 
tion et  à  l'oubU,  mais  nous  prions  nos  lecteurs  de  noter  que  l'envoi 
de  deux,  trois  ou  quatre  avis  a  vite  fait  de  pratiquer  dans  la  mince 
recette  de  chaque  abonnement  une  brèche  de  dix  ou  douze  pour 
cent,  sans  compter  les  frais  de  bureau.  C'est  une  perte  relative- 
ment considérable  et  que  chacun,  une  fois  averti,  aura  à  cœur 
d'éviter  à  une  œuvre  qui  vit  surtout  de  dévouement. 

Dans  l'envoi  d'un  courrier  assez  volumineux,  il  peut  se  glisser 
des  erreurs.  Nous  nous  en  excvLsons  d'avance  et  nous  prions 
qu'on  veuille  bien  nous  en  avertir  le  plus  tôt  possible. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 

LE  CANADA  APOSTOLIQUE^ 


Le  nouveau  li\Te  de  M .  Bourassa  est  une  révélation  pour  la  plupart 
d'entre  nous.  Nous  connaissions  des  faits  particuliers,  nous  n'avions 
aucune  idée  de  l'ensemble  de  rœu\Te  de  l'apostolat  canadien.  Ce  n'est 
pas,  non  plus,  une  œuvre  unique  ayant  une  direction  d'ensemble;  ce  sont 
autant  de  missions  particulières  nées  spontanément  im  peu  partout  dans 
le  Canada,  mais  procédant  du  même  principe,  la  foi,  et  d'un  même  besoin 
d'action,  la  charité. 

En  apprenant  l'importance  de  ces  missions,  nous  qui  avons  douté 
quelquefois  de  la  profondeur  du  sentiment  catholique  des  Canadiens, 
nous  ne  pouvons  plus  douter  que  la  source  de  tant  de  bien  ne  soit  ]:)ro- 
fonde  et  puissante  pour  rejaillir  ainsi  siu"  la  terre  étrangère. 

Français  du  Canada,  nous  sommes  ici  pour  rendre  témoignage  de  la 
foi  devant  l'hérésie  et  le  paganisme  ambiants.  L'isolement  où  nous 
a  tenus  la  différence  de  notre  langue  de  celle  de  la  majorité  a  préservé 
l^rovidentiellement  notre  foi.  Cette  différence  nuit  à  notre  apostolat 
sans  doute,  mais  moins  que  Veut  fait  l'absorption  inévitable  de  notre 
race  par  la  race  anglo-saxonne;  ce  qui  importe  avant  tout,c'est  que  nous 
demeiu"ions  un  témoignage  vivant  de  la  foi,  «  que  notre  kmiière  luise 
«  devant  les  hommes  afin  qu'ils  voient  nos  bonnes  œuvres  et  qu'ils  glo- 
«  ri  fient  notre  père  qui  est  dans  les  cieux  ». 

Le  monde  est  aveugle  :  il  ne  voit  pas  le  bien;  mais  cela  n'empêche 
pas  le  bien  d'exister.  Il  n'existe  même  qu'à  la  condition  d'être  méconnu  ; 
c'est  le  sort  promis  à  tous  les  apôtres,  d'être  méconnus,  sinon  persécu- 
tés. «  Le  disciple  n'est  pas  au-dessus  du  maître  »,  aussi  les  œuvres 
philanthropiques  obtiennent  des  monimients  :  les  œuvres  de  la  charité 
héroïques  et  sans  nombre  passent  le  plus  souvent  inaperçues. 

C'est  d'ailleurs  le  caractère  de  la  ATaie  grandeur  de  ne  pas  frapper 
les  yeux  et  de  ne  pas  se  révéler  par  des  signes  matériels.  Qu'est-ce  que 
la  vraie  grandeur  sinon  la  grandeur  morale,  celle  de  l'âme?  Et  quel 
rapport  peut-il  y  avoir  entre  cette  supériorité  et  le  déploiement  du  faste 
et  l'appareil  de  la  force?  Jean-Baptiste,  vêtu  de  peaux  de  bêtes,  ne 
fut-il  pas  le  plas  giand  parmi  les  enfants  des  femmes?  Et  le  Fils  de 
l'homme  naquit  non  loin  du  palais  d'Hérode,  dans  une  étable;  ses  pre- 
miers courtisans  furent  des  bergers,  et  c'est  là  que  seuls  vinrent  l'adorer 
ceux  à  qui  sa  présence  fut  révélée  d'en  haut. 

•  Le  Canada  apostolique,  Bibliothèque  de  V Action  française,  par 
Henri  Bourassa. 


l'actiox  française  325 

Considérons  seulement  ce  qiii  se  passe  autour  de  nous  :  c'est  à  la 
simplicité  de  ses  manières  que  se  révèle  le  grand  seigneur;  le  grand 
savant  n'affiche  pas  sa  science  dans  la  conversation,  ni  sa  supériorité 
dans  les  congrès  :  ses  œuvres  seules  parlent  pour  lui. 

De  même  pour  les  saints  :  «  Opéra  eorum  sequuntur  eos.  »  Leurs 
œuvres  les  suivent  :  ils  ne  les  projettent  pas  à  la  face  du  monde.  Mais  il 
est  utile  que  leurs  œuvres  soient  connues  et  que  leur  lumière  luise  devant 
les  hommes. 

M.  Bourassa  a  donc  fait  une  chose  très  opportune  en  pubUant  le 
recensement  des  œuvres  apostoliques  de  notre  pays.  Il  l'a  fait  avec  cette 
information  consciencieuse  qui  prévient  toute  contradiction  et  l'éléva- 
tion d'idée  que  suggère  un  pareil  sujet.  Il  termine  son  Uvre  par  une 
réponse  à  la  question  suivante  :  «  Povu-quoi  le  catholicisme  a-t-il  fait 
«  si  peu  de  progrès  chez  les  nations  païennes  ?  Pourquoi  le  sang  de 
«  tant  de  martjTS  est-il  resté  stérile  ?  Pourquoi  la  parole  de  Dieu, 
«  portée  jusqu'axix  confins  de  la  terre  par  des  miUiers  de  missionnaires, 
«  a-t-elle  éveillé  si  peu  d'écho  dans  le  cœur  et  l'esprit  des  infidèles  ?  » 
La  réponse  est  na\Tante  :  elle  se  trouve  dans  le  scandale  donné  par  les 
peuples  chrétiens.  I./eurs  vaisseaux,  qui  portaient  les  missionnaires, 
apportaient  en  même  temps  chez  les  peuples  païens,  les  scandales  du 
.schisme  et  de  l'hérésie,  les  scandales  de  leur  politique  spoliatrice,  de  leur 
exploitation  honteuse  de  ^œu^Te  des  missionnaires,  les  scandales  de  leurs 
vices  et  de  leurs  injustices. 

Ne  nous  hâtons  pas  cependant  de  conclure  à  la  stériUté  de  l'œuvre 
des  missionnaires  :  le  Christ  est  parti  «  en  vainqueur  pour  vaincre  ». 

Bien  plus  décourageante  est,  à  première  vue,  le  spectacle  de  la  vie 
chrétienne  dans  la  chrétienté  même.  Dès  le  quatrième  siècle  tous  les 
royaumes  de  l'Europe  et  de  l'Afrique,  encore  humides  du  sang  des  mar- 
tyrs, étaient  tombés  dans  l'hérésie.  Les  rois  barbares,  qui  serA'aient 
Rome  au  temps  de  sa  puissance,  ne  l'avaient  détruite  que  pour  prendre 
sa  place  parmi  les  persécuteurs  de  l' Église.  Le  scliisme  grec  était  à  la 
veille  d'éclater,  et  Mahomet  allait  bientôt  ravir  à  la  foi  chrétienne  pour 
des  siècles,  l'Asie,  l'Afrique  et  les  deux  extrémités  de  l'Europe.  A  peine 
le  croissant  avait-il  commencé  de  reculer  que  l'Europe  abandonnait 
l'Eglise,  et  dans  le  monde  moderne  le  protestantisme  ou  l'esprit  révolu- 
tionnaire régnaient  dans  tous  les  états  civilisés.  Aujourd'hui  nous 
pouvons  apercevoir  quelques  îlots  de  terre  au  milieu  du  déluge  universel, 
comme  ce  royaume  de  Pologne  se  relevant  au  miheu  des  ruines  des  trois 
grands  empires  qui  l'avaient  submergé,  sj-mbole  providentiel  de  l'im- 
puissance des  portes  de  l'enfer. 


326  l'action  française 

Devant  cet  éternel  recommencement  il  ne  faut  pas  désespérer. 
Nous  sommes  des  «  serviteurs  inutiles  »,  mais  Dieu  fera  croître  là  où 
nous  aurons  semé.  Après  tout,  le  royaume  de  Dieu  n'est  pas  de  ce 
monde.  Ne  tombons  pas  dans  l'erreur  des  Juifs  :  n'exigeons  pas  pour 
ce  royaume,  le  seul  ^'Tai,  le  seul  grand,  les  marques  extérieures  de  la 
grandeiu"  et  les  hommages  du  monde. 

Que  nos  apôtres  continuent  d'évangéUser  et  de  semer  dans  les 
champs  du  Seigneur;  la  moisson  est  grande,  mais  les  ouvriers  sont  en 
petit  nombre.  Ne  jalousons  pas  pour  notre  paj's  le  bien  qu'ils  vont 
faire  ailleiu's;  ne  disons  pas  qu'il  y  a  assez  d'œuvres  et  d'apostolat  à 
faire  chez  nous,  que  notre  propre  moisson  réclame  tous  nos  bras.  C'est 
le  propre  des  foyers  ardents  de  rayonner;  la  charité  ne  connaît  pas  de 
limites. 

D'ailleurs  là  où  brille  déjà,  comme  ici,  le  flambeau  de  la  foi,  l'apos- 
tolat existe  dans  chacun  de  nous.  Soyons  simplement  chrétiens 
véritables,  vivant  selon  les  maximes  de  notre  foi,  et  nous  serons  apôtres; 
que  notre  lumière  luise  devant  nos  «  frères  séparés  »  et  devant  tous  ces 
hommes  qui,  dans  la  chrétienté  même,  ne  reçoivent  plus  qu'une  demi- 
lumière.  Qu'ils  connaissent  par  nous  Celui  qui  les  a  appelés,  et  qu'ils 
soient  sans  excuse,  et  nous  sans  faute  de  leur  incrédvilité.  Voici  d'ail- 
leurs les  conclusions  de  l'auteur  :  «  Fille  de  la  France  chrétienne  et 
«  apostolique,  notre  nationaUté  a  pris  naissance  dans  une  admirable 
«  poussée  d'apostolat.  Nous  n'avons  pas  le  droit  de  laisser  en  friche  le 
«  patrimoine  de  foi  et  de  charité  expansive  que  les  fondateurs  de  la 
«  Nouvelle-France  nous  ont  légué.  . .  »  «  Noblesse  obhge,  dit  un  vieux 
«  proverbe;  et  plus  encore  que  la  noblesse  des  origines,  la  noblesse  issue 
«  des  munificences  de  Dieu.  Comme  la  France  d'autrefois,  nous  devons 
«  porter  aux  autres  peuples  la  surabondance  des  grâces  de  choix  que 
«  Dieu  nous  a  prodiguées.  »  C.-E.  Dorion. 


LE  PETIT  MONDE  ^ 
Les  lecteurs  de  V Aclion  française  comiaissent-ils  Le  Petit  Monde  de 
Louis  Dupire,  dont  J.-B.  Lagacé  a  spirituellement  illustré  la  couverture  ? 
Dupire  —  tout  le  monde  le  sait,  sauf  Dupire  lui-même  —  a  vme  prose 
alerte,  aisée,  souriante,  ce  qui  est  la  marque  du  bon  français;  il  a  soudain 
des  coups  d'aile,  des  trouvailles,  de  fugitifs  attendrissements,  ce  qui  est 
le  propre  du  bon  style.     Et  il  a  par  surcroît,  ce  qui  est  presque  merveille 

'  Le  Petit  Monde,  par  Louis  Dupire. — Édition  du  Devoir. 


l'action  française  327 

à  notre  époque  de  sécheresse,  de  l'imagination.  Pour  nous  promener  au 
milieu  du  petit  monde  où  s'élabore  l'avenir  de  notre  race,  il  a  su  se  mettre 
à  l'échelle  des  enfants.  Il  les  connaît.  Il  les  aime.  Il  les  a .  . .  croqués. 
L'observation  quotidienne  des  bambins  lui  a  permis  de  démêler  quelques 
éléments  de  la  déroutante  psychologie  enfantine.  Il  ne  nous  exhibe  pas 
l'enfant  idéal,  construit  selon  les  données  de  la  puériculture.  Il  nous 
montre  des  enfants  natm-e,  des  enfants  vivants.  Mais  pour  être  moins 
scientifiques,  ils  n'en  sont  ni  moins  beaux  ni  moins  intéressants.  Et  tout 
cela  est  simple,  frais,  sincère.  Combien  Le  Petit  Monde  nous  repose  du 
nôtre  !  —  L.  L. 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 

Au  pays  de  Dollard  —  Nous  publions  en  Partie  docvmenlaire  le 
remarquable  discours  prononcé  au  Long-Sault,  le  24  juin  dernier,  par 
le  premier  secrétaire  général  de  la  Ldgue  des  Droits  du  français,  M.  le 
Dr  Gauvreau.  Ce  discours,  on  le  sait,  a  été  fait  à  l'occasion  du  pèleri- 
nage des  Jeunes,  auquel  l'Action  française  a  été  hem'euse  d'accorder  son 
patronage  mais  dont  l'initiative  appartient  tout  entière  aux  jeunes  des 
collèges. 

La  cérémonie  du  24  juin  a  été  fort  intéressante.  Au  pied  du  monu- 
ment, des  allocutions  ont  été  prononcées  par  M.  l'abbé  Gareau,  M.  l'abbé 
Verner,  le  R.  P.  Joseph-Papin  Archambault,  S.  J.,  M.  le  Dr  Joseph  Gau- 
vreau et  M.  l'abbé  Noël  Fauteux.  Au  retour,  siu:  le  bateau,  d'autres 
allocutions  ont  été  prononcées  par  MM.  Albert  Jeannette,  du  collège 
Sainte-Thérèse,  Maurice  Archambault,  du  collège  de  l'Assomption,  et 
Jean  LaUemant.  du  collège  Sainte-Marie,  de  Montréal. 

Le  7  septembre  prochain,  \m  autre  pèlerinage  au  pays  de  Dollard 
aura  heu,  sous  le  patronage,  cette. fois  encore,  de  l'Action  française,  mais 
organisé  par  les  paroissiens  de  Ville- Emard. 

Ainsi  se  fonde  la  tradition. 

Campagne  d'été  —  La  grande  campagne  d'été,  c'est,  pour  les  amis 
de  l'Action  française,  une  campagne  de  propagande.  Les  nombreux 
déplacements  de  vacances  devraient  permettre  de  faire  connaître  dans 
plusiemrs  miUeux  nouveaux  nos  hvres  et  notre  revue.  Qu'on  veuille 
bien  en  profiter  :  il  est  partout  des  bonnes  volontés  qui  ne  demandent, 
pour  passer  à  l'action  efficace,  qu'une  légère  secousse. 

C'est  ainsi  que,  tout  en  se  reposant  et  se  promenant,  on  peut  jeter 
les  bases  d'ime  puissante  campagne  de  diffusion  pour  les  Rapaillages, 
l'Almanach  et  nos  différentes  pubUcations.    On  peut  apprendre  aux 


328  l'action  française 

gens  les  combinaisons  diverses  qui  permettent  d'acheter  ces  publications 
à  bon  marché,  etc.  Sachant  qu'ils  peuvent,  par  exemple,  combiner  des 
commandes,  les  faire  expédier  à  des  adresses  diverses  et  cependant  béné- 
ficier des  réductions  justifiées  par  leiu"  commande  globale,  beaucoup 
se  risqueront  à  faire  des  achats  qu'ils  n'oseraient  point  tenter  autrement. 
Si  vous  manquez  de  renseignements,  priez  simplement  vos  interlocuteius 
de  s'adresser  à  nos  bureaux. 

Aux  bureaux —  Il  n'y  a  point  de  vacances  pom-  le  comité  directeur 
de  V Action  française.  Les  réunions  se  poursuivent  comme  pendant  les 
autres  mois  de  l'année.  On  prépare  la  campagne  d'automne,  de  nou- 
velles pubUcations,  des  conférences,  etc.  Nous  voudrions  cette  année 
organiser  en  dehors  de  Montréal  d'assez  nombreuses  conférences.  A 
nos  amis  de  l'extérieur  de  se  mettre  aussitôt  que  possible  en  relations 
avec  nous. 

Noire  concours  de  propagande  —  Notre  concours  de  propagande  se 
terminera  avec  le  dernier  comrier  distribué  à  Montréal  le  31  août. 
Nous  en  rappelons  rapidement  les  principales  conditions  : 

Seize  prLx  seront  attribués,  selon  le  nombre  des  points  recueiUis  : 
1  premier  prix  de  S25;  1  deuxième  prix  de  S15;  2  prix  de  SIO;  4  prix  de 
$5;  8  prix  de  S2.50. 

Les  points  seront  calculés  d'après  l'échelle  suivante  :  Abonne- 
ments de  1919,  5  points  chacun;  Abonnements  de  1920,  10  points  cha- 
cun; Abonnements  de  1918,  10  points  chacun;  Les  trois  abonnements 
à  la  même  adresse,  30  points. 

En  tout  cas,  il  ne  peut  s'agir  que  d'ahonnemenls  nouveaux.  Les 
renouvellements  et  prolongations  ne  comptent  point,  pas  plus  que  les 
soldes  d'abomiements  en  cours.  La  collection  de  1918  sera  tout  de 
suite  adressée  aux  nouveaux  abonnés,  de  même  que  les  livraisons 
parues  de  1919.  La  collection  de  1918  se  vend  $2,  l'abonnement  de 
1919  et  de  1920  est  de  $1  par  année,  payable  d'avance. 

Le  concours  s'est  ouvert  le  1er  juillet.  Le  résultat  sera  proclamé 
dans  la  hvraison  de  septembre  de  V Action  française  Les  concurrents 
sont  hbres  de  recueillir  les  abonnements  où  ils  voudront,  de  grouper  leius 
efforts,  etc.  Nous  ferons  simplement  le  total  des  abonnements  et  des 
points  obtenus. 

Nous  prions  qu'on  ait  bien  soin,  en  expédiant  chaque  nouvel 
abonnement,  de  spécifier  :  Pour  le  coticours .  . .  Doit  être  attribué  à  X .  ., 
en  précisant  bien  les  noms  et  les  adresses. 

Toute  la  correspondance  doit  être  adressée  à  Concours  d'abonnement, 
l'Action  française,  32,  Immeuble  de  la  Sauvegarde,  Montréal. 

Jean  Beau  chemin. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LE  SA  INT-SIFGE  ET  LES  CANADIENS-FRANC  A IS 
DE  L'ONTARIO 


Les  Canadiens  français  de  VOnlurio  avaient,  lors  de  leur  dernier 
congrès,  adressé  an  Souverain  Pontife  la  lettre  suivante  : 

Ottawa,  le  1er  mars  1919. 
A  Sa  Sainteté 

le  Pape  Benoît  XV. 
Très  Saint  Père, 

Les  membres  de  l'Association  Canadienne  française  d'Educat'on 
d'Ontario,  réunis  à  Ottawa  pour  leur  convention  biennale,  sous  la 
présidence  d'honneur  de  Leurs  Grandeurs  Mgr  l'Archevêque  de  Saint- 
Boniface  et  Mgr  l'Évêque  de  Hailej^bury,  et  sous  la  présidence  active 
de  l'honorable  Philippe  Landry,  sénateur,  profitent  de  l'occasion  qui 
leur  est  offerte  pour  déposer  aux  pieds  de  Votre  Sainteté  les  sentiments 
de  profond  respect  et  de  fihale  soiunission  dont  ils  sont  animés  envers 
Votre  très  auguste  et  très  vénérée  personne. 

Ils  ont  lu  avec  une  joie  indicible  la  belle  et  consolante  lettre  Lit- 
tèris  Apostolicis  que  Votre  Sainteté  a  daigné  adresser  à  Son  Éminence 
le  Cardinal  Bégin  et  à  tout  l'épiscopat  canadien  concernant  la  question 
bilingue  ontarienne,  et  ils  ont  puisé  dans  cette  lecture,  en  même  temps 
qu'un  immen.se  réconfort  dans  lem"S  épreuves,  un  amour  plus  \af  pour  la 
Sainte  Égb'se  Apostolique  et  Romaine. 

En  leur  nom  et  au  nom  de  toute  la  population  franco-ontarienne, 
ils  remercient  très  cordialement  Votre  Sainteté  de  cette  haute  marque 
de  bienveillance  envers  une  minorité  consciente  de  ses  droits  et  soucieuse 
de  garder  intact  le  double  trésor  de  sa  foi  et  de  sa  langue,  et  ils  prient 
Votre  Sainteté  de  croire  que,  dans  leiu-s  luttes  légitimes  pour  la  survi- 
vance française  en  l'Ontario,  ils  s'efforceront  de  ne  jamais  s'écarter  des 
voies  si  sages  tracées  par  Votre  Sainteté. 

De  Votre  Sainteté  les  fils  très  humbles,  très  reconnaissants  et  très 
obéissants, 

Le  Comité  exécutif  de  l'Association, 

(Signé)     Philippe  Laxdry,  président^ 


330  l'action  française 

Le  Saint  Père  a  daigné  faire  adresser  à  M.  Landry  la  réponse  suivante  : 

Dal  Yaticano,  20  mai  1919. 
MonsieiiT  le  Président, 

Le  Souverain  Pontife  a  daigné  agréer  avec  une  paternelle  bienveil- 
lance l'hommage  de  vénération  et  de  soumission  filiales  que  vous  lui 
avez  offert  au  nom  des  membres  de  l'Association  Canadienne  française 
d'Education  d'Ontario,  réunie  naguère  à  Ottawa  pour  leur  assemblée 
biennale. 

Les  nobles  sentiments  exprimés  dans  votre  adresse  du  1er  mars  sont 
un  nouveau  témoignage  du  dévouement  et  de  l'attachement  de  votre 
chère  Association  ainsi  que  de  la  population  franco-ontarienne  à  la 
personne  du  Vicaire  de  Jésus-Christ  et  au  Saint-Siège. 

Comme  gage  des  faveurs  divines,  Sa  Sainteté  accorde  de  cœur  au 
digne  président,  aux  membres  de  l'Association  Canadienne  française 
d'Education  d'Ontario  et  à  leurs  famiUes  la  Bénédiction  ApostoUque. 

Je  saisis  avec  empressement  l'occasion  qui  m'est  offerte  de  vous 
exprimer,  Monsieur  le  Président,  les  sentiments  de  ma  haute  considéra- 
tion. 

(Signé)  P.    Card.    Gasparri. 
A  l'honorable  Philippe  Landry,  sénateur, 

Président  de  l'Association  Canadienne 

française  d'Éducation  d'Ontario, 

Ottawa. 


DISCOURS  DE  M.  LE  Dr  G  AU  V  RE  AU 
AU  LONG-SAULT 


M.  le  Dr  Gauvreau,  -premier  secrétaire  général  de  la  Ligue  des  Droits 
du  français,  qui  représentait  i' Action  française  au  pblennage  des  Jeunes, 
le  aff^  juin  dernier,  a  prononcé  devant  le  monument  de  Dollard,  au  Long- 
Sault,  le  discours  suivant  : 

C'est  le  moment  de  se  recueilUr,  de  se  rappeler  le  souvenir  des  sau- 
veurs de  notre  race,  de  s'agenouiller  sur  leur  tombe  glorieuse,  de  s'ins- 
pirer des  sentiments  qui  les  animaient  :  sentiments  qui  ne  sont  pas  morts 
avec  eux,  mais  qui  ont  grandi,  de  génération  en  génération,  silencieuse- 
ment, comme  la  sève  s'est  ajoutée,  couche  par  couche,  sous  l'écorce  des 
grands  arbres  maintenant  disparus,  à  l'ombre  desquels,  pendant  deux 
siècles  et  demi  reposèrent,  ignorés,  leiu's  o.ssements. 


l'action  française  331 

Vous  êtes  la  preuve  vivante  que  les  sentiments  de  Dollard  des 
Ormeaux  et  de  ses  compagnons  persistent  toujours  au  cœur  de  la  race 
cana  dienne-f  r  ançaise . 

Rendant  hommage  aux  braves  de  jadis  qui  ont  sacrifié  letu-  vie  pour 
nous  sauver,  au  nom  des  braves  d'aujourd'hui  qui  luttent  d'autre  façon 
mais  non  moins  vaillamment  pour  nous  conserver,  chapeau  bas,  hommes 
de  demain,  V  Action  française  vous  salue  respectueusement  et  amoureuse- 
ment 1 

Elle  me  prie  en  outre  de  rappeler  le  fait  historique  qui  nous  amène 
en  si  grand  nombre,  aujourd'hui,  sur  les  bords  enchanteurs  de  la  rivière 
des  Outaouais,  et  d'en  tirer  quelques  leçons. 

1660  !  Depuis  cinquante-deux  ans  l'Habitation  de  Champlain  est 
construite,  Québec  est  fondée. 

Vnie-Marie  ne  compte  encore  que  dix-huit  ans  d'existence. 

De  Québec  à  VUle-Marie,  le  long  du  fleuve  Saint-Laurent,  du  côté 
sud,  à  toutes  les  huit  ou  dix  lieues,  sont  groupées,  sans  défense,  quelques 
familles. 

Survienne  ime  invasion,  Ville-Marie  est  la  première  victime. 

Partout,  l'anxiété  est  d'autant  pliis  grande,  cette  année-là,  que  l'on 
sait  la  décision  prise  par  les  barbares  d'opérer  en  masses. 

Dans  le  cours  du  mois  d'avril,  des  Algonquins,  canotant  entre 
Tadoussac  et  Sorel,  ont  fait  prisonniers  trois  Iroquois,  éclaireurs  d'avant- 
garde,  et  leixr  ont  arraché  leur  secret.  Lem:  chanson  de  mort  ne  fut 
qu'une  terrifiante  révélation. 

Seule  la  ville  de  Québec  est  en  état  de  défense,  mais  elle  ne  serait 
plus  qu'une  prison  où  l'on  mourrait  de  faim  si  la  campagne  était  ruinée, 
remarquent  les  Relations. 

Fuir  n'est  pas  possible.  Tout  le  monde,  le  long  de  la  côte,  est  averti. 
Il  n'y  a  qu'à  tenir  ou  à  mourir  ! 

Pour  retarder  la  grande  épreuve  et,  par  impossible,  détourner  le 
flot  barbare  qui  s'achemine  vers  Ville-Marie,  DoUard  des  Ormeaux, 
commandant  de  la  garnison,  se  met  à  la  tête  de  seize  compagnons  poiu 
aller,  en  éclaireurs,  combattre  les  Iroquois. 

Avec  l'ardeur  qui  caractérise  votre  âge,  mais  aussi  avec  toute  la 
préméditation  de  guerriers  consommés,  ils  arrêtent  leur  plan,  choisissent 
le  lieu  de  leur  sacrifice,  celui-ci,  prennent  l'inébranlable  résolution  de 
mourir  plutôt  que  de  demander  quartier,  font  leur  testament,  se  confes- 
sent, communient  côte  à  côte  dans  la  petite  chapelle  de  l' Hôtel-Dieu,  et 
se  jurent  fidéhté  dans  le  sacrifice  suprême  de  leur  vie  qu'ils  entrevoient 
nettement  comme  le  seul  aboutissant  possible  de  leur  exploit. 


3S2  l'action  française 

Le  19  avril,  montés  sur  des  canots  d'écorce,  ils  sont  en  marche  vers 
le  Long-Sault. 

A  deux  milles  de  la  Pointe  à  Callières  qu'ils  viennent  de  quitter,  de 
l'un  ou  de  l'autre  côté  de  la  petite  île  Saint-Paul,  propriété  actuelle  des 
sœurs  de  la  congrégation  Notre-Dame,  il  leur  faut  donner  la  chasse  à  un 
parti  d'Iroquois  qu'ils  mettent  en  déroute. 

Nicholas  Durai  est  tué. 

Soulard  et  Juillet  se  noient. 

Les  siuvivants  reviennent  à  Ville-Marie  enterrer  chrétiennement 
leurs   morts. 

Trois  autres  Mordréalais  prennent  la  place  des  premiers  sacrifiés. 

De  nouveau  en  marche,  à  la  hauteur  des  rapides  de  Sainte-Anne-de- 
Bellevue,  ils  sont  retardés  pendant  huit  jours  par  l'affluence  des  glaces 
qui  encombrent  l'embouchure  de  l'Outaouais. 

Le  premier  mai  enfin,  ils  campent,  ici,  sur  le  coteau  où  nous  sommes. 

Un  mauvais  fortin  de  pieux  leur  sert  d'abri. 

Anahotoha  à  la  tête  de  quarante  Hurons,  et  Mittiwemeg  avec  six 
Algonquins,  porteurs  d'une  permission  de  M.  de  Maisonneuve,  se  joi- 
gnent à  eux. 

Le  brave  gouverneur  n'a  pas  su  se  défier  de  cette  marchandise 
sauvage. 

Ce  que  nous  savons  au  juste,  c'est  que  le  combat  dura  dix  jouis. 

C'est  que  les  Iroquois  furent,  un  certain  moment,  huit  cents  à 
l'attaque. 

C'est  que  tous  les  Hiuons,  moins  leiu-  chef  Anahotaha,  passèrent  du 
côté  des  assiégeants. 

Les  sept  Algonquins  moururent  au  poste. 

Trois  cents  Iroquois  jonchèrent  le  sol. 

Un  seul  blessé  français  fut  amené  dans  les  cantons  iroquois  pom*  la 
tortiu^e. 

Stupéfaits  de  la  résistance  de  cette  poignée  de  braves,  les  Iroquois 
abandonnent  leur  projet  d'attaquer  les  places  fortifiées  et  de  dévaster  le 
pays    d'alentour. 

La  Nouvelle-France  est  sauvée  ! 

Le  i  juin  1660.  les  noms  des  dix-sept  Français,  morts  au  champ 
d'honneur  du  Long-Sault,  f tuent  inscrits,  tels  que  voici,  sur  le  registre 
mortuaire  de  Montréal  : 

Adam  Dollard  des  Ormeaux,  commandant,  âgé  de  vingt-cinq  ans. 

Jacques  Brassier,  âgé  de  vingt-cinq  ans. 


I 


l'action  française  333 

Jean  Tavernier,  dit  la  Hachetière,  armurier,  âgé  de  vingt-huit  ans. 

Nicolas  Tillemont,  serrurier,  âgé  de  vingt-cinq  ans. 

Laurent  Hébert,  dit  LaRivière,  âgé  de  vingt-sept  ans. 

Alonié  de  Lesires,  chaufournier,  âgé  de  trente  et  un  ans. 

Nicolas  Josselin,  âgé  de  vingt-cinq  ans. 

Robert  Jurée,  âgé  de  vingt-quatre  ans. 

Jacques  Boisseau,  dit  Cognac,  âgé  de  vingt-trois  ans. 

Louis  Martin,  âgé  de  vingt  et  un  ans. 

Christophe  Augier,  dit  Desjardins,  âgé  de  \'ingt-six  ans. 

Etienne  Robin,  dit  Desforges,  âgé  de  \'ingt-sept  ans. 

Jean  Valets,  âgé  de  vingt-sept  ans. 

René  Doussin,  sieiu-  de  Sainte-Cécile,  soldat  de  la  garnison,  âgé  de 
trente  ans. 

Jean  Lecompte,  âgé  de  vingt-sb<  ans. 

Simon  Grenet,  âgé  de  vingt-cinq  ans. 

François  Cusson,  dit  Pilote,  âgé  de  vingt-quatre  ans. 

Poiu-  que  cette  liste  d'héroïques  victimes  généralement  citée  soit 
complète,  il  faut  lui  ajouter  : 

Nicolas  Duval,  tué  le  19  avril. 

Soulard,  noyé  le  19  avril. 

Juillet,  noj^é  le  même  jour. 

Anahotoha,  chef  Huron,  mort  comme  les  Français  au  champ  d'hon- 
neur. 

Mittiwemeg,  chef  Algonquin,  mort  comme  les  Français  et  Anahotoha 
au  champ  d'honneur. 

Six  Algonquins,  morts  comme  les  Français,  Anahotaha  et  leur  chef 
au  même  champ  d'honneur. 

Ce  qui  porte  à  vingt-huit  au  Ueu  de  dix-sept  le  nombre  de  ceux  qui 
méritent,  au  même  titre,  le  nom  de    «  sauveurs  de  la  Nouvelle-France  ». 

Messieiu-s,  voilà  le  fait,  dans  sa  simpUcité  grandiose.  Vous  le 
connaissiez.  Déjà  vous  l'avez  longuement  médité  :  c'est  à  cause  de  cela 
que  vous  êtes  ici. 

Ij' Action  française  désire  que  s'établisse  la  tradition  de  rappeler 
ce  fait  héroïque  de  1660,  d'une  façon  reUgieu.se  et  constante,  chaque  fois 
qu'un  groupe  de  nos  compatriotes  jugera  opportim  de  venir,  en  ces  lieiLx 
bénis,  prendre  contact  avec  les  aïeux,  retremper  sa  foi,  restaurer  son 
amour  du  pays,  rehausser  sa  croyance  au  sacrifice  comme  gage  de 
survie  nationale. 

h' Action  française  désire  en  plus  que  celui  qui  rappelle  le  fait 
historique  le  commente  à  sa  façon,  selon  l'inspiration  des  circonstances 
et  de  son  âme. 


334  l'action  française 

Que  vous  dirai-je  que  déjà  vous  n'ayez  lu  ou  que  l'on  ne  vous  ait 
dit  touchant  ce  douloureux  épisode  de  notre  histoire  ? 

Qu'importe  !  Permettez  que  je  donne  libre  coiu-s  à  mes  pensées 
présentes.  Laissez-moi  vous  parler  en  homme  qui  aime  ses  enfants, 
qui  aime  son  pays. 

Tout  le  long  du  voyage,  vous  vous  en  êtes  peut-être  aperçus,  j'ai 
médité  sur  vous. 

D'une  part,  je  songeais  au  bonheur  qu'a  le  pays  qui  vous  possède. 

D'autre  part,  je  songeais  à  ce  qui  vous  attend,  et  à  la  façon  dont 
chacun  interprétera  pour  lui-même  les  événements  de  sa  vie. 

Je  ne  veux  en  rien  diminuer  les  illusions  de  votre  âge.  Avoir  des 
illusions  c'est  le  signe  le  moins  contesté  de  la  jeunesse.  Heureux  ceux 
qui  peuvent  en  conserver  toute  leur  vie  ! 

Je  ne  veux  pas  non  plus  amoindrir  l'idéal  que  vous  entendez  pour- 
suivre. 

Mais  le  temps  vient,  hélas,  plutôt  hâtivement  que  très  tard,  où 
l'idéal  rêvé  dans  sa  jeunesse,  s'alourdit  des  contraintes  de  la  subsistance, 
s'assombrit  des  défections  de  l'amitié,  se  voile  des  ombres  multiples 
accumulées  le  long  de  la  voie,  plus  ou  moins  à  notre  insu,  par  cette 
multitude  de  sentiments  qui  s'étalent  au  grand  jour  dans  la  vie  des 
coquins,  mais  dont  les  germes,  de  pareille  façon,  attendent,  au  fond  du 
cœiur  de  tout  honnête  homme,  l'occasion  de  le  tenter. 

Que  cette  révélation  ne  vous  effraie  pas  !  C'est  l'épreuve  néces- 
saire, inévitable.  De  même  que  dans  l'ordre  moral,  tout  homme  qui 
lutte,  tout  homme  qui  combat,  tout  homme  qui  veut  rester  un  homme 
ne  saurait  échapper  aux  convoitises  de  l'une  des  trois  grandes  concu- 
piscences, de  même  dans  l'ordre  national,  et  je  parle  pour  mon  pays, 
tout  homme  qui  lutte,  tout  homme  qui  combat  pour  conserver  l'inté- 
grité de  sa  patrie,  pour  assurer  la  permanence  des  coutmnes  ancestrales, 
pour  garder  ses  institutions,  pour  pratiquer  intégralement  sa  foi,  pom- 
parler  sa  langue,  pour  élever  ses  enfants  dans  l'amour  de  Dieu,  dans  le 
respect  du  droit  et  des  gens,  sitôt  l'âge  mûr  venu,  rencontre  siu:  sa  route 
la  grande  tentation  dont  l'issue,  fatalement,  fera  de  lui  un  opportunititc 
ou  un  patriote,  à  moins  qu'elle  n'en  fasse  un  angUfîcateur  ou  un  renégat. 

11  n'en  peut  être  autrement,  dans  notre  pays,  où,  depuis  cinquante 
ans  surtout,  la  mentalité  nationale  est  faussée. 

Si, une  fois  le  gouvernement  responsable  acquis,  au  lieu  de  s'attarder 
à  faire  de  la  politique,  nos  représentants  avaient  repris  le  chemin  de  leur 
foyer,  se  donnant  pour  mission  particuhère  d'assurer  la  permanence 
de  nos  institutions,  tout  en  tenant  un  œil  ouvert  sur  les  agitateurs 


l'action  française  335 

politiques,  il  ne  serait  peut-être  pas  aujourd'liui  nécessaire  de  venir 
chercher  au  tombeau  de  DoUard  des  motifs  de  patriotisme. 

Ils  ont  cru  mieux  faire  de  s'attarder  à  la  politique,  tout  en  tenant  un 
œil  ouvert  sur  nos  institutions  ! 

Or  vous  le  savez,  ce  n'est  pas  le  lieu  ni  l'heiu^e  de  le  rappeler,  que  de 
poussières  sont  tombées  dans  l'unique  œil  ouvert  des  pohticiens  cana- 
diens-français ! 

Heureusement,  des. hommes  ont  surgi,  à  l'âme  énergique,  au  cœur 
large,  à  l'esprit  droit  et  sûr.  Ils  ont  été  le  point  de  ralhement  des  meil- 
leurs éléments  de  la  race.  De  leur  plume  ou  de  leurs  lè\Tes  sont  tom- 
bées les  paroles  qui  régénèrent  et  \avifient.  Au  grand  jour,  face  à  face 
avec  l'ennemi,  ils  ont  mené  leurs  batailles.  Ils  ont  fondé  des  œuvres 
qui  comptent  et  qui  demem-ent.  La  Société  du  Parler  français  de 
Québec  en  est  ime.  L' Association  d'Éducation  d'Ontario  en  est  une  au- 
tre. Peut-être  bien  aussi  l'Action  française  est-elle  de  celles-là.  On 
appellera  longtemps  encore  ces  fondatevus  des  illuminés.  M'est  avis. 
Messieurs,  que  c'est  auprès  de  ces  hommes  qu'il  voas  faut  aller  chercher 
la  véritable  notion  du  patriotisme  si  vous  comprenez,  à  la  façon  de 
DoUard,  que  le  chemin  de  l'amoiu-  dans  la  souffrance  est  la  voie  la  plus 
sûre  vers  la  gloire  dans  l'immortalité. 

O  DoUard  !  Toi  dont  les  mânes  flottent,  en  ce  moment,  au-dessus 
de  cette  assemblée  de  jeunes  gens,  tous  fils  de  gentilshommes, venus  des 
quatre  coins  de  la  pro\-ince  de  Québec  et  de  l'Ontario  te  présenter  leurs 
excuses  povu*  le  silence  de  la  race  à  ton  égard  dans  les  siècles  passés,  et  te 
témoigner  l'admiration  qu'ils  professent  pour  ton  dévouement  envers  la 
patrie,  apprends-leur,  je  t'en  supplie  au  nom  de  tous  les  pères  canadiens- 
français  que  je  représente  en  ce  moment,  que  la  lutte  n'est  possible,  pour 
eux  comme  pour  toi,  aujourd'hui  comme  hier  et  bien  moins  que  demain, 
qu'à  la  façon  des  chevaUers  vaiUants,  fidèles  à  Dieu,  fidèles  aux  anciens, 
fidèles  à  leur  mère,  fidèles  à  leur  langue,  trouvant  dans  leur  foi  la  force 
et  le  motif  de  leurs  actions. 

Apprends-leur,  je  t'en  suppUe,  la  fidélité  à  leur  serment  de  jeunesse, 
afin  que,  dans  la  vie,  ils  sachent  se  recueiUir,  prendre  conscience  du 
devoir,  lui  jurer  fidélité,  communier  à  la  Table  Sainte,  communier  avec 
les  morts,  et  se  précipiter  à  la  rencontre  des  manants,  qu'Us  s'appeUent 
barbares  modernes,  opportunistes,  faux  moralistes,  bolchévistes,  pro- 
fiteurs de  guerre  ou  mangeurs  de  Français  ! 


336  l'action  française 

O  DoUard,  parce  que  déjà  dans  la  gloire  révélatrice  du  passé  et  de 
l'avenir,  tu  sais  quelles  luttes  gigantesques,  depuis  deux  siècles  et  demi 
et  plus,  il  neus  a  fallu  soutenir  pour  continuer  ta  lutte  contre  la  barbarie, 
pour  résister  à  l'anglicisation  systématiquement  organisée,  pour  éviter 
la  conquête  américaine,  pour  rester  ce  que  nous  sommes  encore  aujour- 
d'hui sur  ton  tombeau  :  catholiques  et  Français  !  tu  le  sais  aussi  : 
l'avenir  de  notre  pays  est  gros  d'orages.  Mets  au  cœvu'  de  ces  jeimes 
gens  qui  t'honorent  et  te  bénissent,  une  parcelle  des  sentiments  dont 
l'ensemble  forma  ton  âme  de  héros.  En  pareille  terre,  tout  grandit  et 
tout  mûrit  très  vite.  Demain,  ils  seront  les  hommes  auxquels  les  des- 
tinées du  pays  seront  confiées.  Fais  en  sorte  cju'ils  conservent  dans 
l'action,  jusqu'à  l'épreuve,  ton  amour,  ta  vaillance  et  ta  foi,  qui  les 
aideront  à  accomplir,  sous  le  regard  de  Dieu,  poiu"  notre  cher  pays,  le 
sacrifice  de  leur  vie,  s'il  est  dans  les  desseins  de  la  Providence  de  le  leur 
demander. 

Et  poiu"  que  ma  prière  soit  ime  prière  collective,  écoute  cette  der- 
nière pensée  que  Je  lis  présentement  au  fond  du  coeiu-  de  chacun  de  ces 
jeunes  gens  qui  m'entourent  :  C'est,  à  ton  exemple  et  sur  ton  tombeau, 
le  serment  qu'ils  prêtent  à  la  Patrie. 

O  Patrie  canadienne,  c'est  aujoiu^d'hui  ta  fête.  Croyants  en  la 
communion  des  Saints,  nous  savons  que'  tous  ceux  qui  t'aimèrent  et  te 
servirent  en  esprit  et  en  vérité,  nou^  écoutent  et  nous  entendent  en  ce 
moment. 

Désormais  Dollard  est  notre  modèle  ! 

Désintéressés  comme  lui,  braves  comme  lui,  croyants  comme  lui, 
nous  jurons  de  poursuivi-c  les  luttes  de  demain,  pour  nos  foyers  et  poiu- 
nos  autels,  visière  haute,  poitrine  découverte,  au  grand  jour,  sur  les 
monts  et  dans  la  plaine. 

Nous  jurons  de  rester  identiques  à  nous-mêmes,  dans  la  vie  publique 
comme  dans  la  vie  privée. 

Nous  jurons  d'être  à  jamais,  sui"  la  terre  canadienne,  les  chevaliers 
de  Dollard,  c'est-à-dire  les  défenseurs  du  droit,  de  la  justice,  de  la  civili- 
sation, de  la  chrétienté,  et  de  la  langue  française. 

Nous  jurons  un  amour  indéfectible  à  la  foi  de  nos  pères,  aux  tra- 
ditions de  nos  pères,  à  la  langue  de  nos  pères. 

Pom-  ces  motifs,  notre  vie  t'appartient,  O  Patrie,  et  si  pour  assurer 
ta  permanence  il  faut  d'autres  hécatombes,  tes  enfants  d'aujourd'hui, 
comme  Dollard  au  Long-Sault,  sont  prêts  à  mourir  ! 


l'Action  fhançaihe 

AOÛT  1919 


Les  précurseurs 

JEROME-ADOLPHE  CHICOYNE 


Chaque  dimanche,  après  la  grand'messe,  le  bureau  de 
poste  de  notre  petite  ville  s'ouvrait  pendant  une  demi-heure. 
Les  citoyens  y  passaient,  vidaient  leur  case,  puis  rentraient 
au  logis  pour  le  dîner  de  famille.  Sur  le  coin  de  la  table 
déjà  mise,  notre  père  empilait  son  courrier.  Pourquoi,  pen- 
dant qu'il  parcourait  le  quotidien  de  la  veille,  nos  curiosités 
de  huit  ans  s'emparaient-elles  toujours  du  même  hebdoma- 
daire ?  La  fascination  pouvait  être  due  au  titre,  le  Pionnier. 
Ses  grosses  lettres  noires  s'étendaient  sm*  toute  la  largeur 
du  large  journal.  Sa  devise,  Emparons-nous  du  sol,  que 
l'on  croit  empruntée  à  Etienne  Parent,  avait  aussi  son  atti- 
rance. Mieux  que  tout  cela,  de  derrière  le  titre  et  la  devise, 
il  transparaissait  un  caractère,  une  conscience,  une  âme 
enfin. 

Un  caractère  tranché  plus  ciue  tranchant,  une  cons- 
cience droite  et  presque  méticuleuse,  une  âme  très  douce 
et  très  noble,  c'est  tout  Jérôme-Adolphe  Chicoyne. 


Cet  aristocrate  de  tempérament  se  complaisait  aux 
allures  plébéiennes.  Il  devait  l'un,  semble-t-il,  à  sa  famille, 
originaire  de  la  Touraine.  Les  autres  lui  venaient  peut- 
être  de  son  village,  Saint-Pie-de-Bagot,  où  il  était  né  le 
22  août  1844. 

Vol.  III  No  8 


338  l'action  française 

Au  physique,  Chicoyne  était  de  la  race  des  chênes  tra- 
pus. La  charpente  solide,  posée  sur  des  jambes  courtes, 
était  dominée  par  de  larges  épaules  entre  lesquelles  émer- 
geait une  tête  carrée.  A  l'éclat  des  prunelles  augmenté 
par  la  noirceur  des  sourcils  bien  arqués;  au  plissement  du 
front  haut  et  large;  au  son  bref  de  la  voix  sourde  émise  par 
tles  lèvres  puissantes,  on  sentait  l'action  intérieure  d'une 
volonté  ferme  sur  une  intelligence  toujours  en  travail. 

Ces  deux  forces,  l'éducation  les  avait  développées. 
Un  maître  influent,  l'abbé  François  Tétreau,  avait  donné 
le  branle.  Une  compagnie  de  premier  ordre,  où  se  cou- 
doyaient Oscar  Dunn,  Ferdinand  Gagnon,  Jules-Paul  Tardi- 
vel,  Honoré  Mercier,  Boucher  de  La  Brusre,  Alfred  Bernier, 
le  futur  juge  Bourgeois  et,  unique  survivant,  le  juge  Louis 
Tellier,  stimulait  les  énergies  accumulées.  Sur  l'arbre  ainsi 
préparé  un  labeur  opiniâtre  faisait  germer,  en  fruits  déli- 
cats, des  convictions  religieuses  profondes,  des  idées  socia- 
les aussi  élevées  que  justes,  une  érudition  abondante  et 
précise.  Un  patriotisme  ardent  ajoutait  à  tout  cela  une 
ambition  fébrile  de  se  dévouer  au  bien  de  sa  race  et  de  son 
pays. 

Chicoj'ne  fut  un  dévoué,  le  soldat  de  trois  causes  dispa- 
rates en  apparence,  mais  marquées  chez  lui  d'une  frappante 
unité.  li  servit  à  la  tribune  politique;  il  servit  dans  la  chaire 
du  journahsme;  il  servit  sur  les  routes  cahoteuses  des  con- 
trées de  colonisation.  En  chacun  de  ces  théâtres,  il  tint 
un  rôle  de  premier  ordre.  Ce  rôle  fait  de  lui,  sinon  un  pré- 
curseur, du  moins  un  professeur  d'énergie,  au  total  un  maî- 
tre. 

Chicoyne  entrait  dans  la  vie  pubhque,  vers  1872,  à 
l'heure  où  le  gouvernement  provincial  inaugurait  une  poli- 
tique   d'extension    terrienne    et    de    cohésion    nationale. 


l'action  française  339 

Aux  Canadiens  résolus  de  se  fixer  dans  la  république  voi- 
sine Ferdinand  Gagnon  conseillait  la  naturalisation  défini- 
tive. Chicoyne  complétait  son  œuvre  en  ouvrant  des  dé- 
bouchés nouveaux  à  ceux  que  tenaillait  le  goût  du  revenez-y. 

La  Revue  canadienne^  a  raconté  avec  détails  l'histoire 
lie  la  «  colonie  du  rapatriement  ».  Elle  aurait  pu  insister 
sur  les  deux  idées  qui  dominèrent  l'entreprise  et  dont  l'ap- 
plication fut  la  tâche  propre  de  Chicoj'ne  :  la  coopération 
du  clergé,  le  courant  d'immigration  française.  Le  premier, 
il  mit  la  hache  en  bois,  à  Ditton  (la  Patrie),  à  Chesham 
(Notre-Dame-des-Bois),  à  Emberton  (Chartierville),  à 
Sainte- Agnès  (Mégantic).  C'est  lui  qui  obtint  des  évêques 
les  prêtres-pionniers  de  la  région.  C'est  lui  qui,  à  quatre 
reprises,  franchit  l'Océan,  rapporta  de  l'abbaye  de  la  Meil- 
leraie  un  essaim  de  moines  trappistes  et  de  la  Basse  Norman- 
die l'embryon  de  compagnie  qui  s'appela  bientôt  les  Moulins 
nantais.  Rien  ne  lui  coûta,  ni  les  instances  auprès  du  gou- 
vernement local,  ni  les  démarches  à  l'étranger,  ni  l'exemple 
personnel  donné  au  colon. 

La  seule  chose  qui  pourrait  étonner,  dans  cette  cam- 
pagne plus  féconde  qu'une  campagne  militaire,  c'est  l'effa- 
cement volontaire  du  chef.  Nous  savons  une  circonstance 
où  l'évêque  prit  une  décision  contraire  au  sentiment  de 
Chicoyne  comme  à  celui  d'un  groupe  de  colons.  Par  res- 
pect pom*  la  hiérarchie,  Chicoyne  se  renonça  jusqu'à  se 
ranger  du  côté  de  son  évêque,  laissant  à  l'avenir  de  décider 
entre  eux.  L'avenir  lui  a  donné  raison.  Le  maître  de  cette 
œuvre  patriotique  en  a  écrit  l'histoire,  feuillet  par  feuillet.  - 
A  la  lire,  on  ne  soupçonnerait  guère  que  le  narrateur  était 
le  deus  ex  machina  de  l'entreprise. 

1  1914,  avril,  mai,  juillet,  octobre  —  1915,  avril,  ieptembre. 
'  Voir  la  série  des  annuaires  du  Séminaire  de  Sherbrooke. 


340  l'action  française 

Cette  histoire  tronquée,  la  postérité  la  complétera. 
Elle  dira  que  l'exemple  de  Chicoj-ne  colonisateur  n'a  pas 
été  étranger  au  mouvement  créé  par  le  curé  Labelle  dans 
notre  Nord  provincial,  au  courant  qui  se  dirige  de  plus  en 
plus  vers  la  ^Métapédia  ou  vers  l'Abittibi.  Le  titre  de  son 
journal  était  un  poteau  indicateur;  sa  devise,  un  programme. 
Chicoyne  aura  eu  le  double  mérite  de  développer  ce  pro- 
gramme et  de  l'appliquer  avec  un  succès  indiscutable. 


Ce  succès,  il  faut  l'attribuer,  pour  une  large  part,  à 
l'action  du  journal  de  Chicoyne,  le  Pionnier. 

Entre  ses  mains,  les  larges  feuilles  furent  un  brandon. 
Chaque  semaine,  il  les  lançait  à  travers  les  forêts  épaisses 
des  Cantons  de  l'Est  en  héraut  de  la  hache  et  de  la  pioche. 
Le  héraut  criait  toutes  les  bonnes  nouvelles,  encourageait 
toutes  les  initiatives  heureuses,  indiquait  d'utiles  recettes 
et  des  procédés  avantageux,  poussait  à  la  culture  et  au  dé- 
frichement, prévenait  les  erreurs  et  répandait  la  vérité. 
Chicoyne  était  essentiellement  journaliste.  Il  avait  les 
deux  qualités  fondamentales  de  la  profession  :  le  don  de  voir 
et  de  fah-e  voir  clair,  Fart  d'intéresser  par  la  variété  de  la 
matière  et  l'originalité  de  l'expression.  Certain  jour,  un 
jeune  homme  de  ^Montréal  vient  se  confier  à  lui  pom*  faire 
l'apprentissage  du  journalisme.  Chicoyne  le  prie  de  rentrer 
chez  lui,  de  noter  ce  qui  l'a  le  plus  frappé  sur  le  parcours, 
de  le  lui  rapporter  trois  semaines  après.  Au  jour  dit,  le 
candidat  reparaît,  mais  n'a  rien  remarqué.  «  Comment  ! 
rétorque  Chicoyne  la  voix  vibrante,  vous  avez  traversé  à 
deux  reprises  le  pont  Victoria,  et  cette  merveille  de  l'indus- 
trie nationale  ne  vous^a  rien  dit  !  Mon  ami,  renoncez  à  la 
carrière;  il  vous  mancuic  le  don  de  yo'w.     Comment  voulez- 


l'action  française  341 

vous  arriver  à  faire  voir?     Et  le  journalisme,  c'est     cela, 
ou  je  n'y  entends  rien.  » 

Son  journal  touchait  à  tout.  Jamais  ])ourtant  l'article 
n'était  aussi  pratique  que  quand  il  traitait  des  choses  agri- 
coles. Dans  les  questions  de  chiffres,  de  finances  publiques 
par  exemple,  il  devenait  d'une  précision  mathématique. 
Mais  jamais, non  plus,  il  ne  fut  éloquent  comme  les  jours  où. 
s'inspirant  du  gâchis  européen,  il  .signalait  à  nos  gouver- 
nants et  à  leurs  mandataires  les  écueils  d'une  politique 
étroite  ou  imprévoj-ante.  Certaine  étude  sur  Cavour  méri- 
terait d'être  tirée  de  l'oubli,  pour  donner  une  leçon  aux 
historiens  à  courte  vue,  aux  journalistes  de  bas  étage. 

A  la  clarté  de  ses  vues  intellectuelles  le  rédacteur  du 
Pionnier  joignait  une  qualité  morale  des  plus  rares  chez 
les  manieurs  de  plume  :  le  respect  des  personnes.  Qu'on 
parcoure  la  collection  entière  du  journal,  lequel  subit  .sa 
direction  pendant  quinze  ans.  Quand  il  s'agit  d'un  projet 
qui  lui  paraît  utile  au  bien  public,  Chicoyne  n'a  assez  d'élo- 
ges ni  pour  l'enti-eprise  ni  pour  son  auteur.  Dès  qu'il  doit 
différer  d'avis  avec  cjuelqu'un,  vous  chercheriez  en  vain  le 
nom  de  l'adversaire.  Seul  alors  le  projet  est  en  cause,  avec 
ses  points  faibles  et  les  raisons  c^ui  le  condamnent.  Cette 
conduite  charitable  explique  pourquoi  Chicoyne,  ayant 
eu  beaucoup  d'adversaires,  ne  connut  pas  d'ennemis. 

Ce  qu'il  pratiquait  dans  la  vie  ixiblique,  il  en  donnait 
l'exemple  jusque  dans  l'intimité.  Nous  nous  rappelons 
qu'un  jour  une  personne  de  son  entourage  fit  contre  quel- 
qu'un une  réflexion  d'ailleurs  anodine.  «  Mon  ami  »,  s'em- 
pi'essa-t-il  de  reprendi-e,  «  disons  des  autres  tout  le  bien  que 
nous  pourrons;  il  y  aura  toujoui'S  assez  de  gens  pour  signa- 
ler leurs  défauts.  »  Par  cet  esprit  de  charité,  qui  marque 
toute  sa  carrière,  Chicoyne  .^e  disposait  à  devem'r,  sur  l:t 
-'•ène  politique,  un  figurant  do  pi-emier  plan. 


342  l'action  française 

Aussi  bien  la  politique  fut-elle  le  point  de  mire  de  sa 
vie.  Pour  s'y  rendre  utile,  il  n'avait  négligé  aucune  prépa- 
ration, celle  surtout  de  l'étiide.  Histoire  générale  et  parti- 
culière, histoire  canadienne  et  canadienne-française,  scien- 
ces politiques  et  économiques,  questions  financières,  indus- 
trielles, commerciales  et  agricoles,  lois  et  statuts,  règle- 
ments administratifs,  procédure  des  assemblées  délibé- 
rantes, il  avait  fait  le  tour  de  tout.  Aussi,  quand  il  entra 
à  l'hôtel  du  gouvernement  de  Québec  en  1892,  il  s'y  posa 
aussitôt  en  maître.  Il  continua  de  le  paraître  et  de  l'être 
jusqu'à  sa  descente  de  la  scène,  en  1904. 

Toutefois,  Chicoyne  n'avait  guère  confiance  dans  l'at- 
mosphère de  la  Chambre  commune.  Maintes  fois  il  a  con- 
fié là-dessus  sa  pensée  à  ses  intimes.  Dans  les  discussions 
générales,  selon  lui,  l'orateur  est  trop  porté  à  parler  pour 
la  galerie,  afin  de  soigner  sa  réputation.  Il  court  le  risque 
ou  d'oublier  la  question  en  jeu  ou  de  la  traiter  d'un  point 
de  vue  personnel.  Ce  risque,  ChicojTie  ne  se  sentit  jamais 
le  courage  de  le  courir.  Aussi  ses  discours  en  assemblée 
plénière  furent-ils  rares.  A  peine  peut-on  en  signaler  un 
ou  deux  par  année.  Certaine  mercuriale  sur  la  réforme  du 
Conseil  législatif  constitue,  dans  ce  genre,  le  plus  fort  plai- 
doyer qu'on  ait  encore  établi  en  faveur  du  maintien  d'une 
seconde   Chambre   modératrice. 

Mais  il  se  reprenait  dans  les  délibérations  des  comités. 
Ijà,  son  sens  pratique  se  donnait  libre  cours.  Il  l'avait 
aiguisé  dans  les  discussions  du  conseil  municipal  de  Sher- 
brooke, dans  celles  du  conseil  de  V Union  Saint-Joseph, 
une  de  ses  fondations  ou  presque.  On,  aimait  sa  claire 
dissection  des  projets  de  loi,  ses  distinctions  si  nettes  entre 
ce  qu'ils  avaient  d'acceptable  et  ce  qu'ils  contenaient  do 
pernicieux.  Jamais  des  avantages  partiels  ne  l'empêchèrent 
d«  voir  le  principe  dangereux  d'une  législation.     Jamais 


l'action  française  343 

non  plus  rexcellence  du  principe  ne  lui  fit  gober  en  bloc  les 
articles  parfois  risqués  d'un  bill.  Il  mettait  même  une  cer- 
taine ironie  à  écraser  de  son  expérience  et  de  sa  droiture 
les  novices  de  la  représentation  populaire. 

Un  chroniqueur  a  raconté  à  ce  propos  ^  une  scène  char- 
mante. Un  comité  siégeait,  avec  une  vingtaine  de  députés 
autour  du  tapis  vert.  Le  projet  discuté,  profitable  à  quel- 
ques individus,  contrecarrait  manifestement  le  bien  public. 
Les  intéressés,  malgi'é  les  observations  judicieuses  de  Chi- 
coyne,  n'essayaient  pas  moins  de  le  faire  adopter  subrep- 
ticement. Chicoyne,  son  devoir  accompli,  se  retire  dans 
l'embrasm'e  d'une  fenêtre  et  envoie  un  page  chercher  à  la 
bibliothèque  un  volume.  De  son  fauteuil  à  demi  tourné 
vers  le  groupe,  il  observe  d'un  œil  le  manège  et,  de  l'autre, 
dévore  son  livre  en  souriant.  Un  ami  qui  passe  à  ce  mo- 
ment s'informe  du  contenu.  «  Mon  cher  »,  répond  Chi- 
coyne, «  je  relis  Tartuffe.  Quel  peintre  que  ce  Molière  !  » 
L  histoire  ne  dit  pas  si  les  plaideurs  visés  s'esquivèrent  à  la 
file. 

C'était  là  les  distractions  d'un  grand  homme.  D'ordi- 
naire, il  était  le  bon  conseiller,  l'aviseur  toujom'S  prêt  à 
ouvrir  son  arsenal,  pour  permettre  aux  jeunes  surtout  de 
s'y  approvisionner.  Sa  sagesse,  son  rude  bon  sens,  sa  con- 
naissance des  hommes  et  des  choses,  l'originalité  de  ses 
saillies,  sa  vaste  érudition  eurent  vite  groupé  autour  de  lui 
l'élite.  Ministrable,  il  ne  fut  jamais  ministre.  Il  se  con- 
tenta de  faire  œuvre  d'éducation  politique,  à  son  siège  de 
l'Assemblée  comme  de  son  fauteuil  de  rédacteur.  Ses  col- 
lègues, en  le  désignant  comme  le  sage  du  Parlement,  ne  fai- 
saient que  consacrer  une  réputation  acquise  par  un  labeur 
assidu  dans  la  vie  privée,  une  honnêteté  proverbiale  dans 
la  vie  publique. 

^  Le  Devoir,  13  octobre  1910. 


344  l'action  française 

Après  sa  sortie  de  l'arène  en  1903,  Chicoyne  était  reve- 
nu dans  sa  bonne  ^'ille  de  Saint -Hj-acinthe.  Il  y  avait  fait, 
avec  le  futur  Père  Gladu  des  Oblats,  son  stage  d'avocat 
et  d'aspirant-journaliste.  Une  paralysie  aiguë  lui  ravit, 
en  1907,  avec  l'usage  de  la  parole,  celui  de  l'ouïe.  On  ne 
pouvait  causer  avec  lui  que  par  écrit  ou  par  l'entremise  de 
la  devineresse  de  ses  pensées.  Un  jour,  nous  écrivîmes  : 
«  Je  vais  bien  prier  pour  que  le  bon  Dieu  vous  donne 
d'entendre  et  de  parler  encore  .»  Sa  fille,  sa  confidente, 
déchiffra  sur  ses  lè\Tes  un  balbutiement  qu'elle  traduisit 
ainsi  :  «  Demandez  poin-  moi  la  parole.  Quant  à  l'ouïe, 
je  n  en  ai  guère  besoin  :  pour  avoir  passé  douze  ans  au 
Parlement,  jai  entendu  toutes  les  sottises  qui  peuvent  se 
dire  »  ! 

La  boutade  était  énorme  et  il  en  riait  de  bon  cœur. 
Elle  cachait  pourtant  une  part  de  vérité.  L'homme  dont 
la  parole  écrite  ou  prononcée  avait  remué  tant  d'idées  fé- 
condes, éveillé  tant  d'esprits  endormis,  servi  tant  de  causes 
utiles,  pouvait  réclamer  l'usage  de  l'instrument  dont  il  avait 
si  bien  usé  toujours.  L'Actio7i  française  accomplirait  une 
bonne  action  en  satisfaisant  ce  vœu  que  la  mort,  survenue 
le  30  septembre  1910,  rendit  stérile.  Il  lui  suffirait  de  grou- 
per en  volume,  avec  ses  principaux  articles,  les  principaux 
discours  et  conférences  de  Chicoyne.  Elle  prolongerait 
ainsi,  comme  elle  l'a  fait  pour  Lamarche,  l'action  de  son 
verbe  puissant.  Les  politiques  y  prendraient  des  leçons 
de  prévoyance,  les  journalistes  des  leçons  de  discussion 
courtoise,  les  colonisateurs  des  leçons  de  persévérance.  Cha- 
cun y  trouverait  le  profit  qui  lui  convient.  La  race  compte- 
rait un  fleuron  de  plus  i\  sa  eom-onne  do  ferme  bon  sens  et 
(le    dévouement    public. 

17  août   1919.  Chanoine   Emile  Chartier. 


LA  MERE  DES  LE  MOYNE 


«  En  1654,  un  célèbre  jusqu'à  treize  mariages  à  Ville- 
Marie.  Le  -plus  remarquable  sans  contredit  est  celui  de  Char- 
les Le  Moyne.  avec  Catherine  Primot.  »  Ainsi  s^exprime 
Vabbé  Etienne-Michel  Faillon,  Vhistorien  de  Ville-Marie. 
Lafière  silhouette  de  Charles  Le  Moyne,  V image  de  la  souriante 
jeune  femme  qui  se  tient  à  ses  côtés,  se  profdent  devant  nous. 
Le  paysage  s'éclaire  de  leur  présence,  son  austérité  se  tempère 
de   grâce. 

A  cette  époque,  Charles  Le  Moyne  compte  vingt-huit  an- 
nées. Soldat  intrépide  à  Végal  de  Maisonneuve  et  de  Closse, 
diplomate  avisé  à  l'heure  des  négociations,  avec  des  ennemis 
dont  il  parle  la  langiie  et  pénètre  les  ruses,  il  devient,  durant 
les  intervalles  de  paix,  tantôt  un  marchand  actif  et  heureux, 
tantôt,  tel  un  héros  antique,  V agriculteur  qui  pousse  la  charrue 
et  fait  valoir  son  domaine.  Il  est  déjà  «  couvert  de  gloire  et 
propriétaire  d'une  riche  concession  ».  Quel  chemin  a  par- 
couru l'adolescent,  auquel  les  Jésuites  remettaient,  neuf  années 
auparavant,  en  retour  de  ses  services  chez  les  missionnaires 
des  Hurons,  vingt  écus  et  un  peu  de  linge  ! 

Six  mois  plus  tôt,  Charles  Le  Moyne  demandait  eji  ma- 
riage l'unique  enfant  d'Antoine  Primot  et  de  Martine  Messier. 
Parmi  la  jeunesse  féminine  de  Ville-Marie,  jeunesse  aux 
lèvres  graves,  aux  yeux  très  doux,  à  la  démarche  harmonieuse, 
on  ne  connaissait  pas  de  tête  plus  sage,  de  croyante  plus  vive 
que  Catherine  Primot.  Et  sans  doute  Charles  Le  Moyne  pen- 
sait-il ainsi,  lui  qui  se  troublait  en  face  du  charme  de  la 
jeune  fille,  au  point  de  douter  de  lui-même.     Il  y  a,  vraiment, 


346  l'action  française 

de  l'humilité  dans  le  geste  de  ce  preux  qui  met  sous  la  'protec- 
tion de  la  loi,  la  promesse  de  mariage  qu'il  vient  d'obtenir. 
Il  y  a  de  même,  dans  l'empressement  des  parents  de  Cathe- 
rine à  contracter  des  obligations  semblables  envers  le  fiancé, 
une  secrète  reconnaissance  de  la  valeur  de  Charles  Le  Moyne. 

«  Pour  être  préféré  à  tout  autre,  nous  dit  l'abbé  Faillon, 
Charles  Le  Moyne  passe  un  contiat,  le  10  décembre  1653,  par 
lequel  il  s'engage  à  épouser  prochainement  Catherine  Primot, 
sous  peine  de  donner  à  ses  parents  600  livres  en  cas  de  dédit 
de  sa  part.  De  leur  côté,  Antoine  Primot  et  Martine  Messier 
s'obligent  à  compter  la  même  somme  à  Charles  Le  Moyne, 
S'ils  manquent  à  la  parole  qu'ils  lui  donnent  réciproquement. 
Ces  conditions  sont  faites  au  Fort  de  Ville-Marie,  en  présence 
de  M.  de  Maisonneuve,  de  Mademoiselle  Mance,  de  Michel 
Messier  et  autres  témoins  qui  les  signent.  » 

Le  vingt-huit  mai  suivant,  le  Père  Claude  Pijart,  jésuite, 
bénit  le  mariage.  La  petite  épousée  n'a  que  quatorze  ans. 
C  est  entre  des  mains  bien  frêles,  semble-t-il,  que  Charles  Le 
Moyne  remet  la  garde  de  son  foyer  et  le  soin  de  son  bonheur 
intime.  Catherine,  si  jeune  encore,  saura-t-elle  veiller  longue- 
ment, patiemment  auprès  des  futurs  berceaux  f 

Aucune  déception  n'attend  Charles  Le  Moyne.  La  jeune 
femme  voile  sa  grâce  dans  l'ombre  et  le  silence  de  sa  demeure. 
Sa  mission,  elle  le  sait,  est  ennemie  du  bruit  et  âè  l'éclat.  Elle 
se  recueille  et  fixe  sur  ses  nouveaux  devoirs  un  clair  regard. 
Elle  ne  l'en  détourne  plus.  Son  existence  désormais  va  se 
confondre  avec  les  êtres  auxquels  elle  prêtera  sans  mesure 
sa  délicate  bonté,  l'appui  de  son  âme  énergique,  toutes  les 
ressources  d'une  nature  élevée.  L'atmosphère  d'héroïsme 
qu'elle  respire  autour  d'elle  a  trempé  so7i  esprit  et  son  cœur. 
A  Ville-Marie,  les  héros  sont  nombreux,  et  les  récits  de  leurs 
actes  dressent  les  volontés,  et  affirment  la  vaillance    naturelle 


l'action  française  347 

des  êtres.  Catherine  Primoi  n'a-t-elle  pas  reçu,  en  outre,  au 
foyer  même  de  ses  parents,  des  leçons  plu^  saisissantes  encore  f 
Martine  Messier,  sa  mère,  dont  Vhistolre  consigne  le  trait  de 
valeur,  dut  fortifier  en  elle,  par  son  exemple,  le  culte  du  cou- 
rage, cette  adaptation  sans  défaillance  aux  conditions  difficiles 
de  la  vie. 

Catherine  n'est  que  Vénfant  adoptive  d'Antoine  Primot 
et  de  Martine  Messier.  Née  en  France,  en  1640,  elle  est  la 
fille  de  Guillaume  Thierry  et  d'Elisabeth  Messier,  cette  der- 
nière, sans  doute,  la  cousine  de  Madame  Primot.  Demeuré 
sans  enfants,  le  ménage  des  Primot  adopte  la  petite  fille  et 
obtient  des  parents  la  permission  de  la  conduire  avec  eux  au 
Canada.  En  1650,  ils  débarquent  à  Ville-Marie.  Catherine 
est  donc  considérée  par  toute  la  colonie  comme  leur  enfant 
véritable.  Ce  n'est  que  plusieurs  années  plus  tard,  six  ans 
après  le  mariage  de  la  jeune  femme,  qu'Antoine  Primot  et 
Martine  Messier,  désirant  légaliser  les  droits  de  Catherine  à 
leur  succession,  «  se  présentent  devant  M.  de  Maisonneuve^ 
chargé  par  les  seigneurs  de  rendre  la  justice,  et  déclarent  qu'ils 
adoptent  Catherine  Thierry  pour  leur  fille  et  leur  héritière,  à 
la  charge  qu'elle  retiendra  toujours  le  nom  de  Primot  ». 

C'est  maintenant  une  mère  heureuse  et  féconde  que  Cathe- 
rine !  Ses  jours  se  remplissent  d'un  long  et  fervent  labeur 
De  beaux  enfants  l'entourent.  Des  fils  aux  prunelles  claires 
où  se  reflète  la  gravité  maternelle.  Le  sang  impétueux  des 
Le  Moyne  se  trahit  dans  leurs  gestes  hardis.  Catherine  effleu- 
re-t-elle,  parfois,  de  ses  doigts  légers,  le  front  de  Pierre,  le  troi- 
sième de  ses  fils  f  Le  regard  de  l'enfant  possède  une  singu- 
lière pénétration.  A-t-elle  la  vision  de  sa  vaillance  future, 
l'intime  pressentiment  qu'il  sera  un  jour,  comme  nul  autre 


348  l'action  française 

avcDit  lui,  grand  et  illustre  parmi  les  hommes  de  son  pays? 
Les  mères  ont  cette  acuité  de  vue.  Certains  jour  s, une  petite  fille 
apparaît  près  d'eux.  C'est  une  cousine  dont  la  douceur  est  mer- 
veilleuse, et  les  voix  chantantes  des  hambins  ont  bientôt  pro- 
noncé le  nom  de  Jeanne  Le  Ber.  Quelle  enfance  d'élite  dirige 
et  conseille  Catherine  Primot  !  L'enfance  de  Le  Moyne  de 
Longueuil,  d'IberviUe,  de  Sainte-Hélène,  de  Bienville.  Que 
de  traits  exquis  dut  la  contenir  !  Nous  ne  les  connaissons 
pas.  Le  livre  maternel  de  Catherine  s'est  clos  discrètement. 
Seuls,  plus  tard,  les  actes  glorieux  de  ses  fils  racontent  sa  valeur 
d'éducatrice. 

L'angoisse  étreint  cruellement,  parfois,  le  cœur  de  cette 
femme  et  mère  de  héros.  A  Ville-Marie,  ailleurs  aussi,  au 
moindre  appel  du  danger,  les  têtes  vaillantes  qui  l'entourent 
se  redressent.  L'on  répond.  C'est  la  tâche  d'honneur  des 
Le  Moyne,  et  jalousement,  ils  s'y  emploient.  L'histoire,  par 
quelques  lignes  précieuses  pour  la  mémoire  de  Catherine,nous 
laisse  deviner  le  tourment  qu'elle  éprouve  durant  ces  heures 
.sombres.  En  1665,  Charles  Le  Moyne  tombe  entre  les  mains 
des  Iroquois.  La  haine  des  sauvages,  pour  cet  homme  qui 
si  souvent  leur  a  fait  mordre  la  poussière,  va  s'assouvir. 
A  Montréal  on  ne  garde  aucun  espoir.  Catherine  Primot, 
tant  pour  cacher  sa  détresse  aux  yeux  de  ses  fils,  que  pour 
en  appeler  à  Celui  qui  ne  veut  pas  que  Von  désespère,  se  réfugie 
à  l'église.  Durant  trois  longs  mois,  ses  mains  se  joignent  et 
supplient.  Elle  s'obstine  dans  sa  confiance.  Et,  par  une 
belle  journée  d'automne,  le  miracle  attendu  se  produit.  Char-^ 
les  Le  Moyne,  soudain,  débarque  et  sain  et  sauf  à  Ville-Marie. 
Les  Iroquois,  ô  fait  merveilleux,  ne  Vont  pas  supplicié,  mais 
au  contraire  solennellement  adopté  pour  un  de  leur  nation, 
et  choisi    comme  protecteur  auprès  du  gouverneur  général  du 


L'ACTION    FRANÇAISE  349 

Canada.  «  On  peut  dire,  écrit  M.  Dollier  de  Casson,  que  sa 
femme  dont  la  vertu  ici  est  un  rare  exemple,  a  contribué  tant 
par  sa  piété  que  par  ses  vœux  à  cette  délivrance  si  peu  attendue.)) 

Charles  Le  Moyne  meurt  en  1685.  Quarante-quatre  an- 
nées employées  au  service  de  la  patrie,  dans  des  circonstances 
périlleuses  et  ardues,  ont  raison  de  la  force  magnifique  de  cet 
homme.  Mais  son  esprit  ne  fléchit  pas.  Le  testament,  que 
dicte  Charles  Le  Moyne,  nous  le  montre  toujours  aussi  judi- 
cieux, très  attentif  au  bien-être  des  siens.  «  Monsieur  Saint 
Michel  »,  qu'il  invoque  au  début  de  l'acte,  V assiste  sans 
doute,  une  dei  nière  fois,  de  ses  lumières.  Le  seigneur  de 
Longueuil,  de  Châteauguay,  et  autres  lieux,  s'éteint  en  jetant 
vers  Catherine  un  suprême  regard  de  confionce  et  d'affection. 

Sur  les  treize  enfants  qui  lui  survivent  —  Catherine  fut 
mère  quatorze  fois,  —  onze  n'ont  pas  encore  atteint  leur  majo- 
rité. Le  fardeau  s'alourdit  sur  les  épaules  de  Catherine.  Outre 
sa  tâche  maternelle,  il  lui  faut  prendre  la  direction  des  affaires 
de  son  mari.    Charles  Le  Moyne  était  un  marchand  prospèie. 

Cinq  années  durant,  elle  s'y  consacre.  Puis,  s'étendent 
aussi  pour  elle  les  ombres  du  soir.  Sa  fin  approche. 
Comme  elle  s'imprègne  de  sérénité,  pour  celle  qui  aima  les 
vertus  discrètes  et  effacées  !  Lueurs  pâles  et  exquises  d'un 
beau  couchant!  Le  vingt-trois  août  1Q90,  on  ferme  doucement 
ses  yeux.     Elle  vient  d'expirer. 

L'histoire  a  inscrit  dans  ses  pages,  près  du  nom  des  héros 
que  furent  Charles  Le  Moyne  et  ses  onze  fils,  le  nom  de  Cathe- 
rine Primat.  Qu'elle  garde  fidèlement  la  mémoire  de  cette 
mère  qui  forma  l'âme  grande,  et  invincible,  d'un  Pierre 
Le  Moyne  d'Iberville    ! 

Marie-Claire  Daveluy. 
15  août  1919. 


QUESTION  DE  PÉDAGOGIE 

L'ENSEIGNEMENT  DU  FRANÇAIS 


De  toutes  les  discussions  soulevées  récemment  dans 
notre  province  au  sujet  de  l'éducation,  un  point  semble 
ressortir  avec  évidence  :  c'est  que,  chez  nous,  l'on  désire 
intensément  le  progrès  de  l'instruction  publique.  On  peut 
apprécier  différemment  les  résultats  obtenus  jusqu'ici,  on 
peut  chercher  l'amélioration  désirée  par  des  moyens  divers 
ou  même  contradictoires,  mais  à  tout  prix  on  veut  progres- 
ser. C'est  déjà  un  signe  que  l'on  avance,  et  il  faut  se  réjouir 
de  cette  louable  préoccupation. 

La  question  des  moyens  à  prendre  pour  avancer  vite 
n'en  devient  que  plus  pressante.  A  l'heure  où  nous  vivons, 
les  instants  sont  précieux  pour  les  Canadiens  français.  Ils 
n'ont  pas  le  loisir,  s'ils  veulent  survivre  et  garder  leur  place, 
de  multiplier  les  erreurs  pour  acquérir  de  l'expérience.  Il  est 
donc  souverainement  important  que  l'instruction  de  la 
jeunesse  reçoive  une  orientation  ferme  et  sûre,  qui  ne  nous 
oblige  jamais  à  redresser  notre  marche  et  à  revenir  sur  nos 
pas.  Or,  la  première  condition  pour  aller  droit  au  but, 
c'est  de  savoir  où  l'on  va.  Le  but  une  fois  déterminé,  que 
les  éducateurs  aient  le  courage  de  le  poursuivre  avec  énergie, 
avec  persévérance,  avec  méthode,  par  des  procédés  qui  ont 
fait  leurs  preuves,  quelles  que  soient  les  criailleries  qui  reten- 
tissent à  leurs  côtés. 

Ce  but,  semble-t-il,  devrait  être  de  perfectionner  Ics- 
pèce  d'hommes  que  nous  sommes  par  nature,  de  faire  de 
nous  les  Canadiens  français  les  plus  accomplis  qu'on  puisse 
imaginer,  mais  pas  autre  chose  que  des  Canadiens  français. 
Ceux-ci  seront  ensuite  industriels,  banquiers,  avocats,  mé- 
decins, commerçants,  cultivateurs  ou  spéculateurs,  mais, 


l'action  française  351 

avant  de  les  spécialiser,  notre  éducation  doit  viser  à  déve- 
lopper toutes  leurs  qualités  natives,  les  dispositions  natu- 
relles que  nous  avons  reçues  de  nos  ancêtres. 

C'est  une  erreur  de  croire  que  l'instruction  fait  l'homme. 
Elle  le  développe,  voUà  tout.  L'école  n'est  pas  un  malaxeui- 
qui,  après  un  certain  nombre  de  toui'S,  peut  faire  de  n'im- 
porte quelle  matière  im  béton  d'égale  valeur,  pourvu  que 
l'eau  et  le  ciment  y  soient  en  justes  proportions.  Le  maté- 
riel à  pétrir-  importe  par-dessus  tout.  Avant  de  doser  la 
quantité  de  ceci  ou  de  cela  qu'on  désire  mettre  dans  la  tête 
à  remplir,  il  faut  savoir  à  quel  sujet  l'on  a  affaire  et  s'il  est 
apte  à  devenir  ce  que  l'on  veut.  Une  intelligence  anglaise 
ne  se  cultive  pas  comme  l'esprit  d'un  Français,  et  il  ne  suffit 
pas  d'envoyer  vos  enfants  dans  les  highs  chools  des  États- 
Unis  pour  en  faire  de  parfaits  Américains.  La  première 
qualité  d'un  enseignement  rationnel,  c'est  de  s'adapter, 
non  pas  aux  systèmes  à  la  mode,  non  pas  aux  ambitions 
des  papas,  mais  au  génie  du  peuple  qu'il  faut  instruire. 

Cela  est  si  vrai  que  les  méthodes  d'enseignement  con- 
sacrées par  l'expérience  diffèrent  considérablement  chez 
les  différentes  nations.  Un  observateur  attentif  ne  man- 
quera pas  de  remarquer,  par  exemple,  que  les  Français  d'une 
part,  les  Anglais  et  les  Américains  d'autre  part,  ne  poursui- 
vent pas  exactement  le  même  but  immédiat  dans  leurs  étu- 
des. L'Anglais  et  l'Américain  cherchent  à  connaître  le 
plus  de  faits  possible;  le  Français  apprend  à  penser  et  à 
sentir.  L'idée  pure,  la  pensée  claire,  le  sentiment  intense, 
c'est  à  quoi  vise  celui-ci  ;  les  notions  positives,  les  faits 
d'expérience,  les  conclusions  qui  se  dégagent  de  ces  faits,  de 
ces  précédents,  comme  ils  disent,  c'est  ce  que  recherchent 
surtout  ceux-là.  Sans  doute,  il  ne  faut  rien  exagérer.  Les 
Latins  ne  raisonnent  pas  en  l'air  au  point  de  néghger  les 
faits,  et  les  Saxons  ne  sont  pas  tellement  fascinés  par  les 


352  l'action  française 

faits  qu'ils  en  oublient  le  raisonnement.  Mais  il  y  a  là  une 
tendance  qui  dénote  une  tournure  de  caractère,  un  pli  de  la 
nature.  On  peut  en  suivre  les  manifestations  dans  les  fa- 
çons de  penser,  dans  les  institutions,  dans  les  goûts,  dans 
les  œuvres  d'art  et  les  entreprises  d'affaires,  jusque  dans  les 
écrits  des  philosophes  et  des  théologiens  de  l'un  et  de  l'autre 
groupe.  Histoire  et  géographie,  travaux  d'érudition,  calcul 
mental  et  simplifié,  sciences  naturelles  et  commerciales, 
tout  ce  qui  peut  servir  à  la  pratique  de  la  vie,  au  mécanisme 
des  affaires,  au  développement  de  l'industrie,  et  dans  les 
études  théologiques,  l'histoire  des  religions,  la  critique  des 
textes,  les  faits  d'expériences  religieuses,  tout  cela  obtient 
dans  les  pays  de  langue  anglaise  la  place  de  choix  que  l'on 
réserve,  en  France,  à  la  spéculation  sur  les  idées,  à  l'établis- 
sement des  lois  générales,  à  la  culture  de  la  forme  extérieure. 
C'est  ià  ce  qui  constitue  la  différence  entre  l'esprit  latin  et 
l'esprit  anglo-saxon  :  l'esprit  latin  plus  idéaliste  et  théorique, 
l'esprit  saxon  plus  pratique,  plus  matter  of  fact.  Ce  sont 
là  des  vérités  du  domaine  commun,  et  je  m'excuse  de  m'y 
attarder. 

Ces  tendances  naturelles,  l'éducation  les  favorise  chez 
les  \ms  et  chez  les  autres.  La  tournure  d'esprit  exige  cer- 
taines méthodes  d'éducation;  en  retour  l'éducation  accentue 
la  tounuire  d'esprit. 

Le  but  de  la  pédagogie  française,  non  seulement  dans 
l'enseignement  classique,  mais  à  tous  les  degrés,  c'est  d'ap- 
prendre à  penser.  Le  moyen  qu'elle  emploie,  c'est  d'ensei- 
gner à  s'exprimer.  C'est  pour  cela  que  l'étude  de  la  langue 
maternelle  tient  dans  les  écoles  françaises  une  place  qui 
peut  pai-aître  démesurée.  Enseigner  à  dire  ce  que  l'on 
veut  dire,  puis  à  le  dire  clairement,  puis  à  le  dire  d'une  ma- 
nière impressionnante,  voilà  ce  qu'on  s'y  propose  avant 
tout.     C'est  en  cherchant  à  dire  qu'on  s'entraîne  à  penser. 


l'action  française  353 

Il  n'en  va  pas  tout  à  fait  de  même  dans  les  écoles  an- 
glaises. La  langue  maternelle,  plus  facile,  exige  moins 
d'étude  et  contribue  moins  à  la  formation  de  l'esprit.  On 
semble  moins  se  préoccuper  de  former  l'intelligence  que 
de  la  meubler.  On  veut  que  l'enfant,  au  sortir  de  l'école, 
sache  beaucoup  de  choses,  on  s'inquiète  moins  que  chez  les 
Français  de  lui  montrer  à  se  ser^àr  de  ses  connaissances. 

La  question  qui  se  pose,  pour  nous  Canadiens  français, 
est  donc  de  savoir  si  nous  devons  nous  attacher  aux  tradi- 
tions de  la  pédagogie  française,  ou  si  nous  devons  en  sacri- 
fier quelque  chose  pour  mieux  nous  adapter  au  milieu  où 
nous  vivons.  Resterons-nous  délibérément  latins  ou  nous 
ferons-nous  saxons  parlant  français  ? 

Question  d'une  importance  primordiale  et  diversement 
résolue  jusqu'ici.  Non  seulement  les  hommes  d'affaires 
qui  se  mêlent  ou  ne  se  mêlent  pas  de  pédagogie,  mais  un 
grand  nombre  d'éducateurs,  surtout  dans  les  collèges  com- 
merciaux, ont  résolument  sacrifié,  par  inconscience  ou  parti 
pris,  une  part  considérable  de  la  tradition  française.  Seuls 
les  tenants  irréductibles  de  la  vieille  culture  classique  om 
voulu  faire  de  notre  peuple,  d'abord  un  peuple  d'esprit  fran- 
çais, un  peuple  de  commerçants  ensuite.  On  le  leur  repro- 
che assez  vertement.     Qui  a  raison,  qui  a  tort  ? 

Pour  nos  gens  pratiques,  le  but  étant  d'arriver  où  sont 
les  Anglais,  nous  devons  prendre  le  chemin  qu'ils  suivent. 
Pour  lutter  contre  eux,  rien  de  mieux  à  faire  que  de  prendre 
leurs  armes. 

J'avoue  que  cette  logique  ne  me  convainc  pas.  Avec 
sa  bonne  fronde,  Da\'id  tua  Goliath  qui  avait  pourtant  sa 
grande  épée.  Avec  un  esprit  clair  et  les  qualités  du  génie 
français,  nous  n'anéantirons  pas  nos  rivaux  sur  le  sol  d'Amé- 
rique, nous  ne  le  voulons  pas;  mais  nous  nous  taillerons 
une  place  avantageuse  à  côté  d'eux.     Rien  ne  vaut  les  habits 


354  l'action  française 

à  sa  taille.  On  y  est  plus  à  l'aise  et  plus  élégant.  Je  me 
défie  de  ^ces  gens  qui  veulent  nous  affubler,  toujours  pour 
notre  plus  grand  bien,  de  toutes  les  fourrures  qu'ils  voient 
sur  les  épaules  des  autres,  de  toutes  les  breloques  dont  ils 
sont    chamarrés. 

Si  nous  voulons  être  quelque  chose,  soyons  nous-mêmes. 
Autrement  nous  ne  serons  que  de  Vimitation,  comme  disent 
nos  gens  quand  ils  parlent  des  pelleteries.  Notre  grand, 
notre  seul  titre  de  noblesse,  c'est  d'être  des  Français  dans 
ce  coin  d'Amérique.  Soyons-le  aussi  parfaitement  que 
cela  se  peut  dans  les  conditions  où  nous  vivons.  Ne  nous 
proposons  pas  pour  idéal  d'être  des  copies  d'Anglais  ou 
d'Américains,  si  parfaites  soient-elles;  ce  serait  nous  suici- 
der. Les  premiers  à  nous  en  mépriser  seraient  précisément 
ces  Anglais  et  ces  Américains  qui  déjà  s'étonnent  et  qui 
commencent  à  nous  admirer  de  ce  que  nous  survivons.  Ils 
nous  envieront  bientôt  si  nous  possédons  la  pleine  culture 
française;  ils  nous  mépriseront  si  nous  ne  pouvons  pas  ou 
si  nous  ne  voulons  pas  y  atteindre.  Dès  maintenant,  quand 
ils  veulent  nous  blesser  profondément,  que  nous  repro- 
chent-ils? De  n'être  pas  américains?  Pas  du  tout,  mais 
de  n'être  pas  tout  à  fait  français. 

Certes,  il  faut  tenir  compte  des  circonstances.  Nous 
serons  français,  mais  des  Français  du  Canada,  à  deux  mille 
lieues  de  la  France  et  parmi  cent  millions  d 'Anglo-Saxons. 
Certains  détails  de  notre  caractère  en  seront  fatalement 
altérés,  nous  perdrons  d'un  côté,  nous  gagnerons  de  l'autre, 
mais  nous  nous  devons  à  nous-mêmes,  nous  devons  à  nos 
ancêtres,  nous  devons  à  toute  la  race  française  d'être  fiers 
de  ce  que  nous  sommes  et  de  garder  intact  le  fond  de  notre 
caractère  ethnique.  Sans  doute  il  faut  vivre,  il  faut  nous 
aiiner  pour  ra  lutte;  mais  le  triomph(\  le  seul  triomphe  pour 


l'action  française  355 

nous,  c'est  de  survivre  en  conservant  dans  toute  sa  splen- 
deur le  génie  de  notre  race. 

Or,  ce  génie  s'est  formé,  se  maintient,  se  développe 
par  des  méthodes  d'éducation  longuement  élaborées.  «  Le 
génie  d'une  race,  dit  Agathon  dans  un  livre  désormais  cé- 
lèbre, ^  c'est  un  mot  vague  peut-être,  mais  qu'on  entend 
pourtant  avec  assez  de  précision.  Il  j  a,  dans  toute  na- 
tion, une  réserve,  un  capital  de  forces  intellectuelles,  que 
l'instruction  supérieure  a  pour  but  d'entretenir  et  d'accroî- 
tre. Notre  génie  français,  fait  d'ordre,  de  clarté  et  de  goût, 
a  été  acquis  à  la  longue  et  par  certains  procédés  de  culture 
éprouvés.  Y  pouvons-nous  renoncer  aujourd'hui  sans 
abandonner  le  meilleur  de  nous-mêmes,  sans  compromettre 
ce  qui  a  longtemps  assuré  et  assure  encore  la  primauté  de 
notre  intçlligence  ?  L'expérience  répond  :  non ...  Le  génie 
d'un  peuple  dépend  en  grande  partie  de  son  éducation,  de 
la  direction  imprimée  à  ses  goûts  et  à  ses  tendances;  il  est 
en  grande  partie  son  œuvre.  Or,  il  existe  un  accord  pro- 
fond entre  notre  génie  français  et  ce  que  nous  appelons  d'un 
terme  large  la  culture  classique.  Si  nous  voulons  conserver 
cet  héritage  de  précieuses  qualités  que  les  peuples  étrangers 
s'accordent  à  admirer  chez  nous,  le  sens  idéaliste,  la  netteté 
de  l'intelligence,  le  goût,  sans  doute  est-il  imprudent  de 
sacrifier  cette  formule  de  notre  éducation  nationale.  » 

Si  nous  voulons,  nous,  garder  le  génie  de  la  race  fran- 
çaise, nous  devons  donc  nous  attacher  avec  piété  aux  mé- 
thodes de  la  pédagogie  française,  d'autant  plus  que  ce  génie 
est  entouré  de  dangers  plus  menaçants  sur  cette  terre  d'Amé- 
rique. Nous  devons  nous  y  attacher,  non  seulement  dans 
les  études  classiques  et  supérieures,  mais  dès  le  début,  dans 
les  écoles  primaires.  «  Rien  ne  serait  plus  faux  ni  plus 
funeste,  écrivait  récemment  M.  Léon  Lorrain,  que  de  pré- 

1  Agathon,  L'Esprit  de  la  Nouvelle  Sorbonne,  p.  16  sv.,  p.  175. 


356  l'action  française 

tendre  que  chez  nous  l'enseignement  du  français  est  beau- 
coup moins  important  au  collège  commercial  que  dans  le 
cours  'classique.»  '  En  effet,  nous  n'aurons  pas  deux  castes 
parmi  nous,  la  caste  des  lettrés  gardant  l'esprit  français 
et  la  caste  des  primaires  à  mentalité  commerciale.  L'ensei- 
gnement primaire  et  l'enseignement  classique  ne  sont  pas 
deux  espèces  différentes  d'enseignement.  L'un  fait  suite 
à  l'autre,  en  prolongeant  ses  lignes.  Il  perfectionne  seule- 
ment ce  que  le  premier  a  commencé.  Si  l'enseignement 
primaire  est  mal  orienté,  jamais  l'enseignement  classique 
n'atteiadra  son  but.  Les  principes  pédagogiques  qui  don- 
nent leur  plein  résultat  dans  l'enseignement  supérieur  com- 
mencent à  porter  leurs  fruits  dès  que  l'intelligence  s'éveille. 

C'est  donc  l'étude  de  la  langue  maternelle,  de  la  syn- 
taxe, de  l'analyse  grammaticale  et  logique,  qui  doit  consti- 
tuer la  base  de  l'enseignement  dans  nos  écoles.  L'éduca- 
tion, chez  nous  comme  en  France,  atteindra  d'autant  mieux 
son  objet  qu'elle  rendra  nos  enfants  plus  maîtres  de  leur 
langue.  Car,  par  le  fait  même,  elle  rendra  leur  intelligence 
plus  puissante  et  plus  lumineuse,  elle  développera  davantage 
les  qualités  de  cœur  et  d'esprit  qui  sont  les  nôtres.  L'effort 
du  maître  doit  tendre  à  rendre  l'élève  capable  de  juger  sai- 
nement, d'avoir  un  goût  sûr,  de  critiquer  avec  discernement, 
d'admirer  ce  qui  est  admirable,  de  rire  de  ce  qui  est  ridicule. 
Pour  cela  le  procédé  qui  a  fait  ses  preuves,  c'est  d'étudier 
longuement,  patiemment,  passionnément,  la  langue  dont 
nous  nous  servons  pour  exprimer  nos  pensées. 

Nos  éducateurs  ne  devraient  donc  pas  se  préoccuper 
d'augmenter  démesurément  le  programme  d'anglais,  de 
développer  l'étude  de  la  comptabilité,  des  mathématiques 
ou  des  autres  sciences  commerciales,  mais  de  perfectionner 
les  intelligences  françaises  qu'on  les  charge  de  cultiver,  de 

'  Léon  Lorrain,  La  Valeur  économique  du  français,  p.  15. 


l'action  française  357 

les  former  à  penser  avec  clarté,  à  s'exprimer  avec  précision. 
Que  l'enfant  devienne  plus  tard  banquier,  gérant  de  che- 
mins de  fer  ou  commerçant,  il  sera  d'autant  plus  préparé 
à  se  distinguer  dans  sa  profession  qu'il  aura  davantage  l'ha- 
bitude des  idées  nettes  et  précises.  La  question  n'est  pas 
de  savoir  si,  de  nos  jours,  il  faut  mieux  savoir  les  mathéma- 
tiques, l'anglais  ou  la  tenue  des  livres  :  la  question  qui  do- 
mine tout  le  débat,  selon  la  remarque  d'Agathon,  c'est  de 
savoir  si  cet  enseignement  est  le  plus  apte  à  développer 
les  qualités  propres  de  notre  race.  Or,  il  ne  l'est  pas.  Les 
Français,  un  moment  hésitants,  reviennent  avec  une  fer- 
veur de  convertis  sur  les  erreurs  qui  les  avaient  d'abord 
égarés.  Imprégnés  que  nous  sommes  par  une  atmosphère 
étrangère,  nous  devons  bien  plus  qu'eux  nous  accrocher 
aux  méthodes  qui  favorisent  l'esprit  français.  C'est  dans 
le  culte  du  beau,  dans  la  recherche  du  mot  juste,  puis  du 
terme  pittoresque,  pais  de  l'expression  saisissante,  que  nous 
devons  contracter  nos  habitudes  de  penser.  L'enfant  qui, 
au  sorth-  de  l'école,  ne  parle  encore  que  par  à  peu  près,  avec 
des  moitiés  de  mots  mal  articulés,  est  un  enfant  dont  l'intel- 
ligence reste  au  maillot.  Ne  sachant  pas  penser,  il  ne  sait 
pas  parler;  si  on  l'eût  forcé  à  parler  net,  il  eût  appris  à  penser 
clair.  «  Quand  on  écrit  moins  bien  le  français,  dit  Doumic, 
c'est  qu'on  pense  moins  français  ». 

Penser  français  vigoureusement,  voiià  donc  le  but. 
Il  suit  de  là  que  tout  ce  qui,  dans  l'enseignement,  nuit  à  la 
maîtrise  de  la  langue  maternelle  est,  par  le  fait  même,  anti- 
pédagogique. C'est  limiter  d'avance  le  développement 
intellectuel  d'un  enfant  que  de  lui  imposer,  dès  le  début, 
l'étude  simultanée  de  deux  langues  différentes.  C'est 
brouiller  à  jamais  ses  idées  que  de  vouloir  faire  de  lui  un 
parfait  bilingue,  de  lui  faire  étudier,  par  exemple,  le  fran- 
çais le  matin  et  l'anglais  le  s:ir;  l'histoire  en  français    et 


358  l'action  française 

l'arithmétique  ou  la  tenue  des  livres  en  anglais.  Cet  en- 
fant ne  saura  jamais  parfaitement  ni  une  langue  ni  l'autre, 
il  trouvera  un  mot  anglais  quand  il  cherchera  un  mot  fran- 
çais, et  se  contentera  d'équivalents.  Toute  une  section 
de  la  langue  française  sera  pour  lui  terra  ignota  et  sa  corres- 
pondance, boiteuse  et  incorrecte,  aura  besoin  d'être  tra- 
duite pour  être  intelligible.  C'est  condamner  un  enfant 
à  la  médiocrité  que  de  lui  faire  parler  anglais  par  sa  bonne 
quand  on  le  destine  aux  études  françaises,  ou  de  faire  faire 
un  cours  Classique  anglais  à  un  fils  de  Français.  Jamais 
de  telles  absurdités  pédagogiques  ne  donneront  ces  produits 
supérieurs  qu'on  appelle  un  artiste,  un  penseur,  un  écrivain. 
Non,  plus  il  y  aura  d'unité  dans  les  ét.udes,plus  elles  poi-te- 
ront  de  fruits.  A  capacités  égales,  l'enfant  qui  réussira  le 
mieux,  qui  montera  le  plus  haut,  c'est  celui  qui,  apprenant 
en  famille  à  bien  parler  sa  langue,  apprendra  à  l'école  à  bien 
l'écrire,  qui  approfondira  ses  secrets  par  l'étude  des  classi- 
ques anciens,  et  s'exercera  sans  cesse  au  maniement  de  ses 
formes    indéfiniment    variées. 

Mais  alors,  direz-vous,  nous  voilà  condamnés  à  rester 
toujours,  au  moins  dans  le  domaine  des  l^iens  matériels, 
dans  une  infériorité  résignée?  Nous  resterons  français 
mais  nous  réussirons  comme  les  Français  :  peuple  de  nobles 
cœurs,  de  beaux  esprits,  peut-êti-e;  mais  aussi  peuple  de 
ventres  creux  ! 

—  Cela  n'est  pas  évident.  Le  Canadien  français  qui 
aura  développé  ses  qualités  naturelles  et  qui  ensuite  s'appli- 
quera aux  affaires  paraît  fort  bien  outillé  pour  réussir.  Tout 
un  ensemble  de  faits  récents  est  en  train  de  le  démontrer. 
Si,  dans  le  passé,  nos  hommes  de  profession  n'ont  pas  monté 
bien  haut,  ce  n'est  pas  parce  qu'ils  avaient  fait  des  études 
classiques;  c'est  parce  qu'un  trop  grand  nombre  d'entre 
eux  ont  peu  ou  mal  travaillé  par  la  suite.     En  dépit  des 


l'action  française  359 

préjugés  contraires,  il  appert  de  plus  en  plus,  en  France 
comme  ici,  qu'un  bon  cours  classique  est  une  excellente 
préparation  à  la  carrière  des  affaires.  Assurément,  un 
bachelier  ne  peut  pas,  sans  transition,  passer  du  collège 
à  la  banque.  Mais  une  initiation  rapide  le  mettra  vite  en 
mesure,  s'il  a  des  aptitudes,  de  monter  plus  haut,  d'aller 
plus  loin,  de  donner  un  rendement  plus  considérable  que 
ceux  qui  n'auront  pas  eu  cette  formation.  On  peut  en  dire 
autant,  proportions  gardées,  du  cours  élémentaire  prépara- 
toire au  com's  classique.  Ce  qui  importe,  ce  n'est  pas  que 
l'élève  en  sorte  au  courant  des  opérations  de  la  banque  de 
Montréal  ou  de  la  comptabilité  de  monsieur  Z  ;  c'est 
qu'il  puisse  en  peu  de  temps  saisir  la  routine  des  maisons 
d'affaires  où  on  l'emploiera.  Plus  il  sera  friand  d'idées 
claires  et  de  situations  limpides,  plus  il  aura  chance  d'y 
réussir  et  de  rendre  de  grands  services. 

Il  va  sans  dire  que  des  études  faites  selon  les  saines 
méthodes  de  la  pédagogie  française  n'excluent  ni  l'anglais, 
ni  les  sciences  commerciales.  Elles  leur  laissent  ane  place, 
mais  la  seconde.  Pour  un  petit  Français,  même  au  Canada, 
l'anglais  n'est  jamais  l'essentiel.  Le  français  doit  être  la 
langue  unique  d'abord,  la  langue  principale  toujours.  Les 
études  finies,  au  moment  de  la  spécialisation,  quelques  mois 
de  pratique  dans  un  milieu  exclusivement  anglais  suffiront 
à  vos  enfants  pour  leur  faire  connaître  suffisamment  cet 
idiome.  Ils  ne  passeront  peut-être  pas  pour  des  Anglais 
d'origine,  mais  ils  sauront  écrire  la  langue  anglaise,  ils  la 
parleront  avec  facilité.  C'est  un  fait  que  l'expérience  a 
déjà  suffisamment  démontré. 

N'est -il  pas  étrange  que  ces  données  de  bon  sens  soient 
déjà  si  méconnues  au  Canada  ?  Il  se  trouve,  en  effet,  que 
nos  plus  bruyants  réformateurs  en  éducation,  délaissant 
les  méthodes  françaises  traditionnelles,  veulent  nous  doter 


360  l'action  française 

d'un  système  très  sujet  à  caution,  très  décrié,  le  système 
américain.  L'éducation  pratique,  c'est-à-dire  confinée  aux 
sciences  du  commerce  et  de  l'industrie,  voilà  ce  qu'on  prône 
comme  l'idéal  pour  des  descendants  de  Français.  On  ne 
semble  pas  se  douter  que  ce  qui  manque  le  plus  à  nos  jeunes 
gens  des  classes  commerciales,  c'est  la  connaissance  du 
français.  Sur  cinq  d'entre  eux,  vous  en  trouverez  facile- 
ment trois  ou  quatre  que  l'anglais  n'embarrassera  pas  long- 
temps, mais  vous  n'en  trouverez  pas  deux  qui  pourraient 
convenablement  correspondre  avec  des  maisons  de  France. 
Les  Français  s'en  plaignent  assez.  Même  chez  nos  illustres 
avocats  et  chez  nos  honorables  députés,  même  chez  les  pro- 
tagonistes de  l'enseignement  moderne  et  chez  nos  représen- 
tants à  l'étranger,  combien  qui  ne  se  tirent  d'embarras  qu'à 
l'aide  d'une  secrétaire  formée  dans  quelque  pensionnat  tenu 
par  des  religieuses  ! 

La  correspondance  française  est  pitoyable  chez  nous; 
les  annonces,  les  prospectus,  les  catalogues  français  sont 
ordinairement  rédigés  en  une  langue  détestable,  sans  goût 
et  sans  spontanéité;  des  Canadiens  français,  honteux  de 
si  mal  savoir  leur  langue,  n'écrivent  qu'en  anglais;  et  l'on 
prétend  que  la  réforme  pressante,  c'est  d'introduire  dans 
nos  écoles  françaises  la  tenue  des  livres  en  anglais,  l'arithmé- 
tique en  anglais  et  la  conversation  anglaise.  Il  est  temps 
de  s'aviser  que  c'est  surtout  le  français  qui  est  en  souffrance 
dans  nos  écoles  et  nos  collèges  commerciaux.  Et  la  situa- 
tion va  de  mal  en  pis.  Les  directeurs  des  collèges  classiques 
se  plaignent  que  les  élèves  leur  arrivent  de  -moins  en  moins 
préparés,  depuis  que  certains  bonshommes  chargent  les 
programmes  de  presque  toutes  les  matières  qui  trouvent 
place  dans  une  encyclopédie. 

Ayons  donc  le  courage  de  consulter  nos  aptitudes  et 
de  reconnaître  nos  succès,  sans  nous  laisser  éblouir  par  tout 


l'action  française  361 

ce  qui  n'est  pas  de  chez  nous.  C'est  une  mentalité  de  colo- 
niaux qui  nous  fait  trouver  meilleur  tout  ce  que  font  les 
autres.  Nous  méritons,  bien  plus  que  les  Français,  les 
cinglants  reproches  que  M.  René  Doumic  faisait  naguère 
à  ses  compatriotes  :  «  Nous  avons  pris  dans  la  bataille  intel- 
lectuelle, une  attitude  humiliée  de  vaincus.  L'esprit  fran- 
çais avait  perdu  cette  confiance  en  lui-même,  nécessaire 
à  qui  veut  que  les  autres  aient  confiance  en  lui.  Il  oubliait 
que  sa  mission  traditionnelle  est  de  marcher  en  avant  et 
qu'on  a  peine  à  le  reconnaître  dans  le  rôle  effacé  et  timide 
d'esprit  à  la  suite.  .  .  Il  y  a  un  courage  intellectuel  qui 
consiste  à  être  soi-même  et  à  défendre  la  forme  d'esprit 
qu'on  a  reçue  de  la  tradition.  Nous  pouvons  bien  avoir 
ce  courage-là.  »  ^ 

Ne  craignons  donc  pas  d'adopter  un  programme  d'étu- 
des parfaitement  rationnel.  Ayons  égard  aux  besoins  du 
milieu,  aux  nécessités  du  moment,  mais  ne  poussons  pas  le 
souci  de  l'utilitarisme  jusqu'à  sacrifier  notre  caractère  de 
Français.  Que  nos  enfants  apprennent  d'abord  leur  langue, 
qu'ils  se  rendent  capables  de  s'en  servir  dans  tous  les  domai- 
nes, dans  tous  les  pays.  Qu'on  n'ait  pas  cet  empressement 
maladif  à  spécialiser  dans  le  commerce  tous  les  enfants, 
même  les  fils  de  cultivateurs.  Défions-nous  des  vendeurs 
de  recettes  pour  le  succès  rapide  et  des  conseillers  de  rac- 
courcis en  éducation.  Les  enfants  d'aujourd'hui  sont  com- 
me ceux  d'autrefois  :  ils  apprennent  lentement,  ils  doivent 
répéter  beaucoup;  ils  ne  peuvent  pas  savoir  à  quinze  ans 
ce  que  vous  n'avez  appris,  vous,  qu'à  trente  et  quarante  ans. 
Ayons  le  culte  de  la  formation  générale,  du  développement 
normal  des  facultés.  C'est  la  culture  française  par  excel- 
lence, c'est  la  plus  humaine  de  toutes  les  formations. 

Adélard  Dugré,  s.j. 

^  René  Doumic,  La  libération  de  l'esprit  français,  dans  la  Rettue 
hebdomadaire,  12  avril  1919,  pp.  144  et  154. 


A  TRAVERS  LA   VIE  COURANTE 


La  langue  JyQïlÇClise  Tout  récemment,  à  un  dîner  donné  à 
et  le  CQihoHciSïne  P^^Is  par  la  Corporation  des  Publicistes 
chrétiens  dont  jI.  René  Bazin  est  le  prési- 
dent, le  commandant  Yamamoto,  membre  de  la  délégation  japonaise 
à  la  conférence  de  la  Paix,  prononça  sur  la  situation  actuelle  du  catholi- 
cisme au  Japon  un  discours  fort  instructif  et  des  plus  émouvants. 

Or  parmi  les  déclarations  qu'il  fit,  en  voici  une  qui  concerne  la  lan- 
gue française  et  offre  un  vif  intérêt  :  «  J'ai  deux  filles  dans  im  collège 
des  Dames  de  Saint-Maur.  Celles-ci  m'ont  demandé  laquelle  des  deiix 
langues,  anglais  ou  français, elles  devaient  enseigner  à  mes  enfants,  en 
me  faisant  remarquer  que  95  p.  100  de  leurs  élèves  préféraient  l'anglais 
au  français.  Pour  moi,  il  n'y  eut  pas  d'hésitation  :  le  français,  leiu-  dis- 
je.  Il  est  vrai  que  l'anglais  est  beaucoup  plus  répandu  au  Japon  que 
le  français  et  qu'il  est  un  plus  grand  moyen  de  succès,  mais  en  pensant 
au  bien  spirituel  de  mes  enfants,  et  en  réfléchissant  que  ce  sont  les  ouvra- 
ges religieux  de  la  France  qui  sont  répandus  dans  le  monde,  et  qu'on  y 
acquiert  beaucoup  plus  facilement  l'esprit  du  catholicisme  que  dans 
les  ouvrages  écrits  en  d'autres  langues,  n'ai-je  pas  eu  raison  de  répondre 
comme  je  l'ai  fait  ?  » 

Paroles  remarquables  et  qui  viennent  confirmer  une  thèse  qui  noas 
est  chère.  Le  commandant  Yamamoto  est  un  converti  et  l'une  des 
personnalités  cathohques  les  plus  marquantes  du  Japon.  Gardons 
précieusement  son  témoignage. 

La  langue  auxiliaire      La  Belgique  nous  en  fournit  un  autre, 
înieïnationale  d'im    genre    différent,  mais  tendant  à  la 

même  conclusion.  C'est  le  mémoire 
qu'adressa  à  la  Conférence  de  la  Paix  l'Institut  de  Sociologie  de  Bru- 
xelles. Ses  membres,  après  avoir  étaljli  la  nécessité  d'une  langue  auxi- 
liaire, «qui,  comprise  de  tous  et  parlée  par  tous,  serait  le  seul  véhicule 
des  relations  internationales  et  im  intermédiaire  suffisant  entre  tous  les 
peuples  »,  préconisent  l'emploi  du  français  et  réclament  son  enseigne- 
ment dans  tous  les  établissements  d'instruction  du  monde.     Ayant 


l'action  française  363 

énuméré  les  qualités  naturelles  dont  est  douée  cette  langue  :  sa  clarté, 
son  harmonie,  sa  simplicité,  sa  richesse,  le  fait  qu'elle  possède  un  dic- 
tionnaire officiel,  périodiquement  revisé,  où  le  sens  de  chaque  mot  se 
trouve  défini,  le  mémoire  continue  : 

«  Mais  ce  serait  sans  doute  se  faire  illusion  que  de  croire  que  ces 
qualités  intrinsèques  puissent  suffire  à  déterminer  l'adoption  d'une 
langue  auxiliaire.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  positions  acquises,  et 
celles-ci  donnent  en  faveur  du  français  des  argiunents  puissants.  Certes, 
le  français  n'est  pas  la  langue  la  plus  répandue  à  la  siu-face  du  globe, 
il  s'en  faut  de  beaucoup.  Mais  il  convient  ici  de  tenir  compte,  moins 
du  nombre  des  hommes  dont  le  français  est  la  langue  principale,  que 
du  nombre  de  ceux  dont  il  est  la  seconde  langue,  ou  qui  l'ont  appris 
comme  langue  étrangère.  Si  cette  statistique  pouvait  être  faite,  il 
n'est  pas  douteux  qu'elle  ne  mette  le  français  en  très  bonne  place.  Le 
français  a  poiir  Uii  des  traditions  qui  remontent  à  plusieurs  siècles;  il  est 
resté  la  langue  de  la  diplomatie;  il  n'a  pas  cessé  d'être  indispeasable 
au  savant.  11  jouit  en  plus  d'un  endroit  (en  Orient,  dans  l'Améri- 
que latine)  d'un  prestige  incontestable.  Enfin,  il  a  pour  lui  d'être 
une  langue  de  culture,  une  langue  dont  la  connaissance  vaut  indépen- 
damment de  l'utilité  pratique  qu'elle  présente;  il  est  parmi  les  langues 
vivantes  ce  que  le  gi'ec  et  le  latin  sont  parmi  les  langues  mortes  et, 
dans  certains  paj^s,  il  est  même  appelé  à  jouer  le  rôle  qu'ont  chez  nous 
les  langues  classiques.  » 

Les  leçons   de  L'enseignement  universel  du  français, 

français  d'un  ministre  ^^f  réclame  rinstitut  de  Bruxelles,  eût-il 

été  adopté,  il  y  a  quelques  années,  Paris 
n'aurait  pas  connu  l'hiver  dernier,  le  spectacle  rare  d'un  ministre  sep- 
tuagénaire se  mettant  à  l'étude  de  la  langue  française.  C'est  en  effet 
le  parti  que  dût  prendre  un  des  membres  de  la  Conférence  de  la  Paix, 
délégué  de  notre  cher  pays  s'il  vous  plaît,  notre  propre  ministre  du  Com- 
merce, le  très  honorable  — ■  pour  employer  le  langage  protocolaire  — 
sir  Georges  Eulas  Foster.  Chaque  soir,  durant  son  séjour  à  Paris,  de 
8  h.  30  à  9  h.  30,  l'ancien  professeur  d'Université,  redevenu  élève  au 
terme  de  sa  brillante  carrière  politique,  s'exerçait  les  méninges  siu*  le 
genre  des  noms  et  l'accord  des  participes.  C'était  son  heure  de  fran- 
çais, sa  leçon  de  langue  diplomatique. 

M.  Foster  a  soixante-douze  ans.  Il  s'est  probablement  rendu 
compte  qu'à  cet  âge  la  mémoire  est  rebelle  et  les  facultés  cérébrales  un 


364  l'action  française 

peu  lourdes.  S'il  n'a  pas  très  goûté  son  aventure,  qu'il  tâche  d'en  pré- 
server ses  compatriotes  !  En  pays  démocratique,  et  nous  en  sommes, 
tout  enfant  porte  dans  son  sac  d'école  un  portefeuille  de  ministre  — 
«omme  le  soldat  de  France  dans  sa  giberne  un  bâton  de  maréchal  —  Or 
avec  le  traité  de  paix  qui  nous  lie  à  tant  de  nations,  grandes  et  petites, 
et  nous  oblige  à  tirer  l'épée  pour  les  défendre,  un  ministre  canadien  est 
désormais  exposé  à  s'asseoir  souvent  autour  d'une  table  de  diplomates 
4>ù  la  langue  française  sera  la  langue  courante.  Nous  suppUons  l'hono- 
rable ministre  du  commerce  d'user  immédiatement  de  son  influence 
pour  que  les  futiu"s  représentants  de  notre  pays  ne  subissent  pas 
l'humiliation  que   d'autres   ont   ressentie .  .  . 

U CXëfnplc  Faut-il  un  dernier  argmnent?     Celui-ci 

du  prince  de  Galles      ^'^ii^'hera  le  loyaUsme  du  noble  chevaUer: 

c'est  l'exemple  du  jeime  prince  que  reçoit 
actuellement  le  Canada.  Ah  !  il  n'a  pas  attendu,  lui,  soixante-douze 
ans,  pour  prendre  des  leçons  de  français  !  Au  grand  banquet  donné  au 
Château  de  Windsor,  le  19  juillet,  pour  célébrer  la  paix  et  qu'il  pré- 
sidait ayant  à  ses  côtés  le  maréchal  Foch  et  le  général  Pershing, 
l'héritier  du  trône  d'Angleterre  prononça  une  partie  de  son  discoiu^s 
dans  la  langue  de  ses  alliés  de  France.  Le  protocole,  les  traditions,  les 
convenances  exigeaient  l'usage  du  français.  Le  jeime  prince  put  s'y 
fioumettre  facilement 

Et  bientôt,  sans  doute,  il  parlera  de  nouveau  la  même  langue 
dans  notre  province.  Puissent  les  nôtres,  tous  les  nôtres,  le  remarquer 
«t  en  faire  leur  profit  !  Car  ils  sont  encore  trop  nombreux  les  anglomanes 
—  actifs  ou  passifs  —  que  compte  notre  race  !  Chaque  jour,  pour  ainsi 
dire,  nous  révèle  des  situations  humiliantes  que  nous  créons  nous-mêmes 
ou  tolérons  lâchement.  Quelques-unes  —  comme  les  affiches  le  long 
du  chemin  Edouard  VII,  les  formules  du  bureau  des  douanes  à  Lacolle, 
les  papiers  et  brochures  que  le  gouvernement  fait  remettre  aux  soldats 
démobilisés  —  ont  été  récemment  dénoncées. 

Ufie  CdïtC  des  j'ajouterai  à  ce  dossier  im  simple  docu- 

cheval'^eTS  de  Colowb  ^^^^-    Le  voici   reproduit  textuellement. 
Seuls  le  nom,  bien  français,  et  le  numéro 
du  destinataire  sont  omis. 


l'action  française  365 


KXIGHTS  OF  COLUMBUS 

TRAVELING    CARD 

Issued  by  Lafoniaine ....   Council  Xo .... 

This  is  to  certify,  that  Bro.A .  .  .  X .  .  .  oi  Montréal,  P.Q 

third.  .  .  degree  member  of  this  council,  and  having  complied 
with  the  lawô  and  ruies  of  the  order  and  paid  dues  to  30  Jutie, 
1919.  .  . ,  is  by  law  entitled  to  this  traveling  card,  same  to  bc- 
come  null  and  void  on  said  date. 
Date,   11  A-pril  1919. 

Adélard  Fortier, 

Grand  Knighi. 
.1.  .\lfred  B.\rrette, 

Fin.  Sec' y. 
1919 


Signal  ure  of  memher. 


Lg  fGUSSC  Certes,  je  ne  suis  animé  d'aucun  sentiment  d'hosti- 

CXCUSC  ^'^*^  envers  les  chevaliers  de  Colomb,  mais  comment, 

à  une  époque  où  leur  société  est  violemment  accusée 
d'être  dangereuse  pour  notre  langue  et  notre  nationalité,  comment,  ne 
pas  trouver  étrange  qu'ils  prêtent  flanc,  par  de  tels  documents,  à  ces 
attaque.*?,  qu'ils  leur  donnent  même  ime  certaine  consistance  ? 

Bagatelle,  vétille  que  ces  cartes  de  voyage,  dira  probablement  quel- 
qu'un. Nous  combattons  pour  les  intérêts  supérieurs  de  la  race  et  né- 
gligeons ces  détails  insignifiants  !  Mais  j'en  appelle  à  des  membres 
mêmes  du  Conseil  Lafontaine,  qui  m'ont  plus  d'une  fois  encouragé  dans 
cette  lutte  pom-  ces  «  bagatelles  »,  et  que  j'ai  -vus  applaudir  des  deux 
mains  l'intrépide  archevêque  de  Saint-Boniface  quand  il  en  proclamait 
au  Monument  national,  en  janvier  dernier,  la  suprême  importance,  j'en 
appelle  à  ces  membres.  Sont-ce  là  \Taiment,  messieurs,  des  choses 
néghgeables  et  auxquelles  n'est  pas  liée,  par  un  enchaînement  logique, 
la  survivance  de  notre  langue  ?  alors,  pourquoi  les  tolérer  ?  pourquoi 
vous  y  soumettre  ? 

Pierre  Homier. 
1.5  août  1919 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


CHARLES  GILL 


La  littérature  du  terroir  vient  de  s'enrichir  d'im  nouveau  livre, 
une  belle  œuvre,  des  vers  !  On  a  publié  le  poème  de  Charles  Gill,  depuis 
si  longtemps  attendu  :  le  Cap  Éternité. 

Certes,  Gill  n'est  pas  le  premier  à  s'être  avisé  de  la  beauté  du  Sague- 
naj'.  Il  n'est  pas  un  poète,  ,i'imagine,qui  au  cours  d'un  voyage  sur  ses 
eaux,  n'ait  rêvé  de  lui  consacrer  au  moins  une  centaine  de  vers  sombres 
comme  ses  rives  et  sonores  comme  ses  échos.  Pierre-Paul  Paradis,  ce 
rimeur  illettré,  dont  nous  a  entretenus  M.  Adjutor  Rivard,nous  a  décrit 
naguère  ce  fleuve  qui 

roule    ses    flots    limpides 

Dans  un  cadre  imposant  de  rochers  escarpés, 
De  caps  majestueux,  en  tableaux  découpés. 

Bien  avant  lui,  Arthur  Buies  avait  consacré  au  Saguenay  quelques 
belles  pages  de  prose  poétique.  Personne  n'avait  encore  tenté  d'en 
faire  le  cadre  d'un  grand  poème. 


Charles  Gill  est  né  à  Sorel,  le  31  octobre  1871.  Son  père  était  alors 
avocat  et  ne  dut  pas  beaucoup  influer  sur  sa  vocation  poétique,  bien 
qu'il  sût  manier  la  plume  avec  esprit.  Si  l'on  remonte  plus  haut  dans 
sa  lignée  pour  trouver  des  ancêtres  à  son  âme,  on  est  assez  embarrassé. 
D'un  côté,  des  Anglo-Américains',  les  Gill,  établis  au  Canada  depuis 
le  commencement  du  XVIII  siècle;  d'un  autre,  des  Écossais,  les  McDou- 
gall,  arrivés  à  Berthicr,  de  l'île  embrumée  de  Jiu"a,  vers  1832;  enfin,  les 
Senécal,  dont  le  plus  illustre  rejeton,  l'honorable  Louis- Adélard,  député, 
sénateur,  constructeur,  capitaliste,  fut  le  grand-père  maternel  de  notre 
poète.  Mais  il  est  une  chose  qu'il  doit  à  sa  mère,  une  sainte  femme, 
c'est  ce  sentiment  religieux  qu'il  garda  toujours,  malgré  tout,  chevillé 
au  fontl  de  son  âme,  et  qui  vivifie  ses  plus  belles  poésies. 


L  ACTIOX    FRANÇAISE 


367 


Son  enfance  se  passa  à^Sorel  et  à  Pierreville,  chez  ses  grands-pa- 
rents. Chaque  été  le  retrouvait  sous  les  épinettes  de  la  belle  propriété 
de  la  rivière  Saint-François.  Non  loin  se  trouvait  la  réserve  des  Abéna- 
quis  et  Charles  les  fréquentait  assez.  Leur  esprit  d'indépendancejointe 
à  l'indépendance  de  son  propre  caractère,  firent  de  lui  un  enfant  difficile. 

Mais  nous  perdons  notre  temps  à  rechercher  ses  origines  intellec" 
tuelles.  C'est  im  fait  qu'il  fut  poète  précoce  comme  il  a  été  précoce 
dessinateur.  A  neuf  aijs,  il  rêvait  d'écrire  des  romans  et  il  découvrait 
dans  l'aspect  changeant  du  firmament  des  féeries  qui  l'enchantaient. 
Ses  séjours  successifs  à  l'école  des  frères  de  Sorel,  au  collège  de  Nicolet, 
au  Gesù  de  Montréal  et  chez  M.  Leblond  de  Briunath,  n'interrompirent 
pas  ses  lectm'es;  et  ce  sont  les  Parnassiens,  et  ce  sont  les  grands  roman- 
tiques, qui  lui  ont  soufflé  leur  art.  En  1889,  si  on  le  trouve  à  Paris 
dans  l'atelier  du  peintre  Gérôme,  on  le  voit  aussi  dans  les  cafés  et  les 
cénacles  en  compagnie  des  écrivains  s\Tabolist3s.  Sa  formation  fut 
donc    éclectique. 

De  retour  au  pays,  on  le  compte  parmi  les  premiers  membres  de 
l'École  Littéraire  de  Montréal,  dont  il  restera,  croyons-nous,  un  des 
meilleurs  représentants.  Il  vit  de  ses  peintures  et  de  ses  classes  de 
dessin.  Mais  nous  l'estimons  plus  grand  poète  que  peintre.  Aucim 
de  ses  tableaux,  même  ses  délicieux  paysages,  même  son  chef-d'œuvre 
«le  joueur  d'échecs  ».  ^  n'a  l'envergure  de  son  poème,  Ze  Cap  Eternité. 


Poiu*  exécuter  ce  poème  tel  qu'il  l'avait  conçu,  il  aurait  fallu  que 
Gill  y  travaille  assidûment  pendant  des  années.  Cette  épopée  de  tous 
les  hauts  faits  de  la  France  au  Canada,  le  long  de  nos  routes  fluviales, 
et  qu'il  voidait  intituler  le  Saint-Laurent,  devait  compter  dix  ou  douze 
livres,  et  chaque  li\Te  mie  trentaine  de  chants.  Or  GiU  travaillait  d'une 
manière  très  intermittente.  Beaucoup  de  ses  vers  ont  été  écrits  dans 
sa  classe  de  dessin  de  l'école  Normale,  avant  ou  pendant  ses  cours.  Par- 
fois aussi,  à  la  campagne,  il  s'enfermait  dans  sa  chambre,  fermait  les 
Persiennes,  arrêtait  les  aiguilles  de  l'horloge,  allumait  sa  lampe,  et  se 
mettait  au  travail,  dormant  quand  il  sentait  sa  fatigue  et  ne  cessant 
d'écrire  que  lorsqu'il  avait  faim ...  A  ce  régime,  il  nous  a  donné  une 
douzaine  de  chants  du  di.xième  livre  :  ce  sont  ces  chants,  suivis  de  pièces 


^  Le  Problème. 


368  l'action  française 

isolées,  qui  forment  le  volume  récemment  publié.  On  sait  que  le  poète 
ne  les  jugeait  pas  assez  parfaits  pour  les  livrer  au  public,  mais  hélas  ! 
le  poète  est  mort  en  octobre  dernier,  emporté  par  l'épidémie,  et  force 
a  été  d'imprimer  son  poème,  sans  les  retouches  qu'il  y  aurait  faites. 

Faut-il,  pour  le  juger  équitablement,  étudier  son  premier  plan? 
Nous  hésitons,  car  le  poète  lui-même  n'en  était  pas  satisfait  et  n'osait 
plus  l'exécuter  sans  modifications.  Le  fait  est  qu'il  contenait  certaines 
données  de  nature  à  nous  surprendre  et  qui  n'auraient  eu  du  succès  que 
si  elles  eussent  été  traitées  par  un  génie.  Ainsi  le  poète  devait,  entraîné 
dans  une  fissiu^e  du  roc,  pénétrer  jusqu'au  centre  du  cap  Eternité  et  là 
rencontrer  l'ombre  de  Dante.  Tous  deux  seraient  alors  descendus  aux 
enfers  et  auraient  passé  beaucoup  de  temps  dans  l'abîme  où  gémissent 
les  traîtres  à  leur  patrie.  Cette  répUque  de  VÉnéide  et  de  la  Divine  Comé- 
die aurait-elle  été  goûtée  par  nos  imaginations  blasées  ?  Nous  n'osons 
l'affirmer.  Il  faut  en  dire  autant  de  cette  autre  fiction  du  poète  par 
laquelle  le  cap  Trinité  devenait  la  porte  du  Ciel  et  la  statue  de  la  Vierge 
comme  la  portière  du  «  beau  pays  bleu  ».  Mais  à  quoi  bon  apprécier 
des  projets  qui  sont  restés  dans  ses  notes," —  des  notes  vraiment  riches 
de  couleurs,  écrites  en  une  langue  très  vivante,  —  et  qu'il  n'a  pas  déve- 
loppées dans  de  beaux  vers.  De  tout  ce  Xe  livre  nous  ne  possédons  que 
le  prologue,  douze  chants  et  deux  fragments  {les  Stances  aux  Etoiles 
et  ime  définition  de  la  Patrie). 

De  ce  prologue,  on  se  serait  volontiers  passé,  d'abord  parce  que  le 
procédé  en  a  un  peu  vieilli  et  puis  parce  qu'il  n'était  pas  nécessaire  :  le 
poète  aiu"ait  pu  entrer  tout  de  suite  en  matière  sans  dédoubler  sa  person- 
nalité. 

Dans  les  chants  suivants,  apparaissent  trois  éléments  qui  for- 
ment le  fond  de  l'œuvre  :  la  description  du  Saguenay,  le  souvenir  de  la 
race  Montagnaise  maintenant  disparue,  et  les  sentiments  intimes  de 
l'écrivain.  L'écrivain  est  un  homme  dégoûté  de  lui-même,  des  villes 
où  il  a  vécu,  de  la  civilisation  en  général.  Il  cherche  l'oubU  et  l'apaise- 
ment dans  la  contemplation  de  la  forte  Nature.  Il  se  rend  à  Tadoussac. 
Ce  qui  l'attire  là,  c'est  la  légende  ;  elle  enveloppe  la  vie  des  tribus  in- 
diennes dont  tout  ce  paj's  était  autrefois  le  domaine  :  la  petite  église 
dont  la  cloche  sonne  d'elle-même,  le  chef  Tacouérima  faisant  son  purga- 
toire dans  les  forêts,  à  gémir  sur  sa  gloire  passée.  Gill  ne  recule  pas 
devant  les  apparitions  et  devant  les  allégories.  Tacouérima  lui  ayant 
conseillé  de  chanter  son  pays  pour  dissiper  le  désespoir  qui  l'obsède, 
le  poète  s'embarque  sur  le  Saguenay  afin  d'en  admirer  les  beautés  incon- 


ï 


l'action  française  369 

nues.  Il  a  deux  compagnons,  le  Silence  et  l'Oubli,  deux  êtres  admirable- 
ment décrits,  l'im  à  la  proue,  l'autre  à  la  poupe  de  son  embarcation. 
Au  clair  de  lune  le  formidable  spectacle  se  déroule,  vu  par  des  yeux  d'ar- 
tiste, raconté  en  des  vers  superbes.     La  brise  l'emportait 

Entre  les  monts  altiers,  les  monts  vertigineux 
Dont  la  crête  tranchait,  noire  sur  champ  d'étoiles. 

Puis  vient  l'aurore  lorsqu'il  approche  des  caps  : 

Mais  déjà  l'aube  terne  aux  teintes  indécises 

Révélait  des  détails  au  flanc  du  graml  rocher; 

Je  voyais  peu  à  peu  les  formes  s'ébaucher, 

Et  les  contours  saillir  en  lignes  plus  précises. 

Bientôt  le  coloris  de  l'espace  éthéré 

Passa  du  gris  à  l'ambre  et  de  l'ambre  au  bleu  pôle; 

Les  flots  prirent  les  tons  chatoyants  de  l'opale; 

L'Orient  s'allumait  à  son  foyer  sacré. 

Le  gris  inatutirml  en  bas  régnait  encore, 

Quand  V éblouissement  glorieux  de  l'aurore 

Embrasa  le  sommet  du  Cap  Eternité 

Qui  tendait  au  salut  du  jour  sa  majesté. 

Cela  est  d'un  peintre;  ce  qui  suit  est  d'im  grand  poèto  : 

Et  j'ai  pensé,  scrutant  le  sens  profond  des  choses  : 
—  Le  ciel  aime  les  fronts  qui  s'approchent  de  lui; 
Pour  les  mieux  embellir  sa  splendeur  les  embrase, 
Chair  ou  granit,  d'un  feu  triomphal  et  pareil  : 
Il  donne  aux  uns  l'éclat  d'un  astre  à  son  réveil, 
Aux  autres  la  lumicre  auguste  de  l'extase  ! 


L'artiste  interrompt  ici  les  descriptions  poiu:  adresser  ime  prière 
à  la  Vierge  dont  il  vient  d'apercevoir  la  statue  sur  le  cap  Trinité.  ^  Les 
strophes  que  sa  dévotion  lui  inspire  sont  émouvantes  :  elles  partent  du 
fond  de  son  âme  et  de  sa  lointaine  enfance.  11  prie  pour  que  son  poème 
soit  beau  et  pour  que  sa  vie  soit  bonne.     Puis  se  tournant  vers  la  paroi 

^  Cette  statue,  de  40  pieds  par  12,  a  été  érigée  par  ^L  Robitaille, 
vers    1880. 


370  l'action  française 

vertigineuse  du  cap,  qui  tombe  à  pic  dans  la  baie,  d'une  hauteur  de 
1500  pieds,  il  écrit  des  alexandrins  sublimes. 

0  cap  !  en  confiant  au  vertige  des  deux 
Notre  globe  éperdu  dans  la  nuit  séculaire, 
Le  Seigneur  s'est  penché  sur  ta  page  de  pierre, 
Digne  de  relater  des  faits  prodigieux. 
Il  a  mis  sur  ton  front  l'obscur  secret  des  causes, 
Les  lois  de  la  nature  et  ses  frémissements. 
Pendant  qu'elle  assignait  leur  forme  aux  éléments 
Dans  l'infini  creuset  de  ses  métamorphoses; 
Et,  scellant  à  jamais  les  arrêts  du  destin 
Avec  l'ardent  burin  de  la  foudre  qui  gronde, 
Il  a,  dans  ton  granit,  gravé  le  sort  du  monde, 
En  symboles  trop  grands  pour  le  génie  humain. 

Vous  me  diiez  qu'un  «  voyant  »  seul  peut  apercevoir  tant  de  choses 
sur  un  roc.  Sans  doute;  mais  l'âme  la  moins  sensible  se  sent  remuée  par 
cette  énorme  masse  au  fronton  si  hardi. 

Le  poète,  qui  a  vécu  dans  l'intimité  de  cette  nature  écrasante,  garde 
sa  préférence  au  cap  Éternité,  à  l'encontre  des  V03'ageurs  ordinaires. 
Le  chant  qu'il  lui  consacre  est  le  plus  long  du  poème.  Le  cap  nous  y 
apparaît,  immuable  au  milieu  de  tous  les  cataclysmes  de  l'histoire, 
n'ayant  pas  changé  alors  que,  autour  de  lui,  tout  change.  Un  critique, 
ailleurs  très  bienveillant,  dit  de  ce  chant  IXe  que  «  c'est  du  romantisme 
de  la  mauvaise  école  »  et  que  «  l'accumulation  des  événements  et  de.s 
circonstances,  coiffée  d'antithèses  fortement  colorées,  jure  à  côté  des 
beaux  vers  ».  Nous  avouons  n'être  pas  complètement  de  son  avis. 
Nous  avons  relu  ces  vers  pour  éprouver  notre  première  impression  :  elle 
s'est  maintenue.  Il  se  peut  qu'il  y  ait  là  une  splendeur  soutenue  qui 
fatigue  ;m  peu.  Mais  pourquoi  condamner  ces  antithèses?  Jamais 
elles  ne  furent  mieux  à  leur  place  que  dans  cette  description  d'un  rocher 
plus  formidable  que  Gibraltar.  Et  puis,  la  couleur  !  N'allons  pas 
reprocher  la  couleur  à  un  peintre . . .  Elle  manque  d'ailleurs  trop  sou- 
vent dans  notre  httérature  ! 

Le  Rêve  et  la  Raison,  Vers  la  Cime  et  La  Fourmi  terminent  le  poème. 
Ilfl  racontent  les  réflexions  du  poète  devant  la  beauté,  l'escalade  du  cap 
et  le  coucher  du  soleil. 


l'action  française  371 

Devant  tant  de  grandeur,  la  main  de  Dieu  vi^ écrase. 
J'entre  en  communion  dans  cet  immense  amx)ur 
Qui  monte  de  la  terre  an  soleil  qxd  l'embrase. 
Je  suis  pris  du  vertige  où  défaille  le  jour; 
J'éprouve  la  splendeur  de  sa  brève  agorde. 
Parmi  les  frissons  d'or  de  la  limpidité, 
Mes  sens  extasiés  vibrent  en  harmonie 
Avec  la  chatoyante  et  magique  beauté 
De  tout  ce  que  le  caur  par  les  yeux  peut  comprendre  ! 
Et  comme  sur  le  monde  où  la  nuit  va  descendre. 
Dans  mon  être  attendri  passe  un  tressaillement. 
Aux  suprêmes  rayons  de  la  mourante  flamme 
En  moi  je  sens  pâlir  la  lumière  de  l'âme, 
Et  je  tombe  à  genoux.  .  . 


Mieux  que  nos  commentaires,  la  lecture  du  poème  tout  entier  voug 
convaincra  de  la  haute  valem-  de  ce  livre,  de  ce  livre  du  terroir.  Tous 
les  vers  n'en  sont  pas  parfaits,  évidemment  !  Nous  n'oserions  pas  les 
«  disséquer  »  comme  on  fait  des  vers  des  grands  classiques.  Mais  tous 
sont  vivifiés  par  un  profond  sentiment  religieux,  tous  chantent  la  beauté 
de  la  nature  canadienne  et  l'amour  de  la  patrie. 

Oui,  certes,  on  peut  regretter  que  le  poète  ait  exécuté  si  peu  de  choses 
(lu  grandiose  projet  qu'il  avait  rêvé.  Songez  à  ce  qu'aïu-ait  pu  être  ce 
Saint-Laurent,  chanté  par  un  poète  de  la  sensibiUté  et  de  la  puissance 
de  Charles  Gill  et  mené  à  ce  point  de  perfection  que  celui-ci  exigeait  de 
ses  œuvres  imprimées  !  Elle  est  donc  encore  à  faire  la  grande  épopée 
que  nous  appelons,  peut-être  un  peu  naïvement,  de  nos  vœux.  Du 
moins  en  possédons-nous  un  noble  fragment.  Et  Sorel  peut  se  réjouir 
d'avoir  donné  le  jour  à  celui  qui  l'a  écrit  :  il  compte  parmi  ses  plus  illus- 
tres  enfants. 

Olivier  Maurault,  p.  s.  s. 


372  l'action  française 

LA  NAISSANCE  D'UNE  RACE  i 


11  y  a  des  abandons  qui  n'inspirent  pas  la  haine  du  protecteur,  mais 
apprennent  à  s'en  passer.  Ces  abandons  sont  salutaires,  quelquefois, 
pour  les  individus,  poiu:  les  nations.  Délaissée  par  la  France  autrefois, 
l'initiative  et  l'énergie  précoce  devinrent  une  nécessité  pour  notre  race. 
Elle  s'habitua  aux  responsabilités.  Dans  la  lutte  soUtaire  et  sans  espoir 
de  reprise,  elle  développa  des  qualités  particulières.  Un  contact  troj) 
intime  et  trop  continu  avec  la  mère-patrie,  un  afflux  de  sang  sans  cesse 
répété  aurait  peut-être  empêché  la  formation  d'ime  nationalité.  Mais 
toutes  les  influences  du  milieu  ont  été  libres  d'agir  énergiquement  pour 
modifier. 

C'est  ce  que  l'abbé  Groulx  vient  de  nous  prouver  dans  son  nouveau 
volume  :  La  Naissance  d'une  Race.  Le  projet  était  d'étudier  les  éléments 
humains  qui  sont  entrés  dans  ce  moule,  la  Nouvelle-France;  de  connaître 
la  qualité  des  colons,  leur  transformation  par  le  pays,  les  caractéristiques 
du  type  nouveau.  L'œuvre  est  attentive  et  minutieuse.  L'enquête 
est  claire,  loj'ale  et  sûre;  elle  est  intelUgente.  Les  conclusions  sont  indé- 
niables. 

Ce  que  j'aimerais  à  marquer  de  ce  volume,  surtout,  ce  n'est  pas 
tant  sa  valeur  intrinsèque,  qui  est  grande,  que  sa  valeur  de  relation, 
d'opportunité,  d'actualité.  Ce  livre  est  issu  d'un  mouvement  sourd 
et  puissant  d'idées  qui  imprime  à  notre  race  ime  orientation  inéluctable. 
Il  n'y  a  qu'à  Ure  attentivement  les  écrits  de  nos  trois  maîtres  de  la  pen- 
sée, aujourd'hui,  pour  reconnaître  la  même  pensée  inspiratrice.  Sans 
s'être  concertés,  ils  naviguent  de  concert.     Ils  s'orientent  au  même  port. 

M.  Henri  Bourassa,  en  politique,  mène,  depuis  plusieurs  années,  le 
combat  du  nationalisme.  Avec  quelle  fougue  et  quelle  vigueur  écla- 
tante, je  n'ai  pas  besoin  de  le  dire.  Môme  ceux  qui  ne  partagent  pas 
ses  idées,  et  ils  sont  plus  rares  qu'on  ne  croit,  ne  peuvent  s'empêcher 
d'admettre  l'envergure  de  ses  horizons  intellectuels,  l'ordonnance  souve- 
rainement logique  de  sa  pensée  autour  d'un  système. 

La  sujétion  de  nos  forces  nationales,  leur  emploi  au  bénéfice  d'une 
autre  race  que  la  nôtre  répugnent  à  M.  Bourassa  et  l'irritent.  Il  n'est 
pas  bon  qu'un  peuple  s'occupe  à  grandir,  à  enrichir  à  ses  dépens  des 
nations  plus  fortes  que  lui.  Il  est  onéreux  qu'il  lie  irrévocablement  ses 
destinées  jeunes  à  des  destinées  étrangères.     M.  Bourassa  a  de  vigou- 

>  La  Naissance  d'une  Race,  Bibhothèque  de  l'Action  française 
Montréal,  1919.     Prix  :  75  sous  (par  la  poste,  80  sous). 


l'action  française  373 

reuses  invectives,  il  déploie  toutes  ses  puissances  d'ii'oiiie  contre  l'Angle- 
terre qui  veut  nous  entraîner  dans  la  gi'avitation  de  son  empire  par  l'in- 
fluence populaire  des  campagnes  de  presse  et  la  pression  morale  des  hon- 
neurs.    Il  prêche  la  Ubération  de  l'étreinte  anglaise  sur  notre  pohtiquo. 

Académique  et  pondéré,  d'aptitudes  très  diverses,  M.  Edouard 
Montpetit  est  un  spectacle  déUcieux  à  ceux  qui  l'étudient.  Ecrivain 
de  grande  tradition,  aimant  à  formuler  des  idées  concises  et  larges  qui 
sont  des  mots  d'ordre,  il  est  professeur  de  prosaïsmes,  c'est-à-dire,  en 
l'occurrence,  de  droit  romain  et  d'économie  politique.  Penseur  et  lettré 
avec  des  devoirs  d'économiste,  économiste  avec  des  goûts  d'artiste  et 
de  poète,  ni  son  souci  des  choses  matérielles  ne  lui  a  enlevé  l'autorité 
des  choses  littéraires  et  artistiques,  ni  ses  tendances  aux  lettres  son  auto- 
rité dans  les  questions  de  banque,  de  commerce  et  d'industrie.  C'est 
un  don  bien  rare  que  l'autorité.  On  ne  discute  pas  Montpetit  :  il  s'est 
attiré  toutes  les  adhésions.  Peut-être  aussi  qu'il  n'est  pas  facile  de  le 
discuter.  On  dirait  qu'un  instinct  puissant  de  la  race  l'a  consigné  à 
son  poste  de  chef. 

Et  M.  Montpetit  s'attache,  depuis  longtemps,  par  ses  com's,  ses 
conférences  et  ses  articles,  à  nous  inculquer  l'attrait  des  choses  maté- 
rielles. De  la  richesse,  il  veut  que  nous  fassions  un  argument,  une  gran- 
deur, une  indépendance.  Par  la  supériorité  économique,  nous  saurons 
parvenir  à  tous  les  affranchissements,  à  la  manifestation,  sans  obstacles, 
de  toutes  nos  aptitudes.  Il  lui  plairait  que  noas  eussions  le  talent  d'ex- 
ploiter les  ressources  de  notre  province,  celui  de  manufacturer  nos  pro- 
duits nous-mêmes  et  de  les  vendre.  Nous  devons  gérer  nos  affaires. 
Et  M.  Edouard  Montpetit  se  trouve  ainsi  prêcher  la  libération  de 
l'étreinte  économique  anglaise  ou  américaine. 

M.  l'abbé  Groulx  est  le  plus  vibrant  de  nos  historiens.  Le  passé 
l'émeut.  Son  patriotisme  sincère  met  au  fond  de  ses  œuvres  w\e  flamme 
ardente  et  voilée  dont  on  ne  sait  que  la  chaleur.  A  l'instar  de  M.  Etien- 
ne Lamy  il  fait  de  la  psychologie  historique.  Philosophe,  il  s'essaie 
à  saisir  tous  les  mouvements  d'idées  qui  furent  inspiratem-s  des  faits. 
Les  émanations  de  l'histoire  l'imprègnent.  Ses  Uvres  ont  ainsi  la  valeur 
d'une  intuition. 

Autrefois  M.  l'abbé  Groulx  démêla  la  trame  de  nos  constitutions. 
La  révolte  de  1837  retint  ensuite  son  attention.  Mais,  entretemps,  il 
ne  laissait  pas  que  de  lire  tous  les  documents  qui  lui  tombaient  sous  la 
main.  Et  voici  que  s'est  faite  en  son  esprit  la  lente  cristaUisation  d'une 
idée  :  la  naissance  d'une  race.  Les  pensées,  les  sentiments  cachés  sous 
jes  mots,  les  observations  qui  s'accrochent  à  l'intelhgence  pendant  la 


374  l'action  française 

lecture,  ont  imposé  le  sujet.     Les  vieux  gi-imoires  poudreux  ont  révélé 
leur  sens,  la  vérité  embusquée  à  toutes  les  lignes  a  crié  sa  certitude. 

«  Nous  constituons  une  variété  dans  la  famille  française.  Dis- 
tincts, nous  le  sommes,  non  seulement  par  le  pays,  par  l'allégeance  poli- 
tique, par  une  histoire  et  des  traditions  qui  nous  sont  propres,  mais 
aussi  par  des  caractères  phj'siques  et  moraux  déjà  fixés  et  transmis  avec 
la  vie  dès  la  fin  du  dix-septième  siècle.  C'est  ce  particularisme  national 
que  cette  histoire  démontre  d'elle-même,  sans  dessein  prémédité.  »  Ces 
phrases  ont  la  fermeté  d'une  évidence,  la  sonorité  d'une  déclaration 
d'indépendance. 

Et  plus  loin  :  «  . .  .  Nous  avons  besoin  qu'on  nous  rende,  plus  que 
toute  chose,  le  sentiment  de  notre  personnaUté ...  ;  en  cette  œu\Te  ini- 
tiale et  urgente,  sont  engagés  les  problèmes  fondamentaux  de  notre 
vie.  »  Cette  âme  nationale  nôtre,  nous  devons  la  connaître,  la  cultiver. 
la  développer,  l'exprimer.  Nous  avons  des  devoirs  envers  elle.  Nous 
sommes  responsables  de  son  épanouissement.  Les  altérations  qui  la 
déforment  nous  sont  imputables.  Il  faut  arracher  tous  les  lierres  para- 
sites qui  s'attachent  à  elle  pour  en  étouffer  le  jaiUissement;  il  faut  la 
libérer  de  toutes  les  influences  morales  et  intellectuelles  étrangères,  afin 
que  se  conserve  sa  pureté. 

NationaUsme  politique,  nationalisme  économique,  nationalisme 
intellectuel  et  moral,  voilà  ce  que  révèle  une  étude  attentive  des  idées 
de  M.  Bomassa,  de  J\L  Montpetit  et  de  M.  l'abbé  Groubi.  Notre  race 
en  développement  produit  les  individus  qui  disent  sa  volonté  incons- 
ciente. Si  nous  scrutons  de  plus  près  la  pensée  de  ces  trois  maîtres,  nous 
avons  le  spectacle  d'une  race  qui,  peu  à  peu,  se  retire  de  ses  appuis;  qui 
aspire  à  se  Ubérer  de  toutes  les  tutelles;  qui  a  le  sentiment  d'être  mûre 
pour  sa  vocation  de  nation  libre,  en  accepte,  avec  gravité,  tous  les  de- 
voirs. Elle  sait  sa  tâche  mieux  que  ne  le  savent  les  autres  qui  jugent 
par  intérêt,  à  leur  point  de  vue.  Il  y  a  un  goût  d'accepter  les  sacrifices. 
Aujourd'hui,  elle  ne  veut  s'en  rapporter  à  personne  du  soin  de  ses  affai- 
res. Les  amarres  sont  coupées,  délibérément,  l'une  après  l'autre.  Des 
pilotes  à  poigne  solide  tiennent  la  barre  et  se  lancent  en  plein  avenir. 
Et  c'est  une  minute  décisive  à  marquer,  que  celle  où  une  race  prend 
conscience  d'elle-même.  Le  hvre  de  M.  l'abbé  Groulx  ne  pouvait  être 
pubUé  à  une  heure  plus  opportmie.  Il  éclaire  d'une  lumière  nouvelle 
les  doctrines  de  M.  Bourassa  et  de  M.  Montpetit;  il  éclaire  la  race  sur 
elle-même.  Et  ce  sera  sans  doute  le  plus  beau  titre  à  la  goire  de  M. 
l'abbé  Groulx  que  d'avoir  exprimé  ce  sentiment  obscur  et  latent  de  la 
jace.  Léo-Paul  Desrosiebs. 


I 


TRIBUNE  DE  NOS  LECTEURS 


L'ACTION  FRANÇAISE  ET  NOS  COLLÈGES  CLASSIQUES 


La  direction  de  V  Action  française  énonçait  dans  le  numéro  de  janvier 
de  cette  revue,  sous  la  rubrique  «  Au  dehors  ».  un  projet  des  plus  pra- 
tiques et  des  plus  féconds,  projet  qu'il  serait  tout  à  fait  malhetu-eux  de 
ne  pas  voir  se  réaliser.  Nous  voulons  parler  des  conférences  que  l'on 
se  propose  de  donner  en  dehors  de  Montréal,  sur  l'œuvre  de  V Action 
française  —  car  c'est  bien  ime  œuvre  —  ,  ou  sur  tout  autre  sujet  national 
d'intérêt  particuMer  pour  le  groupe  auquel  on  s'adressera.  Initiative 
inteUigente  que  celle-là  !  Grâce  à  elle,  le  rayon  d'influence  déjà  assez 
vaste  de  l'Action  sera  agrandi. 

S'il  est  vrai  cependant  que  toutes  les  classes  de  notre  peuple  ont 
besoin  d'être  mises  en  contact  avec  les  conférenciers  de  V Action  fran- 
çaise, on  ne  peut  nier  qu'il  existe  certaines  portions  de  notre  race  quî 
méritent  une  attention  plus  particulière,  et  sur  lesquelles  l'apostolat 
national  pourrait  s'exercer  avec  plus  d'efficacité.  Nous  mentionnerons 
en  premier  heu  notre  jeimesse  étudiante,  celle  surtout  qui  fréquente  noi, 
collèges  classiques. 


On  dit  que  nos  collèges  classiques  sont  des  forteresses  nationales, 
des  arsenaux  où  s'arment  les  jeunes  pour  la  lutte  de  demain  :  cela  est 
bel  et  bien  vrai,  mais  n'oublions  pas  non  plus  que  nos  institutions  d'en- 
seignement secondaire  furent  et  sont  encore  les  pourvoyeuses  involon- 
taires, mais  pourvoyeuses  tout  de  même  d'apostats  —  ou  giaère  mieux  — 
de  notre  nationahté.  Aussi  bien,  ne  prétendons-nous  pas  qu'il  soit  pos- 
sible d'enrayer  complètement  la  croissance  de  cette  vermine  :  ce  serait 
utopique.  Mais  il  n'est  pas  moins  certain  que  cette  engeance  pourrait 
être  diminuée,  affaibhe,  par  une  guerre  constante  à  l'esprit  d'arri\Tsme 
ou  du  «  laissez-moi  tranquille  ».  On  a  déjà  fait  beaucoup  en  ce  sens  — 
et  il  convient  de  souhgner  ici  l'effort  heureux  de  l'A.  C.  J.  C.  —  mais 
l'on  peut  faire  davantage.  L'A.  C.,J.  C.  quoiqu'elle  s'adres-se  à  toute 
notre  jeunesse  étudiante,  n'en  peut  évidemment  atteindre  qu'une  partie 


376  l'action  fkançaise 

et  presque  toujours  la  mieux  disposée.  Aux  jeunes  qui  gravitent  dans 
sa  sphère  d'influence,  certes,  elle  sait  inculquer  avec  l'esprit  catholique, 
un  sens  réel  et  souvent  profond  du  patriotisme.  Mais  le  reste  de  nos 
étudiants,  ceux  qui  soit  orgueil  de  l'esprit,  soit  manque  de  compréhen- 
sion de  sa  nature  et  de  ses  buts,  n'ont  pas  voulu  s'inscrire  à  l'A.  C.  J.  C, 
faudra-t-il  les  abandonner  à  eux-mêmes  ou  plutôt  aux  corsaires  des  clubs 
politiques  qui  les  guettent  à  la  sortie  du  collège,  sans  lemr  avoir  au  préa- 
lable formé  une  conscience  nationale  éclairée,  sans  leur  avoir  au  moins 
donné  les  grands  principes  du  patriotisme  vrai,  d'où  ils  puissent  se  guider 
à  travers  le  dédale  des  opinions  courantes  ?  Sans  doute,  mille  fois  non  1 
Nous  avons  trop  besoin  de  nos  forces  nationales  pour  laisser  l'anémie 
ou  la  contamination  amoindrir  l'ime  d'elles,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de 
la  jevmesse  étudiante,  l'espoir  de  notre  nationalité,  ce  froment  qui  lève 
et  dont  on  attend  une  si  belle  moisson.  Et  pourtant,  chaque  année, 
il  sort  de  nos  collèges  plusieurs  de  ces  étudiants  —  hélas  !  beaucoup 
trop  —  dont  l'unique  ambition  est  de  faire  leur  trouée,  coûte  que  coûte, 
dussent-ûs  même  pour  cela  transiger  avec  un  principe  rehgieux  et  levu- 
fierté  nationale  ou  —  pour  tout  dire  en  un  mot  —  transiger  avec  leur 
«  temps  de  collège  ». 


La  cause  de  ce  mal,  on  l'a  souvent  dit,  réside  dans  le  manque  d'édu- 
cation du  patriotisme.  On  ne  sait  pas  auguste  ce  que  c'est  que  le  patrio- 
tisme—  faut-il  en  blâmer  les  jeimes?  tant  de  nos  sommités  sociales 
en  ignorent,  du  moins  pratiquement,  les  premières  notions.  Ah  !  l'on 
a  bien  des  forumules  creuses,  gobées  ici  et  là,  dans  les  jovimaux,  quelques 
tirades  sonores  apprises  par  cœur  afin  d'en  imposer  aux  confrères  un 
soir  de  discussion  à  la  «  Société  Uttéraire  »  de  l'Aima  Mater,  mais  ce 
ne  sont  toutefois  que  des  formules  creuses  et  des  tirades  sonores  :  de 
conviction,  point,  ou  à  peu  près  point.  On  s'est  arrêté  à  l'accidentel, 
tandis  qu'on  eût  dû  s'attacher  à  la  substance  de  la  chose.  De  toutes 
ces  pathétiques  professions  de  fidéUté  à  la  race,  il  n'est  resté  que  le  sou- 
venir nuageux  de  les  avoir  déjà  faites.  L'on  est  surpris  d'y  manquer 
si  facilement,  un  coup  aux  prises  avec  la  vie  :  c'est  que  formules,  tirades 
et  professions  de  foi  provenaient  d'xme  imagination  souvent  brillante 
au  lieu  que  de  ressortir  d'une  âme  fortement  convaincue. 

Et  cette  absence  de  conviction  ne  peut  être  tout  attribuée  à  une 
mauvaise  volonté,  à  une  nonchalance  intellectuelle  ou  morale  de  nos 
élèves;  non,  ils  sont  adolescents  et  comme  tels,  ont  un  cœur  pour  vibrer 


l'action  française  377 

aux  grandes  idées  et  se  prêter  volontiers  aux  résolutions  efficaces  et 
généreuses. 

Encore  qu'il  ne  soit  pas  le  plus  à  blâmer  en  cette  affaire,  notre  per- 
sonnel enseignant  pourrait  peut-être  faire,  à  la  dérobée,  un  petit  mea 
culpa;  peut-il,  en  effet,  la  main  sur  la  conscience,  affirmer  qu'il  n'a  né- 
gligé aucune  occasion  de  créer  et  de  développer  un  sens  national  dans 
l'âme  de  ceux  qu'il  a  eus  sous  sa  charge  ?  qu'il  a  suscité,  midtiplié  ces 
occasions  de  faire  œuvre  patriotique  ?  Qu'il  nous  soit  permis  d'en  dou- 
ter. Tous  nos  professeurs  d'histoire  du  Canada  —  et  nous  insistons 
sur  ce  point  —  ont-ils  su  joindre  à  l'enseignement  des  faits,  quelques 
remarques  propres  à  nourrir  l'idée  patriotique  de  l'élève,  quelques  rap- 
prochements tendant  à  affiner  son  sens  critique  des  questions  nationales  ? 
Au  reste,  leur  a-t-on  donné  le  temps  nécessaire,  à  ces  professeurs,  pour 
développer  normalement  leur  cours?  Ne  les  a-t-on  pas  plutôt  forcés 
à  enseigner  en  quelques  semaines  ce  qui  n'aurait  dû  s'enseigner  qu'en 
plusieurs  mois?  Surcharge  des  programmes!  clame-t-on.  Il  n'y  a 
pas  à  s'en  étonner,  si  l'on  admet  pratiquement  que  les  histoires  ancien- 
nes doivent  s'enseigner  sur  un  pied  supérieur  à  l'histoire  du  Canada. 
D'aucuns  semblent  prétendre,  si  l'on  en  juge  par  le  temps  alloué  à  leur 
étude,  que  la  connaissance  parfaite  des  conquêtes  de  Sésostris  ou  même 
de  Philippe  et  d'Alexandre  de  Macédoine  est  plus  utile  qu'une  notion 
claire  des  différents  systèmes  de  gouvernement  qui  ont  présidé  à  notre 
évolution  poHtique  au  dernier  siècle.  Il  nous  semble  qu'il  faille  remé- 
dier à  ces  méthodes  un  peu  caduques  et  machinales.  L'abbé  Groulx 
dans  son  lumineux  article  Notre  Histoire,  publié  dans  V Action,  française 
en  1918,  indique  clairement  ce  qu'il  y  a  à  faire  en  ce  sens.  Agissons, 
il  en  est  temps. 

Inutile  de  dire  que  nous  sommes  des  premiers  à  payer  notre  tribut 
d'admiration  à  ce  qu'ont  accompli  nos  institutions  d'enseignement  se- 
condaire et  cela  sur  toute  la  ligne.  Toutefois,  il  est  nécessaire  de  pro- 
gresser, de  viser  aux  cimes  et  de  les  atteindre.  Vivant  au  milieu  des 
idées  ambiantes  du  «  laissez-faire  »  et  de  conciliation  outrancière  des 
derniers  cinquante  ans,  ces  semeuses  d'éducation  en  ont  été  un  peu  les 
victimes,  du  reste,  moins  que  bien  d'autres. 

*      '      * 
En  ces  dernières  années,  grâce  au  choc  de  la  vagiie  persécutrice» 
il  y  a  eu  éveil  général,    chez  les  jeunes  surtout.     L'on  ne  s'est  pas  con- 
tenté non  plus  d'admirer  l)éatement  cette  réaction,  on  l'a  dirigée  et  on 
la  dirige  encore 


378  l'action  française 

h' Action  française  est  au  premier  rang  parmi  ceux  qui  ont  assumé 
cette  noble  tâche.  Son  activité,  débordant  les  cadres  de  la  revue,  voire 
même  du  livre,  l'a  poussée  à  devenir  conférencière.  Elle  veut  se  faire 
toute  à  toas.  Nul  doute  qu'elle  ne  désire  avec  envie  jeter  à  pleines  mains 
le  semence  féconde  sur  le  terrain  éminemment  bien  préparé  des  institu- 
tions d'enseignement  secondaire;  la  moisson  serait  si  belle  ! 

Il  est  donc  à  souhaiter  que  Messieurs  les  Supérieurs  de  séminaii'e 
et  de  collège  profitent  eux  aussi  de  l'offre  généreuse  faite  par  la  direction 
de  la  revue,  en  lui  demandant,  chaque  année,  —  pourquoi  pas  ?  —  un 
conférencier  qui  puisse  donner  «  une  soirée  d'action  française  ».  Pro- 
fesseurs et  élèves  en  profiteraient;  l'organe  de  la  Ligue  des  Droits  du 
français  aurait  chance  certaine  de  pénétrer  davantage  dans  nos  maisons 
d'éducation  et  y  susciterait  assurément  d'heureuses  améliorations  : 
de  la  sorte,  beaucoup  des  ombres  que  nous  avons  indiquées  au  tableau 
de  notre  enseignement  «  patriotique  »  finiraient  par  disparaître. 

Gérard  Tremblay. 

NOTRE  CONCOURS 

A  la  demande  des  principaux  intéressés,  notre  concoius  d'abonne- 
ment est  prolongé  jusqu'au  31  décembre.  Nous  espérons  qu'on  voudra 
bien  utiHser  avec  le  plus  d'activité  possible  ce  nouveau  délai  et  nous 
rappelons  rapidement  les  principales  conditions  du  concours. 

Seize  prix  seront  attribués,  selon  le  nombre  des  points  recueillis: 
1  premier  prix  de  S2.5;  1  deuxième  prix  de  S15;  2  prix  de  SIO;  4  prix  de  $5; 
8  prix  de  S2.50.  Les  prix  seront  attribués  d'après  l'échelle  suivante  : 
Abonnements  de  1919,  5  points  chacun;  abonnements  de  1920,  10  points 
chacun;  abonnements  de  1918,  10  points  chacun;  les  trois  abonnements 
ensemble,  30  points.  Il  ne  peut  s'agir,  en  tout  cas,  que  d'abonnements 
nouveaux.  Les  renouvellements  et  prolongations  ne  comptent  point, 
pas  plus  que  les  soldes  d'abonnements  en  cours.  La  collection  de  1918 
sera  tout  de  suite  adressée  aux  nouveaux  abonnés,  de  même  que  les 
numéros  parus  de  1919.  La  collection  de  1918  se  vend  $2,  l'abonne- 
ment de  1919  et  de  1920  est  de  SI,  payable  d'avance.  Les  concurrents 
sont  Ubres  de  rccueiUir  les  abonnements  où  ils  veulent,  de  grouper  leurs 
efforts,  etc.  Nous  ferons  simplement  le  total  des  abonnements  et  des 
points  obtenus. 

Toute  la  correspondance  doit  être  adressée  :  Concours  d'abonne- 
tnents,  l'Action  française,  32,  Immeuble  de  la  Sauvegarde.  Montréal. 
Nous  prions  qu'on  ait  soin  d'indiquer,  en  envoyant  chaque  nouvel  abon- 
nement, à  quel  concurrent  il  doit  être  attribué. 


LA  VIE  DE  U ACTION  FRANÇAISE 


A  Lachine  —  La  plus  belle  manifestation  d'Action  française,  au 
mois  d'août,  c'est  indiscutablement  la  commémoration  à  Lachine  du 
230e  anniversaire  du  terrible  massacre  de  1689,  organisée  par  le  Cercle 
Savaria  de  l'A.  C.  J.  C,  sous  le  patronage  de  V  Action  française.  Il  y  a  eu 
messe  en  plein  air,  célébrée  par  Mgr  Forbes,  avec  sermon  de  M.  l'abbé 
Perrier,  puis,  dans  ime  grande  réunion  publique,  discours  de  M.  l'abbé 
Olivier  Maurault,  P.  S. S.,  sur  les  origines  françaises  du  canal  de  Lachine 
(que  l'on  voulait  en  même  temps  rappeler)  et  du  R.  P.  L.  Côté,0  M.I., 
sur  le  massacre,  dévoilement  de  plaques  commémoratives,  et,  le  soir, 
nouvelle  réunion  publique,  avec  allocutions  du  maire,  du  curé,  du  R.  P. 
Sigouin,  S.  J.,  et  de  M.  J.-C.  Martineau,  de  l'A.  C.  J.  C. 

Une  brochm-e  spéciale  racontera  cette  belle,  pieuse  et  instructive 
manifestation. 

Nos  CONFÉRENCES  —  Le  très  beau  succès  obtenu  cette  année  et 
Tan  dernier  par  nos  conférences  du  Monument  National  nous  comman- 
dait de  les  continuer.  Nous  ne  pourrons  que  le  mois  prochain  donner 
des  détails  précis  sur  la  hste  des  oratem's  et  les  conditions  d'organisa- 
tion, mais  nous  pouvons  tout  de  suite  dire  que  la  série  aura  pour  titre 
général  :  N'ohlesse  oblige  et  qu'on  entendra  quelques-unes  des  voix  les 
plus  aimées  du  public  canadien  français.  LTne  échelle  de  prix  sera  insti- 
tuée de  façon  à  mettre  les  cartes  à  la  portée  de  toutes  les  bourses.  Un 
système  de  numérotage  sera  adopté,  qui  assiu'era  à  chacun  un  siège  déter- 
miné. 

Nous  prions  nos  amis  de  répandre  tout  de  suite  la  bonne  nouvelle 
et  d'inviter  leui's  amis  à  surveiller  les  indications  que  nous  donnerons 
dans  notre  prochain  niunéro  et  dans  la  presse  quotidienne.  Les  pre- 
miers arrivés  auront  naturellement  toute  chance  d'être  les  mieux  servis. 

«  CoMME.XT  SERVIR  »  —  Ce  Sera  le  titre  de  notre  prochaine  série 
d'articles,  celle  qui  fera  suite  aux  Précurseurs  et  commencera  en  janvier 
prochain.  Elle  posera  le  problème  de  nos  obh gâtions  envers  la  race 
et  de  la  façon  dont  chacun,  suivant  son  poste,  doit  s'en  acquitter.  Le 
cultivateur  et  l'artisan,  le  professionnel  et  l'homme  d'affaires,  le  prêtre 
et  la  mère  de  famille,  d'autres  encore  seront  mis  en  cause.  Nous  in\n- 
eerons  des  personnes  représentatives  de  chaque  groupe  à  nous  donner 
leur  avis  motivé. 

Nous  avons  tout  Heu  de  croire  que  le  succès  et  l'intérêt  de  cette  en- 
quête égaleront  ceux  des  deux  précédentes. 

Nos  pirBLi CATIONS  —  A  part  la  revue,  nous  avons  toute  une  sérit 
d«  publications  nouvelles  sur  le  métier.     Nous  pourrons,  dès  la  prochaine 


380  l'action    FRAXÇAIbE 

livraisou,  en  annoncer  quelques-unes.  On  s'apercevra  que  nous  n'avons 
pas  perdu  nos  vacances. 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  les  œuvres  fléjà  parues.  Toute  une 
campa'gne  de\Tait  être  entreprise,  avec  la  fin  des  vacances,  pour  les 
faire  pénétrer  partout  où  elles  sont  encore  ignorées  et  nou>  recomman- 
dons particulièrement  â  l'attention  de  nos  amis  rAbnanach,  qvi 
est  actuellement  en  préparation. 

L'Oeuvre  dv  Livre  fraxçai*  —  Personne  ne  songe  à  contester 
l'importance  de  cette  propagande  par  le  livre.  La  Société  Saint-Jean- 
Baptiste  de  Montréal,  qui  a  lancé  l'Oeuvre  du  Livre  français  et  dont 
l'intelligente  initiative  a  fait  pénétrer  dans  les  groupes  français  des  au- 
tres provinces  des  centaines  de  mille  brochures  et  re%'ues.  \'ient  de  lancer 
au  public  un  nouvel  appel.  Elle  prie  qu'on  lui  adresse  tous  les  livres 
et  revues  dont  on  peut  disposer  au  profit  des  Canadiens  français  des 
autres  pro\'inces.  Elle  acceptera  naturellement  aussi  les  livres  neufs, 
et  ceci  nous  amène  à  proposer  à  ceux  de  nos  amis  qui  désireraient  favo- 
riser cette  œuvre  mie  combinaison  qui  leur  permettra  d'augmenter  sen- 
siblement l'efficacité  de  leur  offrande. 

Sur  toute  commande  de  SIO  et  plus  qui  nous  sera  adressée  pour 
l'Oeuvre  du  Livre  français — et  que  noiLS  ferons  tenir  à  la  Société  Sait- Jean- 
Baptiste  —  nous  accorderons  une  prime  de  20%,  c'est-à-dire  que, 
pour  SIO  par  exemple,  l'on  pourra  commander  §12  valant  de  volumes 
et  brochures,  au  prix  fort.  Siu-  toute  commande  de  S25  et  plus,  nous 
accorderons  259c.  Xoas  étabUrons  nous-mêmes  la  liste  des  volumes, 
si  on  préfère  nous   laisser  ce  soin. 

Souscriptions  de  propagande  —  Nous  nous  permettons  d'in- 
sister sur  l'importance,  d'une  façon  générale,  des  souscriptions  de  propa- 
gande. Il  est  ime  foule  d'endroits  où  tel  ou  tel  livre  d'Action  française 
serait  d'une  très  grande  utilité,  pourrait  éveiller  des  reflexions  salutaires, 
devenir  principe  d'action;  il  est  telle  initiative  dont  la  réaUsation  serait 
fructueuse,  mais  pour  faire  les  envois  nécessaires,  pour  prendre  les  initia- 
tives urgentes  parfois,  il  faudrait  souvent  des  ressources  que  nous  ne 
possédons  point.  Notre  action,  en  dépit  du  dévouement  de  nos  amis, 
est  forcément,  dans  imo  certaine  mesure,  conditionnée  par  l'état  de 
notre  budget. 

Abonnements  de  §ô  —  Nos  an(  iens  lecteurs  connaissent  le  sys- 
tème des  abonnements  de  $5,  qui  a  obtenu  un  si  vif  succès  et  qui  a  l'avan- 
tage d'éviter  beaucoup  d'ennuis  et  de  frais  de  correspondance.  Ou 
remet  $5  à  l'administration  de  VAclion  française  et  celle-ci  envoie  au 
.souscripteur.au  fur  et  à  mesure  qu'elles  parais.<«ent,toute.e  les  publications 


l'action  française  381 

nouvelles  (sauf  la  revue  de  VAciwn  française).  Si  le  souscripteur  désire 
commander  des  œuvres  déjà  parues  ou  doubler  sa  commande  de  publi- 
cations nouvelles,  il  n'a  qu'à  jeter  à  la  poste  une  carte  postale.  Lorsque 
son  crédit  est  épuisé,  on  l'avertit  et  il  n'a  qu'à  envoyer  un  nouveau  $5 
pour  que  les  envois  se  continuent. 

Aboxxemexts  de  SIO — Le  succès  de  l'abonnement  de  $5  et  le 
développement  de  notre  service  de  librairie  ont  exigé  une  nouvelle  créa- 
tion. Certains  lecteurs  désirent  recevoir,  sans  avoir  à  faire  de  comman- 
de spéciale,  non  seulement  nos  propres  publications,  mais  les  Canadiana 
dont  nous  sommes  les  distributeurs.  Pour  ceux-là  nous  instituons 
l'abonnement  de  .?10,  dont  le  fonctionnement  sera  le  même  que  celui 
de  l'abonnement   de  Sô.  Jean  Beauchemin 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


ES  SASKATCHFAVAN 


Le  Montréal  Daily  Slar,  daiLS  son  numéro  du  13  août  1919,  a  publié 
la    dépêche   suivante  : 

Spécial  to   The   Star  froin   Our   Correspon-denl 

Regina,  Aug.  l'S.  —  Pétitions  are  l)eing  circulated  throughout  the 
Province  by  thcLoj^al  Orange  Lodgejwith  a  view  of  testing  the  strength 
of  the  movement  in  Saskatchewan  for  one  school  and  one  language  of 
instruction.  This  move  is  not  being  made,  according  to  those  in  charge 
of  the  campaign,  with  any  idea  of  embarrassing  the  Government  of 
Saskatchewan,  but  simply  for  the  purpose  of  giving  voice  to  the  con- 
victions of  a  large  number  of  people  in  favor  of  one  school. 

The  pétition  is  as  follows  : 

To  the  Hon.  W.  M.  Martin,  Premier  of  the  Pro^^nce  of  Saskat- 
chewan. 

The  pétition  of  the  undersigned  provincial  electors  residing  in  Sas- 
katchewan. 

1.  That  the  French  language  has  no  officiai  status  in  the  Pro^^nce 
of  Saskatchewan,  and  in  our  opinion,  the  same  should  be  absolutely 
eliminated,  either  as  a  médium  of  instruction,  or  a  subject  of  study  in 
our  primary  schools. 

2.  That  as  the  great  war  has  now  euded,  we  beheve  the  time  is  uow 
ripe  to  consohdatc  ail  classes  in  the  proN-ince  in  one  undivided  wliole. 


382  l'action  française 

3.  That  this  consolidation  can  be  better  achieved  through  the  union 
of  the  childi-en  in  fhe  province  than  in  any  other  manner,  and  we  believe 
this  unification  is  absolutely  impossible  so  long  as  separate  schools  exist. 

4".  That  separate  schools  are  well  known  to  be  a  disiutegrating 
force  in  the  province  and  retard  éducation  espccially  in  the  higher  grades. 

5.  That  separate  schools  are  foimd  to  be  burdensome  to  the  tax- 
payer,  not  only  of  the  separate  school  district,  but  of  the  public  school 
district,  where  separate  schools  are  in  opération,  resuit ing  in  a  lower 
grade  of  teachers  and  poor  equipment  in  both  pubhc  and  separate 
schools. 

6.  Your  petitioners  beUeve  that  the  eastern  provinces  of  this  Do- 
minion hâve  absolutely  no  right  to  formulate  any  educational  System 
for  the  western  p^o^'inces  and  that  strict  independent  autonomy  in  this 
respect  should  be  insisted  upon. 

7.  That  we  are  of  the  opinion,  that  this  important  matter  should 
be  considered  outside  the  range  of  party  politics. 

Yoiir  petitioners,  therefore,  deraand  that  the  Législative  Assembly 
of  the  Province  of  Saskatchewan  shall  so  amend  the  School  Act  to  give 
effect  to. 

1.  The  aboUtion  of  the  use  of  French  language  cither  as  a  médium 
of  instruction  as  subject  of  study  in  the  primarj'  schools. 

2.  The  abolition  of  ail  separate  schools  in  the  province. 

And  we  respectfully  déclare  that  wc  arc  qualified  voters  for  tlu- 
return  of  a  member  of  the  Législative  Assembly  of  the  Province  of  Sas- 
katchewan, and  hâve  signed  this  pétition  with  full  knowledge  of  its 
contents.  

LIXFLUEXCE  DU  NOMBRE 


Le  Droit,  dans  son  numéro  du  13  août  191 9,  a  pubUé  l'article  suivant  : 

Souvent,  en  face  des  injustices  et  des  attaques  dont  notre  race  et 
notre  langue  sont  les  objets  en  ce  beau  pays,  on  a  entendu  des  gens  dire 
que  nous  ne  pourrions  avoir  d'influence  et  nous  faire  respecter  que  le 
jour  où  nous  serions  en  nombre  suffisant  poiu"  imposer  notre  volonté. 

Sans  doute,  il  est  très  vrai  que  le  moment  où  nous  serons  devenus 
la  majorité,  les  persécutions  et  les  dénis  de  justice  cesseront;  mais,  fau- 
drait-il attendre  ce  moment  pour  imposer  le  respect  de  nos  droits  à  ceux 
qui  sont  plus  nombreux  que  nous  ? 

Ce  serait,  il  noue  semble,  reculer  le  jour  de  la  A-ictoire  un  peu  loin 
rt  il  est  certain  que  nous  pouvons  obtenir  la  roconnaiseanop  de  nos  librr- 


l'actiox  française  383 

tés  et  le  respect  de  nos  droits  sans  que  nous  soyons  la  majorité.  Pour 
cela,  deux  choses  suffisent  :  D'abord,  conserver  notre  vitalité  intacte, 
en  empêchant  tout  coulage,  en  résistant  de  toutes  nos  forces  à  l'angli- 
cisation,  en  cultivant  dans  toutes  les  âmes  et  toutes  les  intelligences, 
surtout  chez  les  jeunes,  l'amour  de  notre  langue  et  de  nos  traditions, 
en  faisant  usage  de  la  langue  française  partout  et  toujours,  quand  les 
circonstances  le  permettent,  donner  aux  générations  qui  poassent  la 
formation  la  plus  complète  possible  et  choisir,  pour  nous  représenter, 
dans  les  diverses  circonscriptions  où  nous  sommes  en  nombre  suffisant 
pour  faire  ce  choix,  des  hommes  compétents  et  distingués  qui  feront 
honneur  à  notre  race  en  montrant  aux  autres  que  nous  avons  chez  nous 
une  éUte  capable  d'aborder,  de  comprendre  et  de  résoudre  sagement 
toutes  les  questions,  même  les  plus  sérieuses. 


La  seconde  est  au.ssi  importante  que  la  première,  c'est  de  voir  à 
ce  que  les  autorités,  les  dociunents  officiels  enregistrent  fidèlement  les 
progrès  que  nous  faisons  avec  les  années,  dans  les  diverses  provinces 
où  nous  avons  élu  domicile. 

A  quoi  nous  servirait  de  lutter  pour  conser\'er  l'usage  de  notre  lan- 
gue, poiu-  maintenir  bien  \'ivaces  les  belles  traditions  si  profondément 
catholiques  que  nous  ont  transmises  nos  ancêtres,  si,  avec  chaque  recen- 
sement, les  documents  officiels  faisaient  croire  au  monde  entier  que  le 
nombre  des  Canadiens  français  reste  stationnaire,  quand  il  ne  diminue 
pas? 

Sans  doute,  la  fausseté  des  chiffres  ne  ferait  pas  diminuer  notre 
nombre,  et  ne  ferait  pas  movirir  les  Canadiens  français,  mais  nous  per- 
drions ime  grande  partie  de  notre  influence,  puisque  souvent,  on  se  base 
sur  les  chiffres  officiels  pour  accorder  à  une  minorité  sa  représentation 
dans  la  hiérarcliie  civile  ou  religieuse. 

D'un  autre  côté  si  on  enregistre,  à  chaque  décade,  ime  forte  aug- 
mentation en  notre  faveur,  on  ne  tardera  pas  à  comprendre  que  nous 
sommes  une  force  avec  laquelle  il  faut  compter,  que  les  efforts  pour  nous 
angliciser  ou  nous  étouffer  sont  absolument  inutiles  et  que  la  meilleure 
manière  de  faire  de  tous  les  Canadiens  une  grande  nation  avec  une  même 
âme  et  un  même  idéal,  c'est  de  respecter  les  droits  et  les  prérogatives 
de  chacun  des  éléments  constituants  de  la  nation  et  de  grouper  toutes 
les  énergies  vers  un  même  but,  le  développement  d'un  patriotisme  cana- 
dien. 


384  l'action  française 

Il  y  aura  bientôt  dix  ans  que  le  dernier  recensement  national  a  eu 
lieu.  Dans  quelques  mois,  quelques  semaines  peut-être,  on  fera  les 
préparatifs  nécessaires  pour  le  recensement  de  1920-1921. 

Comme  par  le  passé  on  procédera  par  questions  afin  de  connaître 
l'origine  et  la  nationalité  des  habitants  du  Canada,  on  spécifiera  quelle 
langue  chaque  indi^•idu  parle  et  l'on  établira  ainsi  des  statistiques  qui 
auront  toute  l'autorité  des  documents  officiels. 

Pour  la  pro^dnce  de  Québec,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  l'on  rendra 
justice  aux  Canadiens  français,  car  les  employés  du  recensement  seront 
en  général  des  Canadiens  français.  11  n'en  sera  pas  de  même  dans  les 
provinces  anglaises  et  il  se  poiu-ra  fort  bien  que  des  employés  de  langue 
anglaise  soient  chargés  de  Ansiter  des  centres  ontariens  à  grande  majorité 
française. 

Comme  tous  les  Canadiens  français,  ou  à  peu  près,  parlent  l'an- 
glais, en  cette  province,  il  est  fort  possible  qu'on  se  dispense  de  leur  de- 
mander quelle  est  leur  langue  maternelle  et  qu'on  les  c!as.se  parmi  les 
Canadiens  de  langue  anglaise. 

On  peut  même  poser  la  question  d'une  façon  équivoque.  On  peut 
simplement  demander  :  -:<  Quelle  langue  parlez-vou.s  d'ordinaire  ?  »  Pour 
tous  les  Canadiens  français  A-ivant  dans  des  centres  à  majorité  anglaise 
il  est  clair  que  la  langue  ordinaire  pour  les  affaires  et  les  relations  sociales 
est  généralement  l'anglais.  Voilà  autant  de  Canadiens  français  qui 
•seront  cla.ssés  parmi  les  citoj-ens  de  langue  anglaise. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  des  recensements  se  sont  faits  avec  une 
injustice  manifeste  pour  les  Canadiens  français.  Prenons  par  exemple 
celui  de  1891.  Dans  la  région  compri.^e  par  le  diocèse  de  lungston, 
le  recensement  de  ISSl  donne  10,221  Canadiens  français.  Celui  de 
1891  ne  donne  que  4.608,  pendant  que  le  recensement  .suivant,  1901, 
donne  11,023.  De  telles  variations  sont  impossibles  et  la  seule  expli- 
cation à  cet  état  de  choses  c'est  que  l'on  a  «  anglifié  »  officiellement  plus 
(le  la  moitié  des  Canadiens  français. 

Comme  le  gouvernement  actuel  ne  s'est  pas  montré  particulière- 
ment dévoué  aux  intérêts  français  du  pays,  comme  c'est  un  gouverne- 
ment comme  celui  de  1891,  il  serait  très  bon  de  suivre  de  près  les  travaux 
du  recensement  et  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  qvie  l'on 
n'«  anglifip  »  pas  les  Canadiens  français. 

J.-AU»ert  FoisT. 


l'Action  française 
septembhe  1919 


Les  précurseurs 


UABBË  LEON  PROVANCHER 


Pour  fortifier  le  courage  des  travailleurs  d'aujourd'hui 
et  les  rattacher  à  ce  qu'il  y  a  de  constitué  déjà  dans  la  tra- 
dition nationale,  V Action  française  les  fait  passer  dans  le 
cimetière  de  l'histoire  et  lire  sur  les  stèles  oubliées  les  noms 
à  demi  effacés  déjà  de  ceux  qui,  dans  tous  les  domaines, 
voulurent  ouvrir  à  notre  jeune  peuple  des  voies  et  des  hori- 
zons nouveaux.  U Action  française  ne  pouvait  manquer 
de  conduire  ses  lecteurs  à  la  petite  église  du  Cap-Rouge, 
devant  la  pierre  tombale  qui  rappelle  le  souvenir  de  l'abbé 
Léon  Provancher,  le  premier  et  le  plus  grand  des  savants 
canadiens. 

Malgré  d'évidentes  faillites  dans  des  domaines  qui 
n'étaient  pas  le  sien,  et  où  ses  fanatiques  avaient  voulu 
l'entraîner,  la  science  a  tellement  détruit  et  créé  de  choses 
sur  notre  planète,  qu'il  serait  absurde  de  vouloir  mécon- 
naître la  place  qu'elle  tient  :  une  nation  qui  veut  garder 
sa  place  au  soleil  ne  peut  négliger  de  collaborer  à  la  recher- 
che des  secrets  de  la  nature,  de  ses  lois  et  de  ses  trésors. 

Issu  de  quelques  milliers  de  paysans  abandonnés  dans 
la  forêt  canadienne  par  une  France  vaincue,  notre  peuple 
a  passé  rapidement,  miraculeusement  comme  on  l'a  dit, 
les  phases  de  formation  et  de  développement  des  groupes 
ethniques.  Il  n'a  pas  mendié  son  pain  à  la  porte  du  con- 
quérant, il  l'a  demandé  à  la  Providence  et  à  ses  bras.  Soli- 
dement ancré  à  la  glèbe  laurentienne,  il  a  gardé  sa  foi  catho- 
lique et  sa  mentalité  latine,  emploj'ant  pour  défendre  l'une 

Vol.  III,  No  9 


386  l'action  française 

et  l'autre  toutes  les  énergies  qui  n'étaient  pas  requises  pour 
le  défrichement  du  sol.  ■  Nous  eûmes  d'abord  des  labou- 
reurs, des  soldats  et  des  prêtres;  la  lutte  pour  la  vie  nous 
créa  des  parlementaires,  des  orateurs  et  des  hommes  d'État, 
dont  les  victoires  morales,  en  nous  dotant  d'une  paix  rela- 
tive, déterminèrent  l'éclosion  d'une  littérature  et  d'un  art 
canadiens. 

L'heure  est  venue,  semble-t-il,  où  une  science  propre- 
ment canadienne-française  doit  se  constituer.  Mais  si, 
dans  un  avenir  plus  ou  moins  prochain,  nous  voj'ons  cet 
heureux  développement,  il  ne  faudra  pas  oublier  'qu'il  y 
eut  des  précurseurs;  que,  dès  le  milieu  du  XIXe  siècle, 
notre  race  produisait  un  savant  remarquable,  dont  les  tra- 
vaux resteront  classiques  en  Amérique.  Et  lorsque  nous 
croirons  connaître  à  fond  les  trésors  de  la  nature  lauren- 
tienne,  les  richesses  des  eaux,  des  bois  et  des  montagnes, 
il  nous  faudra  nous  incliner  devant  celui  qui,  alors  que  per- 
sonne encore  n'en  voulait,  nous  présenta  la  clef  d'or  de  ce 
monde   merveilleux. 

L'abbé  Provancher  est  né  à  Bécancour,  le  10  mars 
1820.  Il  fit  toutes  ses  études  au  séminaire  de  Nicolet  et 
nous  savons  comment,  sous  l'ombre  des  vieux  pins,  il  prit 
par  hasard  la  passion  des  sciences  naturelles.  Au  fond 
d'une  bibliothèque,  il  découvre  un  vieux  traité  de  botani- 
que, qu'il  dévore.  Mais  quand,  sur  les  plantes  du  pai'c, 
des  prés  voisins  et  des  battures  du  lac  Saint-Pierre,  il  veut 
appliquer  ses  notions  fraîchement  acquises,  il  se  trouve 
que  les  trilles  qu'il  dissèque  se  dérobent  à  son  analyse,  que 
la  sanguinaire  qui  lui  rougit  les  doigts  refuse  d'entrer  dans 
ses  cadres,  et  que  même  les  herbes  les  plus  vulgaires  gardent 
soigneusement  leur  incognito.  Autour  de  lui,  personne 
pour  le  tirer  d'embarras  et  l'on  sourit  d'une  fantaisie  si 
nouvelle. 


l'action  française  387 

D'ailleurs,  de  plus  graves  soucis  sollicitent  le  jeune 
Provancher.  Il  se  destine  aux  autels,  et,  refoulant  dans 
un  coin  de  son  cœur  ses  ambitions  scientifiques,  il  travaille 
avec  vaillance  et  loyauté  à  se  faire  une  âme  vraiment  sacer- 
dotale. Il  est  ordonné  à  Québec,  avec  des  collègues  qui 
seront  les  évêques  Langevin,  de  Rimouski,  et  Racine,  de 
Sherbrooke.  De  1844  à  1847,  l'abbé  Provancher  est  vicaire 
à  Bécancour,  à  Saint-François  de  Beauce  et  à  Sainte-Marie 
de  Beauce.  En  cette  année  1847,  nous  le  trouvons  à  la 
Grosse-Ile,  remplissant  un  ministère  d'héroïsme  auprès 
des  tj'phiques  irlandais.  L'épidémie  passée,  Provancher 
fait  encore  du  vicariat  à  Saint-Gervais,  puis  occupe  succes- 
sivement les  cures  de  Saint-Victor  de  Tring,  de  l'Isle-Verte, 
de  Saint-Joachim  et  de  Portneuf. 

Les  premières  publications  de  notre  grand  naturaliste 
datent  de  Saint-Joachim.  C'est  d'abord  le  Traité  élémen- 
taire de  Botanique  (1858),  puis  le  Tableau  chronologique  et 
synthétique  de  l'histoire  du  Canada  (1859).  Mais  il  était 
à  Portneuf  quand,  en  1862,  parut  sa  grande  œuvre,  la  Flore 
Canadienne  à  laquelle  vint  bientôt  faire  suite,  la  même 
année,  le  Verger  Canadien,  premier  ouvrage  du  genre  au 
Canada,  et  qui  devait  être  tant  de  fois  réédité. 

L'abbé  Provancher  était  un  homme  d'une  activité 
et  d'une  initiative  incroyables.  Que  l'on  en  juge  !  A 
Portneuf,  il  réussit  à  opérer  l'extinction  de  la  dette  parois- 
siale; il  introduit  l'harmonium  à  l'église  —  innovation  qui 
fit  sensation  dans  le  temps  —  établit  le  sj^stème  adminis- 
tratif des  marguilliers;  il  fonde,  en  1866,  la  première  frater- 
nité canadienne  du  tiers-ordre  franciscain  et  fait  des  dé- 
marches pour  obtenir  le  retour  au  Canada  des  fils  de  saint 
François.  Ce  n'est  pas  tout  !  Il  organise,  à  la  même 
époque,  une  compagnie  de  navigation  entre  Québec,  Port- 
neuf et  autres  lieux,  fonde  une  pépinière  considérable  et 


388  l'actiox  française 

couronne  le  tout  en  formant  une  compagnie  de  milice  ! 
Au  milieu  de  tous  ces  travaux,  il  trouve  le  moyen  de  lancer 
la  seule  revue  scientifique  que  nous  eûmes  en  ce  paj^s  jus- 
qu'à l'apparition  de  la  Revue  Trimestrielle  :  je  veux  parler 
du  Naturaliste  Canadien,  fondé  en  1868,  que  Provancher 
dirigea  vingt  années,  et  que  son  infatigable  disciple,  le  cha- 
noine V.-A.  Huard,  soutient  depuis  trente  ans,  au  prLx  de 
multiples  sacrifices.  En  1869,  Provancher  se  retire  du 
ministère  et  vient  résider  à  Saint-Rt)ch  de  Québec,  puis 
au  Cap-Rouge,  où,  loin  de  se  reposer,  il  trouve  le  temps 
de  collaborer  régulièrement  à  la  Minerve,  de  fonder  la  Se- 
maine religieuse  de  Québec  (1888),  de  publier  ses  Mollusques 
et  les  quatre  solides  volumes  modestement  intitulés  Petite 
Faune  entomologique  du  Canada. 

La  Petite  Faune  décrit  des  centaines  d'insectes  jusque-là 
inconnus  à  la  pcience,  toutes  les  espèces  canadiennes  de 
Coléoptères,  d'Hémiptères,  d'Orthoptères,  de  Né\Toptères 
et  d'Hj'ménoptères  qui  lui  étaient  alors  connues;  elle  ren- 
ferme au  delà  de  2000  pages  de  texte.  Deux  autres  volu- 
mes où  l'auteur  eût  traité  des  Diptères  et  des  Lépidoptères, 
auraient  complété  cette  œuvre  unique  et  monumentale 
si,  à  ce  moment,  les  ressources  ne  lui  eussent  complètement 
fait  défaut.  L'histoh-e  de  la  science  canadienne  sera  sévère 
pour  les  hommes  publics  d'alors  qui,  pour  de  mesquines 
raisons,  privèrent  notre  grand  naturaliste  des  moyens  de 
couronner  son  œuvre.  Il  n'eût  fallu  pour  cela  que  le  prix 
d'une  beuverie,  quelques  centaines  de  ces  dollars  parfois 
si  inutilement  prodigués  ! 

L'abbé  Provancher  est  mort  le  23  mars  1892,  à  l'âge 
de  72  ans.  Ses  collections  entomologiques  sont  au  Musée 
de  l'Instruction  publique,  à  Québec,  et  ses  duplicata  en 
grande  partie  au  Collège  de  Lévis.  Son  herbier,  peu  im- 
portant, est  maintenant  complètement  réuni  à  l'Univer- 


l'actiox  fraxçaise  389 

site  Laval.  Sa  riche  bibliothèque  scientifique  a  été  incor- 
porée à  celle  du  Palais  Législatif  de  Québec. 

Nous  avons  fait  ailleurs  ^  l'étude  critique  de  la  Flore 
Canadienne  et  nous  n'j^  reviendrons  pas,  sinon  pour  en  rap- 
peler les  conclusions  :  le  Provancher  de  1862  n'était  pas 
botaniste:  il  a  appris  la  botanique  en  cours  de  route,  c'est- 
à-dire,  en  écrivant  sa  Flore  Canadienne,  et  cet  ouvrage,  au 
lieu  de  couronner  une  carrière  scientifique  ne  fait  que  mar- 
quer un  début.  Rappelons  encore  que  les  clefs  analytiques 
sont  souvent  imparfaites,  émaillées  de  transpositions  qui 
les  rendent  parfois  difficiles  à  interpréter,  que  la  suite  des 
espèces  est  incomplète  et  parfois  enchevêtrée.  On  exagère 
donc,  croyons-nous,  en  écrivant,  comme  on  l'a  fait  récem- 
ment,que  Provancher  a  manipulé  une  à  une  toutes  les  plan- 
tes canadiennes  et  qu'il  en  a  maîtrisé  tous  les  secrets. 

Tout  cela  n'empêche  que  la  Flore  Canadienne  fut  un 
ouvrage  étonnant  pour  le  temps  où  il  parut  et  que  seul  un 
homme  taillé  comme  le  curé  de  Portneuf  pouvait  mener  à 
bonne  fin.  Il  faut  d'ailleurs  ne  pas  oublier  que,  depuis 
longtemps,  les  rois  de  France  n'envoyaient  plus  sur  nos 
bords  leurs  «médecins  du  roi»  et  leurs  «botanistes  ro3^aux)), 
et  que  nul  ici  ne  songeait  plus  aux  sciences  naturelles.  La 
botanique  américaine  naissait  péniblement  avec  Nuttall, 
Rafinesque,  Torrey  et  Asa  Gray.  Provancher,  absolument 
isolé,  devait  travailler  au  milieu  de  l'indifférence  parfois 
hostile  de  ses  compatriotes,  loin  des  laboratoires  et  des 
bibliothèques  techniques.  «  On  ne  pourra  peut-être  jamais 
se  rendre  compte,  a-t-ii  écrit  lui-même,  quelque  part  dans  le 
Naturaliste  Canadien,  de  la  somme  de  courage  et  de  labeur 
qu'il  nous  a  fallu  employer  pour  nous  initier  nous-même, 
[seul,  isolé,  sans  ressources  matérielles,  à  ces  sciences  com- 

^  Fr.  M  ARiE-YiCTORiN,  Sciences  naturelles  au  Canada,  KevueCana,- 
jdienne,  nov.  1917,  p.  349    et  seq. 


390  l'actiox  française 

plexes  et  difficiles,  pour  trouver  même  les  som'ces  où  il  nous 
fallait  aller  puiser,  n'ayant  personne  pour  nous  les  indi- 
quer. .  .  »  Telle  qu'elle  est,  avec  ses  imperfections  et  ses 
erreurs,  la  Flore  Canadienne  est  resté  un  ouvrage  unique 
dans  notre  littérature,  ouvrage  que  nul  encore  n'a  osé  re- 
prendre. 

Mais,  hâtons-nous  de  le  dii-e,  c'est  surtout  dans  le  do- 
maine de  l'entomologie  que  Provancher  a  fait  œuvre  per- 
sonnelle et  pris  place  parmi  les  pionniers  de  la  science  sur 
ce  continent.  Ici,  il  cesse  de  compiler,  il  découvre,  il  fait 
avancer  à  grands  pas  sa  science  favorite.  Son  affaire  n'est 
pas,  comme  l'ermite  de  Sérignan  —  avec  qui  il  a  d'ailleurs 
plus  d'un  trait  de  ressemblance  —  de  fouiller  l'âme  des 
bêtes  pour  y  trouver  selon  la  belle  expression  de  Mistral 

.  .  .la  vertu  de  V abeille  et  le  secret  du  miel  ! 

Provancher  est  plutôt  de  tradition  linnéenne,  appliqué 
à  inventorier  les  merveilles  de  la  création  et  à  dresser  des 
cadres  où  elles  puissent  se  grouper  selon  leurs  affinités  ap- 
parentes. Ces  cadres,  plus  ou  moins  artificiels,  ne  préten- 
dent certes  pas  à  exprimer  le  plan  divin,  mais  ils  permet- 
tent à  notre  intelligence  d'embrasser  d'une  seule  vue  des 
milliers  de  formes  qui,  sans  cette  opération  de  l'esprit,  se- 
raient noyées  dans  un  monstrueux  chaos. 

On  serait  dans  l'erreur  si  l'on  croyait  que  les  livres 
de  Provancher  sont  le  vade-mecum  du  jeune  entomologiste 
en  ce  pays.  Ils  sont  classiques  et  d'une  valeur  inappré- 
ciable pour  les  spécialistes,  mais  peu  utiles  aux  autres. 

Van  Duzu,  célèbre  hémiptériste  américain,  qui  a  con-| 
fronté  attentivement  les  ouvrages  et  les  collections  de  Pro- 
vancher, a  trouvé  ^  que  sur  300  espèces  décrites  dans  le  traita 

»  Canadian  Enlomologist,  XLIV,  pp.  317-330. 


l'actiox  française  391 

des  Hémiptères,  148  sont  faussement  déterminées.  D'autre 
part,  MM.  Gahan  et  Rohler,  du  Bureau  d'entomologie 
de  Washington,  D.C.,  ont  publié  une  étude  sur  les  «  Hymé- 
noptères de  Provancher  ))  à  la  suite  d'une  visite  à  ses  col- 
lections en  1915  ^  Les  conclusions  de  ces  entomologistes 
peuvent  se  résumer  ainsi  : 

Sur  923  espèces  décrites  par  Provancher  (le  groupe 
des  abeilles  n'a  pas  été  examiné),  un  très  petit  nombre 
l'avait  été  auparavant,  preuve  d'une  extraordinaire  maî- 
trise de  ce  groupe  si  difficile.  La  faiblesse  de  l'auteur  ré- 
sulte de  sa  conception  du  gem-e  et  des  limites  génériques. 
Même  dans  les  genres  qu'il  admet,  l'on  trouve  qu'il  place 
des  espèces  très  voisines  dans  des  genres  entièrement  dis- 
tincts. Provancher,  de  plus,  n'était  pas  ua  type-worshipper, 
car  il  n'a  pas  indiciué  sur  les  étiquettes  de  sa  collection  le 
spécimen  sur  lequel  il  avait  basé  sa  description  spécifique. 

La  partie  de  la  Petite  Faune  qui  traite  des  Coléoptères 
est  beaucoup  moins  personnelle.  L'auteur  n'y  décrit  lui- 
même  qu'un  petit  nombre  d'espèces,  et  ses  descriptions, 
faisant  état  plus  qu'il  ne  faut  de  caractères  aussi  instables 
que  la  taille  et  la  couleur,  manquent  souvent  de  précision. 
Le  frère  Germain,  des  Écoles  Chrétiennes,  coléoptériste 
distingué  qui  a  beaucoup  pratiqué  Provancher,  cite  comme 
particulièrement  topicpe  à  cet  égard  le  cas  des  hylotrupes 
où  le  savant  abbé  a  été  complètement  mystifié  par  l'ex- 
trême variabilité  chromatique  de  ces  insectes. 

Il  était  nécessaire  de  faire  ces  réserves  pom*  ne  pas 
tomber  dans  le  panégjTique  éhonté  qui  est  le  pire  ennemi 
de  la  gloire  des  grands  hommes.  ^Nlais  hâtons-nous  de 
dire  que  ce  sont  des  déficiences  communes  à  tous  les  sa- 
vants de  cette  époque,  et  que  Provancher  reste  l'un  des 

^  Canadian  Entomologist,  XLIX,  pp.  298  et  seq. 


392  l'action  française 

grands  entomologistes  du  monde  entier.  Si  l'on  ne  consi- 
dérait que  les  Hyménoptères,  l'on  pourrait  avec  autant! 
de  raison  que  pour  le  grand  Linné>^  mettre  en  exergue  à 
sa  gloire  :  Dieu  créa,  Provancher  nomma  ! 

La  mémoire  de  Provancher  a  bénéficié  du  grand  mou- 
vement de  nationalisation  et  de  renaissance  française  qui 
entraîne  le  pays.  On  s'est  souvenu,  tardivement,  que 
«  dans  le  monde  savant  de  l'univers,  ce  prêtre  avait  donné 
une  voix  à  notre  Canada  ».  Devant  les  inscriptions  lapi- 
daires de  l'église  du  Cap-Rouge,  du  Palais  législatif,  on 
se  rappelle  qu'il  y  a  soixante  ans  une  aube  scientifique  se 
leva  sur  notre  province  et  l'on  se  surprend  à  chercher  pour- 
quoi cette  au])e  n'eut  pas  son  midi   ! 

Il  ne  faut  pas  en  rester  à  une  admiration  à  la  fois  très 
légitime  et  très  stérile,  mais  faire  un  énergique  effort  poui 
nous  évader  de  ce  colonialisme  scientifique,  tout  aussi  dé- 
sastreux et  non  moins  humiliant  que  le  colonialisme  litté- 
raire que,  grâce  à  Dieu,  nous  sommes  à  dépouiller  ave( 
entrain.  Que  tous  ceux  à  qui  incombe  la  responsabilité 
d'orienter  l'évolution  intellectuelle  des  Canadiens  français 
y  songent;  qu'ils  favorisent,  par  tous  les  moyens,  Téclosior 
et  la  culture  des  vocations  proprement  scientifiques. 

Comment  ? 

En  introduisant  les  sciences  naturelles  à  tous  les  degré 
de  l'enseignement,  depuis  l'école  primaire  jusqu'à  l'Univer 
site  —  ou  depuis  l'Université  jusqu'à  l'école  primaire.  I 
semble  que  c'est  d'en  haut  que  la  lumière  doit  venir,  et  ell 
peut  être  faite  d'autant  mieux  que,  en  cette  matière,  n 
pèse  aucune  déprimante  tradition  de  routine  officielle.  L'en 
seignement  des  sciences  naturelles  étant  à  peu  près  inexis 
tant  n'a  pu  se  fossiliser  et  peut  tout  de  suite  être  mis  sur  u 
pied  rationnel,  excellent,  adapté  aux  besoins  de  notre  peuple 

Comment    encore  ? 


l'action  française  393 

Par  la  création  d'une  société  de  naturalistes  canadiens- 
français.  Il  ne  manque  pas  —  une  volumineuse  corres- 
pondance en  fait  foi  —  de  jeunes  gens  fortement  attirés 
vers  ce  genre  d'études,  qui  y  débutent  avec  enthousiasme, 
mais  dont  l'isolement  fait  avorter  les  premiers  efforts,  ne 
laissant  que  des  regrets. 

Et  pourquoi  n'aurions-nous  pas  au  lieu  ou  à  côté  de 
parcs  dont  la  banalité  est  patente,  des  jardins  botaniques 
qui  ne  coûteraient  pas  plus  cher  et  seraient  une  école  tou- 
jours ouverte  au  menu  peuple  plus  avide  de  connaissances 
précises  qu'on  ne  semble  le  croire  ? 

Enfin,  il  faut  encourager  notre  littérature  scientifique. 
Nous  nous  plaisons  à  reconnaître  ce  que  le  gouvernement 
arovincial  accorde  pour  soutenir  la  Revue  Trimestrielle 
ît  le  Naturaliste  Canadien.  Mais  le  public  a  sa  part,  très 
arge,  à  faire.  Et  il  semble  qu'aucun  professeur,  aucun 
nédecin,  aucun  agronome,  aucun  homme  instruit  même, 
le  devrait  manquer  à  pourvoir  sa  table  de  travail  de  ces 
leux  revues  qui  forment  encore  la  totalité  de  notre  presse 
icientifique  canadienne-française. 

Fr.     Marie-Victorin, 
des  Écoles  Chrétiennes. 


NOTRE  ALMANACH 


Les  dernières  pages  de  ÏAlmanach  de  la  Langue  française  iront 
ientôt  sous  presse.  Li'Abnanach  sera,  cette  année,  plus  varié,  plus 
Dpieusement  illustré  que  jamais.  Il  paraîtra  vers  le  1er  novembre, 
'n  est  prié  d'organiser  tout  de  suite  la  propagande.  Les  prix  sont  les 
livants  :  l'exemplaire,  20  sous;  la  douzaine,  $2;  de  50  à  99  exemplai- 
!S,  16  sous  l'exemplaire;  de  100  à  499,  15  soas;  de  500  à  999,  14  sous; 
partir  de  1,000,  12  sous  }/2  (port  en  plus  toujours).  On  peut  grouper 
«  commandes. 


LE  CONGRÈS  DE  CHICOUTIMI 


C'est  le  dernier  acte  de  notre  jeunesse.  Comme  tou- 
jours elle  y  a  manifesté  les  éléments  profonds  de  sa  vie. 

On  se  souvient  de  l'état  des  esprits  à  la  naissance  de 
y  Association.  La  direction  n'appartenait  qu'aux  seuls 
politiques  qui  occupaient  tous  les  journaux  et  toutes  les 
tribunes.  Il  semblait  que  chez  nous  rien  ne  pût  se  faire 
que  par  eux.  Pour  tous  ou  à  peu  près  ils  se  constituaient 
fournisseurs  d'idées.  Quelques  rares  travaillem's,  inconnus 
et  isolés,  gardaient  à  peine  un  esprit  libre,  au  prix  de  leur 
repos  et  quelquefois  de  leur  pain.  Pour  départager  les 
partis  et  affirmer  l'unique  vérité,  nulle  opinion  indépen- 
dante ou  si  faible  qu'elle  succombait  sous  le  dédain  des 
forts.  La  foule,  dressée  au  respect  de  l'orthodoxie  de  ses 
chefs,  ne  voulait  voir  dans  l'indépendance  qu'un  esprit 
de  rancune  et  de  révolte.  Pendant  ce  temps-là  une  poli- 
tique d'affaires,  pea  large  d'horizons,  abordait  timidement, 
sans  vue  d'ensemble,  l'un  après  l'autre,  selon  que  les  impo- 
sait l'opinion  publique,  les  problèmes  de  la  vie  nationale 

L'originalité  à^'V Association  fut  de  préparer  cette  chose 
rare  et  considérable  qui  s'appelle  des  «  étudiants  »  et  de  for- 
tifier ainsi,  sinon  de  créer,une  direction  indépendante.  Con^ 
vaincue  que  toute  orientation  décisive  dans  la  vie  d'un  payi 
veut  être  précédée  d'un  puissant  mouvement  des  esprit 
commandé  par  une  élite,  elle  créa  ses  cercles  d'études  où  un( 
élite  s'occupa  de  pe  former.  Pendant  que  d'autres  mouve 
ments,  partis  d'autres  points,  atteignaient  le  grand  public 
elle  seule  pouvait  s'approcher  de  la  jeunesse  et,  aux  vieu: 
préjugés  de  famille,  à  l'emprise  souveraine  de  la  routim 


l'actiox  française  395 

substituer  une  pensée  libre,  la  direction  de  l'intelligence. 
A  cette  jeunesse  elle  apportait,  du  reste,  un  programme 
d'action  qui,  pour  être  vaste,  à  longue  échéance,  n'en  offrait 
pas  moins  une  vigoureuse  synthèse.  Aux  \'ues  fragmen- 
taires et  courtes  des  oracles  régnants  elle  opposait  les  vues 
totales  de  ce  que  j'appellerais  sa  politique  spiritualiste. 
Non  point  qu'elle  prétendît  négliger  la  politique  d'affaires; 
elle  faisait  une  large  place  dans  ses  études  aux  problèmes 
économiques;  elle  y  voyait  l'assiette,  la  garantie  d'autres 
progrès.  Mais  considérant  toutes  choses  dans  une  pensée 
large  et  ordonnée,  elle  reconstituait  en  dignité  les  problèmes 
d'ordre  moral  et  intellectuel;  elle  faisait  comprendre  que 
les  autres  ne  doivent  être  traités  qu'en  fonction  de  ceux-ci. 
Ces  principes  proclamés  par  la  jeunesse  catholique 
de  1904  ne  restaient  point  dans  sa  bouche  des  clichés  sono- 
res à  l'usage  de  la  foule;  elle  en  fit  loyalement  la  règle 
vivante  de  son  action.  Sa  doctrine  circula  dans  ses  cercles 
d'études;  elle  y  fut  patiemment  étudiée,  assimilée  bientôt 
par  plus  d'un  millier  de  jeunes  gens.  On  jeta  par-dessus 
bord  le  vieil  empirisme  si  commode  aux  charlatans;  on  mit 
à  la  mode  les  longues  recherches,  les  vastes  enquêtes  pré- 
paratoires aux  congrès.  Et  ces  méditations  en  commun 
et  tout  cet  entraînement  intellectuel  ont  fixé  une  partie 
de  notre  jeunesse  dans  d'irrévocables  attitudes.  Elle  y 
fut  puissamment  aidée  par  ses  pi-emières  réunions 
générales  presque  entièrement  consacrées  aux  problèmes 
de  formation  intérieure.  Aujourd'hui,  qu'on  en  soit  aise 
ou  non,  une  pensée  nouvelle  et  libre  existe  dans  la  généra- 
tion des  jeunes  qui  a  secoué  les  vieilles  servitudes.  Là, 
dans  ces  milieux  ardents,  on  aborde  les  problèmes  sans  vi- 
sière et  on  prend  l'habitude  de  les  résoudre  dans  la  seule 
vérité.  Ce  goût  de  hberté,  devenu  presque  une  mode, 
a  même  dépassé  de  beaucoup  les  cadres  de  V Association. 


396  l'action  française 

Qui  le  sait  mieux  que  les  aînés  voués  à  des  campagnes  d'idées 
et  qui  ne  doivent  une  partie  de  leurs  succès  qu'aux  nou- 
velles attitudes  intellectuelles  de  la  jeunesse? 

Spiritualistes  dans  les  idées  dominantes  de  leur  pro- 
gramme, nos  jeunes  gens  n'en  perdirent  point  pour  cela 
le  sens  des  réalités.  Je  dirai  même  qu'ainsi  éclairé  par  une 
lumière  supérieure,  lem*  réalisme  n'en  devint  que  plus  aigu. 
En  1914,  aux  Trois-E,ivières,  ils  s'occupaient  de  notre  ins- 
truction publique.  Ils  tenaient  un  congrès  d'agriculture 
à  Saint-Hyacinthe,  en  1917.  Cette  année  ils  viennent  de 
clore  à  Chicoutimi  un  grand  congrès  de  colonisation.  Les 
seuls  objets  de  ces  réunions  d'étude  suffisent  à  affirmer  le 
sens  de  l'actualité,  les  préoccupations  réalistes  de  notre 
jeunesse.  Il  y  apparaissait  peut-être  davantage  à  Chicou- 
timi par  les  rapports  du  sujet  d'étude  avec  les  problèmes  de 
l'après-guerre  et  par  l'importance  sociale  toujours  accrue 
des  questions  économiques.  Ceux  qui  ont  observé  la  vie 
de  VAssociatio7i  en  ces  derniers  temps,  ont  pu  constater, 
au  surplus, la  place  de  plus  en  plus  grande  qu'ont  prise  dans 
ses  cercles  les  études  sociologiques.  La  génération  nou- 
velle, semble-t-il,  a  prévu  le  jour  prochain  où,- même  chez 
nous,  les  disputes  et  les  divisions  seront  moins  politiques 
que  sociales. 

Les  journées  de  Chicoutimi  furent  plutôt  des  journées 
d'étude  que  des  journées  d'action.  La  jeunesse  n'a  point 
prétendu  formuler  une  politique  de  colonisation  ni  proposer 
des  solutions  infaillibles.  Elle  apportait  plutôt  au  publie 
des  idées  à  peser  et  à  discuter.  Elle  avait  procédé,  comme 
toujours,  par  une  longue  et  minutieuse  enquête.  Elle 
s'était  entourée  de  la  meilleure  compétence;  elle  avait  in- 
terrogé les  experts,  les  hommes,  les  prêtres  qui  vivent  avec 
le  colon,  qui  connaissent  sa  vie  et  ses  besoins.  Entre  tous 
ces  hommes,  elle  s'efforça  de  provoquer  des  échanges  de 


l'actiox  française  .        397 

vues,  des  expressions  d'opinions;  elle  jeta  elle-même  dans 
le  débat  le  fruit  de  ses  laborieuses  recherches;  puis  eUe  solli- 
cita des  pouvoirs  publics  et  des  sociétés  indépendantes  une 
action  immédiate  et  efficace.  Mais  surtout  elle  voulut, 
en  lui  restituant  son  actualité,  imposer  à  l'opinion  le  fécond 
examen  d'un  problème  très  complexe. 

Le  congrès  de  Chicoutimi,  comme  un  peu  tous  les  con- 
grès, vaudra  surtout  par  ses  lendemains,  par  les  prolon- 
gements que  les  jeunes  voudront  donner  à  leurs  délibéra- 
tions. Il  est  pourtant  des  résultats  déjà  acquis  et  qui  va- 
lent d'être  signalés.  La  présence  active  des  agents  coloni- 
sateurs des  autres  provinces,  de  l'Ontario  et  du  Manitoba, 
a  permis  de  comparer  notre  système  à  celui  d'ailleurs  et 
peut-être  de  mettre  en  un  relief  insupportable  quelques- 
unes  de  nos  imperfections.  Cette  rencontre  aura  de  même 
amorcé  la  solution  d'un  vieux  débat  et  préparé  un  pacifique 
et  profitable  drainage  de  nos  réserves  colonisatrices.  Tous 
ont  paru  d'accord  de  ne  prendre  au  Québec  rural  aucune 
de  ses  forces  véritables.  A  tout  prix,  il  faut  laisser  au  vieux 
foj'er  français  la  puissance  oii  viennent  s'appuj'er  les  groupes 
excentriques.  IVIais  aux  déracinés  qui  veulent  prendre  le 
chemin  des  villes  ou  celui  des  frontières  voisines,  il  faudra, 
plus  diligemment  que  dans  le  passé,  montrer  les  routes  de 
l'Ouest. 

Jj' Association  de  la  Jeunesse  a  su  atteindre  pour  elle- 
même  des  résultats  appréciables.  Ce  congrès  de  Chicou- 
timi a  été  une  splendide  manifestation  de  sa  force,  de  sa 
vie,  du  caractère  de  son  œuvre.  Ceux  qui  savent  peser 
ces  sortes  de  chiffres,  apprécieront  la  vitalité  d'un  groupe- 
ment qui  a  pu  amener  au  delà  de  trois  cents  congressistes 
jeunes  gens  au  lointain  pays  du  Saguenay.  Ils  observeront 
que  ces  jeunes  gens  étaient  venus  de  toutes  les  parties  de 
Québec,  mais  aussi  du  fond  de  l'Ontario,  de  la  Nouvelle- 


398  l'action  française 

Angleterre  et  du  Manitoba;  qu'à  ces  congressistes  s'était 
joint  un  groupe  nombreux  d'hommes  d'œuvres,  de  publi- 
cistes,  entraînés  par  l'importance  de  la  manifestation;  que, 
pour  la  première  fois,  le  gouvernement  de  la  province  voulut 
en  être  et  qu'il  y  fut  avec  son  ministre  de  la  colonisation 
accompagné  des  principaux  officiers  de  son  ministère. 

La  jeunesse  pouvait-elle  souhaiter  meilleur  public, 
occasion  plus  favorable  à  une  démonstration  de  sa  vie  et 
de  ses  effectifs?  Les  auditeurs  fidèles  des  séances  du  con- 
grès n'ont  pas  manqué  de  recenser,  un  peu  étonnés,  l'élite 
nombreuse  et  très  variée  qui  se  développe  et  s'achève  in- 
cessamment dans  les  cercles  d'études  de  l'A.  C.  J.  C.  Les 
jeunes  gens  des  premiers  temps  de  la  fondation  ont  pris 
de  l'âge,  de  l'expérience,  une  rare  maîtrise  dans  la  discus- 
sion. Parce  que  beaucoup  ont  joint  au  talent  le  travail 
discipliné,  ils  devaient  atteindre  à  cette  supériorité.  D'au- 
tres se  sont  ralliés  à  ce  premier  noyau  et  ils  viennent  de 
partout  et  de  tous  les  milieux,  h^ Association  n'est  pas, 
comme  beaucoup  le  croient  encore,  une  œuvre  réservée  à 
la  seule  jeunesse  d'études  libérales  qui,  hélas  !  n'y  fait  plutôt 
que  l'infime  minorité.  Les  rapporteurs  et  les  orateurs  du 
congrès  appartenaient  aux  états  les  plus  divers.  Et  c'est 
l'annonce  réconfortante  d'une  élite  inattendue,  recrutée 
un  peu  partout  dans  la  puissante  réserve  de  nos  classes 
moyennes,  et  qui  se  lève,  cultivée,  armée  pour  la  lutte,  prête 
à  l'action.  Et  quelle  élévation  généreuse  dans  l'inspiration 
commune  des  discours  et  comme  en  cela  nous  est  apparue 
la  vigueur  du  groupement  de  l'A.  C.  J.  C.  et  son  emprise 
morale  sur  ses  membres.  C'est  toujours  pour  chacun  la 
même  vision  des  choses  dans  le  même  ordre  intellectuel. 
Ces  lectures  d'enquêtes  et  ces  débats  du  congrès  de  coloni- 
sation nous  les  avons  sentis  animés  par  des  préoccupations 
qui  les  dépassent  infiniment.  Au-dessus  de  ces  problèmes 
d'ordre  économique    flotte    pour  la   jeunesse   une    pensée 


l'actiox  française  399 

idéaliste  qui  rattache  les  biens  matériels  à  de  plus  hauts 
qu'eux-mêmes,  qui  monte  jusqu'à  la  patrie,  jusqu'à  la  foi, 
qui  atteste  une  vae  profondément  hiérarchique  des  choses. 
Ce  n'est  pas  uniquement  à  un  congrès  que  nous  avons 
assisté.  C'est  aux  manœuvres  d'une  jeune  force  qui  entre 
en  possession  de  l'avenir.  Cet  avenir  nous  le  saluons  avec 
confiance.  La  jeunesse  de  VAssociation  nous  le  donnera, 
au  gré  de  nos  espérances,  pom-  peu  qu'elle  veuille  accorder 
davantage  à  l'action  intellectuelle.  Qu'elle  ne  l'oublie 
jamais,  l'avenir  est  souvent  aux  groupes  qui  disposent  des 
forces  les  plus  considérables  de  l'esprit.  Ceux-là  le  savent 
tous  qui  ont  essayé  de  l'action  :  nous  avons  besoin  de 
prolonger  et  de  fortifier  le  mouvement  d  idées  de  ces  der- 
niers temps  pour  remettre  un  peu  de  cohésion  dans  nos 
doctrines,  pour  tirer  de  sa  somnolence  un  peuple  passif 
par  tempérament.  Que  la  jeunesse  catholique  ne  néglige 
point,  oserai-je  lui  dii-e,  les  œu\Tfes  purement  artistiques 
ou  littéraires.  L'honneur  et  le  commandement  de  sa  foi 
lui  imposent  d'être  à  l'avant  de  toutes  les  initiatives,  de 
tous  les  mouvements  de  la  pensée.  Il  y  a  tant  de  livres 
chez  nous  et  sur  tant  de  problèmes  urgents  qui  attendent 
d'être  faits;  et  il  y  a  toute  la  littérature  de  demain  qui  doit 
porter  une  empreinte  chrétienne.  Le  rayonnement  intel- 
lectuel de  VAssociation  voudra  devenir  assez  puissant  pour 
attirer  à  lui  toute  l'élite  de  la  jeunesse  pensive  canadienne 
qui, plus  que  dans  le  passé,ce  nous  semble,apparaît  soucieuse 
d'idées  vigoureuses,  ordonnées  et  claires.  Qu'à  cette  fin, 
les  travailleurs  des  cercles  d'études  continuent  de  se  forti- 
fier dans  l'unique  vérité.  Acquérir  une  solide  formation 
doctrinale,  voilà  bien,  à  la  fin  de  son  volume  sur  Les  mouve- 
ments de  la  jeunesses  catholique  française  au  dix-neuvième 
siècle,  l'expresse  recommandation  adressée  par  le  R.  P. 
iMainage  aux  jeunes  catholiques  qui  veulent  devenir  des 
chefs.     Plus  que  jamais,   dans  l'anarchie  universelle  des 


400  l'action  française 

idées,  il  importe  de  s'attacher  aux  vérités  traditionnelles; 
et  puisque  nous  seuls,  en  ce  pays,  tenons  dans  nos  mains 
l'intégral  flambeau,  acceptons  le  devoir  de  le  tenir  haut. 

La  jeunesse  de  V Association  voudra  continuer  à  faire 
également  de  ses  cercles  d'études  des  écoles  de  culture  mo- 
rale et  religieuse.  L'expérience  lui  a  fourni  cette  précieuse 
leçon  :  il  faut  plus  qu'une  belle  tête  pour  devenir  apôtre. 
L'homme  d'œuvres  ne  s'improvise  ni  -ne  se  commande  et 
l'action  est  toujours  courte  et  intermittente  où  elle  n'est 
point  l'expansion  d'une  vie  morale  intense  et  profonde. 
Non,  ne  parlons  plus  de  sentiment  d'honneur,  de  foi  patrio- 
tique qui  suffisent  à  tout.  Toujours,  il  faut  que  les  volontés 
et  les  motifs  s'égalent  aux  buts.  Et  ceux-là  seuls  sont  en 
voie  de  devenir  de  vrais  agissants,  peuvent  donner  le  dé- 
vouement continu  qui  puisent  dans  leur  foi  et  leur  charité 
les  raisons  et  les  soutiens  d'une  vie  supérieure. 

Que  nos  amis,  les  jeunes,  nous  pardonnent  ces  con- 
seils qui  peuvent  leur  paraître  une  exhortation.  Ils  nous 
sont  commandés  par  une  grande  expérience.  Quand  on 
possède  comme  eux  une  telle  force  d'avenir,  on  n'a  plus 
le  droit  de  devenir  une  déception.  Puis,  nous  revenons 
de  ce  pays  saguenayen  si  merveilleux  de  beautés  natm'elles, 
plus  merveilleux  encore  par  ses  empreintes  humaines.  Com- 
ment empêcher  que  nos  ambitions  ne  soient  exigeantes  ? 
Les  touristes  du  vingt-neuf  juin  dernier  ont  vu  défiler  de- 
vant leurs  yeux  ces  paroisses  opulentes,  ces  églises  super- 
bes, tous  ces  villages  blancs  et  prospères  semés  le  long  des 
plateaux;  ils  ont  admiré  la  province  en  puissance  qui  s'or- 
ganise là-bas  autour  du  lac  Saint-Jean,  surgie  de  la  forêt 
en  moins  d'un  demi-siècle,  vrai  poème  du  labeur  triom- 
phant, et  ils  ont  salué  le  rêve  d'une  infrangible  grandeur 
qui  flottait,  les  ailes  vivantes,  au  sommet  du  Cap  Éternité. 

Lionel  Groulx,  ptre. 


NOTRE  CONCOURS 


PROLONGATION  —  APPEL  A UX 
PROPAGANDISTES 


i 


Ainsi  que  nous  l'annoncions  le  mois  dernier,  nous  avons 
décidé  de  prolonger,  jusqu'au  31  décembre  1919,  not7'e  concours 
d'abonnement.  C'est  un  avantage  dont  nous  espérons  que 
nos  lecteurs  voudront  s'empresser  de  profiter.  Avec  les 
trois  mois  qui  leur  restent,  les  derniers  venus  ont  toute  chance 
de  rejoindre  les  autres,  et  même  de  les  dépasser. 
Voici  les  conditions  générales  du  concours  : 
Seize  prix  seront  attribués,  selon  le  nombre  des  points 
recueillis  : 

1  premier  prix  de     S25 

1  deuxième  prix  de  $15 

2  prix  de  $10 
4  prix  de                   $  5 

8  prix  de  $  2.50 

Les   points   seront   calculés   d'après   l'échelle   suivante  : 

Abonnements  de  1919,    5  points  chacun 
Abonnements  de  1920,  10  points  chacun 
Abonnements  de  1918,  10  points  chacun 
Les  trois  abonnements 
à  la  même  adresse,         30  points 

En  tout  cas,  il  ne  peut  s'agir  que  d'abonnements  nou- 
veaux.    Les   renouvellements   et   prolongations   ne   comptent 


402  l'action  française 

point,  pas  plus  que  les  soldes  d'abonnements  en  cours.  La 
collection  de  1918  sera  tout  de  suite  adressée  aux  nouveaux 
abonnés,  de  même  que  les  livraisons  parues  de  1919.  La 
collection  de  1918  se  vend  S2,  V abonnement  de  1919  et  de  1920 
est  de  SI  par  année,  payable  d'avance. 

Le  concours  se  terminera  avec  le  dernier  courrier  distribué 
à  Montréal  Ze  31  décembre.  Le  résultat  sera  proclamé  dans 
la  livraison  de  janvier  1920  de  ^Action  française.  Les 
concurrents  sont  libres  de  recueillir  les  abonnements  où  ils 
voudront,  de  grouper  leurs  efforts,  etc.  Les  membres  de 
cercles,  d'associations  peuvent  travailler  d'accord  et  inscrire 
au  nom  de  Vun  d'eux  les  divers  abonnements.  Nous  ferons 
simplement  le  total  des  abonnements  et  des  points  obtenus. 

Nous  prions  qu'on  ait  bien  soin,  en  expédiant  chaque 

nouvel  abonnement,  de  spécifier  :     Pour  le  concours Doit 

être  attribué  à  X ,  en  précisant  bien  les  noms  et  les  adresses. 

Que  tous  ceux-là  prennent  part  au  concours  qui  le  peu- 
vent !  Que  ceux  qui  ne  peuvent  s'engager  dans  cette  lutte 
amicale  n'en  travaillent  pas  moins  à  la  diffusion  de  la  revue  ! 
Au-dessus  du  concours,  il  y  a  In  besogne  générale  de  propa- 
gande, et  le  concours  n'est  qu'un  moyen  de  la  faciliter  et  de 
l'accélérer. 

A  V œuvre  donc,  tout  de  suite  et  partout  ! 

L'Action  française. 

P.  S.  —  Toute  la  correspondance  doit  être  adressée  à 
Concours  d'abonnement,  Z' Action  française,  32,  Immeuble 
de  la  Sauvegarde,  Montréal. 


GRAND-PRE 


Grand-Pré  !  annonçait  d'une  voix  sonore  le  chef  de 
train.  Et  par  une  matinée  ensoleillée  du  12  juillet  1918, 
nous  descendions,  M.  l'abbé  E.  Lacroix  et  moi,  dans  un 
village  poétiquement  assis  au  flanc  d'une  colline  qu'ombrage 
une  végétation  variée  et  abondante.  C'est  le  lieu  natal 
de  sir  Robert  Borden.  Sur  la  route  montante  et  caillou- 
teuse, on  nous  montre  la  résidence  de  la  vieille  mère  de 
l'homme  d'État.  Plus  loin,  une  église  protestante  dresse 
son  clocher.  En  face  de  nous,  les  routes  se  croisent,  s'en- 
foncent, en  tournant  sous  la  verdure,  bordées  partout  de 
jolis  cottages.  Sur  les  seuils  et  dans  les  parterres, jouent 
de  rares  enfants  qui  nous  regardent  curieusement.  Pas  une 
seule  fois  n'arrive  à  nos  oreilles  le  verbe  de  France,  car  ici 
l'œuvre  de  la  proscription  fut  complète  et  définitive.  Et 
vraiment  si,  devant  nous,  le  large  bassin  des  Mines,  qu'ont 
décrit  les  historiens,  n'étendait  sa  nappe  d'eau  imposante 
et  brumeuse,  si,  à  notre  gauche,  le  gigantesque  éperon  du 
cap  Blomidon  n'en  resserrait  l'entrée,  si,  plus  près,  les 
longues  digues  et  les  ingénieux  aboîteaux  acadiens  n'arrê- 
taient la  mer,  et  si,  surtout,  à  nos  pieds  ne  s'allongeait  cette 
riche  prée,  aux  longues  herbes  que  berce  le  vent  du  large,, 
nous  ne  pourrions  croire  qu'autrefois  une  race  forte  et  ver- 
tueuse vécut  ici,  y  souffrit,  et  disparut  en  un  jour  de  tour- 
mente. Du  Grand-Pré  acadien  il  reste  un  puits  à  la  mar- 
gelle de  pierres,  quelques  débris  de  maison  et  huit  vieux 
saules  qui  montent  la  garde  près  du  cimetière  où  dorment  les 
pionniers  de  ce  fertile  district.  C'est  à  leur  ombre  bien- 
faisante que  nous  essaierons  d'écrii'e  brièvement,  pour  les 


404  l'action  feaxçaise 

lecteui's  de  V Action  française,  la  triste  histoire  de  la  patrie 
d'Êvangéline. 

Grand-Pré  est  situé  dans  une  région  où  le  sieur  Prévert 
de  ëaint-]\Ialo  prétendait  avoir  trouvé  du  cuivre.  De  là 
le  nom  de  district  des  Mines  donné  à  la  contrée  environnante, 
et  de  bassin  des  Mines  au  bras  de  mer  ciui  forme  la  fourche 
droite  du  fond  de  la  baie  Française  (baie  de  Fund}^.  En 
1604,  Champlain  s'y  arrête  à  la  recherche  du  cuivre,  et  il 
constate  ciue  la  seule  mine  inépuisable  de  la  contrée,  c'est 
le  sol.  Aussi  lorsque  les  habitants  de  Port-Royal  songèrent 
à  installer  leurs  nombreux  fils,  ils  se  souvinrent  du  district 
des  Mines.  Dès  16S0,  une  barque  remontait  une  des 
nombreuses  rivières  du  bassin  ;  elle  amenait  le  premier  colon, 
Pierre  ]Mélanson  dit  Laverdure,  sa  femme,  INIarguerite 
ISIius  d'Entremont,  et  ses  sept  enfants.  Peu  de  temps  après, 
vinrent  Pierre  Terriau,  sa  femme  CéUne  Landry,  Pierre  et 
Claude  Landry,  Pené  Leblanc,  Etienne  Hébert,  Claude 
Boudrot,  Martin  Aucoin.  Le  progrès  de  la  population  fut 
étonnant:  en  1693, il  y  a  dans  le  district  307  colons;  en  1701, 
on  en  compte  498.  Aux  premières  familles  sont  venus  se 
joindre  les  Bourgeois,  les  Gaudet,  les  Daigle,  les  Bourg,  les 
Poirier,  les  Belliveau,  les  Cormier,  les  Richard,  les  Robi- 
chaud,  etc.  Ces  colons  étaient  dispersés  sur  toute  l'étendue 
du  bassin,  formant  des  centres  déjà  importants  à  Grand-Pré, 
aux  rivières  aux  Canards,  des  Vieux-Habitants,  Gaspa- 
reaux,  Saint-Antoine,  Sainte-Croix,  l'Ascension,  sous  la 
haute  et  bienveillante  protection  de  leur  seigneur  et  maître 
le  Borgne  de  Belle-Ile.  Claude  ]\Ioireau,  récollet,  fut  leur . 
premier  desservant,  et  Bonaventure  Masson,  de  la  même 
congrégation,  fut  le  premier  prêtre  résident.  Il  porte  le 
titre  de  curé  de  Grand-Pré  dès  1707. 

Nous  ne  décrirons  pas  la  douleur  de  ces  braves  Acadiens 
lorsqu'ils    se    virent    cédés    à    l'Angleterre    par    le    traité 


LACTIOX    FRANÇAISE  405 

d'Utrecht,  en  1713,  ni  les  vexations  et  les  tracasseries  sans 
nombre  dont  ils  furent  les  victimes  après  cet  événement. 
Qu'il  nous  suffise  de  dire  à  leur  honneur,  qu'ils  gardèrent, 
comme  peuple,  une  stricte  neutralité,  selon  les  termes  du 
traité,  même  lorsque  l'occasion  leur  était  offerte  par  la 
France  ou  le  Canada  de  lever  l'étendard  de  la  révolte  et  de 
reconquérir  leur  liberté.  Au  témoignage  des  gouverneurs 
anglais  eux-mêmes,  lors  de  l'expédition  du  capitaine  Coulon 
de  Villiers,  en  1747,  et  de  son  éclatante  victoire  contre  les 
troupes  du  colonel  Xoble  campées  à  Grand-Pré,  si  les 
Acadiens  lui  avaient  prêté  main-forte,  c'en  était  fait  de  la 
domination  anglaise  en  Acadie. 

Ces  luttes  n'empêchèrent  pas  cependant  le  progrès  de 
la  population.  Vers  1755,  tout  le  bassin  des  Mines  ne  comp- 
tait pas  moins  de  6,000  âmes  :  cinq  paroisses  florissantes 
s'échelonnaient  sur  ses  bords.  Saint-Charles  de  Grand-Pré 
avait,  pour  sa  part,  plus  de  1000  communiants.  Quelle  vie 
pieuse  et  édifiante  menait  cette  forte  population  !  «  En 
général,  nous  dit  l'abbé  Casgrain,  ils  étaient  bons,  affables  et 
serviables.  L'esprit  français,  toujours  gai,  toujours  vif, 
prompt  aux  réparties,  s'était  conservé  parmi  eux,  bien  qu'ils 
n'eussent  d'autre  instruction  que  les  soHdes  principes  du 
christianisme.  Modérés  dans  leurs  goûts,  simples  dans 
leurs  habitudes,  ils  avaient  peu  de  besoins,  et  ils  étaient  con- 
tents de  leur  sort.  L'incomparable  fertilité  de  leurs  terres, 
moins  difficiles  à  ouvrir  et  à  cultiver  que  celles  du  Canada^ 
leur  donnait  en  peu  d'années  assez  d'aisance  pour  établir 
leurs  enfants  autour  d'eux,  et  pour  jouir  d'une  vieillesse 
heureuse.  Quant  à  leur  moralité,  elle  n'a  pas  besoin 
d'autres  preuves  que  l'étonnante  fécondité  des  familles.  » 
Un  de  leurs  persécuteurs  n'a  pu  s'empêcher  d'écrire  cette 
phrase  :  ((  C'était  un  peuple  honnête,  industrieux,  sobre 
et  vertueux.  » 


406  l'action  française 

Et  ce  sont  ces  braves  gens  que  Lawrence  va  disperser 
aux  quatre  vents  du  ciel,  et  parce  qu'ils  occupent  de  beiles 
terres,  et  parce  qu'ils  sont  et  veulent  rester  français  et  ca- 
tholiques. Dès  le  printemps  de  1755,  il  s'est  emparé  par 
ruse  et  par  force,  des  barques  et  des  fusils  des  Acadiens  de 
Grand-Pré.  En  mai,  sont  arrivés  de  Boston  2,000  miliciens 
commandés  par  Monckton.  Le  16  juin,  l'armée  anglaise, 
victorieuse  à  Beauséjour,  continue  le  désarmement  de  la 
population.  Bientôt  un  édit  enjoint  aux  habitants  français 
de  prêter  serment  à  la  couronne  anglaise  sans  réserve.  Les 
Acadiens  protestent,  et  le  5  juillet,  cent  délégués  étaient 
admis  au  conseil  d'Halifax,  en  présence  de  Lawrence.  On 
lira  sans  doute  avec  intérêt  le  récit  de  cette  entrevue;  il  est 
signé  d'un  témoin  oculaire,  l'abbé  Daudin,  curé  de  Port- 
Royal.     C'est  une  page  digne  des  actes  des  martyrs. 

«  Lorsque  les  délégués  de  tous  les  villages,  au  nombre 
((  d'une  centaine  environ, furent  arrivés, on  les  assigna  devant 
((  le  Conseil  où  on  les  prévint  aussitôt  qu'on  ne  recevrait 
«  d'eux  ni  propositions  ni  explications.  .  .  Sans  ambages  le 
«  Conseil  leur  posa  la  question  :  «  Voulez-vous  jurer,  oui 
((  ou  non,  au  Roi  de  Grande-Bretagne, que  vous  prendrez  les 
«  armes  contre  le  Roi  de  France,  son  ennemi  ?  » — La  réponse 
«  vint,  aussi  laconique  que  la  question  :  «  Puisqu'on  ne 
((  veut  de  nous  qu'un  oui  ou  un  non,  nous  répondons:  Non, 
((  dirent-ils,  tout  en  ajoutant  que  ce  qu'on  exigeait  d'eux  ne 
((  tendait  à  rien  moins  qu'à  leur  ravir  leur  religion  et  tout  ce 
((  qu'ils  avaient. 

«  Le  Gouverneur  donna  aussitôt  l'ordre  de  les  trans- 
«  porter  sur  un  îlot,  distant  d'une  portée  de  canon  d'Halifax. 
«  On  les  y  conduisit  comme  des  criminels  et  on  les  y  laissa 
«  jusqu'à  la  fin  d'octobre,  n'ayant  pour  nourriture  qu'un  peu 
«  de  pain,  tiennes  de  tout  secours  et  sans  permission  de  se 
«  parler. 


l'actiox  frajstçaise  407 

«  Par  ces  rigueurs,  le  Gouverneur  prétendait  fléchir 
((  leur  courage;  mais  il  les  trouva  aussi  résolus  que  jamais.  Il 
«  décida  donc  de  se  rendre  en  personne  dans  l'île  avec  une 
«  nombreuse  suite  et  tous  ses  instruments  de  torture,  pour 
«  tenter  de  les  réduire.  Au  milieu  de  cet  apparat, digne  d'un 
«  t3Tan,il  leur  demanda  s'ils  persistaient  dans  leur  résolution. 
«  L'un  d'eux  répondit  :  «  Oui, et  plus  que  jamais;  Dieu  est 
«  avec  nous  et  cela  suffit.»  Le  Gouverneur  tira  son  épée  et 
((  s'écria  :  «  Insolent,  tu  mérites  que  je  te  passe  mon  épée 
((  au  travers  du  corps.»  Le  paysan,  s'approchant  et  présen- 
«  tant  la  poitrine,  dit  :  «  Frappez,  monsieur,  si  vous  l'osez; 
«je  serai  le  premier  mart\T  de  la  troupe  ;  vous  pouvez  tuer 
((  mon  corps,  mais  vous  ne  tuerez  pas  mon  âme.»  Le  Gou- 
((  verneur,  outré,  demanda  aux  autres  s'ils  partageaient  les 
«  sentiments  de  l'insolent  qui  venait  de  parler.  «  Oui, 
((  monsieur  î  oui,  monsieur  !  »  s'écrièrent-ils  tous  d'uae 
«  voix.  » 

La^Tcnce  remit  son  épée  au  fourreau;  il  avait  mainte- 
nant le  prétexte  qu'il  cherchait  pour  justifier  sa  conduite. 
Les  prêtres,  qui  accompagnaient  la  délégation,  fm-ent  pro- 
menés dans  les  rues  de  la  ville,  tambour  battant,  et  exposés 
ainsi,  pendant  près  d'une  hem'e  aux  moqueries,  aux  insultes 
et  au  mépris  de  la  populace. 

Le  28  juillet,le  conseil  d'Halifax  décrétait  la  dispersion. 
Mais  il  fallait  procéder  prudemment  et  enlever  aux  Aca- 
diens  leiu-s  conseillers  et  amis  :  les  ciu"és.  Dès  le  5  août, 
l'abbé  Chauvreulx,  curé  de  Grand-Pré,  est  arrêté  et  détenu 
à  Halifax  sur  un  na^^re  de  guerre  de  l'amiral  Boscawen. 
«  On  ne  peut  exprimer,  écrit  l'abbé  Daudin,  quelle  fût  la 
consternation  du  peuple  lorsqu'il  se  vit  désormais  sans 
prêtres  et  sans  services  religieux.  Les  missionnaires  don- 
nèrent ordre  de  dépouiller  les  autels,  d'étendre  le  drap 
mortuaire  sur  la  chaire  et  de  mettre  dessus  le  crucifix,  pour 


408  l'action  française 

faire  comprendre  à  lem-  pauvre  peuple  qu'il  n'avait  plus  que 
Jésus-Christ  pour  missionnaire.  » 

Le  10  août  Winslow,  avec  un  régiment  de  300  soldats, 
vient  camper  à  Grand-Pré.  Il  s'installe  commodément  au 
presbj'tère,  hisse  sur  le  clocher  le  drapeau  anglais  à  la  place 
de  la  croix,  et  fait  de  l'église  une  caserne.  De  concert  avec 
son  complice  Murraj^,  qui  campe  cjuelques  milles  plus  haut, 
au  fort  Edouard,  il  rédige,  le  2  septembre,  une  proclama- 
tion. C'est  un  ordre  à  tous  les  habitants  de  Grand-Pré 
et  des  centres  voisins,  de  venir  à  l'église  de  Grand-Pré  le 
cinq  courant  à  trois  heures  de  l'après-midi,  pour  recevoir  des 
communications  importantes  de  Sa  Majesté  Britannique. 
Le  refus  de  se  rendre  entraînera  «  la  confiscation  de  leurs 
biens  meubles  et  immieubles.  ))  Le  5,  une  abondante 
distribution  de  balles  et  de  poudre  fut  faite  aux  soldats, 
et  baïonnette  au  canon,  ils  se  rangèrent  devant  le  portail 
de  l'église  et  attendirent  lem's  victimes.  Elles  vinrent 
nombreuses.  A  trois  heures  précises,  il  y  avait  quatre  cent 
dix-huit  Acadiens  dans  le  temple.  C'est  alors  qu'ils  virent 
apparaître,  encadré  de  quelques  officiers,  un  homme  d'une 
forte  taille,  joufflu,  au  visage  d'un  rouge  sanguin,  aux  j^eux 
méchants  et  à  fleur  de  tête;  il  traversa  leurs  rangs  et  prit 
place  dans  le  chœur,  près  d'une  table  :  c'était  John  Winslow, 
colonel  de  l'armée  de  Sa  Majesté.  Un  interprète  traduisit 
à  mesure  l'adresse  qu'il  lut.  Elle  rappelait  d'abord,  cette 
adresse,  que,  depuis  près  d'un  demi-siècle,  les  habitants 
français  de  la  Nouvelle-Ecosse  avaient  été  traités  par  Sa 
Majesté  avec  plus  d'indulgence  qu'aucun  autre  de  ses 
sujets  dans  aucune  partie  de  ses  états,  et  qu'ils  en  ont  abusé. 
Elle  ajoutait  qu'il  avait  à  remplir  un  devoir  très  désagréable 
et  contraire  à  sa  nature  et  à  ses  sentiments  :  confisquer  leurs 
terres,  leurs  maisons,  leurs  troupeaux,  les  garder  prison- 
niers jusqu'au  jour  de  la  déportation    «  Grâce  à  la  bonté  de 


l'action  française  409 

Sa  Majesté,  terminait-elle,] 'ai  reçu  l'ordre  de  vous  accorder 
la  liberté  de  prendre  avec  vous  votre  argent  et  autant  de  vos 
effets  que  vous  pourrez  emporter.  .  .  Je  comprends  que 
cette  déportation  doit  vous  occasionner  de  grands  ennuis .  .  . 
J'espère  que,  dans  quelque  partie  du  monde  où  le  sort  va 
vous  jeter,  vous  serez  des  sujets  fidèles  et  un  peuple  paisible 
et  heureux.  » 

Je  renonce  à  décrire  les  tristes  scènes  qui  suivirent  cette 
arrestation,  et,  quelques  jours  plus  tard,  les  larmes,  le 
désespoir  des  mères,  des  époux,  des  enfants  qu'on  entassait, 
pêle-mêle,  sur  les  navires,  comme  un  vil  bétail.  «  Dès  le 
matin  de  l'embarquement,  écrit  Casgrain,  des  foules  de 
femmes  et  d'enfants,  venus  de  toutes  les  directions,  depuis 
la  rivière  Gaspareaux  jusqu'à  Grand-Pré,  des  vieillards 
décrépits,  des  malades,  des  infirmes,  traînés  dans  des  cha- 
rettes  encombrées  d'effets  de  ménage,  des  mères  portant 
leurs  nouveaux-nés  dans  leurs  bras,  étaient  poussés  vers  la 
Grand'Prée  par  des  escouades  de  soldats  sans  pitié.  Le 
chemin  qui  conduisait  à  travers  cette  grande  plaine  jusqu'au 
bord  de  la  digue  où  se  faisait  l'embarquement,  fut  bientôt 
tout  grouillant  de  cette  masse  d'êtres  faibles  et  désespérés 
qui  avaient  peine  à  se  mouvoii-,  au  milieu  du  tumulte  et  de  la 
confusion  générale.  Des  invalides,  de  faibles  femmes 
chargées  de  fardeaux,  tombaient  de  fatigue  le  long  de  la^ 
route,  et  ne  se  relevaient  que  sous  les  menaces  ou  devant 
les  baïonnettes.  Les  uns  s'avançaient  mornes  et  silencieux, 
comme  frappés  de  stupeur,  les  autres  en  pleurant  et  en 
gémissant;  quelques-uns  en  proférant  des  malédictions- 
d'autres  enfin,  pris  d'une  exaltation  pieuse,  murmuraient 
des  cantiques,  à  l'exemple  des  maytyrs. 


410  l'action  française 

((  Sans  choix,  sans  ennui,  sans  murmure 

Portons  la  croix  ! 
Quoique  très  ambre  et  très  dure, 
Malgré  les  sens  et  la  nature. 

Portons  la  croix  ! 

Vive  Jésus  ! 

Vive  Jésus  ! 
Avec  la  croix  son  cher  partage. 

Vive  Jésus  ! 
Dans  les  cœurs  de  tous  les  élus  ! 

Portons  la  croix.  » 

Winslow  lui-même  se  sentit  ému  à  ce  spectacle;  le 
remords  lui  dicta  cette  phrase  de  son  journal  :  «  J'en  ai 
pesant  maintenant  sur  le  cœur  et  sur  les  mains.  »  Murray, 
lui,  ajoutant  le  cynisme  à  la  cruauté,  écrivait  à  Winslow  : 
«  Aussitôt  que  j'aurai  dépêché  mes  vauriens,  je  descendrai 
pour  arranger  nos  affaires.  » 

C'est  lui  aussi,  l'auteur  de  cette  autre  lettre  au  comman- 
dant anglais  à  Grand-Pré  :  «  Je  suis  heureux  d'apprendre 
que  les  choses  aient  été  si  adroitement  conduites  à  Grand- 
Pré  et  que  les  pauvres  diables  soient  si  résignés;  ici,  ils  se 
montrent  plus  patients  que  je  n'aurais  pu  l'attendre  de 
personnes  placées  en  de  telles  circonstances,  et  cela  me  sur- 
prend encore  moi-même,  quoique  ces  choses  me  soient  pres- 
que indifférentes.  Quand  je  pense  à  ce  qui  s'est  passé  à 
Annapolis,  j'appréhende  le  moment  de  l'exécution;  je  suis 
effrayé  des  difficultés  qui  peuvent  survenir  quand  il  faudra 
les  embarquer  tous.  "\'ous  savez  que  nos  soldats  les  détes- 
tent, et  s'ils  peuvent  trouver  un  prétexte  pour  les  massacrer, 
ils  le  feront  Je  suis  très  content  de  savoir  que  votre  camp 
soit  si  bien  assuré;  j'ai  hâte  de  voir  arriver  le  moment  oïl  ces 
pauvres  diables  seront  embarqués.  Alors  je  me  donnerai 
le  plaisir  d'aller  vous  voir  et  de  boire  à  leur  bon  voyage.  » 


l'action  française  411 

Winslow,  pour  sa  part,  dispersa,  de  Grand-Pré  seule- 
ment, plus  de  2510  Acadiens.  Le  drame  terminé,  «  l'en- 
geance démoniaque  »,  selon  l'expression  d'un  officier  anglais, 
entassée 

Dans  des  cercueils  géants  balancés  sur  les  eaux, 

tous  ces  ignobles  drôles,  pendant  que  les  vaisseaux  levaient 
l'ancre,  se  donnèrent  la  joie  de  brûler,  aux  yeux  même  des 
victimes,  plus  de  698  maisons,  granges  et  autres  bâtisses. 
Le  soir  venu,  ils  firent  ripaille,  tard  dans  la  nuit,  au  pres- 
bytère de  Grand-Pré  et  burent  plus  d'un  verre  de  vin  au 
bon  voyage  des  Acadiens.  Puis  ils  arrangèrent  leurs 
affaires  :  ils  étaient  maîtres,  à  Grand-Pré  seulement,  de 
1269  bœufs,  1557  vaches,  5007  animaux  de  race  bovine, 
493  chevaux,  8690  moutons,  4197  porcs. 

«  Le  noble  et  grand  projet  de  chasser  les  Français  de 
la  province,  une  des  plus  grandes  actions  qu'aient  jamais 
accomplies  les  Anglais  en  Amérique  »,  comme  s'exprime 
Winslow,  était  maintenant  réalisé.  Restait  encore  à  accom- 
plir une  dernière  partie  de  son  programme  :  «  Placer 
quelques  bons  fermiers  anglais  dans  leurs  habitations.  » 

Ils  vinrent,  lentement  d'abord,  craignant  un  petit 
débris  de  la  population  française  cachée  dans  les  bois  près 
de  Grand-Pré.  Ces  malheureux,  au  dire  d'Halliburton, 
restèrent  pendant  cinq  ans  sans  manger  de  pain,  vivant  dans 
les  bois,  de  légumes  et  de  poissons.  Ils  n'étaient  pas'  à 
craindre.  Aussi  Lawrence,  nommé  gouverneur-général  de 
la  Nouvelle-Ecosse,  quatre  mois  après  son  exploit  de  la 
déportation,  invita,  en  1758,  des  fermiers  anglais  à  occuper 
ces  contrées  dépeuplées.  En  1760,  22  vaisseaux  chargés 
d'émigrés,  jetaient  l'ancre  au  bassin  des  Mines.  Les  cen- 
tres français  de  Grand-Pré,  de  Gaspareaux,  de  la  Rivière- 
aux-Canards,   s'appelèrent  désormais  Horton,  Cornwallis, 


412  l'action  française 

Canning;  tout  le  bassin  des  Mines  devint  le  comté  de 
Kings.  En  1763,  282  familles  anglaises  occupaient  les 
terres  défrichées  par  les  Acadiens.  Tout  un  groupe  de  ces 
malheureux  exilés  revinrent  à  leurs  anciens  foyers,  mais  la 
place  était  prise  Ils  émigrèrent  à  l'île  Saint-Jean  ou  à  la  baie 
Sainte-Marie.  Quelques-uns  furent  forcés  de  réparer  les 
digues  sur  les  terres  de  ces  nouveaux  maîtres;  d'autres,  au 
nombre  de  130,  furent  de  nouveau  saisis  et  conduits  à  Hali- 
fax pour  une  seconde  déportation. 

Aujourd'hui  Grand-Pré  ne  compte  pas  encore  un  seul 
foj'er  acadien.  Seule,  une  croix  de  pierre,  près  d'un  puits, 
marque  l'endroit  où  dorment  les  pionniers  de  cette  région, 
et  huit  vieux  saules  montent  toujours  la  garde  sur  la  route 
que  suivirent  des  martyrs  de  la  cause  française  et  cathoUque. 

L'heure  est  proche  où  une  église  catholique  s'élèvera  sur 
les  bases  de  l'ancienne,  sur  un  terrain  restitué  après  des 
siècles  aux  descendants  de  ces  preux.  Sur  le  clocher,  on 
plantera  une  croix  surmontée  du  coq  gaulois.  Ce  ne  sera 
qu'un  souvenir.  Mais  pour  qu'il  ait  son  sens  profond  et 
douloureux,  qu'on  tende  sur  la  chaude  un  drap  mortuaire 
et  qu'on  mette  dessus  un  grand  Christ  en  croix. 

Séminaire  Ste-Thérèse,  6  sept.  1919  Emile  DuBOIS,  ptre. 

NOS  CONFERENCES 

Tu' Action  française  commencera  en  novembre  la  série  de  ses  confé- 
rences montréalaises.  Ces  conférences,  comme  l'an  dernier,  auront 
lieu  au  Monument  National.  La  première  est  fixée  au  jeudi  13  novem- 
bre. Elle  sera  donnée  par  Mgr  Georges  Gauthier,  évêque  auxiliaire  de 
Montréal,  recteur  de  l'Université  de  Montréal.  M.  Montpetit  parlera 
en  décembre. 

Ij' AcHon  française  d'octobre  donnera  la  liste  complète  des  confé- 
renciers, la  date  précise  de  chacune  des  conférences  et  le  prix  des 
cartes  d'abonnement.  Les  mêmes  indications  seront  fournies  par  la 
presse  quotidienne.  La  série  aura  pour  titre  général  :  Noblesse  oblige. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Ufl  pïO^TCS         Ori  peut  lire  eu  gros  caractères,  en  tête  des  annon- 
BflCGÎiïQQCCiyit    ^^^  ^^^  publie  daos  les  journaux  de  langue  française 
la  maison  Murphy  de  Montréal,   ces  mots  :   «Le 
français  est  parlé  à  tous  nos  rayons.     Exigez-le.  » 

Signe  des  temps.  C'est  une  innovation  Ces  maisons  anglaises 
ont-eUes  plus  besoin  aujourd'hui  qu'iiier  de  la  clientèle  françaisy  ?  Xous 
ne  le  croyons  pas.  Mais  celle  sur  laquelle  elles  ont  toujoui-s  compté 
commence  à  changer  de  mentalité.  Elie  est  plus  fière.  EUe  a  ui\  cuite 
plus  pratique  pour  sa  langue.  Elle  s'intéresse  davantage  aux  détails. 
Et  poiu-  ne  pas  la  perdre,  pour  continuer  à  recevoir  le  bon  argent  son- 
nant qu'elle  apporte,  on  se  rend  à  ses  nouveaux  désirs,  on  s'ajuste  à  sa 
nouvelle  manière,  on  lui  parle  français  alors  qu'hier  on  lui  parlait  anglais. 
Signe  des  temps,  encore  un  coup,  et  dont  il  faut  profiter.  Car,  le  jour 
où  le  conmierce  anglais,  ou  l'industrie  anglaise,  ou  la,  haute  finance 
anglaise,  seront  persuadés  que  la  population  canadienne-française  veut 
être  ser\-ie  dans  sa  langue,  et  le  veut  sans  faiblesse,  saas  compromis, 
avec  intransigeance,  ce  jour-là,  le  doux  parler  de  France  sera  traité  dans 
le  monde  des  afifaires  comme  l'est  actueUement  le  fier  parler  d'Albion. 
L'un  et  l'autre  marcheront,  pour  ainsi  dire,  de  pair. 

Lg  Canada  N'en  avons-nous  pas  une  nouvelle  preuve  dans  le 

StêaMShiÙ        ^^^  ^^  ^^  ^^^  Canada  Steamship?    On  se  rappelle 
l'incident  que  provoqua  un  garçon  de  table  unilingue 
siir  le  bateau  qui  conduisait  à  Chicoutimi  les  congressistes  de  l'A.C.J.C. 
La  requête  suivante  fut  aussitôt  signée  et  adressée  au  président  de  la 
Compagnie  : 

«  Xoiis,  soussignés,  voyageurs  à  bord  du  «  Québec  »  et  du  «  Murray 
Bay  »,  de  la  Compagnie  Canada  Steamship  Lines  Limited,  avons,  de 
Montréal  à  Chicoutimi,  observé  avec  regret,  durant  le  temps  qui  s'est  écoulé 
entre  le  28  juin  et  le  2  juillet  1919,  que  toutes  les  inscriptions  et  affiches 
officielles  de  la  Cie  sur  ces  bateaux  sont  exclusivement  rédigées  en  langue 
anglaise,  et  qu'en  particulier, le  menu  présenté  aux  congressistes  de  l'A.  C. 
J.  C.  est  en  pareille  contravention  avec  les  justes  réclamations  des  Cana- 
diens français.  Cette  infraction  à  la  justice  et  à  la  courtoisie  est  d'autant 
plus  injustifiable  que  les  deux  bateaux  font  leurs  parcours  respectifs 
entièrement  dans  la  province  de  Québec,  et  que  les  Canadiens  français  sont, 
pour  une  large  part,  les  clients  habituels  de  la  compagnie. 


414  l'action  française 

En  conséquence,  nous  avons  Vltonneur  de  -prier  la  compagnie  de  vouloir 
bien  déférer  aux  légitimes  exigences  des  passagers  canadiens-français. 
Cet  acte  de  justice  et  de  courtoisie  les  dispensera  de  toute  démarche  ulté- 
rieure. » 

Quelques  joiirs  plus  tard,  le  25  juillet,  le  secrétaire  de  la  Compagnie 
répondait  ainsi  à  M.  Marchessault,  de  qui  il  avait  reçu  la  requête  : 
«  Cher  Monsieur, 

«  J'accuse  réception  de  votre  lettre  du  17  juillet,  dans  laquelle  était 
incluse  une  autre  lettre,  signée  par  un  grand  nombre  de  voyageurs,  en  vue 
de  protester  contre  le  fait  que  les  affiches  et  les  menus  de  ta  division  Sague- 
nay  sont  imprimés  en  anglais  seulement. 

«  Le  président  me  prie  de  vous  remercier,  au  nom  de  la  compagnie,  de 
V intérêt  que  vous  portez  à  la  dite  compagnie  aussi  bien  que  de  votre  soin  à 
vouloir  assurer  aux  voyageurs  bien-être  et  confort.  Le  président  n'avait 
jamais  été  informé  de  ce  dont  vous  vous  plaignez  dans  cette  requête. 

«  Après  informations  prises,  j'ai  pu  constater  que  toutes  les  cartes  de 
menu  pour  le  reste  de  la  saison  sont  déjà  imprimées;  mais  la  chose  sera 
prise  en  sérieuse  considération  dès  la  saison  prochaine. 

«  C'est  le  désir  de  la  compagnie  de  donner  satisfaction  à  tous  ses  clients, 
et  vous  pouvez  être  assuré  que  la  requête  que  vous  nous  avez  adressée,  de  la 
part  d'un  si  grand  nombre  de  personnes  aussi  distinguées  de  la  province, 
recevra  notre  plus  sérieuse  attention. 

i(  Sincèrement  à  vous, 

{Signé)  Percy  Smith, 

«.Secrétaire.  » 

Le  même  jour,  des  bureaux  de  la  même  compagnie,  partait  une  autre 
lettre,  signée  par  le  même  secrétaire  et  rédigée  dans  le  même  esprit. 
Celle-là  était  adressée  à  la  Ligue  des  Droits  du  français  qui  avait  porté 
à  la  connaissance  du  gérant  im  certain  nombre  de  faits,  entre  autres  les 
menus  anglais,  dont  on  se  plaignait.     Voici  quel  en  était  le  contenu  : 

«  La  Compagnie  a  pris  en  considération  votre  lettre  du  23  juillet  où 
vous  votis  plaignez  de  l'absence  de  menus  français  sur  7ios  bateaux.  Nous 
vous  remercions  d'avoir  attiré  notre  attention  sur  ce  fait,  car  la  Compagnie 
n'entend  pas  publier  des  cartes  de  menu  que  ne  comprendraient  pas  ses 
pa.s.sagers.  Nous  avons  constaté  que  ces  cartes  sont  déjà  imprimées  pour 
le  reste  de  la  .sarson,  7nais  nous  pouvons  vous  assurer  que,  pour  la  saison 
prochaine,  nous  axirons  des  cartes  qui  satisferont  tous  les  intéressés.  » 


l'action  française  415 

//  fîC  faut  pas  Comme   on   l'a   probablement   remarqué,    M. 

lâchfT  ÙTÎSe  Smith  ne  parle  ici  que  des  menus.     Les  plaintes 

cependant  portaient  aussi  sur  les  affiches.  La 
Ligue  crut  devoir  écrire  de  nouveau.  Elle  remercia  le  secrétaire  de  ce 
qu'il  promettait,  tout  en  exprimant  son  regret  que  la  réforme  demandée 
ne  pût  se  produire  immédiatement,  puis  elle  renouvela  sa  protestation 
contre  les  affiches  et  les  inscriptions. 

La  partie  est  à  moitié  gagnée.  Elle  ne  le  sera  complètement  que 
si  nous  ne  lâchons  pas  prise.  Ne  rien  faire  de  plus,  ou  encore  remettre 
jusqu'en  mai  une  nouvelle  démarche,serait,  je  crois,  compromettre  notre 
succès.  C'est  dès  le  début  de  l'année  prochaine,  en  janvier,  qu'il  faut 
revenir  à  la  charge.  La  Compagnie,  dans  sa  lettre  à  la  Ligue,  semble 
s'engager  plus  à  fond  que  dans  l'autre.  Elle  assure  qu'elle  aura  des 
cartes  qui  nous  satisferont  dès  la  saison  prochaine.  Rappelons-lui  sa 
promesse  avant  qu'elle  ne  les  fas.se  imprimer.  Je  demanderais  à  nos 
sociétés  nationales,  aux  succursales  de  la  Saint-Jean  Baptiste,  aux  cercles 
de  V Association  catholique  de  la  Jeunesse  et  de  l'Association  catholique 
des  Voyageurs,  aux  sociétés  de  secours  mutuels,  à  tous  les  groupements 
enfin  qui  prétendent  ser\dr  la  race,  d'inscrire  dès  maintenant  parmi 
leurs  initiatives  de  janvier  une  démarche  —  lettre  ou  délégation  — 
auprès  de  la  Canada  Steatnship.  De  cette  façon,  et  de  cette  façon  seule- 
ment, les  protestations  de  cet  été  aboutiront  à  quelque  chose. 

Lu    Cotnpagnie        En  attendant  cette  victoire,  réjouissons-nous 
GîTOUGïd  ^^  celle,  plus  modeste  mais  réelle,  que  notre 

langue  vient  de  remporter  dans  la  ville  de 
Saint-Hyacinthe.  Profitant  de  sa  réorganisation,  la  E.  T.  Shoe  Com- 
pany  a  transformé  sa  raison  sociale.  Elle  s'appelle  maintenant  d'un 
nom  bien  finançais  :  la  Compagnie  Girouard.  Nos  félicitations  et  nos 
meilleurs  vœux  à  l'excellent  Canadien  français  qu'est  le  propriétaire 
de  cette  manufacture.  A  ses  concitoj-ens,  à  ses  compatriotes  de  toufe 
la  province,  de  lui  prouver  sans  tarder  que, même  en  affaires,  un  acte  de 
patriotisme  ne  nuit  pas. 

Combien  pourraient  agir  ainsi  !  Il  suffit  de  parcoiuir  les  listes  des 
sociétés  qui  demandent, chaque  semaine,  leur  charte  civile,  pour  cons- 
tater le  nombre  encore  considérable  des  nôtres  qui  s'associent  sous  un 
noin  anglais.  A  quoi  bon  parler  de  «  siu-vivance  française  »,  si  on  va 
ensuite  renier  sa  langue  dans  un  but,  d'ailleurs  illusoire,  de  profits  com- 
merciaux ? 


416  l'actiox  française 

PoUï  Itt  visite  II  faut  en  dire  autant  des  maisons  canadiennes- 
du  ÙT^HCC  françaises  qui  persistent  à  badigeonner  leui's  devan- 
tiu-es  de  réclames  anglaises.  Je  passais  l'autre  jour 
par  la  route  qu'a  suivie  le  prince  de  Galles  lors  de  sa  eovirte  visite  dans 
notre  métropole.  Ces  maisons,  poui*  être  plus  rares  qu'autrefois,  sont 
encore  trop  nombreuses.  Elles  trahissent  vraiment  non  seulement 
notre  langue  mais  aussi  notre  nationalité.  Elles  laissent  croire  aux 
étrangers, et  même  aux  nôtres,  que  le  commerce  montréalais  est  presque 
entièrement  entre  les  mains  des  Anglais.  Et  ainsi,  chez  les  premiers, 
elles  diminuent  notre  importance  etluiique;  chez  les  seconds,eiles  détrui- 
sent toute  confiance  dans  lem*s  initiatives. 

Le  vent  est  aiLx  réactions  salutaires.  Réagissons  plus  fermement 
encore,  plus  imiversellement,  contre  cette  folle  et .  dangereuse  manie. 
Le  prochain  et  plus  long  séjorn*  du  prince  de  Galles  dans  notre  métropole 
nous  en  fournit  l'occasion.  Ayons  à  cœur  de  lui  révéler  une  ville  fran- 
çaise. Manifestons  à  la  française,  pavoisons  à  la  française,  banquetons 
à  la  française.  Que  non  seulement  les  inscriptions  de  fête  soient  dans 
notre  langue,  mais  encore,  mais  surtout,  les  inscriptions  permanentes  ! 
Que  nos  devantures  se  transforment  et  revêtent  une  fraîche  toilette 
qu'elles  garderont  les  joiu-s  suivants.  Notre  royal  visiteur  a  la  réputa- 
tion d'aimer  la  langue  française  :  plus  encore  qu'en  la  parlant  lui-même, 
en  la  faisant  parler  aux  nôtres,  à  nos  marchands,  à  nos  industriels,  à  nos 
administrateurs  —  oui,  à  nos  administrateurs  siutout  —  il  l'aura  noble- 
ment servie. 

—  Pierre  Hojiier. 

LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 

La  vie  de  V Action  française  prend,  avec  la  fin  des  vacances,  une 
activité  nouvelle.  Nous  entrons  dans  la  période  des  conférences  et 
des  publications.  Ainsi  qu'on  le  verra  ailleurs,  V Almanach  de  la  Langue 
française  est  à  la  veille  de  paraître.  Nos  conférences  de  Montréal  com- 
menceront en  novembre  et  promettent  d'être  très  brillantes.  Nous 
nous  tenons  à  la  disposition  de  nos  amis  qui  désireraient  organiser  des 
séances  à  l'extérieur. 

Notons,  parmi  les  belles  manifestations  de  ces  derniers  temps,  le 
pèlerinage  au  pays  de  DoUard,  organise  sous  nos  auspices,  le  7  septem- 
bre, par  la  Garde  indépendante  Benoît  XV  et  le  Cercle  paroissial  de 
ville  Emard.  M.  l'abbé  Groulx  représentait  en  cette  circonstance 
V  Action  française.  —  J.B. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


LETTRES  DE  FADETTE 

La  quatnème  série  récemment  parue  des  Lettres  de  Fadeite  obtint 
sans  le  mériter  le  silence  complet  de  la  presse  canadienne.  Voici  la 
seiile  explication  possible  :  on  est  tellement  habitué  d'entendre  dans  les 
bureaiix,  les  salons,  les  cercles  et  jusque  dans  les  couvents  l'éloge  verbal 
des  écrits  de  cette  dame,  (puisque  dame  et  non  jésuite  il  y  a)  que  l'on 
ne  sent  guère  la  nécessité  de  fixer  sur  le  véUn  cette  unanime  impression. 
Cependant  l'Action  française,  par  souci  de  fidélité  à  son  programme  et 
dans  un  sentiment  de  justice  envers  la  chroniqueuse  si  distinguée 
de  son  frère  le  Devoir,  ne  fut  pas  lente  à  soUiciter  quelques  pages  de  cri- 
tique que  j'ai  su  différer,  mais  non  pas  refaser. 

L'important  serait  d'adopter  un  point  de  vue  spécial,  im  angle  de 
réflexion  pour  tant  de  raj'ons  divers  que  projette  en  nous  rœu\Te  de 
Fadette,  —  deux  cent  cinquante  lettres  em-iron,  le  tirage  à  part  étant 
quelque  peu  limité.  Passons  rapidement  alors,  sur  tant  d'heureux 
dons  qu'admettent  sans  discordance  les  lecteurs  actuels  de  Fadette 
comme  jadis  ceux  de  Danielle  Aubry  :  âme  accueillante  aux  beautés  de 
toutes  formes  que  lui  offrent  la  création  phj-sique  et  le  monde  immaté- 
riel; âme  sympathique  aux  chagrins  de  toutes  nuances  qui  peuvent 
atteindre  une  vie  d'homme,  une  vie  de  femme,  une  vie  de  famille 
surtout,et  non  moins  ingénieuse  à  y  porter  remède  et  con3olation;culture 
d'esprit  étendue  et  brUlante  jointe  à  une  rare  souplesse  de  raisonne- 
ment ;  dons  Uttéraires  de  premier  ordre,  sens  du  verbe  français,  naturel 
et  clarté,  élégance  et  nombre,  prose  drue  et  ferme,  apte  néanmoins  à, 
rendre  toutes  les  images  et  toutes  les  sensations  de  la  poésie:  dons 
d'équihbre  ou  qualités  d'ensemble  qui  feraient  de  cette  épistolière  un 
écrivain  à  souhait  pour  le  critique  soucieux  de  tout  admirer  et  de  rester 
plausible  dans  son  admiration. 

Où  l'accord  cesse  un  peu  bnisquement,  c'est  quand  il  s'agit  de 
reconnaître  et  d'apprécier  comme  quantité  et  quahté  le  catholicisme  de 
Fadette,  tel  qu'il  apparaît  dans  sa  correspondance  hebdomadaire. 
Parmi  tant  de  fidèles  qui  la  lisent  «  avec  respect,  attention  et  dévotion  » 
ou  même  l'acceptent  volontiers  comme  directrice  de  conscience,  les  uns 


418  l'action  française 

trouvent  qu'elle  manque  un  peu  de  prosélytisme,  d'autres,  qu'elle  prêche 
surabondamment  et  trop  fort.  Je  me  propose  de  diriger  de  ce  côté  mon 
inspection.  Personne  ne  voudra  me  contester  juridiction  dans  cette 
matière  :  d'autant  qu'elle  offre  im  assez  vif  intérêt,  à  l'heure  où 
tant  de  nos  pubUcistes,  à  l'inverse  des  grands  cathoUques  de  France, 
mettent  voile  et  sourdine  à  leiirs  convictions  religieuses,  comme  si  la  foi 
et  les  moeurs  n'étaient  pas  suffisamment  menacées  dans  ce  pays,  comme 
si  le  clergé  sous  ce  rapport  pouvait  suffire  à  tout. 

Il  est  vrai  que  l'on  compte  plusieurs  degrés  dans  l'apostolat  chrétien 
exercé  par  la  plume.  Sans  même  prononcer  ce  grand  mot  d'apostolat, 
les  exigences  de  l'Église  à  l'égard  de  ses  enfants  laïques  ne  sont  pas 
constamment  les  mêmes  et  leurs  écrits  peuvent  réceler  le  vrai  doctrinal 
de  diverses  façons.  Comme  quantité  d'abord,  si  l'on  veut  me  permettre 
une  formule  aussi  réaliste.  L'auteur  spirituel  qui  traite  ex  professa  de 
nos  relations  avec  Dieu;  le  théologien  mystique  qui  analyse  les  divers 
états  de  l'âme  en  tendance  vers  sa  perfection;  même  le  journaUste 
militant  qui  défend  nos  croj^ances  contre  l'hérésie,  nos  institutions  contre 
le  sectarisme,  font  œuvre  de  spéciaUstes  en  matière  de  religion.  Ils 
peuvent  s'adonner  à  leur  spéciahté  sans  crainte  d'indisposer  le  pubUc 
que  surprendrait  plutôt  le  moindre  détournement  de  leur  pensée  vers 
des  sujets  profanes.  Comme  qualité  ensuite.  Leurs  écrits  non  moins 
que  leur  personne  doivent  «  respirer  la  bonne  odeur  du  Christ  »,  selon  la 
merv^eilleuse  image  usitée  par  l'apôtre  saint  Paul.  L'on  exige  à  bon  droit 
de  ces  écrivains  une  spirituahté  éclairée  et  profonde  à  base  de  définitions 
et  de  principes.  L'on  ne  tolère  chez  eux  aucune  équivoque  dans  le 
langage,  à  plus  forte  raison  aucune  témérité  disciplinaire  ou  dogmatique. 
Le  code  pénal  de  l' Église  tient  même  en  réserve  une  7iote  demi  infamante 
pour  quaUfier  certaines  propositions  offensives  des  oreilles  pies.  Et  soit 
dit  en  passant,  si  l'on  tenait  meilleur  compte  de  ce  dispositif,  quelle 
fortunée  sauvegarde  contre  les  sottises  occasionnelles  des  hommes  (ou 
femmes)  d'esprit  ! 

Impossible  de  ranger  Madame  Fadette  parmi  les  «  pieux  auteurs,» 
les  théologiens  mystique  ou  les  journalistes  de  combat.  Sa  correspon- 
dance, il  est  vrai,  couvre  dix  pages  de  morale  contre  un  ahnéa  de  pure 
chronique;  mais  la  religion  et  la  morale  sont  deux  choses  distinctes, 
encore  que  nul  n'en  puisse  nier  l'étroite  interdépendance.  Ce  serait 
se  méprendre  foncièrement  sur  le  rôle  qu'il  a  prétendu  assumer  au 
Devoir  que  d'attendre  un  prône  régulier  de  cet  écrivain  constamment 
penché  sur  des  problèmes  de  psychologie.     Il  me  paraît  avoir  saisi  la 


l'action*  française  419 

juste  mesure  qu'il  convient  d'accorder  aux  choses  de  la  foi  dans  une 
entreprise  de  ce  genre.  Un  peu  plus  n'irait  pas  sans  risque  d'éloigner 
les  mondains  et  les  tièdes,  un  peu  moins  serait  imputable  au  respect 
hiunain,  péché  mignon  d'vm  assez  grand  nombre  de  nos  intellectuels. 
J'aurais  par  contre  à  me  plaindre  du  ton  de  certaines  lettres,  de 
la  valeur  de  certaines  assertions,  en  un  mot,  pour  tout  ramener  aux 
précédentes  formules,  de  la  qualité  de  cet  apport  religieux  que  le  zèie 
de  Fadette  fournit  par  intervalles  à  la  conscience  du  public.  Encore  une 
fois,  n'escomptons  pas  trouver  chez  une  chroniquease  un  exposant  du 
Dogme,  ni  dans  une  lettre  im  cours  approfondi  de  religion.  La  lettre 
au  contraire,  par  sa  brièveté  même  et  son  caractère  famiher,  expansif, 
ne  favorise  que  trop  l'hétérodoxie.  C'est  un  genre  largement  représenté 
au  catalogue  de  l'Index.  Mais  quand  une  lettre  s'adresse  à  75,000 
lecteiu-s  en\àron,  et  qu'au  surplus  le  rédacteur  a  sept  jours  devant  soi 
pour  la  mettre  au  propre,  ce  dernier  ne  doit-il  pas  au  pubhc  de  toujours 
sui^Te  le  devoir  contre  son  penchant  ?  Or,  Fadette  a  un  penchant 
prononcé  pour  la  contradiction  et  la  critique.  Elle  pubha  jadis  dans  le 
Nationaliste  un  article  signé  «  Trouvardire  »,  et  comme  c'était  bien 
prouvé  !  Telle  est  en  effet  la  promptitude  élastique  de  cet  esprit  dérou- 
ant, que  l'interlocuteur  se  voit  astreint  à  la  double  tâche  de  préparer 
imultanément  sentence  et  réphque  :  un  sport  impressionnant  durant 
^es  jovnnées  chaudes.  Et  malgré  l'innéité  —  comme  dirait  Montpetit  — 
d'une  pareille  tendance,  Fadette  se  connaît  as-sez  pom-  la  pressentir  et 
la  remiser  en  toutes  occasions.  Par  malheur  elle  en  a  laissé  passer 
quelques-vmes . . . 

Dans  un  généreux  plaidoyer  contre  le  pessimisme  et  la  stérihté  de 
ses  attitudes,  (Troisième  série,  VI)  elle  éprouve  le  besoin  de  citer  un 
exemple,  ce  qui  fait  partie  de  son  art,  et  de  l'aller  prendre  chez  nos 
écrivains  mystiques,  ce  qui  paraît  d'un  goût  trop  recherché.  Je  lui 
prouverai  qu'elle  eût  pu  s'adresser  ailleurs  avec  sagesse  et  profit.  «  J'en 
«  veux,  dit-eUe,  à  certaine  littérature  piease  qui  no\is  accable  et  nous 
«  écrase  sous  son  dégoût  de  tout  ce  qui  est  humain  et  qxii  veut  nous 
«  convaincre  que  le  ciel  seul  importe.  Le  ciel  !  Certes,  c'est  un 
«  beau  but  et  je  nous  souhaite  à  tous  d'y  aller.  Mais  c'est  sur 
«  cette  terre  que  nous  vivons  et  Dieu  l'a  faite  belle  afin  que  nous 
«  l'aimions  ;  Il  nous  a  donné  un  corps  aussi  bien  qu'une  âme 
«  et  nous  devons  justice  aux  deux.  »  Fadette  serait  bien  en  peine 
d'énumérer  ces  ouvrages  ou  d'en  faire  une  critique  sérieuse.  Mais  c'est 
étrange  comme  cet  unum  necessarium  me  fait  songer  à  l'Évangile  et  ce 


420  l'action  française 

«  dégoût  de  ce  qui  est  humain  »,  à  l'Imitation  :  deux  petits  livres  que 
ne  vise  sûrement  pas  l'intention  de  l'auteur.  Il  y  eut  aussi  un  nommé 
Pascal  qui  décrivit  dans  la  manière  forte  «  l'amas  de  contradictions  » 
que  Fadette  et  moi  nous  sommes.  Quant  à  «  vallée  de  larmes  », 
expression  Liturgiques  pour  désigner  notre  planète,  il  y  a  longtemps 
que  celle-ci  s'en  montre  digne  et  je  vous  défie,  Madame,  de  la  baptiser 
autrement  depuis  les  tristes  années .  1914-1918.  Je  sais  que  vous 
admettez  ces  vues  en  théorie  et  que  vous  envisagiez  simplement  leur 
côté  pratique  et  leur  influence  sur  les  actions  des  hommes.  Mais  ceux 
qui  méprisent  davantage  le  monde  ne  sont-ils  pas  justement  ceux  qui 
lui  ont  rendu  et  lui  rendent  encore  les  plus  méritoires  services  ?  Témoin 
ces  admirables  sœurs  qui  n'ont  quitté  le  monde  que  pom*  le  mieux 
pénétrer  ensuite  de  leur  lointaine  et  profonde  et  surnaturelle  influence  ; 
témoin  cet  autre  éloquent  plaidoyer  que  vous  fîtes  en  leur  faveur 
(Troisième  série,  p.  119)  contre  ime  compagne  ignorante  qui  les  avait 
qualifiées  de  princesses  endormies  : 

«  Je  l'avais  écoutée  sans  l'interrompre,  amusée  et  charmée  par  ce 
conte  gracieux,  mais  un  peu  scandalisée  de  cette  incompréhension  abso- 
lue de  la  vie  intérieure,  de  la  \Tie  religieuse,  qui  fait  de  toutes  celles  qu'elle 
appelle  des  princesses  endormies,  des  âmes  si  vivantes,  si  ardentes,  qu'à 
leur  contact  on  respire  Dieu,  Dieu  dont  elles  vivent  et  qu'elles  exhalent. 
Sans  doute  le  ciel  les  attire,  mais  elles  aiment  la  vie  où  Dieu  les  veut  et 
comme  II  la  fait  pour  elles. 

«  Elles  prient,  et  leur  inlassable  prière  accompagne  et  soutient  ime 
activité  qui  s'exerce  au  profit  de  toutes  les  faiblesses  et  de  toutes  les 
misères  hiunaines  :  vieillards  qu'elles  hébergent,  orphelins  qu'elles 
recueillent,  malades  qu'elles  soignent,  morts  qu'elles  ensevelissent, 
enfants  qu'elles  instruisent.  Et  celles-ci?  ces  contemplatives?  Oh  ! 
non,  elles  ne  dorment  pas  !  Elles  s'offrent  en  silencieux  et  brûlant 
holocauste  pour  ceux  qui  vivent  dans  le  monde  comme  s'il  n'y  avait  ni 
Dieu,  ni  âme,  ni  vie  future.  Elles  ne  dorment  pas  ces  saintes  !  Elles 
goûtent  dès  maintenant  les  choses  éternelles  qu'elles  trouveront  au-delà 
de  la  mort.  Des  profanes  comme  nous  se  figurent  difficilement  l'in- 
tensité de  vie  intérieure  des  âmes  à  ce  point  purifiées.  » 

Cette  armée  mobile  ou  concentrée  de  femmes  si  agissantes  aurait- 
elle  donc  poiu-  ration  quotidienne  une  littérature  pessimiste?  Non, 
le  pessimisme  est  avant  tout  affaire  de  tempérament,  plutôt  que  spécula- 
tion d'idées;  les  idées  n'interviennent,  comme  tant  de  fois  il  arrive,  que 
poiu-  se  mettre  au  service  du  tempérament.     Exprimées  chaque  jour 


l'action    FRAÎSrÇAISE  421 

par  des  catholiques  de  surface,  elles  ne  font  partie  d'aucune  littérature 
pieuse  approuvée  ou  tolérée  par  l'Église.  C'est  dans  la  poésie,  la 
correspondance,  le  drame  et  le  roman  mondains  que  Fadette  de\Tait,  ce 
me  semble,  les  chercher.  Que  ne  s'en  prend-elle  par  exemple  à  son 
illustre  consœiu-,  Madame  Du  Deffand,  patronne  exquise  et  parfumée 
de  la  confrérie  des  «  plus  ne  m'est  rien,  rien  ne  m'est  plus  »,  qui  jadis 
tenait  la  baguette  dans  le  grand  chœur  des  désabusés.  «  Après  tout, 
qu'est-ce  que  cela  me  fait  ?  »  s'écrie-t-elle  après  avoir  failU  s'intéresser 
à  un  événement  politique  qui  passionnait  l'opinion.  Dans  sa  Corres- 
■pondance  inédile  pubUée  par  le  marquis  de  Sainte-Aulaire,  elle  avoue 
que  le  néant  de  la  vie  lui  donne  «  des  accès  de  désespoir  ».  On  s'aper- 
çoit à  son  langage  que  Werther  approche,  s'il  n'est  point  d'avance .  . . 
dépassé.  Au  fond  de  son  fauteml,  parmi  les  aises  d'un  brillant  état  de 
fortune  et  d'une  grande  position  mondaine,  cette  femme,  tranquille 
en  apparence,  ennemie  des  attitudes  tragiques,  a  poussé  plus  loin  le 
désenchantement  volontaire  que  les  plus  bru}^ants  héros  du  suicide. 
Ceux-ci  du  moins  eurent  assez  de  foi  dans  la  mort  poiu  lui  demander 
un  refuge.  Cette  dernière  ressource  ou  cette  dernière  illasion  a  manqué 
à  Madame  Du  Deffand  :  aj-ant  longtemps  médité  ce  grave  sujet,  pré- 
tendait-elle, de  quelque  façon  qu'elle  tournât  et  retournât  la  mort,  elle 
ne  la  jugeait  pas  moins  sotte  que  la  vie. 

Il  y  aurait  d'autres  passages  à  modifier  dans  ces  quatre  gracieux 
opuscules,  poiu  qui  les  dépouille  avec  des  j-eux  de  correcteur  d'épreuves. 
Ils  sont  en  petit  nombre  et  c'est  plaisir  de  le  constater.  Une  note 
cria,rde  parce  que  pessimiste  (!)  a  même  disparu  de  la  partition,  qui 
me  fatigue  encore  le  tympan.  Après  un  récit  de  déboires  intimes  dans 
un  ménage  aux  caractères  opposés,  Fadette  qui  devait  plus  tard  écrire  : 
L'espérance  est  une  vertu,  une  des  vertus  théologales .  . .  Ne  nous  alanguis- 
sons  pas  dans  les  gémissements  quand  nous  avons  besoin  de  tant  de  virilité 
et  de  confiance  pour  vivre  une  vie  qui  ne  soit  pas  manquée,  avait  préci* 
pitamment  conclu  :  IL  N'Y  A  RIEN  A  FAIRE.  Mais  voilà  :  avec 
ce  flair  indescriptible  qui  ne  la  déserte  par  intervalles  que  pour  réappa- 
raître mieux  armé,  elle  a  su  retrancher  du  recuol  une  lettre  qui  démen- 
tait toute  sa  philosophie  antérieure  et  postérieure.  On  pourrait  dire 
cette  fois  :      Faute  supprimée,  faute  avouée,  donc  à  demi  pardonnée. 

Dans  la  forte  balance  des  écrits  de  cette  dame,  dans  ses  pages  de 
morale  et  ses  «  recettes  de  bonhem*  »  que  lui  dicte  une  vaste  expérience, 
on  entend  toujours  sonner  franc  la  note  chrétienne  et  cathoUque  où  le 
bon  sens  ne  perd  jamais  ses  droits. 


422  l'action  française 

Aux  féministes  elle  dit  :  Yous  avez  réalisé  des  conquêtes  pour  le 
bonheur  de  la  femme,  surtout  dans  le  domaine  de  l'instruction.  Mais 
vous  avez  eu  tort  de  fonder  votre  entreprise  sur  l'hostilité  des  sexes, 
comme  les  socialistes  la  leiu"  sur  la  lutte  des  classes.  Vous  avez  ainsi 
contribué  à  ruiner  l'esprit  de  la  Chevalerie  qui  était  un  féminisme  plus 
souple,  plus  subtil,  plus  intelligent  et  plus  scientifique  que  le  vôtre.  ^  De 
plus  vous  me  paraissez  lâcher  la  proie  pour  l'ombre  en  réclamant  à 
petits  cris  le  suffage  féminin.  S'il  ne  devait  être  exercé  que  par  notre 
groupe  d'intellectuelles,  il  avuait  chance  peut-être  d'augmenter  notre 
prestige  tout  en  stimulant  le  progrès  national,  encore  que  des  inconvé- 
nients d'ordre  moral  lui  fassent  dangereuse  escorte.  Mais  à  qui  ferez- 
vous  croire  que  les  croix  de  suffrage  de  milhers  de  bonnes  femmes  du 
«  Faubourg  de  Québec  »  marqueront  un  miUimètre  de  progrès  dans  la 
question  poUtique  ou  le  status  de  la  femme  en  ce  pays  ?  Que  vous  en 
semble  du  très  failhble  ajouté  au  faillible  pour  grossir  les  chances 
d'infaiUibihté  ? 

Aux  incomprises  :  Vous  avez.  Mesdames,  tellement  comphqué 
la  vie  que  vous  l'avez  rendue  impossible  à  vous-mêmes  et  aux  autres 
et  que  vous  voici  devenues  les  premières  à  ne  pas  vous  comprendre. 
Vous  n'étiez  pas  mariées,  du  reste,  que  déjà  vous  formiez  des  projets 
de  vie  hbre;  vous  décidiez  à  part  vous  de  «  prendre  des  précautions  », 
afin  d'être  dégagées  de  toute  entrave  domestique,  le  jour  où  constatant 
que  l'époux  fait  des  siennes,  vous  jugeriez  à  propos  de  faire  des  vôtres. 
Avec  cela,  trop  de  relations,  trop  de  danses,  trop  de  théâtre,  trop  de 
lecture.  Oui,  la  lecture  ou  plutôt  le  roman  divise  de  nombreux  ménages 
qui  s'entendraient  à  merveille,  si,  au  heu  de  vivre  de  chimères,  la  femme 
s'occupait  à  élever  beaucoup  d'enfants.     (Deuxième  série,  p.  87). 

Aux  directeurs  des  théâtres  :  Messieurs,  je  renonce  à  vous  émouvoir 
par  des  considérations  d'intérêt  public  et  de  morahté  sociale,  car  vous 
n'offrez  aucune  prise  de  ce  côté.  D'autre  part,  je  sais  que  l'argument 
des  salles  vides  vous  ira  droit  au  cœur.  Si  donc  vous  persistez  à  refuser 
à  votre  clientèle  ce  droit  au  respect  qu'elle  achète  en  entrant,  à  ne  pas 
vouloir  entendre  les  sifflements  muets  qui  ont  accueilli  certaines  de  vos 
représentations,  vous  en  serez  réduits  à  pUer  bagage  faute  de  recettes 
et  à  défrayer  une  fois  de  plus  la  chronique  scandaleuse  des  gazettes  et 
des  salons. 

1  Lire  à  ce  sujet  Les  sources  du  féminisme  —  L'intellectuelle  et 
l'amour,  par  Colette  Yver,  dans  Le  Correspondant  du  10  juillet. 


l'action  française  423 

L'absence  de  guillemets  dénote  suffisamment  que  j'interprète  la 
pensée  de  l'auteur.  Fadette  va  rarement  jusqu'aux  duretés  de  langage 
que  méritent  nos  mœurs  de  viUe  et  l'organisation  des  plaisirs  de  société. 
Vous  trouverez  cependant,  parmi  tant  de  sujets  divers,  aux  titres  sédui- 
sants, légers  et  pittoresques,  des  sermons  d'une  très  belle  énergie  que 
découpent  messieurs  les  vicaires.  Et  n'allez  pas  imaginer  que  cela 
tombe  toijjours  dans  le  désert.  «  Comment  voulez-vous  »,  disait  un 
homme  d'esprit,  «  que  j'échappe  à  l'emprise  de  Fadette  !  Ayant  lu 
une  première  fois  ses  biUets  de  chaque  semaine,  je  les  retrouve  épingles 
partout,  aux  angles  du  sous-main  à  l'heure  où  j'écris,  au  cadre  du  miroir 
à  l'heure  où  je  me  rase.  . .  Ma  propre  moitié  conspire  avec  la  femme- 
apôtre.  Et  vous  pensez  si  l'on  me  fait  grâce  des  découpures  à  l'usage 
des  maris  grincheux  !  » 

Doux  pays,  siècle  idylUque,  demem^es  fortunées  où  la  femme 
tourne  à  des  fins  spirituelles  le  miroir,  instrimient  de  sotte  vanité;  où 
le  mari,  docile  et  tendre,  se  nettoie  l'âme  en  s'épilant  la  face  ! .  . .  Voilà 
que  moi-même,  au  sortir  de  cette  lecture,  j'aperçois  en  plus  beau  le 
monde  qui  m'environne  et  subis  sans  le  vouloir  l'influence  de  la  grande 
Optimiste  t 

fr.  M.-A.  Lamarche,  O.  P. 


«  BRIDGING  THE  CHASM  » 

Bridging  the  Chasm  vient  de  s'ajouter  à  la  série  d'études  où  des 
Canadiens  de  langue  anglaise  ont  traité,  ces  temps  derniers,  les  questions 
de  race.  C'est,  comme  le  Clash,  une  œuvre  de  bonne  volonté  et  d'ifer- 
monie.  L'auteur,  M.  Morley,  est  im  écrivain  de  talent,  qui  a  voulu 
étudier  notre  province. 

L'Action  française  pubUera  le  mois  prochain  un  article  de  M. 
Antonio  Perrault  sur  le  Clash,  Bridging  the  Chasm  et  The  Birthright,  de 
M.  Arthur  Hawkes. 


Nous  avez-vous  trouvez  un  nouvel  abonné  ? 


TRIBUNE  DE  NOS  LECTEURS 


FAUT-IL  TANT  D'ANGLAIS  AU  PROGRAMME? 

«  N'y  a-t-il  pas  une  tendance  parmi  nous  à  exagérer  l'importance 
pour  tous  les  Canadiens  français  de  savoir  -parjailement  l'anglais? 
Quelques-ims  des  nôtres  voudraient  faire  du  peuple  canadien-français 
un  peuple  bilingue.  Que  nous  serions  puissants,  dit-on,  si  tous  les 
Canadiens  français  parlaient  également  bien  l'anglais  et  le  français  !  — 
Prenons-y  gardé  !  C'est  un  piège  qu'on  nous  tend,  un  piège  doré, 
peut-être,  mais  vm  piège  tout  de  même.  Connaissez-vous  beaucoup  de 
peuples  bUingues  ?  Pour  moi,  je  n'en  connais  aucim.  Je  connais,  par 
e.xemple,  un  peuple  qui  a  perdu  sa  langue  nationale,  parce  qu'on  lui  a 
fait  apprendre  de  force  une  autre  langue.  N'allons  pas,  de  notre  plein 
gré,  tenter  une  expérience  aussi  dangereuse. 

«  Que  ceux  des  nôtres  qui  ont  réellement  besoin  de  savoir  l'anglais 
l'apprennent,  qu'ils  l'apprennent  bien.  Mais  qu'ils  apprennent  d'abord 
le  français,  et  que  le  français  reste  toujoius  leur  langue  maternelle,  leur 
vraie  langue.  Soj'ons  convaincus  que  feu  Mgr  Laflèche,  ce  grand 
Canadien  français,  avait  raison  de  dire  qu'il  n'aimait  pas  à  entendre  ses 
compatriotes  parler  l'anglais  sans  au  moins  un  petit  accent  français. 
Le  mot  est  profond  et  renferme  vm  grave  avertissement.  Méditons-le .  . . 
Ne  nous  berçons  pas  d'illusions  :  on  n'a  pas  renoncé  au  projet  de  faire 
du  Canada  im  pays  exclusivement  de  langue  anglaise  »... 

Cette  page  du  toujours  regretté  Tardivel  m'est  revenue  à  la  pensée 
en  lisant  l'admirable  article  du  P.  Adélard  Dugré,  S.J.,  sur  VEnseigne- 
ment  du  français,  dans  V Action  française  du  mois  dernier.  11  faut  une 
bonne  fois  nous  chasser  de  l'esprit  que  «  l'anglais  est  nécessaire  aujour- 
d'hui. »  Ce  n'est  pas  exact.  Dans  les  villes,  les  hommes  de  profes- 
sions, les  employés  de  magasins,  de  banques,  de  bureaux,  etc.,  doivent 
savoir  très  bien  l'anglais;  les  hommes  politiques  ont  avantage  à  le  savoir 
même  parfaitement,  cela  fait  bonne  impression  dans  les  conventions 
bilingues;  les  travailleurs,  eux,  se  trouvent  bien  de  le  comprendre  et  de 
le  parler  un  peu.  Voilà  pour  les  classes  urbaines,  et  il  n'y  a  pas  ici  de 
programme  à  changer,  cela  se  pratique  déjà. 

Mais,  pour /es  campagnes,  ce  serait  une  faute  immense  que  de  pous- 
ser l'anglais  dans  toutes  les  écoles.     C'est  une  perte  de  temps,  une  perte 


l'action  française  425 

d'efforts,  une  diminution  de  la  fierté  nationale  dans  les  petites  cervelles 
qui  seraient  obligées  de  déranger  la  langue  maternelle  poiu*  faire  une 
place  à  l'étrangère;  ce  serait  un  pas  de  plus  dans  la  désertion  des  cam- 
pagnes: ces  enfants,  teintés  d'anglais,  espéreraient  trouver  aisément  de 
bonnes  places  à  la  ville,  et  leurs  parents  voudraient  les  perfectionner; 
n'ayant  plus  de  raison  pratique  de  rechercher  les  milieux  français,  ils 
se  lanceraient  à  loisir  dans  l'assimilation  de  l'Ouest  et  des  Etats-Unis, 
et  les  mariages  mixtes  ne  se  compteraient  plus. 

En  vérité,  le  moment  semble  mal  choisi  pour  faire  cadeau  à  l'anglais 
d'ime  plus  large  part  du  temps,  du  cerveau  et  de  la  mentalité  de  noS 
enfants.  Si  les  Français  se  reprochent  avec  honte  d'avoir  élargi  la 
place  de  l'allemand  sur  leurs  programmes  après  1870,  comment  pouvons- 
nous,  après  les  bordées  d'injures  de  1914-18,  et  en  pleine  persécution 
ontarienne,  manitobaine  et  canadienne,  nous  offrir  à  enlever  nous-mêmes 
ici  partiellement  l'enseignement  du  français  qu'on  veut  arracher  totale- 
ment ailleurs?  Car  il  faut  bien  savoir  que  l'heure  qu'on  ajoute  à 
l'anglais  sera  enlevée  au  français.  Et  le  désir  de  procurer  plus  ou  moins 
efficacement  à  notre  peuple  la  richesse  hors  de  chez  lui  menace  d'enlever 
à  notre  âme  nationale  ses  quahtés  supérieures  d'hvmianité  de  race  latine 
pour  en  faire  un  vague  mélange  franco-anglais,  c'est-à-dire  ni  français 
ni  anglais 

On  peut,  en  effet,  infuser  du  sang  d'un  individu  à  un  autre,  mais  non 
du  génie  d'un  peuple  à  un  autre,  quand  l'histoire  des  deux  peuples 
dénote  des  caractères  absoliiment  opposés,  dont  l'un  chasse  l'autre. 

...  Ne  disons  pas  que  c'est  pousser  bien  loin  les  conséquences  d'une 
heure  d'anglais  par  jour.  La  mentalité  se  forme  avec  les  enseignements, 
les  idées  viennent  avec  les  mots  qui  les  expriment.  Si  les  expressions 
de  business,  de  make  money,  de  time  is  moneij,  de  struggle  for  life,  etc., 
sont  les  plus  usitées  du  vocabulaire  et  sur  les  journaux  qu'on  lit,  on  ne 
met  bientôt  plus  rien  au-dessus  des  affaires  et  de  l'argent;  le  maté- 
rialisme étouffe  vite  la  petite  fleur  d'idéal  qui  germe  au  fond  de  toute 
âme  française,  et  cette  spiritualité  traditionnelle,  que  les  Anglais 
eux-mêmes  nous  envient,  disparaît  bientôt,  comme  on  peut  le  remarquer 
facilement  chez  quantité  de  nos  hommes  d'affaires,  qui  s'improvisent 
ou  non  réformateurs  des  fidèles  tenants  de  notre  vieille  garde.  C'est 
une  maxime  reconnue  que  «  le  langage  forme  les  hommes  bien  plus  qu'ils 
ne  le  forment.  »  Les  mots  pénètrent  jusqu'au  fond  de  l'individu  où  se 
forment  les  pensées;  ils  allument  l'idée  qui,  à  son  tour,  produit  le  senti- 
ment qui  engendre  l'acte.     Les  anathèmes  dont  les  Anglais  accablent 


426  l'action  française 

la  brumeuse  langue  allemande,  mère  des  folles  erreurs  du  kantisme, 
peuvent  se  retourner  contre  la  leur,  où  s'incarne  le  plus  grossier  utili- 
tarisme commercial.  C'est  Dickens,  dans  Hard  Times,  qui  appelle  les 
temps  durs  ceux  qui  voient  le  triomphe  d'une  féodalité  industrielle  sans 
goût  et  sans  cœur.  Aurions-nous  par  nos  fautes  mérité  ce  fléau.  .  .  de 
Dieu?  ' 


Si  l'on  voulait  toucher  du  doigt  quelle  imprécision  et  quel  vagabon- 
dage de  pensée  occasionne  l'étude  simultanée  de  l'anglais  et  du  français, 
il  suffirait  de  recueillir  dans  les  devoirs  de  classe  les  énormités  d'angU- 
cismes  et  de  bourdes  qui  échappent  même  aux  bons  élèves.  Le  seul 
fait  reconnu  par  Tardivel  et  bien  d'autres,  que  ce  soit  le  langage  des 
Canadiens  instruits  qui  laisse  le  plus  à  désirer,  témoigne  fort  contre  cette 
forme  de  biUnguisme  :  «  Proportion  gardée,  nos  habitants  parlent 
mieux  que  nos  hommes  de  profession,  y  compris  les  joiu-nahstes .  .  . 
L'anglicisme  est  l'omploi  de  mots  français  auxquels  on  donne  un  sens 
propre  à  des  mots  semblables  de  la  langue  anglaise.  »  Or,  voilà  ce  qui 
fiturit  comme  le  chardon  dans  le  langage  de  nos  commerçants  et  les 
copies  de  nos  jeunes  bilingues  :  Vous  prenez  exception  à  ce  que  j'ai  dit .  .  ; 
Ceux  qui  s'objectent  à  l'envoi  d'un  contingent.  .  .  prendre  profit  de. .  .  la 
chicane  senblait  vouloir  prendre  place ...  ;  Combien  contents  nous 
sommes  ;  je  suis  confortable  ici  ;  je  suis  positif  de  ce  fait;  plusieurs  gens 
croyaient ...  ;  il  a  eu  une  injection  dans  son  bras  droit;  après  votre  départ, 
nous  vous  avons  manqué .  .  . 

On  pourrait  allonger  cette  floraison  de  métissage.  Souvent,  c'est 
l'orthographe  qui  abuse  de  l'entente  cordiale  :  Le  language,  Vobject, 
le  Project  (puisqu'on  écrit  aspect  et  respect)  la  dance,  Vancient  temps, 
etc.  etc. 

Quelle  sorte  d'écrivains,  quelle  sorte  de  penseurs,  quelle  sorte 
d'hommes,  quelle  sorte  de  milUonnaires  même  voulez-vous  que  devien- 
nent ces  enfants  dont  le  cerveau  de  ciel  clair  s'est  embrouillé  en  cette 
vague  nébuleuse?  Au  simple  point  de  vue  utilitaire,  pour  la  stricte 
acquisition  de  la  richesse,  ne  vaut-il  pas  infiniment  mieux  dire  en  fran- 
çais à  nos  garçons  que  la  province  de  Québec  possède  des  ressources 
naturelles  à  les  rendre  tous  milliardaires;  que  nos  épargnes  canadiennes 
rap])ortent  du  4%  alors  que  l'industrie,  elle,  gagnerait  du  10  et  du 
20%,  que  des  millions  d'acres  dans  leurs  forêts  les  attendent  pour  être 
convertis  en  pulpe,  en  papier,  en  or,  puis  en  paroisses  catholiques  où  nos 
gens  garderont  la  tradition  française?  que  des  millions  de  chevaux- 


l'action  française  427 

vapeur  se  perdent  chaque  année  dans  ces  chutes  d'eau  inexploitées  qu^* 
attendent  nos  capitaux  et  nos  ingénieurs  pour  fournir  l'électricité,  la 
chaleur,  la  richesse  ?  que  des  mines  d'or,  d'argent,  de  nickel,  d'amiante 
sont  enfouies  dans  notre  sous-sol  aux  quatre  coins  de  Québec,  et  que  les 
Américains  viendront  les  dépouiller  à  notre  barbe,  en  y  faisant  pelleter 
nos  compatriotes,  qu'ils  commanderont  en  anglais,  alors  qu'eux,  nos 
écoliers,  devenus  grands  et  bons  bilingues,  seront  à  salaire  dans  des  mai- 
sons anglaises  de  Montréal,  d'Ottawa,  de  New  York  ou  de  Toronto, 
où  lem-  connaissance  des  deux  langues  leur  aura  valu  de  bonnes  places  ? 

Savoir  deiLx  langues,  c'est  souvent  avoir  deux  mots  poxu-  ne  dire 
rien  du  tout.  N'en  sachons  qu'une,  mais  parfaitement,  mais  pleine 
d'idées  et  de  faits.  Acquérons  des  comiaissances,  semons-en  chez  nos 
enfants  toujours  et  de  toutes  manières,  dans  les  dictées,  le  calcul,  les 
leçons  d'histoire  et  de  géographie,  les  li\Tes  de  la  bibliothèque  de  classe 
(que  toutes  les  écoles  doivent  absolument  tenir  à  avoir),  développons 
l'initiative  et  l'espoir  du  succès  en  affaires  grâce  au  français  :  inspirons 
le  désir  de  créer  des  entreprises  toutes  françaises  où  tout  se  fasse  par 
les  moins  bilingues  de  nos  gens;  il  n'est  pas  nécessaire  de  lire  Shakespeare 
et  le  Star,  ni  de  réussir  parfaitement  le  th  pour  découvrir  des  mines  dans 
l'Abitibi,  pour  bâtir  des  pulperies  comme  celle  de  Chicoutimi,  pour 
acheter  un  bon  pouvoir  hydraulique  et  vendre  de  l'électricité.  Il  suf- 
fit d'avoir  étudié  nos  ressources,  même  en  français,  d'organiser  nos 
capitaux  nationaiLx  ou  d'importer  des  fonds  français  ou  belges,  comme 
le  font  les  Américains  et  les  Ontariens,  qui  ne  parlent  pas  français  et  qui 
trouvent  contre  nous  l'argent  de  la  France .  .  . 

Voilà  bien  des  affaires  plus  payantes  que  le  bilinguisme  de  nos 
comptables  et  de  nos  fonctionnaires;  voilà  qui  peut  s'enseigner  vite  sans 
nuire  à  la  formation  française,  sans  nous  angliciser  la  mentalité,  en  atten- 
dant le  reste.  Nous  sommes  en  Amérique  trois  millions  contre  ou  parmi 
cent  vingt  millions;  nous  n'avons  pas  à  jouer  au  grand  seigneur,  à  faire 
du  luxe,  de  la  largeur  d'esprit  et  des  concessions.  Les  Anglais  rient  de 
toutes  leiu-s  dents  de  nous  voir  faire  leur  propre  ou  lem*  sale  besogne. 
Ça  va  tout  seul,  le  français  se  proscrit  automatiquement,  par  le  fait  qu'il 
cède  de  sa  place  à  l'anglais  :  car,  sachons-le  bien,  depuis  l'expansion  du 
cinéma,  les  enfants  travaillent  de  moins  en  moins,  et  s'ils  ne  savaient  pas 
leur  langue  au  sortir  de  l'école  il  y  a  dix  ans,  ils  ne  seront  pas  des  acadé- 
miciens après  les  anglicisantes  réformes  ! 

Ptessaisissons-nous,  faisons  plutôt  machine  en  arrière,  soulageons  le 
programme  des  écoles  rurales  d'un  fatras  inutile  et  dangereux,  déhmitons 


428  l'action  française 

bien  les  cours  de  commerce  des  villes,  enseignons  aux  enfants  qu'à  l'école 
on  apprend  à  apprendre,  et  que  c'est  ensuite  que  commencent  les  vraies 
études  qui  durent  jusqu'à  la  mort.  Préservons  notre  petit  peuple  de 
l'anglicisation  de  l'âme  comme  les  trente-neuf  millions  de  Français  se 
raidissent  contre  la  germanisation  de  l'esprit  par  les  mots,  ainsi  que  le 
témoigne  cette  page  du  clairvoj'ant  Léon  Daudet  :  «  L'action  intime 
du  langage  inculqué  est  telle  que  je  me  suis  souvent  demandé  si  la 
diffusion  de  la  langue  allemande  en  France,  après  1870,  n'avait  pas 
grandement  servi  les  ravages,  chez  nous,  de  la  métaphysique  et  des  pro- 
cédés germaniques ...  Il  y  a  ime  mesure  à  garder.  Il  en  est  de  l'abus 
du  langage  étranger  comme  de  celui  de  certains  remèdes,  qui  aboutis- 
sent à  l'intoxication  chronique.  Mettons  nos  fils  en  garde  contre  la 
germanomanie.  »  Et  nous,  contre  l'anglomanie  et  l'utilitarisme  mal 
entendu. 

Un  Professeur. 

PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LE  TRAITÉ  POLONAIS  ET  LES  DROITS 
DES  MINORITÉS 

Voici  le  texte  de  lo  partie  du  traité  polonais,  signé  à  Versailles  le 
28  juin  1919,  au  bas  duquel  les  représentants  du  Canada  ont  apposé 
leur  signature,  qui  traite  des  droits  des  minorités  : 

CHAPITRE  1er 

ARTICLE    1 

La  Pologne  s'engage  à  ce  que  les  stipulations  contenues  dans  les 
articles  2  à  8  du  présent  chapitre  soient  reconnues  comme  lois  fonda- 
mentales, à  ce  qu'aucune  loi,  aucun  règlement  ni  aucune  action  officielle 
ne  soient  en  contradiction  ou  en  opposition  avec  ces  stipulations  et  à 
ce  qu'aucune  loi,  aucun  règlement  ni  aucune  action  officielle  ne  prévalent 
contre  elles. 

ARTICLE   2 

Le  gouvernement  polonais  s'engage  à  accorder  à  tous  les  habitants 
pleine  et  entière  protection  de  leur  vie  et  de  leur  liberté  sans  distinction 
de  naissance,  de  nationalité,  de  langage,  de  race  ou  de  religion. 


l'action  française  429 

Tous  les  habitants  de  la  Pologne  auront  droit  au  libre  exercice,  tant 
public  que  privé,  de  toute  foi,  religion  ou  croyance,  dont  la  pratique 
ne  sera  pas  incompatible  avec  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs. 

ARTICLE   3 

La  Pologne  reconnaît  comme  ressortissants  polonais,  de  plein  droit 
et  sans  aucune  formalité,  les  ressortissants'  allemands,  autrichiens,  hon- 
grois ou  russes  domiciliés,  à  la  date  de  la  mise  en  vigueur  du  présent 
Traité,  sur  le  territoire  qui  est  ou  sera  reconnu  comme  faisant  partie 
de  la  Pologne,  mais  sous  réserve  de  toute  disposition  des  Traités  de  paix 
avec  l'Allemagne  ou  l'Autriche,  respectivement,  relativement  aux  per- 
sonnes domiciUées  sur  ce  territoire  postérievuement  à  une  date  déter- 
minée. 

Toutefois,  les  personnes  ci-dessus  visées,  âgées  de  plus  de  dix-huit 
ans,  auront  la  faculté,  dans  les  conditions  prévues  par  les  dits  Traités, 
d'opter  pour  toute  autre  nationalité  qui  leur  serait  ouverte.  L'option 
du  mari  entraînera  celle  de  la  femme  et  l'option  des  parents  entraînera 
celle  de  leurs  enfants,  âges  de  moins  de  dix-huit  ans. 

Les  personnes  ayant  exercé  le  droit  d'option  ci-dessus  devront, 
dans  les  douze  mois  qui  suivront,  et  à  moins  de  dispositions  contraires 
du  Traité  de  Paix  avec  l'Allemagne,  transporter  leur  domicile  dans  l'État 
en  faveur  duquel  elles  auront  opté.  Elles  seront  libres  de  conserver 
les  biens  immobiliers  qu'elles  possèdent  sur  le  territoire  polonais.  Elles 
pourront  emporter  leurs  biens  meubles  de  toute  nature.  Il  ne  leiu-  sera 
imposé  de  ce  chef  aucun  droit  de  sortie. 

ARTICLE   4 

La  Pologne  reconnaît  comme  ressortissants  polonais,  de  plein  droit 
et  sans  aucime  formaUté,  les  personnes  de  nationahté  allemande,  autri- 
chienne, hongroise  ou  russe  qui  sont  nées  sur  ledit  territoire  de  parents 
y  étant  domicihés,  encore  qu'à  la  date  de  la  mise  en  vigueur  du  présent 
Traité  elles  n'y  soient  pas  elles-mêmes  domicihées. 

Toutefois,  dans  les  deux  ans  qui  suivront  la  mise  en  vigueur  du  pré- 
sent Traité,  ces  personnes  pourront  déclarer  devant  les  autorités  polo- 
naises compétentes  dans  le  paj^s  de  leur  résidence,  qu'elles  renoncent  à  la 
nationalité  polonaise  et  elles  cesseront  alors  d'être  considérées  comme 
ressortissants  polonais.  A  cet  égard,  la  déclaration  du  mari  sera  répu- 
tée valoir  pour  la  femme,  et  celle  des  parents  sera  réputée  valoir  pour 
les  enfants  âgés  de  moins  de  dix-huit  ans. 


430  l'action  française 


ARTICLE   0 

La  Pologne  s'engage  à  n'apporter  aucune  entrave  à  l'exercice  du 
droit  d'option,  prévu  par  les  Traités  conclus  ou  à  concliue  par  les  Puis- 
sances'alUées  et  associées  avec  l'Allemagne,  l'Autriche,  la  Hongrie  ou  la 
Russie  et  permettant  aux  intéressés  d'acquérir  ou  non  la  nationalité 
polonaise. 

ARTICLE   6 

La  nationalité  polonaise  sera  acquise  de  plein  droit,  par  le  seul  fait 
de  la  naissance  sur  le  territoire  polonais,  à  toute  personne  ne  pouvant 
se  prévaloir  d'une  autre  nationalité. 

ARTICLE   7 

Tous  les  ressortissants  polonais  sont  égaux  devant  la  loi  et  jouiront 
des  mêmes  droits  civils  et  politiques  sans  distinction  de  race,  de  langage 
ou  de  religion. 

La  différence  de  reb'gion.  de  croj^ance  ou  de  confession  ne  devra 
nuire  à  aucun  ressortissant  polonais  en  ce  qui  concerne  la  jouissance 
des  droits  civils  et  politiques,  notamment  pour  l'admission  aux  emplois 
publics,  fonctions  et  honneurs  ou  l'exercice  des  différentes  professions 
et  industries. 

Il  ne  sera  édicté  aucune  restriction  contre  le  libre  usage  par  tout 
ressortissant  polonais  d'une  langue  quelconque,  soit  dans  les  relations 
privées  ou  de  commerce,  soit  en  matière  de  religion,  de  presse,  ou  de 
publications  de  toute  nature,  soit  dans  les  réunions  pubUques. 

Nonobstant  l'établissement  par  le  gouvernement  polonais  d'une 
langue  ofScielle,  des  facilités  appropriées  seront  données  aiLx  ressortis- 
sants polonais  de  langue  autre  que  le  polonais,  pour  l'usage  de  leur  lan- 
gue, soit  oralement,  soit  par  écrit,  devant  les  tribunaux. 

ARTICLE   8 

Les  ressortissants  polonais,  appartenant  à  des  minorités  ethniques, 
de  reUgion  ou  de  langue,  jouiront  du  même  traitement  et  des  mêmes 
garanties  en  droit  et  en  fait  que  les  autres  ressortissants  polonais.  Ils 
auront  notamment  un  droit  égal  à  créer,diriger  et  contrôlcr,i\  leurs  frais, 
des  institutions  charitables,  rchgieuses  ou  sociales,  des  écoles  et  autres 


l'action  française  431 

établissements  d'éducation,  avec  le  droit  d'y  faire  librement  usage  de 
leur  propre  langue  et  d'j'  exercer  librement  leur  religion. 

ARTICLE   9 

En  matière  d'enseignement  public,  le  gouvernement  polonais  accor- 
dera dans  les  viUes  et  districts  où  réside  une  proportion  considérable 
de  ressortissants  polonais  de  langue  autre  que  la  langue  polonaise,  des 
facilités  appropriées  pour  assurer  que,dans  les  écoles  primaires,  l'instruc- 
tion sera  donnée,  dans  leur  propre  langue,  aux  enfants  de  ces  ressortis- 
sants polonais.  Cette  stipulation  n'empêchera  pas  le  gouvernement 
polonais  de  rendre  obligatoire  l'enseignement  de  la  langue  polonaise 
dans  lesditrcs  écoles. 

Dans  les  villes  et  districts,  où  réside  ime  proportion  considérable 
de  ressortissants  polonais  appartenant  à  des  minorités  ethniques,  de 
reUgion  ou  de  langue,  ces  minorités  se  verront  assiu^er  une  part  équi- 
table dans  le  bénéfice  et  l'affectation  des  sommes  qui  pourraient  être 
attribuées  sur  les  fonds  pubhcs  par  le  budget  de  l'État,  les  budgets  muni- 
cipaux ou  autres,  dans  un  but  d'éducation,  de  reUgion  ou  de  charité. 

Les  dispositions  du  présent  article  ne  seront  apphcables  aux  res- 
sortissants polonais  de  langue  allemande  que  dans  les  parties  de  la  Polo- 
gne qui  étaient  territoire  allemand  au  1er  août  1914. 

ARTICLE    10 

Des  comités  scolaires  désignés  sur  place  par  les  commimautés  juives 
de  Pologne,  assureront,  sous  le  contrôle  général  de  l'Etat,  la  répartition 
de  la  part  proportionnelle  des  fonds  pubUcs  assignés  aux  écoles  juives, 
en  conformité  de  l'article  9,  ainsi  que  l'organisation  et  la  direction  de 
ces    écoles. 

Les  dispositions  de  l'article  9,  concernant  l'emploi  des  langues  dans 
les  écoles,  seront  applicables  auxdites  écoles. 

ARTICLE    11 

Les  Juifs  ne  seront  pas  astreints  à  accompb'r  des  actes  quelconques 
constituant  une  violation  de  leur  Sabbat,  et  ne  de\Tont  être  frappés 
d'aucune  incapacité  s'ils  refusent  de  se  rendre  devant  les  tribunaux 
ou  d'accompUr  des  actes  légaux  le  jour  du  Sabbat.     Toutefois,  cette 


432  l'action  française 

disposition  ne  dispensera  pas  les  Juifs  des  obligations  imposées  à  tous 
les  ressortissants  polonais  en  vue  des  nécessités  du  service  militaire, 
de  la  défense  nationale  ou  du  maintien  de  l'ordre  public. 

La  Pologne  déclare  son  intention  de  s'abstenir  de  prescrire  ou  d'au- 
toris^  des  élections,  soit  générales,  soit  locales,  qui  aiiraient  lieu  un 
samedi;  aucune  inscription  électorale  ou  autre  ne  devra  obligatoirement 
se  faire  un  samedi. 

ARTICLE    12 

La  Pologne  agrée  que,  dans  la  mesure  où  les  stipulations  des  articles 
précédents  affectent  des  persoimes  appartenant  à  des  minorités  de  race, 
de  religion  ou  de  langue,  ces  stipulations  constituent  des  obligations 
d'intérêt  international  et  seront  placées  sous  la  garantie  de  la  Société 
des  Nat'ons  Elles  ne  pourront  êtro  modifiées  sans  l'assentiment  de 
la  majorité  du  Conseil  de  la  Société  des  Nations.  Les  Etats-L'nis 
d'Amérique,  l'Empire  britannique,  la  France,  l'ItaUe  et  le  Japon  s'en- 
gagent à  ne  pas  refuser  leur  assentiment  à  toute  modification  desdits 
articles,  qui  serait  consentie  en  due  forme  par  une  majorité  du  Con- 
seil de  la  Société  des  Nations. 

des  Nations.  Les  États-Unis  d'Amérique,  l'Empire  britannique,  la 
France,  l'Italie  et  le  Japon  s'engagent  à  ne  pas  refuser  leur  assentiment 
à  toute  modification  desdits  articles,  qui  serait  consentie  en  due  forme 
par  une  majorité  du  Conseil  de  la  Société  des  Nations. 

La  Pologne  agrée  que  tout  Membre  du  Conseil  de  la  Société  des 
Nations  aura  le  droit  de  signaler  à  l'attention  du  Conseil  toute  infrac- 
tion ou  danger  d'infraction  à  l'une  quelconque  de  ces  obligations,  et  que 
le  Conseil  pom-ra  procéder  de  telle  façon  et  donner  telles  instructions 
qui  paraîtront  appropriées  et  efficaces  dans  la  circonstance. 

La  Pologne  agrée  en  outre,qu'en  cas  de  divergence  d'opinion,  sur 
des  questions  de  droit  ou  de  fait  concernant  ces  articles,  entre  le  gouver- 
nement polonais  et  l'une  quelconque  des  Principales  Puissances  alliées 
et  associées,ou  toute  autre  Pui.ssance,  Membres  du  Conseil  de  la  Société 
des  Nations,  cette  divergence  sera  considérée  comme  un  différend  aj-ant 
un  caractère  international  selon  les  termes  de  l'article  14  du  Pacte  de  la 
Société  des  Nations.  Le  gouvernement  polonais  agrée  que  tout  diffé- 
rend de  ce  genre  sera,  si  l'autre  partie  le  demande,  déféré  à  la  Cour  per- 
manente de  Justice.  La  décision  de  la  Cour  permanente  sera  sans  appel 
et  aura  la  même  force  et  valeur  qu'une  décision  rendue  en  vertu  de  l'ar- 
ticle 13  du  Pacte. 


l'Action  fbançaiiis 

OCTOBRE  1919 


LA  VOIX  DE  LA   TERRE 


Pourquoi  donc,  6  mon  fils,  désirer  en  tes  veilles 
Le  minaret  mauresque  et  Vombre  des  palmiers  f 
Tes  rêves,  à  l'envol  des  migrateurs  ramiers, 
Pourquoi  leur  voudrais-tu  d'exotiqu£s  merveilles  f 

Sur  mes  monts,  j'ai  des  lacs  aux  teintes  sans  pareilles.. 
J'ai  des  bois  dont  la  paix  guérit  les  maux  premiers^ 
Des  gaves  grondeurs,  des  rocs  de  mousse  habillés, 
Des  fleurs  que  le  vent  mêle  et  des  chants  dans  mes  treilles. 

Chaque  saison  pour  toi,  je  change  de  beauté. 
L'automne,  j'ai  la  pourpre.     En  mai,  j'ai  la  verdure, 
Et  la  neige  me  sert  d'hivernale  parure. 

Dis,  n'ai-je  pas  assez  plaisante  variété  ? 

—  Au  terroir  de  chez  nous  qui  nourrit  ton  enfance 

Garde  à  jamais  tes  vers  d'angoisse  ou  d'espérance. 

Hermas  Bastien. 


Vol.  III,  No  10 


Les  précurseurs 

CALIXA  LAV ALLEE 


Dans  la  série  d'études  que  V Action  française  a  entrepris 
de  publier  sur  les  Précurseurs,  Calixa  Lavallée  semble  avoir 
sa  place  tout  indiquée,  non  qu'il  fût,  à  la  vérité,  un  précur- 
seur dans  la  large  acception  du  mot,  mais  parce  qu'il  occupe 
une  place  considérable  à  une  époque  oii  la  vie  musicale  com- 
mençait chez  nous  à  se  manifester. 

Pour  le  peuple  canadien,  Lavallée  reste  par-dessus  tout 
l'auteur  de  notre  hymne  national  0  Carmda,  et  ce  mérite, 
que  les  musiciens  ne  sont  peut-être  pas  enclins  à  exagérer, 
n'en  constitue  pas  moins  une  auréole  de  gloire  légendaire  à 
jamais  attachée  à  son  nom. 


Avant  de  parler  de  Calixa  Lavallée  il  serait  intéressant  > 
croyons-nous,  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  passé,  de  cherchei" 
ainsi  à  reconstituer  brièvement  le  milieu  social,  —  je  ne  dirai 
pas  encore  le  milieu  artistique,  —  qui  vit  éclore  le  talent  de 
celui  que  nous  voulons  étudier  quelques  instants.  Et  ceci 
se  passait  vers  le  milieu  du  siècle  dernier. 

On  peut  afïu-mer  sans  crainte  que  la  vie  musicale,  telle 
que  nous  la  concevons  aujourd'hui,  n'existait  pas,  à  propre- 
ment parler,  avant  1850.  Quelques  concerts  à  de  rares 
intervalles,  donnés  par  des  artistes  de  passage,  précédés 
d'une  réclame  tapageuse,  venaient  seuls  rompre  l'existence 
monotone  de  nos  pères  et  faire  trêve  à  leurs  préoccupations 
politiques.  Durant  cette  période  où  les  luttes  parlemen- 
taires passionnent  les  esprits,  les  gazettes,  on  le  conçoit, 


l'action  française  435 

ne  se  livrent  guère  à  la  critique  des  choses  de  l'art;  et  si 
elles  mentionnent  parfois  les  événements  artistiques,  ce 
n'est  que  sous  forme  d'annonces.  Mais,  fort  heureusement, 
grâce  à  ces  annonces  où  les  programmes  sont  pubUés  en 
entier,  nous  pouvons  aujourd'hui  reconstituer  les  soirées 
musicales  de  ce  temps,  comme  aussi  les  soirées  dramatiques. 
Le  Théâtre  Royal,  à  Montréal,  où  avaient  lieu  ces  exploits, 
souvent  organisés  par  des  amateurs,  voyait  aussi  se  réunir 
des  corps  de  musique  de  la  garnison  anglaise,  tel  celui  du 
79e  régiment  sous  le  commandement  du  colonel  Douglass. 
Citons  en  particulier  la  soirée  du  23  avril  1829,  où  des  ama- 
tem's  jouèrent  L'Avare,  de  Molière,  avec  le  concours  de  la 
bande  du  79e  régiment,  qui  fit  entendre  ce  soir-là,  durant  les 
entr'actes,  les  morceaux  de  son  répertoire.  Mais  des  con- 
certs étaient  aussi  donnés  au  Masonic  Hall,  comme  en 
témoigne  la  soirée  du  20  mai  1830,  organisée  par  le  Signor 
Jean  Muscarelli,  «  de  l'opéra  de  Milan,  »  ainsi  que  le  pro- 
clamaient les  affiches.  Le  programme  de  ce  concert  n'indi- 
que pas  un  degré  notable  de  goût  artistique  par  le  choix  des 
pièces.  Quant  au  public,  il  faut  croire  qu'il  avait  peine  à 
soutenir  longtemps  une  oreille  attentive,  puisque  le  signor 
Muscarelli  trouva  prudent  de  terminer  la  soirée  par  une 
pièce  burlesque,  dans  le  but  évident  de  renvoyer  son  public 
gavé  de  rire  et  de  bonne  humeur. 

Y  avait-il,  par  contre,  à  cette  époque,  de  la  musique 
intéressante  dans  nos  églises  ?  Si  l'on  en  excepte  le  chant 
grégorien  et  nos  vieux  Noëls  français  qui  se  sont  perpétués 
jusqu'à  nous  grâce  à  nos  offices  religieux,  il  ne  semble  pas 
qu'il  y  eût  souvent  dans  nos  temples  de  la  musique  d'une 
réelle  valeur.  Nous  avions  pourtant  dans  le  pays,  notam- 
ment à  Québec,  des  orgues  et  des  organistes  depuis  l'époque 
lointaine  où  Mgr  de  Laval  écrit  que  «  nos  orgues  mêlent  leurs 
voix    harmonieuses    à    celles    des    chantres  ».     Dans    les 


436  l'action  française 

registres  de  la  paroisse  de  IMontréal,  il  est  question  également 
d'orgues  dès  1713.  Des  notes,  curieuses  pour  les  érudits, 
traitent  du  salaire  des  organistes,  des  réparations  d'ins- 
truments, mais  n'apportent  aucune  indication  instructive 
au  point  de  vue  artistique.  Toutefois,  ces  notes  nous 
apprennent  les  noms,  la  plupart  oubliés,  des  artistes  qui  se 
succédèrent  aux  orgues  de  notre  vieille  paroisse,  et  parmi 
lesquels  il  faut  citer  :  Guillaume-Joseph  Mechtler  (natif 
de  Bruxelles)  organiste  de  1792  à  1833,  J.-C.  Brauneis, 
Allemand  d'origine,  Léonard  Eglaugh,  Berlj-n,  Patrice 
Lacombe  et  Jean-Baptiste  Labelle,  dont  la  nomination  date 
de  1849. 

La  plupart  de  ces  artistes  étaient,  comme  on  le  voi  t 
d'origine  belge  ou  allemande,  ce  qui  laisserait  présumer  que 
les  études  musicales  n'étaient  pas  alors  très  avancées  parmi 
les  nôtres,  ou  bien  que  l'on  professait,  déjà  en  ce  temps,  un 
certain  engoûment  pour  l'étranger. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  position  d'organiste  à  la  Cathédrale 
de  Québec  fut  offerte  en  1849  à  un  musicien  français, 
Antoine  Dessane.  Celui-ci,  en  cette  même  année,  traversa 
les  mers  pour  venir  se  fixer  au  Canada.  Antoine  Dessane 
était  un  musicien  de  race.  Ancien  élève  du  Conservatoire 
de  Paris,  où  il  avait  étudié  sous  la  direction  de  Cherubini; 
plus  tard  disciple  du  compositeur  Onslow,  Dessane  était 
un  artiste  sérieux,  trop  sérieux  peut-être  à  une  époque  où 
l'on  ne  prisait  que  les  flonflons  et  où  le  style  classique  était 
inconnu.  Néanmoins  Antoine  Dessane  prit  son  rôle 
d'initiateur,  de  missionnaire  de  l'art,  avec  une  conscience  et 
une  ardeur  qui  sont  la  caractéristique  de  sa  longue  carrière. 

«  Un  organiste  nouveau  et  étranger  à  la  Cathédrale  de 
Québec  était  à  cette  époque  un  événement,»  écrit  lui-même 
Dessane  dans  des  mémoires  intimes  qu'il  a  laissés.  «  Aussi 
mes  débuts  furent-ils  heureux.     D'aucuns  me  trouvèrent 


l'actiox  fraxçaise  437 

sérieux  clans  mon  style,  mais  convinrent  avec  la  majorité 
qu'ils  avaient  acquis  un  artiste  comprenant  sa  mission  .» 
Ajoutons  qu'Antoine  Dessane  était  admirablement 
secondé  dans  les  concerts  qu'il  organisa,  par  le  talent  de 
sa  femme  que  l'on  dit  avoir  été  une  chanteuse  et  une 
diseuse  parfaites.  ^ladame  Dessane  a  été  un  professeur  de 
chant  dont  le  talent  fut  toujours  associé  à  la  carrière  de  son 
mari.  La  société  de  concerts  fondé  par  lui  et  appelée  la 
Société  harmonique  paraît  avoir  donné,  vers  1855,  une  cer- 
taine impulsion  à  la  musique  et  créé  à  Québec  un  mouvement 
artistique. 

C'est  vers  cette  époque  que  l'on  voit  surgir  le  talent 
impétueux  d'Ernest  Gagnon,  l'auteur  futm-  des  Chansons 
populaires  du  Canada,  l'écrivain  charmant,  précurseur  de 
nos  folkloristes  d'aujourd'hui.  Nommé  organiste  à  l'église 
Saint-Jean  Baptiste  de  Québec  en  1853,  Gagnon  fait  alors 
les  déHces  de  la  société  québecquoise  par  son  talent  prime- 
sautier,  un  peu  nature,  vibrant  à  l'excès,  talent  qu'il  ira 
discipliner  plus  tard  à  Paris,  pour  revenir  après  quelques 
années  reprendre  ses  fonctions  à  Saint -Jean-Baptiste,  puis 
à  la  Basilique  en  1865. 

Vers  le  même  temps,  deux  musiciens  français,  Paul 
Letondal  et  Charles  Sabatier,  donnent  à  ^Montréal  une  vive 
impulsion  à  leur  art.  Le  premier,  ancien  élève  de  l'Ins- 
titution des  jeunes  Aveugles  de  Paris,  est  un  violoncelliste 
remarquable  en  même  temps  que  pianiste  et  théoricien. 
Après  avoir  consacré  plusieurs  années  à  donner  des  concerts, 
il  se  livre  ensuite  à  l'enseignement  et  forme  de  nombreux 
élèves,  parmi  lesquels  il  faudrait  citer  la  plupart  des  musi- 
ciens de  cette  époque.  Le  second,  Charles  Sabatier 
enchante  les  dilettantes  d'alors  par  son  talent  de  pianiste. 
Il  compose,  en  1860,  à  l'occasion  de  la  visite  du  jeune  prince 


438  l'action  française 

de  Galles,  (plus  tard  Edouard  VII)  une  cantate  qui  fait 
sensation.  Une  mélodie  de  lui,  une  romance  plutôt,  dans 
le  goût  de  l'époque,  composée  sur  un  poème  de  Crémazie, 
Le  drapeau  de  Carillon,  rend  son  nom  populaire.  Sabatier 
a  laissé  pourtant  des  choses  assez  intéressantes,  des  motets 
dont  l'écritui'e  révèle  un  bon  musicien.  Malheureusement 
l'influence  de  Sabatier  fut  de  courte  durée,  car  le  22  août 
1862,  il  expirait  à  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal  à  l'âge  de  42 
ans. 

Mais  l'élan  est  donné.  Bientôt  ce  sera  toute  une 
floraison  de  jeunes  talents.  Relevons,  à  Montréal,  les 
noms  d'Emma  Lajeunesse,  —  qui  deviendra  la  célèbre 
Albani,  —  Marie  Regnault,  Dominique  Ducharme,  Moïse 
Saucier,  Charles  Panneton,  Gustave  Gagnon,  Romain- 
Octave  Pelletier.  Les  deux  derniers  que  je  viens  de  citer 
sont  aujourd'hui,  au  Canada,  les  seuls  survivants  de  cette 
pléiade.  Gustave  Gagnon,  frère  d'Ernest  Gagnon,  a  suc- 
cédé à  celui-ci  comme  organiste  à  la  Basilique  de  Québec, 
et  durant  sa  longue  carrière,  a  été  l'âme  du  mouvement 
musical  en  cette  ville.  R.-Octave  Pelletier,  le  précurseur 
à  Montréal  du  vrai  style  de  l'orgue,  est  le  doyen  respecté  de 
nos  musiciens.  Chargé  d'années  mais  encore  vert,  il  est 
l'organiste  actuel  de  la  cathédrale.  Sa  vie  a  été  un  long 
apostolat  artistique;  son  enseignement  a  été  des  plus  féconds. 


Telles  étaient  les  conditions  dans  lesquelles  se  déve- 
loppait déjà  la  musique  lorsque  Calixa  Lavallée  entra  en 
scène. 

Né  le  28  décembre  1842,  à  Verchèrcs,  Calixa  Lavallée 
montra  dès  l'enfance  des  dispositions  extraordinaires  pour 
la  musique.  Doué  d'une  rare  précocité,  il  apprit  tout 
enfant  à  jouer  un  peu  de  tous  les  instruments.     Le  père  du 


l'action  française  439 

jeune  Calixa,  habile  à  fabriquer  des  violons,  quitta  bientôt 
son  village  pour  aller  travailler  à  Saint-Hyacinthe  chez 
Pierre  Casavant,facteur  d'orgues,  père  des  frères  Casavant, 
nos  facteurs  actuels.  C'est  à  Saint-Hyacinthe  que  le  jeune 
Calixa  donna  les  premières  marques  de  son  talent  naissant. 
A  l'âge  de  onze  ans,  il  touchait  déjà  les  orgues  de  la  Cathé- 
drale lorsqu'une  circonstance  le  fit  particulièrement  remar- 
quer, A  l'occasion  de  funérailles  extraordinaires,  on  avait 
cru  devoir  demander  le  concours  du  Chœur  de  l'Église 
Notre-Dame  de  Montréal,  que  dirigeait  alors  l'abbé  Lazare- 
Arsène  Barbarin,  prêtre  de  Saint-Sulpice,  l'un  des  maîtres 
de  chapelle  réputés  de  ce  temps-là. 

L'abbé  Barbarin  comptait  évidemment  sur  l'organiste  de 
la  cathédrale  pour  jouer  les  accompagnements.  Quelle  ne 
fut  pas  sa  surprise  lorsqu'il  vit  apparaître  à  la  tribune .  . . 
un  enfant  !  Il  voulut  d'abord  le  renvoyer,  ne  pouvant 
croire  qu'un  gamin  de  cet  âge  pût  exercer  les  fonctions  d'or- 
ganiste. Mais  l'enfant  paraissait  sûr  de  lui-même,  la  flam- 
me d'une  intelligence  vive  brillait  dans  ses  yeux.  «  Laissez- 
moi  essayer,  voulez-vous?  ))  dit-il.  —  «  Allez-y, mon  enfant, 
nous  verrons  bien,»  reprit  l'abbé.  D'une  seule  enjambée 
le  gamin  fut  aussitôt  perché  sur  le  banc  de  l'orgue.  En 
quelques  minutes  il  avait  déjà  fait  ses  preuves,  déchiffrant 
ce  qu'on  lui  présentait  avec  une  sûreté  étonnante.  L'abbé 
Barbarin  en  fut  émerveillé  et  prédit  à  l'enfant  une  carrière 
brillante.  Vers  ce  temps-là  le  jeune  Calixa  devait  fréquen- 
ter le  petit  séminaire  de  Saint-Hyacinthe,où  il  ne  fit  du  reste 
que  passer  de  1852  à  1853.  Puis  il  suit  naturellement  son 
père,  Augustin  La  vallée,  qui  vient  se  fixei'  à  Montréal  pour 
y  exercer  l'état  de  luthier.  C'est  alors  qu'il  aurait,  d'après 
un  biographe^,  débuté  à  11  ans  comme  pianiste  au  théâtre 

^  Ch.  Labelle,  L'Echo  musicale,  janvier  1888. 


440  l'action  française 

Royal  de  cette  ville.  Il  eut  pour  professeurs  Paul  Letoiidal, 
et  plus  tard,  Ch.-W.  Sabatier  qui  lui  enseignèrent  le  piano. 
Les  .progrès  durent  être  rapides  puisque,  à  dix-huit  ans, 
il  se  sent  déjà  de  taille  à  donner  des  concerts  aux  États-Unis. 
Il  avait  au  surplus  la  ressource  de  jouer  passablement  du 
violon  et  aussi  la  plupart  des  instruments  à  vent.  Avec 
cette  heureuse  confiance  que  lui  inspirent  ses  dix-huit  ans 
et  son  adresse  débrouillarde,  il  part  pour  la  Nouvelle- 
Orléans,  où  il  débute  assez  heureusement;  après  quoi,  en 
compagnie  d'un  certain  violoniste  espagnol,  du  nom  de 
Olivera,  il  fait  une  tournée  de  concerts  au  Brésil  et  aux 
Antilles. 

Un  détail  peu  connu  de  la  vie  aventureuse  et  nomade 
de  Lavallée,  c'est  la  part  qu'il  prit,  en  1861,  à  la  guerre  de 
Sécession.  Nous  le  voyons  à  ce  moment  quitter  le  clavier 
pour  prendre  rang  dans  l'armée  du  Nord,  servir  d'abord 
comme  simple  soldat,  pour  s'élever  ensuite  jusqu'au  grade 
de  lieutenant,  par  sa  belle  conduite  à  Antictan,  où  il  est 
blessé.  De  retour  au  pays,  il  séjourne  au  miheu  des  siens 
pendant  deux  années,  faisant  du  concert  et  aussi  de 
l'enseignement.  Dans  l'hiver  de  1864,  il  prend  part  à  dix- 
sept  concerts  dans  la  seule  ville  de  ^Montréal.  ^ 

Mais  il  se  fatigue  bientôt  de  l'existence  monotone  que 
l'on  mène  en  notre  ville  à  cette  époque  reculée.  Dès  lors,il 
ne  reste  plus  en  place,  voj'age  un  peu  de  tous  côtés,  et  cette 
existence  de  troubadour  durera  jusqu'en  1873,  alors  que 
des  citoyens  de  ^lontréal,  à  la  tête  desquels  il  faut  citer 

'  Nous  relevons,  dans  la  Minerve  du  21  janvier  1864,  l'annonce  d'un 
concert  donne  par  Calixa  Lavallée  en  la  «  nouvelle  salle  des  Artisans, 
grande  rue  Saint-Jacques  ».  «  M.  Lavallée  a  l'honneur  d'annoncer  au 
public  de  Montréal  et  des  environs  qu'il  exécutera  sur  trois  instruments 
différents  tels  que  piano,  violon  et  cornet  à  pistons.  Il  est  assisté  par 
les  artistes  amateurs  suivants  :  Dlle  Bourassa,  Dlle  Derome,  AL  H. 
Gauthier,  F.  Lavoie,  J.  Boucher,  F.  X.  Valade,  P.  V.  Baril  et  Maître  (sic) 
Jos.  Galaise.  » 


l'action  française  441 

M.  Léon  Derome,  lui  fournissent  les  moyens  d'aller  étudier 
en  France.  Il  passe  deux  années  à  Paris,  étudie  le  piano 
avec  Antoine  Marmontel,  l'harmonie  et  la  composition  avec 
Bazin  et  un  certain  Boïeldieu,  —  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  l'auteur  de  la  Dame  Blanche.  Son  retour  à  ^Montréal 
est  signalé  dans  les  journaux  du  temps  par  les  articles  du 
du  ton  le  plus  élogieux.  Il  rapporte  des  compositions  pour 
le  piano  :  une  marche,  une  mazurka  et  une  étude,  dont  le 
Canada  musical  (  (livraison  du  1er  août  1875)  fait,  sous  la 
signature  de  R. -Octave  Pelletier,  une  appréciation  sérieuse. 
C'est  vers  cette  époque  que  Lavallée  organise  des  concerts 
avec  Jéhin-Prume,  le  célèbre  violoniste  belge  qui,  comme  Ju- 
les Hone,  avait  faitdu  Canada  son  pays  d'adoption.  En  1877, 
ils  entreprennent  ensemble  de  donner  Jeanne  d'Arc,  le  dra- 
me lyrique  de  Gounod,avec  gi-and  orchestre.  Madame  Jéhin- 
Prume  tenait  le  rôle  de  Jeanne  d'Arc.  Ce  fut  un  événement 
considérable  signalé  en  termes  enthousiastes  par  les  journaux 
d'alors.  Il  est  vrai  que  le  ton  superlatif  qui  règne  dans 
toutes  ces  gazettes  ne  suffirait  pas  pour  renseigner  les  géné- 
rations futures  sur  la  valeur  des  choses  que  l'on  appréciait 
ainsi.  Pas  plus  qu'aujourd'hui  le  sens  de  la  mesure  n'exis- 
tait alors,  et  l'on  versait  volontiers  dans  un  dithyrambe  où 
la  candeur  de  l'admii-ation  n'avait  d'égale  que  la  gaucherie 
à  l'exprimer. 

Toutefois  cette  littérature  et  les  applaudissements  du 
public  ne  suffisent  pas  à  assurer  l'existence  des  artistes  quand 
tous  ces  souffrages  ne  se  traduisent  pas  par  quelque  bon- 
ne recette.  Lavallée  en  fit  la  triste  expérience  lorsque,  à  Qué- 
bec, il  dirigea  plus  tard  une  cantate  qu'il  avait  composée  pour 
une  réception  en  l'honneur  du  Marquis  deLorne  et  de  la  Prin- 
cesse Louise.  Il  avait  formé  un  chœur  de  250  voix  et  un  or- 
chestre de  80  musiciens.  Le  succès  fut  très  gi'and,  dit-on,  et 
la  Princesse  félicita  vivement  l'auteur.     Seulement,  l'orga- 


442  l'action  française 

nisation  de  ce  concert  avait  nécessité  des  dépenses  très 
lourdes,  et  la  recette  laissait  un  déficit  à  combler,  que  le 
compositeur  dut  solder  de  ses  deniers.  Avait-il,  avec  trop 
de  confiance  conipté  sur  des  promesses  plus  ou  moins  vagues 
du  monde  officiel  ?  Cela  peut  bien  être.  «  J'ai  eu,  disait-il, 
avec  quelque  amertume,  l'honneur  de  recevoir  la  princesse 
pour  le  compte  du  gouvernement  de  Québec,  mais  c'est 
moi  qui  ai  payé  les  violons.  » 

Cette  cantate  est  restée,  je  crois,  en  manuscrit.  Au 
dire  des  musiciens  contemporains  de  Lavallée,  c'était 
une  composition  de  circonstance,  bâclée  à  la  hâte  et  sans 
grande  consistance.  Lavallée  avait  de  la  facilité,  un  cer- 
tain métier  pour  écrire  des  pièces  de  piano  d'un  style  élégant, 
des  romances  bien  tournées,  mais  pas  suffisamment  de 
science  pour  aborder  de  grandes  œuvres.  A  l'égal  de 
Guillaume  Couture,  —  notre  véritable  précurseur  dans  l'art 
de  la  composition  musicale,  —  il  n'avait  pas  suffisamment 
étudié  ce  que  l'école  peut  enseigner;  aussi  dans  l'âge  mûr 
était-il  tourmenté  d'un  désir  impuissant  d'aborder  le  genre 
symphonique.  Ajoutez  à  cela  peu  de  méthode  dans  le 
travail  et  une  certaine  répugnance  à  terminer,  à  mettre  au 
point  ce  qu'il  avait  commencé.  M.  Alfred  De  Sève,  qui  ■ 
l'a  bien  connu  à  Boston,  me  disait  avoir  joué  de  Lavallée  un 
concerto  de  violon,  dont  la  partie  d'accompagnement,  jouée 
par  l'auteur,  n'avait  jamais  été  écrite,  sinon  par  quelques  ^ 
notes  jetées  à  la  hâte.  Vers  le  même  temps,  toutefois,  ^ 
Lavallée  avait  composé;  pour  une  circonstance,  un  Tu  es  f 
Petrus,  motet  pour  soli,  chœur  et  orgue.  Cette  composition- 
gravée  à  Boston,  eut  un  certain  succès  et  valut  à  son  auteur 
le  suffrage  des  musiciens  de  cette  ville. 

C'est  là,  à  Boston,  où  il  était  allé  chercher  gloire  et 
fortune  que  Lavallée  mourut  en  1891  à  l'âge  de  49  ans.     IL 
s'y  était  conquis  une  réputation  enviable.     Croyant  faire    j 


l'action  française  443 

mieux,  il  avait  depuis  dix  ans  quitté  «  son  ingrate  patrie  ». 
A  la  vérité  il  ne  fut  jamais  oublié  des  siens.  L'erreur  de 
Calixa  Lavallée  c'est  d'avoir  en  son  pays  voulu  vivre  du 
concert  à  une  époque  où  pareille  chose,  plus  encore  qu'au- 
jourd'hui, était  impossible.  Quant  à  faire  de  l'enseigne- 
ment, Lavallée  en  fit  certes,  d'une  façon  intermittente,  et 
du  meilleur.  Toutefois  le  professorat,  alors  trop  peu 
rétribué,  condamnait  un  musicien  à  l'esclavage  d'une  vie 
laborieuse,  monotone  et  sédentaire,  toutes  choses  insuppor- 
tables à  une  nature  comme  la  sienne.  Mais  à  Boston  fut-il 
plus  heureux  et  plus  riche  que  parmi  les  siens?  Nous  ne 
le  croyons  pas,  car  il  y  mourut  dans  une  situation  de  for- 
tune assez  précaire,  laissant  presque  sans  ressources  sa 
veuve  et  son  fils.  Il  avait  cru  trouver  des  succès  sur  une 
scène  plus  vaste,  dans  une  ville  réputée  alors  comme  aujour- 
d'hui le  centre  le  plus  artistique  de  la  République  voisine. 
Ce  grand  enfant  qui  aimait  son  pays,  et  qui  l'aimait  plus 
qu'il  ne  s'en  doutait  lui-même,  fut  comme  tant  d'autres 
victime  d'un  mirage.  Pouvons-nous  l'en  blâmer?  Il 
manquait  alors  précisément  parmi  nous  cette  vie  nationale 
qui  commence  à  peine  aujourd'hui  à  se  dessiner.  Cette  vie 
nationale  du  Canada  français,  —  chose  étrange  !  —  Laval- 
lée en  a  été,  par  l'hymne  qu'il  nous  a  légué,  le  précurseur 
inconsciemment  inspii'é.  Sur  les  strophes  écrites  par  le 
juge  A.-B.  Routhier  pour  les  fêtes  de  1880  à  Québec,  il  a 
su  trouver  un  chant  qui  par  sa  beauté,  peut-être  aussi  par 
un  concours  de  ch'constances,  s'est  depuis  imposé  au 
Canada  tout  entier. 

Ce  chant,  sorte  d'hymne  choral,  est  son  plus  beau  titre 
de  gloire,  et  perpétuera  à  jamais  la  mémoire  de  son  auteur. 
Nous  ne  voulons  pas  nous  préoccuper  de  savoir  jusqu'à 
quel  point  cette  simple  chose  est  une  œuvre  d'art.  Ce  qui 
n'est  pas  douteux  c'est  que  ce  chant,  large,  pénètre  d'émo- 


444  l'action  française 

tion  les  étrangers  qui  l'entendent  pour  la  première  fois. 
D'aucuns,  parmi  les  nôtres, , se  plaisent  à  y  découvrir  des 
réminiscences  de  la  Flûte  enchantée  de  Mozart,  et  que  sais-je 
encore?  Je  me  demande  ce  que  tout  cela  peut  bien  faire. 
Il  y  a  longtemps  que  l'on  jongle  avec  les  sept  notes  de  la 
gamme,  et,  au  surplus,  créer  n'est-il  pas  un  peu  se  souvenir  ? 
Il  y  certes  plus  de  mérite  à  subir  inconsciemment  l'influence 
des  maîtres  qu'à  faire  de  l'érudition  à  la  seule  fin  de  dépister 
des  tours  mélodiques  qui  appartiennent  à  tout  le  monde  et 
que  l'on  retrouve  un  peu  partout. 

Le  mérite  de  notre  chant  national,  c'est  le  peuple  qui, 
en  l'adoptant,  l'a  en  quelque  sorte  sanctionné.    Tout  est  là. 

Ce  chant  traduit,  dans  sa  simplicité,  un  sentiment  vrai, 
sincère,  un  élan  de  fierté  qui,  à  l'heure  actuelle  est  quelque 
chose  de  doublement  précieux.  Sait-on  combien  il  peut 
donner  de  réconfort  à  nos  frères  de  l'Ontario,  et  de  partout 
où  la  lutte  se  fait  pour  la  survivance  française  ?  Car,  ne 
l'oublions  pas,  c'est  aujourd'hui  un  chant  de  ralliement. 
Il  a  la  puissance  mj'stérieuse  que  ne  possède  pas  la  parole 
seule  :  il  eirtraîne,  il  subjugue.  Il  est  l'expression,  —  con- 
ventionnelle je  le  veux  bien,  mais  éloquente  quand  même,  — 
de  notre  idéal  national  et  religieux. 

Le  rhapsode  qui  a  trouvé  ce  chant,  le  poète  qui  en  a 
écrit  les  strophes,  sont  de  ceux  que,  dans  la  vie  des  peuples, 
la  Providence  choisit  parfois  pour  exprimer  l'âme  de  la 
nation.  Ce  bon  Lavallée,  bohème  incorrigible,  n'avait 
pourtant  rien  de  l'austère  majesté  d'un  barde  ou  d'ini 
prophète.     Et  pourtant  cet  honneur  lui  fut  réservé. 

Arthur  Letondal. 


i 


QUE  LES  FEMMES  S'EN  MELENT!.., 


Après  un  long  séjour  de  Vautre  côté  de  la  frontière,  un 
brave  Canadien  revenait  s^ établir  au  pays  avec  toute  sa  famille. 

Le  vieux  curé  qui  V avait  vu  partir,  jadis,  avec  appréhen- 
sion et  regret,  songeant  tristement  :  «  Encore  un  de  perdu  /...)) 
V écoutait  aujourd'hui,  étonné  et  ravi.  .  .  Dans  le  plus  authen- 
tique parler  du  terroir,  son  ancien  paroissien  évoquait  les  souve- 
nirs de  sa  vie  là-bas  :  les  misères  du  début,  la  venue  des  temps 
prospères;  il  disait  comment,  un  beau  jour,  la  nostalgie  du 
sol  natal  lui  était  entrée  dans  le  cœur.  .  .  Puis  il  y  avait  les 
garçons,  solides  gaillards  bientôt  en  âge  de  se  marier.  .  .  Ils 
ne  voulaient  épouser  que  des  filles  de  leur  religion  et  de  leur 
race  et  avaient  hâté  le  retour. 

—  Mais  enfin,  remarqua  tout  ému  le  curé,  vous  habitiez 
une  ville  protestante,  vous  n'' entendiez  jamais  parler  votre  lan- 
gue. .  .  Comment  avez-vous  pu  rester  ainsi  bons  catholiques 
et   bons   Canadiens  f... 

—  Hé  !  monsieur  le  curé,  pas  bien  malin...  avec  la 
femme  !...  C'est  qu^  elle  n^  était  pas  co7nmode,  allez  !  Figurez- 
vous  qu'elle  n'a  jamais  voulu  apprendre  un  mot  d'anglais, 
pas  un  !  Alors  il  n'y  avait  pas  à  regimber  :  on  parlait  fran- 
çais à  la  maison.  .  .  Si,  par  hasard,  un  des  enfants  s'oubliait^ 
vlan  !   «  Parle  donc  comme  du  inonde,  toi  !...)) 

Pour  la  religion,  c'était  la  même  chose.  Le  dimanche^ 
par  exemple.  .  .  souvent  on  aurait  bien  voidu  se" reposer  un 
brin.  .  .  Pas  d'affaires  ! .  .  .  Il  n'y  avait  qu'ime  petite  cha- 
pelle catholique  à  l'autre  bout  de  la  ville.  Il  fallait  se  lever 
matin  et  arriver  à  la  messe  à  l'heure.     Pas  de  messe,  pas  de 


446  l'action  française 

dîner  ! .  .  .  Je  trouvais  cela  dur,  allez,  dans  le  temps,  pour  les 
petits.  .  .  mais  aujourd'hui,  je  remercie  la  mère.  Si  on  est 
ce  qu'on  est,  c'est  à  elle  qu'on  le  doit.  Ah  !  les  femmes,  mon- 
sieur le  curé,  quand  elles  s'en  mêlent  / .  .  .  » 

Quand  elles  s'en  mêlent  ! .  .  .  Il  avait  raison,  le  brave 
homme.  Dans  combien  de  familles  exilées  du  foyer  de  la  race, 
le  même  prodige  de  conservation  religieuse  et  nationale  s'est-il 
réalisé,  grâce  uniquement  à  une  intelligente  et  énergique  inter- 
vention  féminine  ! 

Quand  elles  s'en  mêlent  ! .  .  .  La  voix  du  bon  sens  popu- 
laire le  proclame,  toid  comme  l'expérience  le  prouve,  tout  comme 
l'atteste  l'histoire  de  notre  survivance  :  où  se  porte  la  femme, 
là  est  la  victoire. 


Que  les  femmes  s'en  mêlent  donc  ! .  .  . 

A  cette  heure  surtout  où  l'on  suppide  plus  haineusement 
que  jamais,  en  certains  quartiers,  les  chances  de  vie  ou  de  mort 
pour  notre  peuple,  une  lourde  mais  glorieuse  responsabilité 
nous  échoit.  D'impérieux  devoirs  sollicitent  notre  action 
et  réclament  la  mobilisation  de  toutes  les  volontés.  Ils  s'impo- 
sent particulièrement  à  nous.  Canadiennes  des  provinces  en 
majorité  anglaises.  Ils  se  résument  presque  tous  en  un  mot  : 
la  sauvegarde  de  la  langue. 

Ah  !  si  les  mères  tout  d'abord  le  voulaient  ! .  .  .  Elles 
sauraient  bien  «  boiUer  dehors  »  ces  redoidables  complices 
de  l'anglicisateur  si  fréquemment  installés  à  la  table  même 
de  famille  :  le  snobisme  des  uns,  la  lâcheté  des  autres,  l'indiffé- 
rence du  plus  grand  nombre.  Elles  sauraient  bien,  comme  la 
vraie  patriote  qui  ne  pouvait  souffrir  qu'aucun  des  sie^is,  chez 
elle,  ne  parlât  pas  «  comme  du  monde  »,  elles  sauraient  bien 


l'action  française  447 

trouver,  dans  l'amour  de  leur  race  et  le  fier  désir  de  la  voir  se 
continuer  sans  défaillance,  le  courage  d'une  intransigeance  de 
bon  oloi  et  des  répressions  parfois  nécessaires. 

Grâce  à  elles,  chaque  maison  canadienne  redeviendrait 
ce  «  petit  nid  bien  français  »  oiX  les  âmes  qui  s'éveillent  ne 
subiraient  que  des  influences  propres  à  développer  et  à  fortifier 
en  elles  le  sentiment  national.  Les  beaux  livres  qui  relatent 
les  luttes  de  nos  ancêtres  et  ceux  qui  évoquent  le  pittoresque 
ou  l'héroïsme  de  leur  vie  remplaceraient,  sur  les  tables  et  dans 
les  bibliothèques,  les  ineptes  et  dangereux  magazines  améri- 
cains. Les  feuilles  anglaises,  semeuses  d'erreurs  et  défor- 
matrices de  notre  mentalité,  seraient  détrônées  par  les  revues, 
les  journaux  qui  montent  vaillamment  la  garde  autour  de  nos 
droits.  Ceux-ci,  on  les  lirait,  on  les  commenterait,  le  soir, 
en  famille.  Parfois,  le  chant  de  quelque  «  refrain  de  chez  nous  )) 
clorait  la  veillée  et  graverait  au  plus  profond  des  cœurs  et  des 
mémoires  la  suavité  de  nos  doux  accents.  .  . 

Comme  alors  les  enfants  grandiraient  dans  l'amour,  le 
respect  et  l'orgueil  de  leur  titre  de  Canadiens  français  !  Et  le 
désolant  spectacle  de  jeunes  gens,  de  jeunes  filles  méprisant 
leur  langue  et  ridiculement  infatués  de  coutumes  étrangères 
n'existerait    plus. 

Après  avoir  ainsi  allumé  et  avivé  dans  les  jeunes  âmes 
la  flamme  patriotique,  les  mères  canadiennes  pourraient-elles 
se  désintéresser  de  l'œuvre  qui  assure  le  succès  de  leur  tâche 
première  ou  en  ruine  les  effets  :  l'école  f 

Il  est  un  strict  devoir,  là  où  la  chose  est  possible,  de  pro- 
curer une  éducation  française  aux  enfants.  Tous  les  prétextes 
sont  futiles  ou  méprisables  qui  tentent  de  justifier  la  défection 
sur  ce  point.  Les  grands  intérêts  à  sauvegarder  sont  au-dessus 
des  petites  vanités  ou  des  petites  combinaisons  personnelles. 


448  l'action  française 

Ne  retranche-t-on  rien,  mesdames,  dans  vos  écoles,  aux 
quelques  bribes  d'enseignement  du  français  qui  nous  restent  ? 
Veillez  !     Protestez  !     Réclamez  ! 

Quels  bienfaisants  résultats  n^aurait  pas  encore  une  plus 
intime  collaboration  de  la  mère  et  de  Vinstitutrice  !  C'est 
par  là  seulement  que  la  classe  de  français  écourtée  donnera 
son  plein  rendement  et  que  pourra  s'inscrire,  en  marge  des 
études  scolaires,  une  efficace  campagne  d'épuration  de  notre 
langue  si  profondément  altérée  dans  nos  centres  mixtes. 

Une  autre  tâche  de  fierté  et  d'honneur  nous  incombe  : 
celle  de  la  faire  rayonner,  cette  langue  injustement  honnie  et 
proscrite,  dans  toutes  les  manifestations  de  notre  vie  sociale. 
On  l'a  répété  maintes  fois,  c'est  dan^  les  petits  détails  qu'elle 
veut  être  défendue.  Ne  nous  contentons  pas  de  parler  fran- 
çais entre  nous.  Exigeons  de  nos  fournisseurs  qu'ils  aient 
au  moins  des  commis  qui  nous  comprennent.  Faisons  nos 
commandes  par  la  poste  en  français.  Abdiquer  sa  langue 
en  même  temps  que  l'on  doyme  son  argent,  c'est  trop. 

Nos  maris,  nos  frères,  nos  amis,  tout  à  leurs  affairest 
^ont  parfois  bien.  .  .  distraits.  Ils  oublient  la  piimordiale 
importance,  pour  une  minorité  cjui  veut  vivre,  de  proclamer 
bien  haut  soji  existence.  Les  enseignes  bilingues,  les  cartes 
^ofessionnelles  bilingues,  les  en-têtes  de  lettres,  les  factures 
bilingues  sont  autant  d'éloquentes  et  subtiles  voix  entendues 
par  tous.  Rappelons-le  à  l'occasion.  Réveillons  avec  tact, 
mais  avec  une  persistante  énergie,  le  patriotisme  endormi. 

Que  les  femmes  s'en  mêlent  ! .  .  .  C'est  le  trésor  de  notre 
langue  pieusement  gardé  et  invinciblement  défendu;  c'est  toute 
Vâme  de  la  race  revivifiée  et  raffermie;  c'est,  aujourd'hui  comme 
hier,  la  pleine  et  lumineuse  joie  du  triomphe  assuré. 

Annette  Saint-Amant. 

Prince- Albert,    Sask. 


LE  TEMOIGNAGE  DE  TROIS 
ANGLO-CANADIENS  ' 


Je  n'ai  mis  nul  empressement  à  lire  The  Clash.  Cette 
voix  protestataire  n'avait-elle  pas  arrêté  par  sa  lenteur  la 
promptitude  de  notre  remercîment?  L'attaque  contre  les 
Canadiens  français  se  poursuivait  depuis  des  ans  dans  les 
provinces  anglaises.  La  cause  de  l'opprimé  n'avait  pas 
encore  trouvé  chez  la  majorité  une  demi-douzaine  de  justes 
qui  consentissent  à  la  défendre.  Je  trouvais  inopportune 
la  réclame  retentissante  dont  on  saluait  l'apparition  de 
ce  livre.  C'était  enlever  à  notre  tenue  un  peu  de  sa  dignité. 
Nous  risquions  de  nous  donner  l'attitude  de  ces  gens  dont 
l'honnêteté  douteuse  est  trop  diligente  à  répéter  le  premier- 
témoignage  de  sympathie  venu  du  côté  des  adversaires. 
De  la  pile  de  livres  qui  sur  ma  table  attendent  d'être  lus, 
The  Clash,  malgré  le  vert  et  le  rouge  de  son  titre,  ne  parve- 
nait pas  à  arrêter  mon  regard.  Bridging  the  Chasm  parut, 
puis  The  Birthright.  La  voix  de  William  Henry  Moore 
n'était  donc  pas  isolée.  Percival  F.  ]\Iorley  et  Arthur 
Hawkes  manifestaient  des  sentiments  pareils  aux  siens. 
Ces  trois  livres,  publiés,  à  de  courts  intervalles,  à  Toronto, 
foyer  du  fanatisme,  révélaient  un  état  d'esprit.  11  n'était 
que  juste  de  le  connaître.  Mon  regret  de  n'avoir  pas  lu 
plus  tôt  l'ouvrage  de  M.  Moore  fut  atténué  par  la  joie  de 
parcourir  d'un  trait  les  trois  volumes  et  de  trouver  au  long 
des  neuf  cents  pages  qu'ils  forment  l'occasion  fréquente 
d'admirer,  de  remercier.     Ces  feuilles,  dont  quelques-unes 

1  The  Clash,  par  William  Henry  Moore,  Bridging  the  Chasm,  par 
Percival  Fellman  Morlet,  The  Birthright,  par  Arthur  Hawkes,  édités 
par  J.  jNI.  Dent  &  Soxs,  Ltd,  à  Toronto. 


450  l'action  française 

portent  la  condamnation  la  plus  sévère  qu'aient  reçue  les 
Anglo-canadiens,  sont  un  précieux  témoignage  rendu  aux 
Canadiens  français.  Elles  attestent  le  mérite. de  quelques- 
uns  d'entre  eux  et  l'excellence  de  leur  conduite.  Les  hom- 
mes d'élite  qui,  au  nom  de  notre  race,  poursuivent  la  lutte 
contre  les  persécuteurs  canadiens  de  l'âme  française,  trou- 
vent dans  ces  recueils  une  approbation, presque  une  revanche. 
Ce  sont  leurs  observations  que  répètent  ces  représentants 
des  adversaires;  on  leur  emprunte  leurs  jugements.  C'est 
Arthur  Hawkes  et  non  plus  Henri  Bourassa  qui  attribue  à 
notre  colonialisme,  plus  moral  que  politique,  certaines  de 
nos  faiblesses,  la  plupart  de  nos  maux.  Morley  s'unit  à 
l'abbé  Lionel  Groulx  et  constate  que  la  Confédération  n'a 
pas  produit,  durant  les  dernières  cinquante  années,  le  régime 
que  la  lettre  et  l'esprit  de  la  constitution  promettaient.  Ce 
n'est  plus  Orner  Héroux  qui  appelle  Boches  les  Ontariens, 
c'est  Bill}^  Moore. 

Les  trois  ouvrages  traitent  la  même  thèse  sous  des 
aspects  différents.  Il  y  a  unité  de  but,  mais  diversité  de 
moyens.  Assurer  le  développement  harmonieux  de  la 
Confédération,  pour  cela  étudier  les  maux  qui  l'arrêtent  et 
leurs  remèdes,  forme  l'objet  que  poursuit  chacun  de  ces 
écrivains.  The  Clash,  c'est  la  défense  totale  des  Canadiens 
français.  Elle  ne  pouvait  être  ni  plus  complète,  ni  mieux 
faite.  M.  Morley  a  ramené  son  étude  autour  d'un  point 
central,  la  question  langue.  C'est  un  document.  Il 
dénonce  l'attitude  de  l'Ontario,  dont  l'injustice  s'est  accrue 
par  la  promulgation  du  règlement  17.  C'est  toute  la 
situation  politique  du  Canada  qu'étudie  M.  Hawkes.  Lui 
assignant  sa  vraie  place  dans  l'empire  britannique,  l'auteur 
cherche  le  moyen  de  donner  à  chacun  des  habitants  de  ce 
pays  l'esprit  canadien  et  d'en  assurer  l'essor.  En  cours  de 
route,  les  rapports  d'harmonie  nécessaires  à  la  Confédéra-, 


l'actiox  fraxçaise  451. 

tion  l'arrêtent  un  instant.  Ce  lui  est  occasion  de  faire 
entendre  une  note  de  justice.  De  ces  trois  volumes, 
V Action  française,  sentinelle  avancée  de  notre  race,  veut 
dégager  les  idées  essentielles,  marquer  leur  importance  et 
leur  portée.  Du  même  coup  elle  exprime  son  tribut  d'hom- 
mage au  talent  de  ces  trois  anglo-saxons  et  à  leur  com'age. 


The  Clash  est  un  plaidoyer.  Ce  mot  est-il  approprié  ? 
Les  Canadiens  français  n'ont  rien  à  justifier.  L'un  des 
éléments  constitutifs  de  la  Confédération,  ils  sont  au  Canada 
chez  eux.  Ils  n'ont  point  attitude  d'intrus,  ni  figure  de 
criminels.  j\Iais  ]\I.  Moore  vit  au  milieu  d'une  population  qui 
nous  veut  écraser,  ciui  essaie  d'expliquer  cette  oppression  en 
dénaturant  nos  façons  de  penser  et  de  sentir.  Il  a  donc 
voulu  nous  défendre.  Nous  ne  connaissons  pas  de  Cana- 
dien de  langue  anglaise  qui  ait  su  mieux  présenter  notre 
cause. 

Commençant  par  le  commencement,  ]M.  Moore  prouve 
l'existence  de  la  nationalité  canadienne-française,  distincte 
de  l'anglo-saxonne.  There  are  within  Canada  two  national- 
iiies,  squarely  opposed  on  issues  which  men  hâve  always  con- 
sidered  Jundamental.  Je  suis  reconnaissant  à  M.  Aloore 
de  ne  point  nous  mettre  au  rang  des  récents  immigrants  et 
de  nous  reconnaître  plus  de  droits  qu'aux  Doukobors. 
Cette  vérité  a  été  méconnue  même  par  quelques  compa- 
triotes. Ils  oubliaient  l'ancienneté  de  notre  race  sur  terre 
d'Amérique,  ses  services,  l'appoint  que  ses  fils  apportent 
à  l'héritage  commun.  La  similitude  d'origine  et  d'aspira- 
tions, l'unité  de  langue  et  de  religion,  lient  les  Canadiens 
français  entre  eux.  Elles  les  différencient  des  autres 
éléments  de  la  Confédération.     Ce  'sont  des  islanders  in  a 


452  l'action  française 

sea  of  continental  anglo-saxon-amer icanism.     Folie  de  vou- 
loir les  noj'er  dans  cette  mer.  Erreur,  tentative  injuste  et  vai- 
ne de  vouloir  les  assimiler. /7i  seeking  to  limitFrenchCanadian 
culture  in  Ontario,  in  Manitoba  or  in  any  other  section  of  the 
country  once  French,  we  are  not  only  fighting  against  God  as 
Toynbee  puts  it  —  a  pretty  large  order  —  but  also  against  the 
principle  of  freedom  which   Great  Britain  has  said  should 
regulate  the  lives  of  a  people  made  British    hy  the  fortunes  of 
war.         L'orgueil   anglo-saxon  est  une   corde   prompte  à 
vibrer.     M.  Moore  n'a  garde  de  l'oublier.     Il  cherche  à 
faire  rougir  '  de  honte  les  Ontariens  en  leur  rappelant  la 
façon  dont  l'Angleterre  use  à  l'égard  des  peuples  qu'elle 
conquit.     Comparez    l'attitude    de    la    Grande-Bretagne 
envers  les  Canadiens  français  au  temps  de  l'Acte  de  Québec 
et  celle  des  gouvernants  de  Toronto  en  l'an  1918.     Ceux-ci 
ne  savent  plus  faire  écho  aux  paroles  d'un  Thurlow,  d'un 
Fox.     Nombreux,  en  effet,  sont  les  hommes  d'État  britan- 
niques qui  manifestent  une  conception  des  choses  plus  large 
que  celle  que  s'en  forment  les  politiques  coloniaux.     Lord 
Finlay  nous  en  donnait  récemment  une  preuve.     Comment 
les  petits  maîtres  de  Toronto  et  de  Winnipeg  ont-ils  accueilli 
les  déclarations  que  fit  au  banquet  du  barreau  montréalais 
le  grand  avocat  anglais,  fier  de  mettre  la  gloire  de  l'Angle- 
terre dans  le  souci  de  respecter  les  races,  les  langues,  les 
religions,  quelque    différentes    qu'elles  soient,  des  peuples 
soumis   à   sa   domination  ?     C'est,    au   dire   aussi   de   M. 
Moore,  the  Briiain's  way.     ]Mais  il  y  en  a  une  autre,  celle 
où  marchèrent  les  Prussiens  pour  assimiler  Polonais,  Alsa- 
ciens et  Lorrains.     C'est  celle-ci  que  suivent  les  Anglo- 
canadiens.      Leurs  méthodes  à  notre  égard  n'ont  rien  de 
l'esprit  britannique.     Elles  ont  tout  emprunté  à  la  mentalité 
teutonique.     M.  Moore  fait  mieux  que  de  l'affirmer,  il  le 
prouve.     Comme  il  est  douloureusement  intéressant  son 


I 


l'action  française  453 

parallèle  entre  les  procédés  de  l'Allemagne  et  ceux  de  l'On- 
tario ou  du  ]\Ianitoba  !  La  lecture  des  chapitres  III,  XI, 
XII  ouvrira,  je  l'espère,  les  yeux  de  maints  Anglais.  Ils  se 
diront  qu'il  est  vain  de  dénoncer  les  tj'rans  des  minorités 
en  Europe  quand  il  y  a  si  près  de  nous  de  ces  persécuteurs. 
Pourquoi  ceux-ci  ont-ils  choisi,  pour  multipHer  leurs  moyens 
d'oppression  en  Canada,  l'heure  où  la  Grande-Bretagne, 
précédée  par  la  France,  justifiait,  au  nom  des  petites  nationa- 
lités, son  entrée  dans  la  grande  guerre  ?  Si  les  épithètes  de 
Hun,  de  Prussien,  de  Boche,  signifient  le  fort,  impitoyable 
au  faible,  le  vainqueur,  injuste  à  l'égard  du  vaincu,  ne  crai- 
gnons point  de  les  appliquer  aux  gouvernants  de  l'Ontario 
et  du  Manitoba.  It  is  essentialîy  a  Prussian  idea  —  celle 
de  ne  pas  permettre  aux  conquis  de  vivre  en  présence  du 
conquérant  —  hut  not  exclusively  Prussian;  for  others, 
including  many  English-Canadians,  hâve  accepted  it. 

Mais  la  question  des  langues  n'est-elle  pas,  dans 
l'Ontario,  qu'une  question  de  méthode  pédagogique  ?  Non, 
répond  M.  Moore  :  it  is,  as  in  Poland,  a  clash  between  two 
rtationalities  in  which  one  believes  that  the  other  is  seeking 
ils  destruction  —  and  the  évidence  compels  us  ta  admit  not 
without  reason.  Et  cette  tentative  d'écrasement  n'est  que 
la  mise  en  pratique  de  théories  allemandes.  Entre  autres, 
l'une,  d'ordre  socialiste,  qui  réclame  le  racial  homogeneity 
comme  condition  nécessaire  à  l'établissement  des  réformes 
sociales;  l'autre,  d'ordre  économique,  préconisée  par  les 
marchands.  Ceux-ci  refusant  d'apprendre  l'anglais,  s'op- 
posent au  peuplement  de  leur  province  par  des  Canadiens 
français,  de  crainte  que  ces  nouveaux  colons  ne  créent  de 
Montréal  au  Nord  de  l'Ontario  une  route  au  commerce. 

Que  de  raisons,  pourtant,  invitent  les  Ontariens  à  agir 
autrement.  Détaché  de  l'ancienne  province  de  Québec, 
l'Ontario  fut  tout  d'abord  colonisé  par  des  hommes  de  notre 


454  l'action  fkaxçaise 

race.  Ce  sont  les  Relations  des  Jésuites  qui  racontent  le 
commencement  de  son  histoire.  Dès  1615,  le  père  LeCaron 
visita  la  baie  Géorgienne.  Les  corps  mutilés  de  Brébeuf 
et  de  Lalemant  furent  inhumés  à  Sainte-oVIarie.  INIaints 
endroits  de  l'Ontario  portèrent  d'abord  des  noms  français. 
On  n'est  pas  parvenu  à  effacer  complètement  cette  première 
empreinte,  même  en  les  dotant,  pour  les  démarquer,  de 
noms  —  tels  Tiny,  Tay,  Floss  —  empruntés  aux  trois  pet 
poodle  dogs  de  Ladj'  Simcoe.  Les  traits  d'héroïsme,  accom- 
plis par  nos  ancêtres  dans  l'Ontario  d'autrefois,  ne  sauraient 
émouvoir  les  Anglo-Canadiens  d'aujourd'hui.  Ils  sont  de 
la  race  supérieure  !  Peuvent-ils  avoir  rien  de  commun,  ne 
serait-ce  que  l'admiration  des  héros,  avec  l'inférieure,  la 
nôtre  ?  «  Est-ce  vrai  que  vous  ne  connaissez  pas  Philippe 
Hébert,  l'un  des  Canadiens  les  plus  distingués  »  ?  demandait 
un  jour  lord  Grey  à  un  riche  marchand  de  langue  anglaise. 
Oh  !  a  French-Canadian  !,  répliqua  celui-ci  avec  une  moue 
dédaigneuse.  Herein  lies  the  well  of  Canada^s  national 
trouble,  écrit  avec  raison  M.  Moore.  Les  Anglo-canadiens 
nous  méprisent.  C'est  un  obstacle  insurmontable  à  toute 
entente.  Nous  ne  sommes  à  leurs  j'eux  que  des  vaincus, 
une  gent  bonne  à  exploiter,  à  bousculer  à  coup  de  botte. 
N'est-ce  pas  un  professeur  de  McGill  qui,  ces  mois  derniers, 
nous  comparaît  à  des  coquerelles  ?  Si  au  moins  leur  morgue 
(non  des  coquerelles,  mais  des  Anglo-canadiens)  était 
justifiée.  Elle  ne  l'est  pas.  INI.  Moore  proclame  que  pour 
le  moins  nous  les  valons.  Notre  généalogie,  dont  nul  ne 
saurait  douter,  nous  rattache  à  des  ancêtres  de  haute 
renommée.  Au  reste,  M.  Moore,  posant  de  façon  érudite 
des  distinctions  nécessaires  entre  les  mots  race  et  nationalité, 
retraçant  l'origine  des  peuples  modernes,  conclut  des  dif- 
férences qu'il  trouve  entre  eux  qu'elles  ne  sauraient  assurer 
la  supériorité  de  sang  ou  de  mentalité  de  l'un  sur  l'autre. 


l'action  française  455 

Les  Anglo-canadiens  auraient-ils  du  moins  celle  que  con- 
fère la  culture  de  l'esprit  ?  Nous  sommes  des  marchands, 
clament-ils;  les  Canadiens  français  n'en  sont  pas,  donc  ils 
sont  inférieurs.  C'est  le  ty^ade  argument.  M.  Moore 
porte  jusque  sur  ce  terrain  la  défense  des  Canadiens  fran- 
çais. Vous  les  accusez,  apostrophe-t-il  les  Anglo-canadiens, 
de  n'être  pas  intéressés  dans  les  grandes  entreprises;  vous 
ne  l'êtes  pas  davantage.  Et,  chiffres  à  l'appui,  il  leur  prouve 
que  les  affaires  de  haute  envergure,  les  chemins  de  fer,  par 
exemple,  sont  soutenus  par  l'or  anglais  et  américain.  Ces 
derniers  temps,  on  retraçait  dans  les  compagnies  de  voies 
ferrées  canadiennes  au  moins  2,914  millions  de  dollars 
anglais  et  637  millions  de  dollars  américains.  Chaque 
année,  des  sommes  phénoménales  de  dividendes  et  d'intérêt 
entrent  dans  le  gousset  des  prêteurs  de  Londres  ou  de  New- 
York.  Les  Canadiens  français  empruntent  moins  à  l'étran- 
ger pour  maintenir  leurs  industries.  La  conclusion,  dit 
M.  Moore,  c'est  que  les  profits  qu'elles  produisent  restent 
au  Canada.  Mais  des  nations,  parce  que  catholiques,  ne 
sont-elles  pas  inférieures,  au  chapitre  de  la  prospérité 
matérielle,  à  d'autres  nations,  parce  que  celles-ci  protes- 
tantes ?  M.  Moore  n'en  est  pas  convaincu  et  si  les  affaires , 
ajoute-t-il,  étaient  le  critérium  suprême,  il  faudrait  mettre 
le  juif  au-dessus  du  protestant.  Elles  ne  le  sont  pas.  Et 
la  philosophie  de  M.  Moore  est  assez  éclairée  et  assez  pro- 
fonde pour  qu'il  écrive  :  Neither  religions  nor  national  ideas 
are  tangible  matters  to  be  weighed  like  wool  and  sait  on  com- 
mercial scales.  Il  quitte  le  sujet,  non  sans  avoir  donné  un 
dernier  coup  à  ceux  qui  tiennent  par-dessus  tout  à  la  supré- 
matie des  affaires.  Il  retourne  contre  eux  le  trade  argument. 
Faites  votre  commerce  avec  l'étranger  et  rappelez-vous  qu'il 
parle  français.  Que  le  gouvernement  canadien  se  mette 
donc  en  mesure  d'inscrire,  au  nombre  de  nos  ressources 


456  l'actiox  fkaxçaise 

les  plus  précieuses,  à  côté  de  la  colonne  énumérant  nos  forces 
hydrauliques  et  nos  chemins  de  fer,  our  ability  to  use  as 
working  tools  the  tico  great  languages  in  which  the  world's 
•commerce  is  conduded.  M.  Moore  se  joint  à  M.  Léon 
Lorrain  pour  attester  la  valeur  économique  du  français. 

Le  système  éducationnel  des  Canadiens  français  est-il 
inférieur  à  celui  des  Anglo-canadiens  ?  Les  dénigreurs  de 
notre  régime  d'instiniction  publique  réformeront  peut-être 
leur  jugement  à  la  lectm'e  du  li\Te  de  ]\L  ]\Ioore.  Ils  seront 
étonnés  de  le  voir  préférer  à  l'école  nationale  et  neutre  l'école 
confessionnelle  qui  non  seulement  instruit  mais  éduque,  au 
ministère  de  l'instruction  publique  dont  est  doté  l'Ontario 
notre  Conseil  de  l'instruction  publique.  Retraçant  la  part 
prise  en  tout  pa^'s,  notamment  dans  le  nôtre,  par  le  clergé 
à  l'instruction  du  peuple,  l'auteur  a  excellemment  montré 
l'influence  heureuse  de  l'Église  sur  l'école.  Combien  chez 
nous  seront  surpris  de  trouver  dans  The  Clash  ces  pages 
remarquables.  Il  nous  conseille  de  porter  nos  efforts  du 
«ôté  des  sciences  appliquées.  La  faiblesse  de  nos  étabUsse- 
ment  d'enseignement  supérieur  se  trouverait  in  the  labora- 
tory.  Mais,  même  sur  ce  point,  ne  généralisons  pas  trop 
vite,  reprend  M.  Moore.  En  matière  d'instruction  tech- 
nique, Québec  devance  Ontario.  Nous  pourrions  ajouter  : 
même  en  fait  d'enseignement  commercial.  A  la  dernière 
réunion  tenue  par  les  représentants  des  universités  cana- 
diennes à  Ottawa  en  mai  1919,  M.  Frank  Béer,  de  Toronto, 
nous  fit  une  conférence  sur  la  nécessité  de  promouvoir 
l'enseignement  du  commerce.  Sa  causerie  terminée,  M. 
Arthur  Surveyer,  l'un  des  délégués  de  l'université  Laval  à 
Montréal,  rappela  l'œuvre  accomplie  à  ^Montréal,  depuis 
plus  de  dix  ans,  par  notre  école  des  hautes  études  commer- 
ciales. Son  exposé,  clair  et  complet,  apprit  aux  professeurs 
des  universités  anglaises  que  Laval  avait  su  mieux  qu'elles 


i 


l'action  française  457 

organiser  renseignement  de  cette  branche  du  savoir.  Et 
ils  n'hésitèrent  pas  à  admettre  que  sur  cet  autre  point 
Québec,  l'idéaliste,  donnait  l'exemple  à  l'Ontario  le  pra- 
tique. Certes,  ne  nous  trompons  pas  nous-mêmes.  Notre 
système  d'instruction  publique  réclame  notre  attention 
la  plus  active.  Il  reste  dans  ce  sens  beaucoup  à  faire. 
Est-ce  une  raison  pour  méconnaître  les  œuvres  que  nous 
avons  créées  ?  Nous  avons  les  cadres.  Remplissons-les. 
Ne  les  détruisons  point.  Je  sais  gré  à  M.  Moore  d'avoir 
fait  cette  opportune  observation.  Pour  nous  convaincre 
davantage,  il  admire  les  produits  de  notre  enseignement, 
il  prend  plaisir  à  signaler  que,  dans  tous  les  domaines,  en 
littérature  ou  en  politique,  nous  ne  sommes  pas  inférieurs 
aux  Canadiens  anglais.  C'est  en  s'appuyant  sur  de  telles 
prémisses  que  M.  ]Moore  conclut  à  notre  droit  de  vie  libre 
et  fière  en  terre  canadienne.  Chercher  à  écraser  un  tel 
peuple,  c'est  provoquer  la  réaction  rédemptrice  et  assurer 
sa  survivance.  A  propos,  les  Canadiens  français  survi- 
vront-ils ?  S'inspirant  des  théories  de  Thomas  Buckle,  M. 
Moore  croit  que  le  milieu,  le  climat,  par  exemple,  fera  peut- 
être  à  la  plupart  des  Canadiens  une  âme  pareille.  Oui,  il 
se  peut.  Combien  de  bordées  de  neige  et  de  jours  de  pluie 
et  de  matins  torrides  exigera  cette  fusion  !  Il  se  peut  que 
l'homogénéité  soit  iné\atable.  M.  Moore  ne  le  souhaite 
pas  parce  qu'il  y  a  mieux  :  l'harmonie  dans  la  variété  des 
tempéraments,  la  possibilité  pom*  le  Canada,  terre  du  Nou- 
veau-]Monde,  de  conserver,  unis  mais  non  fondus,  les  héri- 
tiers des  deux  esprits  qui,  dans  l'Ancien,  apportèrent  à  la 
civilisation  sa  lumière  et  sa  force. 

Peu  de  livres  m'ont  autant  intéressé  sur  les  choses  de 
mon  pays  que  The  Clash.  Riche  de  données  philosopliiques 
et  historiques,  il  nous  éclaire,  non  seulement  sur  la  mentalité 
des  Anglo-Canadiens  et  leurs  menées  à  notre  égard,  mais 


458  l'actiox  française 

aussi  sur  nous-mêmes.  C'est  par  là  surtout  qu'il  nous  est 
utile.  Connaître  l'adversaire  est  bien;  se  connaître  vaut 
mieux.  L'on  se  sent  plus  fier  et  plus  ardent  au  travail 
quand,  le  livre  fermé,  l'on  emporte  le  témoignage  de  cet 
Anglo-âaxon  siu"  certaines  institutions  de  chez  nous.  L'on 
admire  son  courage  à  défendre  cette  race,  tant  injuriée,  à 
justifier  la  conduite  de  Benoît  XV  au  cours  de  la  récente 
guerre  et  l'attitude  des  Canadiens  français  à  l'égard  de  la 
loi  de  conscription.  Il  possède  la  lumière  et  la  liberté 
d'esprit  qu'il  faut  pour  étudier  avec  succès  les  problèmes 
canadiens.  Son  Polly  Masson  révèle  son  intention  de  ne  pas 
abandonner  sitôt  cette  tâche.  Il  continuera  de  l'accom- 
plir à  l'honneur  de  son  talent  et  au  profit  du  Canada. 


]Même  si,  le  jour  où  parut  The  Clash,  le  manuscrit  de 
Bridging  the  Chasm  n'était  pas  terminé,  ainsi  que  s'en 
glorifie  M.  Percival  F.  ]\Iorley,  il  n'y  avait  nulle  raison 
de  craindre  que  ces  deux  livres  fissent  double  emploi.  Cou- 
vrant un  champ  moins  vaste  que  celui  exploré  par  M.  Moore, 
i\I.  ]Morle\'  groupe  ses  observations  autour  de  la  question 
langue.  Le  règlement  17  est  non  seulement  l'appendice  de 
son  livre,  il  en  est  le  centre.  D'où  vient  qu'en  1919  les 
Canadiens  anglais  et  français  ne  sont  pas  plus  unis  qu'en 
1867?  Ne  le  sont -ils  pas  moins '?  La  tentative  de  les  unir 
peut-elle  se  justifier?  Placer  Français  et  Anglais 
au  nord  de  l'Amérique,  côte  à  côte,  sans  une  Planche  qui 
les  puisse  séparer,  c'était  un  coup  d'audace  de  la  Providence. 
N'est-ce  pas  folie  d'aller  plus  loin  et  de  les  vouloir  unir  en 
une  nation  ?  Appliquons-nous  du  moins  à  faire  disparaître 
les  causes  de  heurt.  Voyons  tout  d'abord  la  situation  d'un 
œil    tranquille.     Repoussons    les    préjuges.      Anglo-cana- 


l'action  française  459 

diens,  cessez  de  penser  que  runion  des  races  en  ce  paj-s  est 
étranglée  par  un  prétendu  ogre,  nommé  tantôt  influence 
papale,  tantôt  domination  cléricale.  Il  y  a  bien  d'autres 
choses.  Le  point  de  vue  religieux  nous  sépare;  il  ne  creuse 
pas  un  abîme.  ^'What  one  finds  over  and  over  again  in  their 
columns  is  plaint  of  "injustice",  "insulV  "persécution". 
Their  pet  nanies  for  us  is  not  "hérétiques" ,  hut  "Boches" 
The  trouble  is  racial  rather  than  religious" .  ]Mettez-vous 
dans  la  peau  des  Canadiens  français,  conseille  INI.  ]Morley 
à  ses  coreligionnaires.  Repassez  en  esprit  leur  histoire; 
revivez  leur  défaite  de  1760,  les  souffrances,  les  exactions, 
les  injustices  qui  s'ensuivirent.  Vous  connaissez  tout  des 
défauts  de  ce  peuple,  son  provincialisme,  ses  goûts  moj^en- 
nageux  et  arriérés,  regardez  un  peu  ses  ciualités.  Terminez 
cette  heure  de  réflexion  en  scrutant  vos  faiblesses  et  vos 
lacunes.  Nous  tirerons  ensuite  la  conclusion.  Au  cours  de 
cet  examen  de  conscience,  ^I.  Morle}'  étudie  la  question 
langue.  Quelle  que  soit  la  lutte  que  les  Canadiens  français 
eurent  à  soutenir  à  ce  sujet  depuis  1760,  c'est  dans  les  écoles 
de  l'Ontario  que  les  attaques  les  plus  dangereuses  furent 
portées  au  parler  français.  Manitoba  imita  cet  exemple. 
Jusqu'à  la  fin  du  19ème  siècle  les  Canadiens  français  de  la 
province  voisine  furent  libres  de  se  servir  du  français  dans 
leurs  écoles.  En  1889,  le  gouvernement  de  l'Ontario  inau- 
gura une  politique  d'anglicisation  c^ui  trouva  son  point 
culminant  en  1912  dans  le  règlement  17.  Quelle  est  la 
portée  de  ces  dispositions  nouvelles?  The  measures  ins- 
tituted  then  and  later,  though  not  aimed  directly  at  the  suppres- 
sion of  the  French  longue,  icill  be  none  the  less  effective  in  that 
direction  and  will  contribute  inevitably  to  the  slow  but  sure 
extinction  of  the  pioneer  languuge  of  the  Dominion  in  the 
provinces  concerned.  Le  règlement  17  met  fin,  dans 
l'Ontario,  à  l'existence  des  écoles  bilingues.     D'un  trait  de 


460  l'actiox  française 

plume  est  raj^é  le  droit  des  Canadiens  français  —  the  well- 
established  title  of  the  French-speakirig  minority  in  our 
province  —  à  faire  donner  en  langue  française  à  leurs 
enfants  partie  de  l'enseignement  (a  reasonahle  'proportion  of 
iheir  éducation.)  Ce  système  est  remplacé  par  what  is 
really  an  institution  for  the  transformation,  as  rapidly  as 
possible,  of  young  French-Canadians  into  young  Anglo- 
Saxcns.  Les  auteurs  de  cette  loi  inique  étaient -ils  du  moins 
de  bonne  foi?  ]\I.  Morley  le  croit,  mais  tout  de  suite  i\ 
déclare  que  l'article  4  et  son  fameux  hitherto  fournissent  une 
raison  suffisante  d'en  douter.  Quel  que  soit  l'esprit  qui 
l'inspira,  the  regidation  sounds,  in  fad,  the  death-knell  of  the 
French  tongne  in  our  province.  C'est  là  détruire  rœu\Te 
développée  en  18.67.  Les  pères  de  la  Confédération 
auraient  pu  montrer  plus  de  clairvoyance  et,  précisant 
certains  points,  nous  éviter  maints  problèmes.  Les  auteurs 
d'une  constitution  peuvent -ils  tout  prévoir  et  tout  définir  ? 
A  nous  de  découvrir  l'esprit  qui  les  anima  et  de  l'appliquer 
à  la  solution  des  difficultés  qui  surgissent.  En  demandant 
un  status  égal  pour  la  langue  française  et  l'anglaise,  les 
Canadiens  français  ne  réclament  rien  qui  soit  contre  la 
lettre  ni  l'intention  du  pacte  fédératif. 

Le  perfectionnement  de  l'enseignement  de  l'anglais 
n'exige  pas  l'abolition  de  la  langue  française.  Au  lieu 
d'édicter  le  règlement  17,  pourquoi,  demande  M.  jMorley, 
n'a-t-on  pas  plutôt  ouvert  des  écoles  normales  où  se  forme- 
raient des  professeurs  bilingues  ?  Le  bilinguisme  se  pra- 
tique en  d'autres  endroits  de  l'empire  britannique.  Pour- 
quoi l'Ontario  serait-il  réfractaire  à  ce  régime  de  justice? 
Cette  province  n'a-t-elle  souci  que  pour  les  méthodes  alle- 
mandes? Combattant  l'idée  de  la  reserve  du  Québec, 
rappelant  que  nous  ne  sommes  pas  des  Indiens,  INL  ]\Iorley 
revendique  pour  nous,  dans  et  hors  Québec,  le  droit  {the 


l'actiox  française  461 

privilège  —  or  should  we  not  say  the  right  —  )  de  conserver 
les  traditions  de  notre  race,  la  langue  française,  en  parti- 
culier. Les  Canadiens  français  ont  exploré  tout  le  Canada. 
Ils  sont  chez  eux  partout.  Reconnaissons-leur  le  droit  d'y 
vivre,  de  s'y  développer,  faculté  dont  nous,  Anglo-Saxons, 
nous  usons  naturellement,  en  quelque  endroit  que  ce  soit, 
as  a  matter  of  course.  Voyez  comment  la  majorité  dans 
Québec  traite  350,000  Anglais.  Pourquoi  sommes-nous 
incapables  de  cette  justice  ?  Notre  devise  est -elle  :  je 
prends  tout  :  Heads  I  win,  tails  you  lose.  Renversez  les 
rôles.  Que  la  législature  de  Québec  édicté  un  règlement  17 
contre  la  langue  anglaise.  C'est  les  armes  à  la  main  que 
tous  les  Anglo-canadiens  protesteraient.  Où  est  dans  tout 
cela  la  trace  du  British  faii-play  ?  Non  seulement  votre 
façon  d'agir  est  injuste,  anti-britannique;  elle  est  malhabile. 
Comment  les  Canadiens  français  peuvent-ils  être  un  élément 
de  force  si  vous  les  dénationalisez,  si,  en  les  privant  du  mo- 
yen d'instruction  qui  leur  est  propre,  la  langue  française, 
vous  n'en  faites  que  des  moitiés  de  cito^-ens  ?  Cessez  donc  de 
les  mépriser,  de  les  considérer  comme  une  anomalie.  Ce 
qu'il  faut  c'est  a  frank  récognition,  hy  work  and  deed,  that  the 
French-Canadian  possesses  a  Canadian  citizenship  equal  with 
our  own.  Après  avoir  exposé  avec  clarté  le  problème  à 
résoudre,  M.  Morlej^  indique  donc  avec  franchise  la  condi- 
tion essentielle  au  maintien  de  la  Confédération.  Il  a  du 
coup  projeté  sur  son  avenir  une  éclatante  lumière.  A  lire 
ces  pages,  empreintes  de  haute  poHtique,  de  vision  droite 
et  lucide,  l'on  se  reprend  à  croire  à  la  possibilité  de  créer  une 
nation  canadienne  forte  et  durable. 


C'est  aussi  à  la  poursuite  du  vrai  Canadien,  Canadian 
Canadian,  que  s'est  mis  M.  Arthur  Hawkes.     Les  routes 


462  l'action  française 

où  il  le  cherche  diffèrent  de  celles  que  remontent  ^MM. 
Moore  et  Morley.  C'est  de  la  situation  du  Canada  dans 
l'empire  britannique  et  de  sa  politique  intérieure  que  se 
préoccupe  ]M.  Hawkes.  L'auteur  relève  le  défi  lancé  par 
]M.  Lionel  Cm'tis  dans  The  Prohlem  of  the  Commonwealth  et 
The  Commonwealth  oj  nations.  Reflétant  l'esprit  d'une 
association  londonnienne,  The  Round  Table,  Curtis  assigne 
au  Canada  le  choix  entre  ces  deux  régimes  :  l'indépendance 
ou  l'établissement  à  Londres  d'un  gouvernement  impérial 
qui,  taxant  notre  pa3"s,  ferait  en  son  nom  la  paix  et  la 
guerre.  Au  dire  de  Curtis,  le  Canada  n'est  qu'une  dépen- 
dance de  l'Angleterre,  though  a  nation,  is  not  a  state;  nous  ne 
sommes  que  des  coloniaux,  dépourxiis  d'un  esprit  canadien 
comme  étaient  privées  de  l'esprit  américain  les  treize  colo- 
nies avant  1783.  Réveiller  ce  sentiment  canadien,  au 
besoin  le  faire  naître,  c'est  le  but  que  se  propose  M.  Hawkes. 
La  dignité  nous  commande  d'abandonner  la  position  humi- 
liante où  nous  ont  vais  les  gens  du  Round  Table.  Sortons 
de  l'impasse.  La  solution  du  problème  est  ici  même,  c'est 
the  Canadian  birthright.  Pour  que  notre  pays  se  meuve  à 
l'aise  dans  l'empire  britannique,  à  côté  des  autres  nations, 
exaltons  tout  d'abord  l'esprit  canadien.  Les  deux  maax, 
entre  autres,  qui  ont  jusqu'ici  arrêté  son  développement,  ce 
sont,  au  témoignage  de  ]\L  Hawkes,  le  colonialisme  et  la 
partisannerie  outrée.  L'auteur  critique  avec  véhémence  le 
régime  politique  imposé  au  Canada  depuis  1914  et  dénonce 
à  la  fois  les  faiblesses  et  l'absolutisme  de  nos  parlementaires 
fédéraux.  Sur  les  événements  canadiens  contemporains  de 
la  grande  guerre,  M.  Hawkes  émet  une  opinion  que  sa  fran- 
chise recommande  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  la  chose 
publique.  Il  projette  une  lumière  crue  sur  chacun  de  ces 
faits  politicjues,  depuis  l'abandon  par  notre  parlement  du 
contrôle  de  l'armée  canadienne  en  Europe  jusqu'à  l'achat 


l'action  française  463 

du  Canadian  Northern,  en  passant  par  la  loi  de  conscription 
et  le  rappel  de  l'Habeas  Corpus,  les  protestations  des  fer- 
miers et  l'attitude  des  classes  ouvrières.  Le  lecteur  appren- 
dra, chemin  faisant,  de  quelle  façon  hardie  un  anglo-saxon 
critique  parfois  les  autorités  constituées.  Ce  sera  pour  lui 
leçon  de  choses  que  la  lecture  de  certaines  pages  où  M,  Haw- 
kes  apprécie  l'attitude  du  gouvernement  de  Londres  et 
commente  l'opinion  de  la  majorité  des  juges  de  la  Cour 
Suprême  dans  la  cause  de  Gray.  C'est  vers  d'autres  do- 
maines que  V Action  française  dirige  ses  préoccupations. 
Elle  s'arrête  de  préférence  aux  chapitres  où  M.  Hawkes 
étudie  la  question  des  races  au  Canada. 

Libres  de  colonialisme,  habitués  à  nous  gouverner,  à 
regarder  haut  et  loin,  nous  serions  moins  enclins  à  enveni- 
mer nos  blessures.  C'est  en  élargissant  les  cadres,  en  éle- 
vant nos  aspirations,  en  projetant  plus  d'air  et  plus  de 
lumières  sur  nos  querelles  que  nous  les  rendrons  de  solution 
plus  aisée.  The  roacl  to  glory  is  the  straight  and  hilly  road 
ta  national  union;  not  the  easy,  sinuous  descent  into  interne- 
cine  strife.  M.  Hawkes  souhaite  la  réconciliation  entre 
tous  les  habitants  de  ce  pays.  Que  l'appoint  des  Italiens, 
des  Russes,  voire  des  Allemands,  récemment  établis  chez 
nous,  soit  incorporé  into  the  nationality  which  préserves  the 
best  that  Wolfe  and  Montcalm  knew.  Le  Canada  doit  respect 
et  tolérance  à  ceux  qui  en  ont  fait  leur  patrie  et  qui,  par  la 
naissance,  lui  ont  donné  des  citoyens.  L'union  de  tous  est 
la  première  condition  du  développement  de  la  Confédéra- 
tion. To  make  it  good  demands  the  unity  of  ail  the  people 
who  are  within  Canada,  and  particularly  of  the  English  and 
French  who  established  the  Confédération  on  which  the  hopes 
of  nationality  are  stayed.  Les  Canadiens  français  s'im- 
posent par  leur  ancienneté,  leurs  services,  leur  valeur.  Ils 
sont,  mieux  que  les  Anglo-Canadiens,  enracinés  à  ce  sol. 


464  l'action  française 

Ils  en  ont  fait  les  premiers  leur  unique  patrie.  Quoi  d'éton- 
nant, poursuit  M.  Hawkes,  qu'ils  aient  lentement  donné 
dans  l'enrôlement  organisé  au  cours  de  la  dernière  guerre  ? 
Les  Canadiens  français  n'ont  aucun  goût  pour  l'impérialis- 
me. Oette  attitude  n'entraîne  pas  chez  eux  la  haine  de 
l'Angleterre.  Leurs  sentiments  à  son  égard  sont  conve- 
nables. Que  lui  doivent-ils?  You  owe  nothing  to  a  man 
who  is  simply  keeping  his  contrad.  Au  reste,  les  Canadiens 
français  redoutent  plus  Toronto  que  Londres.  Ne  sont-ils 
pas  en  cela  justifiables  ?  A  l'heure  où  l'on  cherchait  à  les 
enrôler  pour  servir  outre-mer,  pourquoi  persistait-on  au 
Canada  à  persécuter  un  certain  nombre  d'entre  eux?  On 
aurait  dû  comprendre  depuis  longtemps  qu'ils  constituent 
pour  notr(  pays  une  force,  are  one  of  the  deep-founded 
walls  of  the  Canadian  House.  C'est  à  eux  que  l'Angleterre 
doit  la  conservation  comme  colonie  du  Canada.  Sans  leur 
collaboration,  la  fédération  de  1867  n'eut  pas  été  possible. 
That  truth  should  he  graven  on  every  British  heurt,  and  com- 
mended  to  every  heliever  that  the  Canadian  Constitution' s 
guarantee  of  a  duality  in  officiai  language  should  go  the  way 
of  a  German  guarantee  to  Belgium. 

M.  Hawkes  est  favorable  au  maintien  ici  de  la  langue 
française.  La  lutte  que  l'on  poursuit  contre  elle  soulève 
une  question  nationale,  qui,  par-dessus  l'Ontario,  intéresse 
tout  le  Canada  et  son  avenir.  C'est  en  invoquant  des  prin- 
cipes de  justice,  garantis  de  1774  à  1867,  que  les  Canadiens 
français  demandent  equality  of  treatment  in  their  native 
land  —  not  in  their  native  province,  he  it  observed.  Ces 
garanties  sont  aussi  inaliénables  que  le  droit  à  la  vie,  à  la 
liberté,  au  bonheur.  C'est  sur  l'article  133  de  l'Acte  de 
l'Amérique  britannique  du  Nord  que  M.  Hawkes  appuie 
son  principal  argument  en  faveur  de  l'enseignement  du 
français  dans  chacune  des  provinces  canadiennes.  L'usage 


l'action  fraxçaise  465 

de  deux  langues,  la  française  et  l'anglaise,  est  officiel  au 
parlement  fédéral.  Comment  le  député  peut-il  remplir 
tout  son  devoir  s'il  ne  comprend  pas  tout  ce  qui  se  dit  et 
se  fait  au  parlement  central  ?  It  is  impossible  to  root  bi-lin- 
gualism  ont  of  Ontario  until  the  Parliament  oj  Canada  is 
overturned.  Le  bilinguisme  admis  par  la  Chambre  des  Com- 
munes, le  Sénat,  les  différents  ministères  et  les  tribunaux 
fédéraux,  présuppose  le  bilinguisme  dans  les  provinces.  M. 
Hawkes  conclut  que  la  langue  française  possède  un  status 
légal  aussi  bien  dans  l'Ontario  que  dans  le  Québec.  Répé- 
tons ce  témoignage.  Qu'il  porte  avec  lui  la  conviction.  Et 
que  M.  Hawkes  soit  remercié  de  l'avoir  exprimé.  Sa  lar- 
geur de  vue  dans  l'analyse  de  notre  politique  et  son  courage 
à  dénoncer  ses  vices,  sa  générosité  à  prêcher  l'entente  et  sa 
clairvoyance  à  signaler  ses  moyens  de  succès,  placent  M. 
Hawkes  au  rang  des  Canadiens  soucieux  de  la  dignité  de 
leur  pays  et  de  sa  grandeur. 


Harmony  in  diversity,  imity  in  diversity,  English- 
French  marriage  and  national  ma/?/îooc?,recommandent  tour 
à  tour  MM.  Moore,  Morley  et  Hawkes.  Ces  mots  d'ordre 
sont  chargés  du  même  sens.  La  Confédération  peut  aider 
à  la  formation  d'une  nation  puissante  au  Xord  de  l'Améri- 
que. On  n'y  parviendra  point  en  s'écartant  de  l'esprit  qui 
dicta  le  pacte  de  1867.  Il  a  uni  deux  peuples,  le  français  et 
l'anglais.  Respectons  cette  convention  en  entier.  ]Mais, 
dit-on,  la  minorité  disparaîtra  tôt  ou  tard.  Il  se  peut. 
Est-ce  une  raison  d'a<?célérer  ce  mouvement  de  fusion  ? 
^OI.  ^Nloore,  ^Nlorlej'  et  Hawkes,  qui  ne  désirent  nullement 
cette  homogénéité,  montrent  leur  sagesse  en  laissant  aux 
événements  leur  cours.     Il  ne  faut  point  violenter  les  lois 


466  l'action  française 

de  l'histoire.  Les  Canadiens  français  constituent  une  race; 
leur  valeur  n'est  point  chose  négligeable.  Ces  trois  Anglo- 
Canadiens  A^eulent  donc  pour  notre  peuple  le  droit  reconnu 
de  se  développer  dans  le  sens  de  ses  traditions,  de  conserver 
sa  langue  aussi  bien  que  sa  religion.  Que  le  Canada  con- 
tinue donc  de  tirer  de  la  variété  des  éléments  qui  le  compo- 
sent son  originalité  et  sa  force. 

A  la  lecture  de  ces  trois  livres,  les  Canadiens  anglais 
réformeront  leurs  jugements;  les  éclaireurs,  qui  dans  le 
Québec,  l'Ontario  ou  le  jManitoba,  dirigent  la  résistance, 
redoubleront  d'efforts;  les  autres,  que  leurs  besognes  détour- 
naient des  hauts  problèmes  et  qui  voyaient,  dans  la  lutte 
contre  les  persécuteurs  du  français,  futilité  et  tapage  inutile, 
voudront  reprendre  le  temps  perdu.  Comment  ne  pas 
comprendre,  en  écoutant  ces  trois  Anglo-Canadiens,  que  ces 
attaques  redoublées  de  la  majorité  visent  la  disparition  de 
notre  race?  La  lecture  de  ces  trois  livres  amène  à  leurs 
auteurs  un  merci  et  aux  Canadiens  français  un  appel  à  la 
lutte. 

Antonio  Perrault. 


ERRATUM 

En  toute  justice  nous  devons  cette  rec- 
tification à  M.  l'abbé  Groulx  :  il  avait  écrit, 
p.  400  de  notre  dernière  livraison:  «Ils  (ces 
conseils)  nous  sont  commandés  par  une 
grande  espérance.  » — Le  prote  lui  a  fait  dire: 
«par  une  grande  expérience.»  —  La  nuance 
en  vaut  la  peine. 


A  UAUBE  D'UNE  VOCATION 


Des  épisodes  gracieux  entourent,  à  ses  premières  heures, 
la  vocation  de  Marguerite  Bourgeoys.  Il  s'en  dégage  un 
charme  prenant.  Il  semble  que  s'irise  devant  nous,  que 
brille  dans  sa  diaprure  chatoyante,  quelque  fin  vitrail  des 
siècles  de  foi.  Les  scènes  candides  baignent  dans  une  lu- 
mière joyeuse  et  crue. 

C'est  tout  d'abord  le  cadre  d'un  couvent,  à  Troj^es, 
cette  ancienne  capitale  de  la  Champagne.  Des  religieuses, 
jeunes,  riantes  et  vives,  sont  groupées  au  parloir  autour  de 
M.  de  Maisonneuve.  Au  milieu  d'elles  on  reconnaît,  à 
une  certaine  parité  de  traits,  la  sœur  du  fondateur  de  Mont- 
réal, Sœur  Louise  de  Sainte-Marie.  A  cet  instant,  de  mer- 
veilleux récits  d'outre-mer  sont  racontés.  L'on  écoute 
avidement.  Un  peu  de  rêve  voile  les  doux  yeux  des  nonnes. 
Le  désir  des  lointains  et  mystiques  voyages  traverse  leurs 
âmes.  Elles  frémissent.  La  cruauté  iroquoise,  les  tris- 
tesses, les  transes,  les  fatigues  que  l'on  souffre  là-bas,  leur 
font  entrevoir  la  possibilité  d'un  lent  martyre.  «  Qui  d'en- 
tre nous,  songent-elles,  refusera  cet  appel  à  la  vie  héroïque  ?  » 
Elles  écoutent.  .  .  Leurs  cœurs  brûlent  d'émoi.  .  .  La  voix 
du  narrateur  cesse  soudain.  Alors,  vibrantes,  harmonieuse- 
ment d'accord,  les  moniales  supplient  qu'on  les  conduise 
sur  la  terre  canadienne.  Paul  de  Chomedey  sourit.  Il 
hoche  la  tête.  Non,  il  ne  faut  pas  de  cloître  dans  la  colonie 
naissante  de  Ville-Marie.  Son  regard  se  fixe  sur  la  préfète 
de  la  Congrégation  des  externes,  Marguerite  Bourgeoys, 
présente  à  l'entretien.  «  Celle-ci,  fait-il  doucement,  en  dési- 
gnant laj  eune  femme,  me  suivra  bientôt  par-delà  les  mers.» 
Et  docile,  Marguerite  Bourgeoys  acquiesce  à  ses  paroles. 


468  l'action  française 

Une  onde  fine  d'envie  glisse  sur  les  ph^'sionomies  féminines 
<{  Oh  !  Sœur  Marguerite,  soupire -t-on,  vous  ne  deviez  vous 
rendre  qu'avec  nous  au  Canada.  »     Et  la  jeune  préfète 
subtile,  souriante  de  répartir   :  «  Ai-je  donc  promis,  mes 
sœurs,  si  vous  tardiez  trop,  de  ne  pas  y  aller  sans  vous  ?  » 

Sœur  Louise  de  Sainte-Marie  demeure  à  l'écart.  Elle 
est  grave  et  pensive.  «  Dieu,  se  dit-elle,  exauce  toujours 
nos  vœux,  mais,  hélas  !  c'est  en  toute  liberté  qu'il  le  fait 
Voilà  la  réponse  divine  à  notre  demande,  à  la  prière  gravée 
jadis  en  lettres  d'or  sur  l'image  de  la  Vierge.  Avec  quelle 
ferveur,  nous  avons  remis  ce  gage  d'espoir  entre  les  mains 
de  mon  frère  de  Chomede3^  Nous  ne  nous  lassions  pas 
de  murmurer   : 

Saitite  Mère  de  Dieu,  pure  vierge  au  cœur  loyal, 

Gardez-nous  une  place  en  votre  Montréal. 

Sœur  Louise  de  Sainte-Marie  détourne  ses  yeux  lim- 
pides, des  larmes  s'y  enchâssent. 

—  Quelques  mois  plus  tard,  le  Saint-Nicolas  a  fait 
voile.  Il  vogue  vers  la  pleine  mer.  Déjà,  Saint-Nazaire, 
le  port  d'où  l'on  s'est  embarqué,  n'est  plus,  à  l'horizon, 
qu'une  mince  ligne  noire,  telle  l'estompe  d'un  fusain  délicat. 
Marguerite  Bourgeoj's  appuie  sa  belle  tête  sereine  contre 
l'une  des  ouvertures  du  navire.  Avec  mélancolie,  elle  re- 
garde fuir  les  côtes  de  France.  Sa  main,  un  instant  immo- 
bile, plonge  à  demi  dans  des  dentelles  précieuses.  Autour 
d'elle,  la  brise  soulève  doucement  de  fines  pièces  de  lingerie. 
Ce  sont  là,  rassemblés,  des  objets  confiés  à  sa  garde  par 
Madame  de  Chuly,  la  sœur  de  M.  de  Maisonneuve.  L'ai- 
mable grande  dame  se  préoccupe  de  la  mise  de  son  îvho, 
même  dans  un  coin  perdu  de  la  Nouvelle-France.  La  jeune 
femme  tressaille  tout  à  coup.  Elle  a  un  geste  sauveur.  Une 
vague  énorme,  rapide,  venue  d'on  ne  sait  d'où,  entraîne 
d'assaut  ces  merveilles.     Ses  efforts  demeurent  vains.     La 


l'actiox  française  469 

vague,  victorieuse,  fuit  avec  son  riche  butin.  Déjà  très 
loin,  elle  écume,  satisfaite,  élevant  et  abaissant  tour  à  tour, 
ces   patients   chefs-d'œuvre   de  l'art   humain. 

^Marguerite  Bourgeoj's  serre  convulsivement  ses  mains 
^  mpuissantes.  Un  peu  d'angoisse  lui  vient  au  cœur.  Que 
va-t-on  dire  ?     Elle  se  raidit.     Il  lui  faut  sur  l'heure   révéler 

I  accident.  Elle  monte.  ]M.  de  ]\Iaisonneuve  est  demeuré 
Scul  à  l'avant  du  navire.  A  la  vue  de  la  jeune  fille,  un  peu 
d  étonnement.  de  l'inquiétude  se  lisent  dans  son  regard. 

II  s'approche.  Délicatement,  il  interroge  des  yeux.  ]Mais 
aux  premiers  mots  qu'il  entend,  le  voilà  rasséréné,  un  bon 
rire,  un  rire  frais  et  gai  le  secoue.  «  Voyons,  sœur  ]SIar- 
guerite,  fait-il,  les  choses  ne  sont-elles  pas  mieux 
ainsi  ?  Xous  voilà  tous  deux  débarrassés  du  soin  de  ces 
babioles  ». 

Qu'eussiez-vous  dit,  Madame  de  Chuly,  qu'eussiez- 
vous  dit  en  entendant  de  telles  paroles  ?  Sans  doute,  vous 
eussiez  tancé  l'irrévérencieux,  le  doux  gentilhomme  qu'é- 
tait ce  frère    que    vous    chérissiez  ! 

—  Au  Canada,  l'automne,  en  cette  année  1653,  déploie 
toute  sa  magnificence.  Québec  rutile.  Sur  son  roc  puis- 
sant, il  se  drape,  impérieux  et  superbe,  dans  la  pourpre  de 
ses  érables,  et  le  velours  sombre  de  ses  pins.  Il  apparaît, 
aux  yeux  de  Marguerite  Bourgeoys,  merveilleux  de  coloris, 
de  beauté  hautaine  et  dominatrice.  On  y  débarque.  Les 
humbles  maisons  de  bois  des  colons  se  détachent  miséra- 
blement, ici  et  là,  dans  le  décor  royal  de  la  nature.  «  Tout 
est  si  pauvre  que  cela  fait  pitié,  s'exclame  sœur  Marguerite». 
Elle  surmonte  l'impression  pénible  ciu'elle  en  ressent.  Sa 
vaillance  doit  demeurer  entière.  Chez  les  Ursulines,  où 
vient  la  rencontrer  Jeanne  ]\Iance,  où  elle  cause  avec  Marie 
de  l'Incarnation  et  Madeleine  de  la  Peltrie,  son  apaisant 


470  l'action  française 

et  clair  visage  lui  crée  des  amitiés.  Elle  refuse  cependant 
de  séjourner  dans  ce  milieu  d'ardente  spiritualité.  Sa  place 
est  marquée  ailleurs.  Elle  le  déclare.  M.  de  Maisonneuve 
lui  a» confié,  —  comme  jadis  à  Jeanne  Mance,  —  le  soin  de 
la  nouvelle  recrue  de  Ville-Marie.  Ses  mains  veilleront 
aux  provisions  des  soldats.  Marguerite  Bourgeoys  ira 
loger  dans  la  basse  ville,  au  magasin  de  la  Compagnie  de 
Montréal. 

Sous  ce  toit,  un  délicieux  spectacle  s'offre  bientôt  à 
nous.  C'est  l'heure  de  la  ration.  Marguerite  Bourgeoys, 
gracieuse  et  digne,  apparaît  à  la  porte  de  la  salle  d'armes. 
Elle  plie  légèrement  sous  le  fardeau  des  comestibles.  Les 
soldats  accourent.  Ils  s'empressent  autour  d'elle.  Ce 
sont  de  rudes  gaillards,  au  franc  parler,  aux  regards  hardis. 
Leurs  rires  cessent,  le  respect  raidit  les  attitudes,  dans  les 
yeux  toute  lueur  mauvaise  s'éteint.  L'on  vénère  cette 
jeune  femme  à  la  haute  conscience.  L'on  se  nourrit,  tout 
autant  que  du  pain  qu'elle  offre,  des  conseils  qui  tombent 
de  ses  lèvres,  étonnés  qu'à  suivre  ces  avis,  une  dou- 
ceur pénétre  les  cœurs.  Marguerite  Bourgeoys  s'émeut 
de  leur  estime,  et  plus  tard,  se  remémorant  ces  heures, 
elle  dira  :  «  Les  soldats  de  la  recrue  étaient  devenus  doux 
comme  de  vrais  religieux,  ce  qui  me  donnait  bien  de  la  joie 
d'aller  avec  eux  à  Ville-Marie.  Ces  cent  hommes  étaient 
changés  comme  le  linge  mis  à  la  lessive  ». 

A  cette  transformation,  si  pittoresquement  décrite, 
Marguerite  Bourgeoj^s  contribua  par  sa  grâce  miséricor- 
dieuse, et  le  rayonnement  de  son  âme  ardente  et  désinté- 
ressée. 

—  A  Ville-Marie,  quelquefois  encore  elle  devait  exercer, 
à  l'égard  de  ces  hommes,  sa  commisération.  Les 
historiens    nous    ont   conservé  un  trait    ravissant.     C'est 


l'action  française  471 

un  geste  de  pure  tradition.  Cette  jeune  femme  à  la 
générosité  spontanée,  demeure  de  la  lignée  des  saint  Martin 
de  Tours.  Écoutez.  Le  froid,  en  ce  premier  hiver  passé 
à  Ville-Marie,  se  montre  d'une  rigueur  excessive.  Mar- 
guerite Bourgeoys,  comme  les  autres  Français  du  reste, 
s'étonne  de  la  rudesse  sans  merci  du  climat.  Et,  seuls  l'en- 
chantent,  par  les  matins  ensoleillés,  les  paysages  de  neige, 
ces  fêtes  du  givre  où  tout  au  dehors  s'enveloppe  de  blan- 
cheur. Or,  un  jour  de  bise  très  âpre,  un  soldat  se  présente 
chez  M.  de  Maisonneuve.  Il  demande  Sœur  Marguerite. 
Il  sait,  on  le  lui  a  appris,  qu'elle  dirige  la  mai- 
son du  gouverneur  de  Montréal.  Marguerite  Bourgeoj's 
accourt  à  la  voix  bien  connue  du  militaire.  Elle  le  trouve 
tout  bleui  par  le  froid,  et  les  yeux  si  tristes  !.  .  .  Elle  écoute 
ses  plaintes,  le  récit  de  ses  tortures  en  ces  nuits  d'hiver, 
((  alors  qu'il  n'a  pas,  dit -il,  sur  quoi  se  coucher  ».  Mar- 
guerite Bourgeoys  rayonne  à  ces  derniers  mots.  Elle  le 
quitte,  revient  presque  aussitôt,  tramant  après  elle,  toute 
rose  de  l'effort,  un  matelas,  le  sien  !  Ce  qu'elle  se  garde 
bien  de  dire.  Le  soldat  ne  peut  croire  à  sa  bonne  fortune, 
et  s'empresse  à  son  retour  au  camp,  de  raconter  l'incident 
à  trois  de  ses  camarades.  Voici, qu'à  leur  tour,eux  aussi  vien- 
nent implorer  la  pitié  de  Sœur  Marguerite.  L'un  reçoit 
sa  paillasse,  les  deux  autres  ses  couvertures.  ^Marguerite 
Bourgeoys  en  demeure  toute  réjouie,se  voyant  dans  l'obliga- 
tion, à  l'insu  de  tous,  de  coucher  sur  la  dure.  Elle  a,  à  cet 
instant,  l'un  de  ces  mots  délicieux  que  trouvent  les  saints: 
«  Hélas  !  dit-elle,  personne  ne  se  présenta  pour  l'oreiller  !  » 

L'on  ne  saurait  clore  la  série  de  ces  petits  tableaux 
sans  y  joindre  une  scène  dernière.  Elle  se  présente,  il  est 
vrai,  beaucoup  plus  tard,  à  une  époque  où  la  vocation  de 
Marguerite  Bourgeoys  s'est  nettement  afBii-mée.  Qu'im- 
porte !     Ce  petit  fait  gUssé  par  l'historien,  tel  un  sourire 


472  l'action  française 

discret,  entre  deux  pages  sévères,  a  le  charme  aimable  de 
jadis.     Il  s'encadre  bien  ici. 

Nous  sommes  en  1670.  M.  de  Maisonneuve,  relevé 
de  ses  fonctions  de  gouverneur  de  Montréal,  habite  Paris 
avec  .son  serviteur  Louis  Frin.  Quoi  que  fasse  Paul 
de  Chomedey,  sa  pensée  revient,  incessante  et  fidèle,  vers 
ses  héroïques  compagnons  de  Ville-Marie.  Et  dans  l'es- 
poir de  leur  offrir  parfois  l'hospitalité,  il  tient  à  leur  disposi- 
tion une  chambre  garnie  «  à  la  façon  du  Canada  »,  dit-il. 
Et  qui  donc,  croyez-vous,  habitera  tout  d'abord  ce  domaine 
du  souvenir  ?  Marguerite  Bourgeoys  et  l'une  de  ses  com- 
pagnes, toutes  deux  venues  à  Paris  dans  des  circonstances 
décisives  pour  leur  Institut.  M.  de  Maisonneuve  qui  vient 
lui-même  ouvrir  la  porte  aux  voyageuses,  —  son  serviteur 
étant  absent,  —  se  montre  ravi  de  la  coïncidence.  Il  est 
en  même  temps  touché  des  démarches  tentées  par  les  reli- 
gieuses pour  découvrir  sa  retraite  à  Paris.  La  délicate 
amitié  de  Marguerite  Bourgeoys  avait  ses  exigences. 

Paul  de  Chomedey,  dans  la  joie  de  recevoir  de  tels 
hôtes,  fait  des  largesses.  Il  dépose  sur  la  table  dressée 
pour  le  repas,  une  bouteille  de  vin  qu'il  est  allé  lui-même 
se  procurer.  Ainsi  que  le  remarque  spirituellement  l'abbé 
Faillon,  «  ce  bon  gentilhomme  avait  un  serviteur  qu'il  ser- 
vait beaucoup  plus  qu'il  n'en  était  servi». 

Et  ce  soir-là,  la  fête  du  cœur  fut  complète  pour  ces 
âmes  qu'unissait  une  affection  bien  au-dessus  des  contin- 
gences mesquines  et  des  brisures  du  temps. 

Il  semble  bon  parfois,  de  revoir  nos  héros  dans  cette 
atmosphère  d'intime  simplicité;  de  substituer,  à  l'attitude 
hiératique  où  les  fixe,  immuables,  notre  vision,  ces  mouve- 
ments de  douceur,  de  tendresse  et  de  grâce. 

Marie-Claire  Daveluy. 
18    octobre    1919. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Les  De  revoir   une   ville,  après   plusieurs   années 

TTOis-Rivièl  êS  deloignement,  porte  l'esprit  à  établir  une  com- 
paraison entre  son  état  actuel  et  celui  d'autrefois. 
A-tr-elle  progressé  ou  reculé  ?  Ou  encore,  est-eUe  demeurée  immobile  ? 
Tel  fut  récemment  mon  cas.  Une  bonne  fortune  me  conduisit, 
vers  la  fin  de  septembre,  aux  Trois-Rivières,  où  j'étais  demeuré  quelques 
jours,  il  y  a  environ  xdngt-cinq  ans.  On  m'avait  dit  alors  que  la  cité 
fondée  par  La\àolette  datait  de  1634,  qu'elle  avait  été  établie  après 
Québec,  mais  avant  Montréal,  qu'elle  était  donc  très  ancienne.  Et 
c'est  l'impression  qu'en  rapporta  mon  cerveau  d'enfant  :  petite  ville 
charmante,  mais  d'un  autre  âge,  conservant  pieusement  sa  physionomie 
d'autrefois,  et  se  gardant  des  innovations  modernes. 

Ufie  Ville  Je  m'attendais  à  la  retrouver  ainsi  l'autre  jour. 

ÙTO^T€SSive  ^^  même,  suivant  la  loi  de  la  \'ie,  plus  ridée  encore, 
plus  vieilKe,  plus  antique.  Instinctivement  je 
pensais,  en  m'y  rendant,  à  ces  villes  de  province  qu'on  rencontre  en 
France,  aux  rues  étroites,  pleines  d'ombre  et  de  paix,  à  l'allure  familiale 
et  im  peu  endormie,  et  qui  reposent  des  bruits  de  la  capitale. 

Le  train  stoppe.  Des  groupes  bruyants  animent  le  quai  de  la  gare, 
cependant  que  les  cornes  des  automobiles  luttent  avec  les  appels  du 
tramway .  . .  Vraiment  !  Sommes-nous  bien  aux  Trois-Rivières  ? 
La  réflexion  m'a  échappé.  Mais  il  n'y  a  pas  à  en  douter.  Un  ami  est 
là  qui  m'entraîne  dans  sa  machine.  Et  nous  filons  bon  train.  Une 
course  à  travers  la  rue  Des  Forges  m'a  Aâte  fixé.  La  v-ille  des  Trois- 
Rivières  —  et  je  devais  le  constater  encore  mieux  les  jours  suivants  — 
a  secoué  sa  léthargie  d'autrefois.  C'est  maintenant  une  cité  prospère 
et  qui  se  développe  rapidement. 

Fidélité  Mais  on  conçoit  qu'une  pensée  s'empara  aussitôt 

ÛUX  OTÎëÎHêS      ^®  '^^'^  esprit.     Ce  développement,  dans  quel  sens 
s'est-il  opéré?     Le  deuxième  poste  français  établi 
au  Canada  a-t-il,  en  se  transformant,  renié  ses  origines?     S'est-il  angli- 
cisé peu  à  peu,  comme  Montréal  et  Québec  ? 

Je  veux  en  avoir  le  cœur  net.  Aussi  durant  les  quelques  jours  vécus 
au-x  Trois-Rivières,  j'ou\Te  les  j-eux,  je  tends  l'oreille,  je  cherche  à  dé- 


474  l'actiox  française 

couvrir,  derrière  les  physionomies  des  hommes  et  des  choses,  au  fond  des 
conversations,  quelle  âme  palpite,  quel  idéal  commun  anime  cette  collec- 
tivité. Je  puis  me  tromper.  Ces  enquêtes  menées  hâtivement,en  marge 
d'une  autre  besogne  absorbante,  entre  deux  séances  de  travail,  par  des 
observations  prises  à  la  volée,  sont  parfois  décevantes.  Il  me  semble 
bien  toutefois  avoir  vu  juste,  et  que  le  vieux  fond  français,  l'héritage  de 
traditions  légué  par  nos  pères,  s'est  conservé  aux  Trois-Rivières  presque 
intact,  résistant  victorieusement  à  l'emprise  saxonne. 

U élite  Sur  quoi  repose  cette  impression?     Sur  les  hommes  et 

SOCîGle  ^^^  choses.  Les  hommes  d'abord.  Que  quelques  Triflu- 
viens  ou  Trifluviennes  soient  piqués  de  snobisme,  je  n'ose- 
rais pas  le  nier  —  quelle  ville,  si  française  soit-elle,  peut  se  dire  exempte 
de  ce  mal?  —  mais  la  majeure  partie  de  la  population  me  paraît  avoir 
conservé  ces  vieilles  vertus  françaises  qui  meurent  si  vite  dans  nos 
grandes  villes  :  distinction  naturelle,  politesse  prévenante,  simplicité 
cordiale  et  gaie.  L'éhte  sociale  :  membres  du  clergé  et  des  professions 
libérales,  n'y  mène  pas,  certes,  une  \'ie  oisive,  mais  ce  n'est  pas  non  plus 
une  vie  affairée,  nerveuse,  trépidante.  On  trouve  le  temps  de  s'asseoir 
dans  le  courant  de  la  journée,  de  caxiser  familièrement  et  d'autre  chose 
que  du  cours  de  la  bourse,  du  prix  des  denrées  et  de  la  vente  des  immeu- 
bles. On  parle  Uttcrature,  art,  rehgion,  questions  sociales.  On  est 
resté  français,  quoi  ! 

J'entre  dans  l'étude  d'un  avocat.  Ce  n'est  pas  l'austérité  froide 
de  nos  bureaux  montréalais  où,  juchés  derrière  un  comptoir  qui  se 
dresse  comme  une  haute  barrière,  clavigraphistes  et  comptables  vous 
dévisagent  de  la  tête  aux  pieds  avant  de  décider  si  vous  méritez  d'être 
introduits  auprès  du  maître.  .  .  Ici  l'avocat  lui-même  m'ouvre  la 
porte,  m'installe  dans  son  bureau,  et  nous  causons  de  souvenirs  d'antan, 
cependant  que  son  jeune  fils  saute  gaiement  sur  ses  genoux.  Chez  un 
confrère  voisin,  même  cordial  accueil;  j'y  reçois,  en  outre,  les  bonnes 
feuilles  d'un  ouvrage  professionnel  que  celui-ci  vient  d'écrire,  en  bon 
français. 

A.  tïQVeïS  Et  maintenant  les  choses.     J'entends  par  là  les  rues 

les  TUeS         ^^  ^^^  magasins,  les  affiches,  les  tramways,  tout  ce  qui  - 

constitue  la  physionomie  d'une  ville  et  lui  donne  trop 

souvent,  chez  nous,  un  aspect  anglais.     En  cette  matière,  je  voudrais 

distinguer  :  aux  Trois-Rivières  ce  qui  relève  des  citoyens  est  presque 


l'action  française  475 

toujours  français,  ce  qui  relève  des  étrangers  est  presque  toujours 
anglais.  On  ne  rencontre  pas  comme  à  Montréal  —  ou  du  moins  très 
rarement  —  des  boutiques  aux  noms  français  que  décorent  des  affiches 
anglaises.  J'y  ai  vu,  et  même  savouré,  pour  la  première  fois,  des  eaux 
gazeuses,  (marque  Rousseau),  portant  des  étiquettes  françaises,  telles 
que  soda  à  la  crème  —  ce  qui  ne  les  empêche  pas  d'être  excellentes  — . 
Sur  cinq  maisons  trifluviennes,  dont  les  annonces  couvraient  la  paroi 
droite  d'un  tramway,  quatre  se  servaient  du  français,  et  une  du  français 
et  de  l'anglais.  Voilà  des  faits,  des  détails  si  l'on  veut,  mais  qui  ont  leur 
importance,  qui  sont  révélateurs  d'un  état  d'âme  et  me  paraissent 
fournir  les  éléments  d'un  jugement  ferme. 

Par  contre,  l'élément  étranger,  là  comme  ailleurs,  semble  ignorer 
la  langue  de  la  population.  Ainsi  à  côté  des  cinq  armonces  dont  je 
viens  de  parler,  il  s'en  trouvait  sept  autres  au  compte  d'industriels  ou  de 
marchands  n'habitant  pas  les  Trois-Rivières.  Une  seule  était  rédigée 
en  français,  les  autres  uniquement  en  anglais.  Ce  sont  les  mêmes 
qu'on  rencontre  dans  nos  tramways  de  Montréal,  et  il  est  bien 
probable  que  les  braves  gens  qui  les  paient  ne  savent  pas  que  leur  argent 
est  ainsi  dépensé  presque  en  pure  perte,  qu'il  pourrait  du  moins,  si 
l'aimonce  s'adressait  à  la  population  dans  sa  langue,  rapporter  beaucoup 
plus.  Pourquoi  quelque  Trifluvien  n'écrirait-il  pas  à  l'un  ou  l'autre  de 
ces  gros  annonceurs  pour  leur  signaler  l'évidente  maladresse  de  leurs 
agents  de  pubUcité  ? 

CoMpG^nicS  Ce  n'est  pas  la  seule  faute  d'ailleurs  qu'on  relève 

ètT(lH'^èï€S  dans  les  tramways.  Si  les  avis,  à  l'intérieur  des 
voitiues,  sont  bilingues,  il  n'en  est  pas  ainsi  des 
affiches  qui  indiquent,  à  l'extérieur,  la  route  à  parcourir.  A  moins  que 
le  mot  ne  soit  nécessairement  biUngue,  comme  Cap  et  spécial,  vous  vous 
trouvez  en  face  d'un  Belt  Line  qui  trône  seul  dans  toute  sa  morgue  d'en- 
vahisseur. Unilingu&s  aussi,  sur  leiu  face  principale,  les  reçus  que  vous 
remet  le  percepteur;  xmilingues  encore  les  casquettes  des  employés  oii 
vous  Usez  :  Three  Rivers,  Traction  No.  .  .  On  dit  que  les  Allemands 
dans  Bruxelles  envahie  affectionnaient  ainsi  de  décorer  les  fonctionnaires 
d'inscriptions  dont  la  langue  devait  rappeler  aux  habitants  la  domina- 
tion germanique .  .  .  Quand  on  ne  peut  pas  se  rendre  maître  des  cœurs, 
dame  !  il  reste  les  casques  et  les  placards  ! 

Même  ignorance  de  notre  langue  pour  de  larges  annonces  étrangères 
qui  couvrent  les  clôtures,  au  cinéma  dont  les  affiches  révèlent  l'origine 


I 


476  l'aCIICN    IFiiKÇAISE 

américaine,  dans  des  pharmacies  où  s'étalent  des  produits  venant  auss' 
des  États-Unis  :       Lister' s  Fumigator,     Zo  adhesive  Plaster,  etc.,  etc 

COYltïQStC  Des   démarches  énergiques  ne  pourraient-elles   pas. 

TévélûtCUy       ramener  à  la  raison  ces  compagnies  ?     Je  le  crois.   Mais 
quoi  qu'il  en  soit,  leur  attitude  contribue  à  mettre  en 
relief  la  conduite  tout    opposée  des  \Tais  Trifluviens,  en  particulier,  dans 
le  commerce  et  l'industrie. 

Et  de  cela  il  faut  féliciter  ceux-ci.  Quand  bien  même  quel- 
ques-uns, cachés  sous  une  raison  sociale  anglaise,  auraient  échappé  à  mes 
rapides  investigations,  il  me  paraît  évident  que  la  majorité  d'entre  eux 
a  résisté,  mieux  que  les  Montréalais  et  les  Québécois,  à  l'engouement 
anglo-saxon,  et  est  demeuré  inébranlableinent  fidèle  à  sa  langue. 

PqTYÏII  les  Cette  fidéhté,  un  incident  imprévu  est  venu  soudain 
OUVïiCTS  ™®  permettre  d'en  mesurer  toute  la  profondeur  au  sein 
du  peuple,  en  même  temps  qu'il  confirmait  mes  con- 
clusions. C'était  durant  le  banquet  donné  par  les  Sœurs  de  la  Pro- 
vidence, aux  membres  des  unions  ou\Tières  cathoHques  réunis  en  con- 
grès. Sur  l'estrade,  dans  la  grande  saUe  des  séances  de  l'Hôpital  Saint- 
Joseph  où  les  congressistes  avaient  pris  place,  un  groupe  de  jeunes 
orpheUnes  égayaient  le  repas  de  leurs  joj'eux  refrains.  Tout  à  coup, 
un  chant  vibrant  retentit.  Les  mots,  vm  peu  indistincts  dès  le  début, 
devinrent  \-ite  clairs.  A  mesure  qu'ils  en  comprenaient  le  sens,  les 
convives  émus,  cessaient  de  manger,  pris  tout  entier  par  l'attrait 
irrésistible  de  ces  vers  bien  rythmés  dont  les  fières  paroles  remuaient 
leurs  âmes.  Quand  éclata  le  refrain  : 

Ils  ne  Vauront  jamais,  jamais, 

L'âme  de  la  Nouvelle- France! 

Redisons  ce  cri  de  vaillance  : 

Ils  ne  l'auront  jamais,  jamais  ! 
ce  fut  dans  la  salle  une  longue  acclamation.     D'elle-même,  spontané- 
ment, la  classe  ouvrière  manifestait  de  façon  vibrante  son  attachement 
profond  à  la  langue  et  aux  traditions  des  aïeux. 

Et  je  suis  revenu  des  Trois-Rivières,  emportant  cette  fois  l'impres- 
sion d'une  ville  hautement  progressive,  et  qui  sait  quand  même  rester  7 
française.     Gloire  à  elle  !    et  puisse  son  patriotisme  être  imité  ! 

Pierre  Homier. 
15  octobre  1919. 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 


«  Noblesse  oblige  »  —  Comme  nos  lecteurs  ont  pu  l'apprendre  par 
la  voix  des  quotidiens,  la  série  des  conférences  de  l'Action  française  pour 
la  saison  1919-20,  qui  porte  en  titre  général  :  «Noblesse  oblige  »,  aura 
tout  le  brillant  qu'on  prévoyait  :  six  orateurs  des  plus  estimés  ont  bien 
voulu  nous  prêter  leur  concours  et  tout  fait  augurer  un  succès  égal  à 
celui  de  l'an  dernier.  Les  conférences  seront  données  tous  les  deuxièmes 
jeudis  de  chaque  mois,  à  partir  de  novembre,  dans  la  salle  de  la  bibliothè- 
que Saint-Sulpice,  réputée  poiu-  son  spacieux  aménagement  et  son  excel- 
lente résonnance.  La  première  conférence  aura  donc  lieu  le  13  novem- 
bre; elle  sera  sous  la  présidence  de  M.  Athanase  David,  secrétaire  pro- 
vincial. L'orateur,  dont  il  serait  oiseux  de  faire  l'éloge,  sera  Sa  Gran- 
deur ^Monseigneur  Georges  Gauthier,  évêque  auxihaire  de  Montréal, 
recteur  de  l'Université  de  Montréal;  il  traitera  un  sujet  d'une  haute 
actualité  :  «  La  mission  de  l'Université.»  Cette  conférence  marquera 
pour  ainsi  dire  l'ouvertiu-e  de  la  campagne  en  faveur  de  notre  université 
montréalaise.  M.  l'abbé  Philippe  Perrier,  curé  du  Saint-Enfant 
Jésus,  directeur  de  la  Ligue  des  Droits  du  français,  présentera  le  confé- 
rencier à  cette  soirée  d'ouverture. 

Les  autres  conférenciers  seront  les  su'vants  :  ils  parleront  aux  dates 
mentionnées  sur  des  sujets  qui  seront  annoncés  en  temps  opportun  : 

M.  Edouard  Montpetit,  le  jeudi  11  décembre  1919; 

Le  R.  P.  Louis  Lalande,  le  jeudi  8  janvier  1920; 

M.  Antonio  Perrault,  le  jeudi  12  fé\Tier; 

M.  l'abbé  Ohvier  Maurault,  le  jeudi  11  mars; 

M.  Guy  Vanier,  le  jeudi  8  avril. 

Les  cartes  d'abonnement  mises  en  vente  le  20  octobre  se  sont  enle- 
vées rapidement;  il  en  reste  encore  un  certain  nombre  qu'on  pourra 
se  procurer  à  l'Action  française,  bureau  32,  Immeuble  la  Sauvegarde, 
au  Devoir,  43,  rue  Saint-Vincent  et  autres  endi'oits  dont  la  hste  sera 
pubUée  dans  les  jom'naux  de  Montréal.  Cette  année,  nos  amis  sont 
priés  d'en  prendre  note,  tous  les  sièges  sont  réservés  et  tous  les  billets, 
cela  va  de  soi,  numérotés,  afin  d'éviter  tout  ennui;  les  séries  se  vendent 
S3,   $2.50  et  $2. 

Après  le  magnifique  résultat  de  la  première  série  de  1918-19,  et 
grâce  surtout  à  la  réputation  des  conférenciers  dont  nous  venons  de 
donner  les  noms,  l'Action  française  compte  sur  un  nouveau  et  grand 
succès.  A  cette  propagande  par  la  parole,  elle  ajoutera  la  propagande 
par  le  livre,  en  publiant  la  plupart  des  conférences,  sinon  toutes,  qui 
,  seront  prononcées  à  Saint-Sulpice.  De  cette  façon,  nos  amis  de  l'ex- 
térieur ne  perdront  rien  de  la  bonne  semence.    Nous  reviendrons  du 


478  l'action  française 

reste  sur  ce  sujet.  En-  attendant,  nous  réitérons  notre  invitation  à 
tous  ceux  qui  pourront  assister  aux  conférences  de  1919-20,  de  bien 
vouloir  différer  le  moins  possible  l'achat  de  leurs  cartes  d'abonnement. 

h'Almanach  —  Nous  tiendrons  parole.  A  la  date  fixée,  le  1er  no- 
vembre, notre  Almanach  de  la  Langue  française  sera  mis  en  vente  par- 
tout à  travers  le  pays.  Son  tirage  qui, de  25,000  en  1919,  passe  à  40,000 
cette  année,  en  prouve  la  popularité  et  l'utilité.  Le  sommaire,  dont 
nous  ne  pouvons  donner  qu'un  faible  aperçu,  témoigne  de  la  valeur 
de  plus  en  plus  appréciée  de  la  publication.  L' Almanach  de  la  Langue 
française  de  1920,  tout  inédit,  contiendra  des  articles  de  MM.  les  abbés 
Cyrille  Gagnon,  Ph.  Perrier,  Edmond  Lacroix,  de  MM.  C.-J.  Magnan, 
Victor  Morin,  Louis  Dupire,  Emile  Miller,  Jean  Beauchemin,  Pierre 
Homier,  Léon  Lorrain,  et  autres;  des  poésies  de  Mlle  Blanche  Lamon- 
tagne  et  de  MM.  Lozeau  et  Ferland;  trois  contes  canadiens  de  Mlle  Ma- 
rie Claire  Daveluj^,  de  MM.  l'abbé  Lionel  Groulx  et  Jacques  Hertel;  deux 
chansons  du  terroir  avec  musique  :  «  C'est  la  belle  Françoise  »  et  «  Moi, 
je  suis  fou  de  mon  pays  ».  Au  calendrier  très  complet,  ont  été  ajoutés 
une  foule  de  renseignements ,1a  plupart  introuvables  dans  les  publica- 
tions similaires  :  les  évangiles  du  mois,  les  saints  patrons  du  travail, 
les  dictons  populaires,  des  grains  de  sagesse,  etc.  Pour  la  ménagère, 
ont  été  insérées  des  recettes  culinaires  et  des  renseignements  pratiques, 
en  plus  d'un  vocabulaire  de  deux  ou  trois  pages  sur  les  termes  de  cui- 
sine. 

Enfin  l'illustration  a  été  particulièrement  soignée  :  la  plupart  des 
articles  et  tous  les  contes  sont  ornés  de  dessins  inédits,  auxquels  s'ajou- 
te toute  une  série  de  petites  caricatures  intitulées  «  Maux  à  guérir  »  et 
destinées  à  secouer,  sous  ime  forme  gaie,  l'apathie  partout  où  elle  se  ren- 
contre. Bref,  nous  avons  voulu  «  faire  de  mieux  en  mieux  » ,  comme  le 
disaient  nos  circulaires,  et  nous  croyons  avoir  quelque  peu  réussi. 

Rappelons  que  V Almanach  de  la  Langue  française  de  1920  inaugiu^e  sa 
cinquième  année.     De  plus  en  plus  connu,  il  est  déjà,  pour  nous  servir 
d'un  terme  du  commerce,  «  un  article  fort  en  demande  ».     C'est  dire 
que  pour  éviter  les  désappointements  de  l'an  dernier,alors  que  les  25,000  ^ 
exemplaires  furent  écoulés  en  quinze  jours,  nos  amis  feraient  bien  de 
nous  faire  tenir  leurs  commandes  sans  retard.     En  dépit  de  l'augmen-  . 
tation  du  coût  de  l'impression,  TAhuanach  reste  à  20  sous  l'exemplaire  .. 
(23  sous  franco).     Des  prix  très  avantageux  sont  consentis  aux  propa- 
gandistes comme  suit   : 

De  50  à  99  exemplaires,  16  sous;  de  100  à  499  exemplaires,  15  sous;  ^ 
de  500  il    999  exemplaires,  14  sous;  pour    1000  exemplaires    et    plus, 
12  sous  }/2   (  Port  en  plus  dans  tous  les  cas) . 


l'action  française  479 

Comme  toujours,  les  propagandistes  peuvent  grouper  autant  de 
commandes  qu'ils  le  veulent  et  bénéficier  des  réductions  accordées  au 
chiffre  global  de  leurs  commandes.  Xoas  faisons  quand  même  les  expé- 
ditions aux  adresses  individuelles,  siu"  simple  indication  de  leur  part. 
Ainsi,  dans  une  même  région,  sept  ou  huit  personnes  peuvent  s'associer, 
constituer  une  commande  d'un  millier  et  bénéficier  du  prix  de  $125.00; 
chacune  recevra  chez  elle  les  cent  ou  cent  cinquante  exemplaires  qui 
lui  reviendront. 

Xous  ne  ferons  cependant  qu'une  seule  facture  :  à  celui  qui  enverra 
la  commande. 

Conférences  à  Ottawa  —  En  même  temps  que  nous  inaugurons  à 
Montréal  nos  conférences  «  Noblesse  oblige  »,  vme  autre  série  portant 
sur  divers  sujets  est  organisée  par  l'Institut  Canadien  français,à  Otta- 
wa, sous  le  patronage  de  V Action  française.  Ces  séances  marqueront 
un  premier  et  un  grand  pas  dans  la  voie  de  l'action  par  la  parole  à  la- 
quelle nous  entendons  nous  dévouer  pour  faire  connaître  et  étendre 
notre  œu\Te  à  l'extérieur.  Xous  nous  étions  mis  à  la  disposition  de 
nos  amis  :  l'Institut  Canadien  français  est  venu  frapper  à  notre  porte 
et  c'est  avec  grand  plaisir,  inutile  de  le  dire,  que  nous  lui  avons  prêté 
notre  modeste  collaboration.  MM.  Emile  MUler,  secrétaire  adjoint 
de  la  Société  Saint-Jean-Baptiste  et  professeur  de  Géographie  cana- 
dienne à  l'Université  de  ^Montréal,  parlera  de  «  l'histoire  et  de  la  géogra- 
phie canadienne  »,  en  novembre;  M.  Jean  Désy,  diplômé  de  l'école  des 
Sciences  poUtiques  de  Paris,  professeur  aux  Hautes  Études,  parlera, 
lui,  de  «  la  plus  Grande-Bretagne  »,en  décembre,  et  M.  Léon  Lorrain, 
notre  distingué  coUaborateiu-,  a  pris  pour  sujet  «  les  trois  anghcismes.  » 
Il  parlera  en  janvier. 

Et  de  ce  bon  grain  rien  ne  sera  perdu  :  ces  coaîérences  seront  comme 
celles  de  Montréal,  mises  en  brochiu-es. 

Voilà  le  bilan  de  la  vie  de  V Action  française  pour  octobre.  Ce 
n'est  pas  tout  :  nous  avons  en  plus  préparé  la  série  des  articles  de  notre 
revue  pour  1920.  Le  titre  général  «  Comment  servir  »  fait  déjà  con- 
naître tout  un  vaste  programme.  Dès  la  li^Taison  de  novembre,  nous 
serons  en  état  de  fournir  tous  les  détails  voulus.  Révélons  pour  l'ins- 
tant que  le  premier  article:  «jcomment  ser\-ir  »  le  mieux  son  pays  et  sa 
race,  quand  on  est  cultivât eiu",  sera  signé  par  M.  J.-Edouard  Caron, 
ministre  de  r^4griculture  de  la  province  de  Québec,  et  que  Mgr  L.-A. 
Paquet  clora  la  série  ave'*,  le  «  comment  servir  »  du  prêtre. 

Intérim. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


UN  TEMOIGNAGE  ANGLAIS 


L' Industrial  Canada  a  reproduit,  dàiis  sa  livraison  d'août  1919, 
page,  51,  un  extrait  du  London  Times  Trade  Supplément,  dont  voici  la 
majeure  partie  : 

The  inteUigently  directed  organization  and  enterprise  which  are 
being  employed  by  Canadian  maniifacturers  and  merchants  in  their 
endeavors  to  secure  a  full  share  of  the  markets  of  the  world  for  the 
Dominion,  will  undoubtedly  produce  remarkable  results  in 
the  near  future ...  At  the  Lyons  Fair  this  year  most  of  the 
Canadian  exhibitors  displayed  explanatory  literattu-e,  printed  in 
several  Eiu-opean  languages.  Fiu-thermore,  offices  and  showTooms  are 
being  opened  in  both  Paris  and  Brussels  by  the  Export  Association  of 
Canada.  Canadian  trade  commissioners  hâve  been  estabhshed  in 
most  of  the  important  coimtries  of  the  world  for  some  years  past. 
They  are  "hve"  men,  and  their  work  has  imdoubtedly  been  very 
valuable  to  Canadian  exporters.  The  Canadian  Trade  Mission  in 
London  is  also  rendering  good  service  in  the  development  of  Canada's 
export  trade.  AU  this  shows  that  Canada  is  becoming  more  and  more 
important  as  a  manufacturing  State.  Although  the  population  of 
the  Dominion  is  still  under  9,000,000,  and  its  chief  industry  is  and  will 
long  remain  the  production  of  foodstuffs,  the  industrial  development  of 
the  countrj'  is  going  ahead  so  fast  that  Canada  must  soon  become  an 
active  competitor  in  many  of  the  world's  markets.  This  will  be  hasten- 
ed  in  one  way  which  was  perhaps  unforeseen  when  Impérial  Préférence 
was  first  proposed.  In  order  to  take  advantage  of  the  preferential 
treatment  of  British-made  goods  American  manufactiuers,  in  constant- 
ly  increasing  niunbers,  are  establishing  branch  factories  in  Canada. 
American  capital  is,  therefore,  being  employed  in  the  industrial  develop- 
ment of  the  Dominion  to  some  extent  at  the  expense  of  that  of  the 
United  States.  Whatever  poUtical  effect  this  extension  of  the  close 
lies  between  the  Dominion  and  the  Republic  may  hâve,  it  is  clearly 
highly  advantageous  to  Canada's  industrial  progress. 

One  remarkable  advantage  Canada  posscsses  for  attacking  the  Con- 
tinental  market  is  the  présence  of  two  and  a  half  millions  of  French-  .?^ 
speaking  people  in  the  Dominion.  This  mcans  that  there  is  scldom 
much  difïicult}'  about  seciuing  a  thoroughly  compétent  French-speaking 
représentative.  French  is  still  the  most  useful  language  over  a  large 
area  of  Europe. 

Fred  Willi.\ms. 


l'action  françjlisb 
novembre  1919 


SURVIVANCE 


C'était  l'heure  du  rêve  calme  et  du  mystère. 
L'air  était  im-prégné  des  parfums  de  la  terre, 
Et  le  soir  sentait  bon.     Au  fond  de  la  forêt 
La  nuit  silencieuse  et  vagabonde  errait.  .  . 
La  maison  paysanne,  à  la  blanche  fumée, 

Rêvait  dans  la   paix  parfumée. 
La  porte  était  ouverte,  et,  dans  l'ombre  endormi, 
A  mes  yeux  le  foyer  paraissait  à  demi. 
Mais  le  malheur  semblait  peser  sur  toute  chose. 
Le  seuil  était  sans  vie,  et  la  fenêtre  close 
Semblait  un  œil  éteint.     J'écoutai  :  par  moment, 
Les  êtres  du  foyei  se  parlaient  tristement ... 
La  table  murmurait  :     «  J'étais  jeune  naguère. 
Et  joyeuse  en  tout  temps.     Mais  cette  horrible  guerre 

Qui  prit  nos  fils  a  ravagé  nos  jours. 

Et  la  maison  est  triste  pour  toujours .  .  . 
Voici  l'été  venir;  en  vain  je  me  fais  belle. 
Et  riche  des  présents  que  la  saison  nouvelle 
M'apporte  sur  ses  bras  radieux  et  puissants; 
T'ai  toujours  devant  moi  le  vide  des  absents .  .  . 
Depuis  qu'ils  ont  sombré  dans  le  fracas  des  armes, 
Quils  sont  morts  dans  Vaffreux  tumulte  des  combats. 
Et  qu'ils  se  sont  couchés  dans  les  champs  de  là-bas. 

Mon  pain  a  l'acre  goût  des  larmes  !  » 
La  vieille  porte  dit  :  «  Qui  me  consolera 
De  ces  longs  jours  de  deuil  ?  Hélas  !  qui  me  rendra 

V'oi.  III.NoU 


482  l'action  française 

Les  joyeuses  chaîisons,  lentement  égrenées, 

Dans  V éveil  des  matins  et  la  fin  des  journées  f  » 

La  fenêtre,  à  son  tour,  dit  :     «  Que  sont  devenus 

Les  fours  de  gai  soleil  et  les  soirs  ingénus, 

Où  je  voyais  paraître,  au-dessus  des  collines. 

Leur  figure  joyeuse  aux  lèvres  cristallines  ? .  .  . 

Ils  ne  reviendront  plus,  au  sein  des  midis  clairs, 

Le  cœur  rempli  de  joie  et  Vœil  rempli  d'éclairs  ! .  .  .  » 

«  Je  ne  les  verrai  plus  hélas  !  reprit  la  lampe. 

Près  de  moi,  recevant  ma  chaleur  sur  leur  tempe.  .  . 

C'est  fini.     N^os  espoirs  d'avenir  sont  brisés  : 

Ils  ne  goûteront  plus  mes  tranquilles  baisers ...» 

Le  ber,  lui,  se  taisait,  car  que  pourrait-on  dire 

Quand  on  est  le  rayon  et  qu'on  est  le  sourire, 

Quand  on  sent  sa  puissance  intacte  respUnàir, 

Sa  sève  bouillonner  et  sa  force  grandir! .  .  . 

Le  ber,  lui,  se  taisait.     N'était-il  pas  la  vie  f 

N'était-il  pas  la  grande  force,  la  survie. 

Le  fier  rempart  d'amour,  où  déjà  se  brisait 

L'effort  des  ouragans  futurs  f .  .  .     Il  se  taisait. 

La  fenêtre  reprit  :     ((  Je  vois  un  champ  immense. 

Où  le  flot  des  jnoissons  sans  cesse  recommence; 

Les  matins  sont  brillajits  et  les  épis  soiit  beaux. 

Mais  là-bas,  nos  enfants  dorment  dans  leurs  tombeaux .  . 

Quels  bras  moissonneront  les  récoltes  prochaines? 

Quels  bûcherons  viendront  abattre  les  vieux  chênes, 

Et  faire  reculer  l'ombre  des  monts  lointains  ? .  . . 

Avenir  !     Inconnus  !     Mystérieux  destins  ! 

Que  réservez-vous  donc  à  cette  jeune  race 

Que  la  haine  a  brisée  et  que  le  deuil  terrasse  ? 

Le  peuple  de  Champlain  et  de  Louis  Hébert, 

Qui  donc  le  salivera  ?  »  —  «  C'est  moi  !  »  dit  le  vieux  ber 

Blanche  L.\montaone. 


Les  précurseurs 


JULES-PAUL   TARDIVEL 


IJ Action  française  devait  à  Tardivel  un  hommage  par- 
ticulier. Je  regrette  qu'elle  ne  lui  apporte  aujourd'hui  que 
ces  pages  hâtives,  giiffonnées  dans  le  brouhaha  de  la  besogne 
quotidienne;  j  espère  qu'elle  lui  offrira  bientôt  quelque  chose 
de  plus  digne  de  sa  mémoire,  quelque  chose  aussi  d'infini- 
ment plus  utile  au  public.  J'entends  par  là  une  œuvre  que 
tout  le  monde  accueillera  avec  plaisir,  dont  les  circonstances 
seules  ont  retardé  la  publication  :  le  recueil  des  articles  et 
des  conférences  que  Tardivel,  au  cours  de  ses  trente  années 
de  journalisme,  sut  inlassablement  consacrer  à  la  question 
du  français. 

Car  ce  fut  l'étonnante  destinée  de  ce  demi- Anglais,  né 
et  élevé  aux  États-Unis,  qui,  à  seize  ans,  ne  savait  pas  un 
mot  de  français,  d'être  dans  tous  les  domaines  l'irréductible 
champion  de  notre  langue.  Rappelez  vos  souvenirs  qu 
feuilletez  d'une  main  rapide  la  collection  de  son  journal, 
vous  serez  étonné  de  la  part  que  Tardivel  fit  toujours  à  la 
question  de  langue.  C'est  que,  dès  le  début,  il  en  avait 
compris  la  souveraine  importance. 

«  La  langue,  c'est  l'âme  d'une  nation,  disait-il  à  Qué- 
bec, dès  1879.  Si  les  Basques  ont  pu  conserver  si  longtemps 
intactes  leurs  antiques  institutions  au  miUeu  des  révolu- 
tions et  des  guerres  qui  ont  bouleversé  la  France  et  l'Espa- 
gne, si  les  Bretons  et  les  Gallois  sont  restés  distincts  des 
races  qui  les  entourent,  c'est  grâce  à  leur  langue.  Si  l'Ir- 
lande lutte  en  vain  pour  reconquérir  son  indépendance, 
c'est  qu'elle  ne  parle  plus  la  langue  de  ses  anciens  rois.  ^ 

^  On  sait  que  les  champions  actuels  de  l'indépendance  irlandaise 
sont  en  même  temps  les  plus  fermes,  les  plus  ardents  propagandistes  de 
la  vieille  langue  nationale.  Le  Dail  Eirann  conduit  toutes  ses  délibé- 
rations en  irlandais.  De  Valera  a  fait  en  faveur  de  la  renaissance  du 
gaélique  des  appels  vraiment  pathétiques.  Beaucoup  d'observateurs 
estiment  que  c'est  dans  l'étude  renouvelée  de  l'antique  langue  d'Ir- 
lande qu'il  faut  chercher  la  principale  cause  du  grand  mouvement  politi- 
(juc  d'aujourd'hui. 


484  l'action  française 

Voulez-vous  faire  disparaître  un  peuple,  détruisez  sa  langue. 
C'est  parce  qu'elles  comprennent  cette  vérité  que  la  Russie 
se  montre  si  inexorable  envers  la  langue  polonaise  et  que 
l'Allemagne  cherche  à  proscrire  la  langue  française  de 
l'Aisace-Lorraine.  Il  est  donc  important  pour  un  peuple, 
surtout  pour  un  peuple  conquis,  de  conserver  sa  langue  »  ^ 
Et  vingt-deux  ans  plus  tard,  le  débutant  de  1879,  éclairé, 
fortifié  par  l'expérience  d'un  quart  Ûj  siècle,  donnait  à  son 
cri  de  jeunesse  une  conclusion  plus  ferme  s'il  se  peut,  d'une 
portée  plus  lointaine  et  plu?  \aute  encore.  Il  liait  à  la 
question  nationale  la  question  religieuse,  il  enveloppait  d'un 
même  hommage  les  deux  gi-ands  amours  de  sa  vie.  «  La 
langue  française,  disait-il,  c'est  notre  drapeau  national. 
C'est  elle  qui  fait  que  nous  sommes  une  nation  distincte  sur 
cette  terre  d'Amérique,  et  que  l'hérésie  a  si  peu  de  prise  sur 
nous.  .  .  Soyons  persuadés  que,  parmi  les  Anglais  qui  nous 
entourent,  beaucoup  désirent  ardemment  voir  disparaître 
la  langue  française  du  sol  canadien.  C'est  qu'elle  forme 
obstacle  à  la  réalisation  de  leurs  rêves.  Impossible  pour 
eux,  ils  le  sentent  bien,  de  détruire  la  foi  catholique  tant  que 
restera  debout  un  des  piincipaux  boulevards  de  cette  foi 
au  Canada  :  la  langue  de  nos  mères,  la  langue  de  nos 
premiers  missionnaires,  de  nos  guides  les  plus  illustres,  de 
nos  glorieux  martyrs  —  la  langue  des  Champlain,  des  Bré- 
beuf,  des  Laval,  des  Plessis,  des  Bourget.  »  ^ 

Tardivel  avait  trop  vécu,  il  connaissait  trop  son  his- 
toire, il  suivait  de  trop  près  le  mouvement  de  la  pensée 
anglaise  pour  se  faire  la  moindre  illusion  sur  les  dangers  qui 
nous  menacent.   «  Ne  nous  berçons  pas  d'illusions,  disait - 

,   '  L'dnyliciwie,  voilà  l'enHcmi .'     Causerie  fait»' an  Cercle  catholique 
de  Québec,  le  17  décembre  1879. 

-  //O  langue  française  nu  Canada,  ci^Mifôreitce  !ur  dev.'int  VCuion 
catholique  de  Alontréal,  Ic.lO  mars  1001. 


L'ACTIOX    FRANÇAISE  485 

il  dans  cette  mémciable  conférence  de  1901  :  on  n'a  pas 
renoncé  au  projet  de  faire  du  Canada  un  pa^'s  exclusive- 
ment de  langue  anglaise.  »  Et,  faisant  une  réserve  ciui  ne 
serait  plus  de  mise  après  le  Règlement  XVII,  la  loi  du 
Manitoba,  les  menaces  de  l' Alberta  et  de  la  Saskatchewan, 
il  indiquait  le  point  stratégiciue  où  doit  se  porter  encore  et 
toujours  l'effort  de  notre  défense.  «  La  guerre  que  l'on 
fait  à  la  langue  française  au  Canada,  disait -il,  est  sans  doute 
moins  ouverte  aujourd'hui  que  jaelis;  mais  n'en  est -elle  pas 
que  plus  dangereuse  ?  Notre  langue  est  une  eles  langues 
officielles  du  Dominion.  Cela  sonne  bier  ;  cela  nous  flatte; 
mais  aussi  cela  nous  endort.  Veillons  sur  les  mille  et  un 
détails, souvent  insignifiants  pris  séparément,  mais  c^ui  for- 
ment un  tout  formidable.  C'est  par  là  que  se  ferait, 
giaduelle  et  silencieuse,  la  proscription  du  français  en  ce 
paj's.  »  Vous  reconnaissez  l'accent,  les  justes  et  pathéti- 
ques avertissements  de  ]\Igi-  Béliveau,  de  ^Igr  Latulipe; 
l'accent  des  chefs  qui  combattent  aux  avant-postes  et  qui 
ont  éprouvé  la  valeur  et  le  elanger  des  armes  dive'-ses.  Vous 
rrconraissez  la  thèse  tant  de  fois  soutenue  dans  VAction 
françaïsc,  indéfiniment  répétée  dans  ses  conférences  et  ses 
tracts  et  qu'elle  voudrait  enfoncer  dans  la  tête  de  tous  nos 
compatriotes.  Et  vous  voyez  par  tout  cela  que  Tardivel 
est  assurément  l'un  des  «  précurseurs  »  dont  notre  œuvre 
peut  se  réclamer  avec  le  plus  de  justesse,  qu'elle  avait  le 
plus  rigoureux  cle^•oil•  d'honorer, 

Tardivel  ne  savait  point  laisser  d'écart  entre  sa  théorie 
et  sa  pratique.  Il  portait  dans  sa  conduite,  dans  ses  luttes, 
une  persévérance,  une  ténacité  dont  il  faisait  volontiers 
hommage  à  ses  ancêtres  maternels.  Cette  hérédité  an- 
glaise ajoutait  à  sa  fieité  française  une  nuance  particulière. 
Il  éprouvait  une  sorte  d'irritation  à  voir  certains  de  ses 
compatriotes    canaeHens-français    prendre    à    l'endroit     de 


486  l'action  française 

leurs  concitoyens  anglais  une  allure  de  parent  pauvr 
accepter  tacitement  le  stigmate  de  l'i/iférionté;  il  affirme 
son  droit,  non  seulement  en  paroles,  mais  dans  la  pratiqu 
avec  la  tranquille  assurance  de  l'Anglo-Saxon.  Il  n'avg 
point  de  ces  timidités  qui  semblent  chez  trop  des  nôtres 
lointain  effet  de  la  défaite  de  1759.  Il  n'éprouvait  p 
davantage,  à  l'endroit  des  vainqueurs,  ce  sentimeDt  d'adn 
ration  irraisonnée  qui  subsiste  parfois  chez  le  vaincu, 
se  sentait  deux  fois  l'égal  de  l'Anglais  et  il  ne  comprena 
pas  qu'on  pût  agir  avec  lui  autrement  qu'en  égal.  Il  n'e 
tretenait  au  reste  ni  haine  ni  mépris  à  l'endroit  d'une  ra 
qui  était  à  moitié  la  sienne,  où  il  comptait  certaines  de  s 
plus  chères  affections;  ^  il  ne  mettait,  même  dans  ses  pi 
catégoriques  affirmations  françaises,  aucune  colère.  «  Qi 
ces  rêves  d'anglicisation  générale  ne  nous  étonnent  pas  et 
nous  exaspèrent  pas,  disait-il  encore  à  Montréal  :  ils  so 
naturels.  Mais  à  ces  rêves  opposons  sans  aigreur,  sa 
haine,  avec  fermeté,  toutefois,  une  grande  réalité  historiqu 
Et  cette  réalité,  c'est  que,  si  la  divine  Providence  a  implan 
la  langue  française  en  Amérique,  c'est  pour  qu'elle  y  rest 
pour  qu'elle  s'y  développe,  qu'elle  y  remplisse  son  rôle 
atteigne  à  de  hautes  destinées.  » 

Cette  lutte  pour  le  français,  Dieu  permit  que  Tardiv 
la  portât  sur  tous  les  terrains.  Il  assista  à  la  reprise  d 
luttes  politiques  contre  notre  langue  et,  naturellement, 
s'engagea  à  fond  dans  la  résistance.  Il  défendit  not 
parler  contre  l'anglicisme  et  contre  le  mépris  de  ceux  qi 

'  Dans  la  préface  de  Pour  La  Patrie,  le  roman  de  la  Nouvel 
Fiance,  le  livi-e  où  il  a  formulé  ses  plus  hautes  aspirations  françaises 
écrivait  même  en  toutes  lettres  :  «  Rôves  ou  aspirations,  ces  pens( 
planent  sur  les  lieux  que  j'habite;  siu-  ces  hauteurs,  témoins  des  luti 
suprêmes  de  nos  pères;  elles  sortent  de  ce  sol  qu'ont  arrosé  de  leur  sa 
les  deux  races  vaillantes|que  j'aime,  je  puis  le  dire,  également,  pai 
(1  u'également  j'appartiens  aux  deux  ». 


\ 


l'action  française  487 


)ar  haine,  ignorance  ou  demi-science,  en  méconnaissaient 
a  réelle  valeur.  Peu  de  Canadiens  ont  aussi  bien  que 
Cardivel  connu  leur  langue.  Il  avait  dû  l'étudier  comme 
me  science  nouvelle,  éprouver  la  valeur  de  tous  les  termes 
lent  il  se  servait.  Cela  l'avait  amené  à  pousser  très  loin 
les  recherches  pour  lesquelles  il  s'était  passionné.  ^  Je  sais 
luelques  personnes  qui  n'oubheront  jamais  la  curieuse 
lémonstration  qu'il  fit  un  jour  à  Montréal,  dans  la  vieille 
aile  de  l' Union  catholique.  Il  venait  de  raconter  l'histoke 
anadienne  de  notre  langue,  il  avait  dit  :  «  Si  la  langue 
rançaise  s'est  maintenue  au  Canada;  si  elle  y  est  devenue 
a  langue  officielle  du  paj'S,  ce  n'est  gi'âce  ni  à  la  France,  ni  à 
'Angleterre,  mais  aux  Canadiens  français.  C'est  une 
enquête  exclusivement  canadienne.  C'est  une  \'ictoire 
lue  seuls  nos  ancêtres  ont  remportée  sur  les  Anglais,  après 
e  départ  de  l'armée  française  et  du  drapeau  fleurdelisé, 
est  une  conquête  pacifique  de  notre  clergé,  de  nos  hahi- 
ants,  de  nos  seigneurs  et  de  notre  bourgeoisie,  du  peuple 
anadien-français  tout  entier.  C'est  la  France,  sans  doute, 
lui  nous  a  donné  cette  belle  langue;  mais,  je  le  répète,  ce 
ont  les  Canadiens  qui  l'ont  conservée;  ce  sont  eux  qui  ont 
orcé  le  vainqueur  à  la  reconnaître  comme  langue  du  gou- 
ernement;  »  il  avait  rassemblé  en  faisceau  quelques-unes 
les  preuves  qui  démontrent  que  le  peuple  canadien-français 
)arle  bien  la  vraie  langue  française,  il  avait  dit  la  nécessité 
le  purifier  notre  langage,  de  la  protéger  contre  l'angU- 
isme;  il  ajouta  :  «  .  .  .Le  français  que  parlent  nos  gens  de 
a  campagne,  particuhèrement  ceux  qui  ne  sont  jamais 
'enus  en  contact  intime  avec  l'élément  anglais,  est  un  fran- 
ais  très  pur,  bien  que  quelque  peu  archaïque.  Et  ce  fran- 
ais  que  nous  parlons  n'est  pas  tant  le  langage  du  petit 

^  Tardivel  fut  tout  naturellement  l'un  des  pramiers  membres  de  la 
'•ociété  du  Parler  français. 


488  l'action  française 

peuple  du  XVIIe  siècle,  que  celui  de  la  cour  et  de  la  haute  | 
société.     Nos   cultivateurs,   nos  braves  habitants   parlent  i\ 
comme  parlait  Louis  XIV  :  voilà  si  je  le  sais,  une  proposi-  ij 
tion  qui  a  le  don  d'exciter  l'hilarité  des  contempteurs  du  *] 
canayen,  mais  qui  n'est  pourtant  pas  très  éloignée  de  In  ;( 
stricte  vérité.     L'exagération   qui  s'y  trouve  ne   dépasse  i^ 
pas,  à  mon  humble  avis,  les  bornes  d'une  figure  de  rhétori-  « 
que  permise.  ))     Sur  plus  d'une  figure,  nous  vîmes  courir  un  \i. 
sourire   d'ironique   incrédulité.     Mais   Tardivel   sortit   ses  ^ 
vieilles  grammaires,  ses  vieux  lexiques  et  commença  tran-  | 
quillement  sa  preuve.     Il  démontra  à  coups  de  textes,  en  | 
citant  soigneusement  pages  et  volumes,   que   ((  lorsqu'un 
bon   Canadien   de    nos   campagnes   dit  :     c'est   difficile   à 
crère;  il  fait  fret  aujourd'hui;  le  chemin  est  élret  ici;  il  ne 
peut  pas  marcher  diet;  j'ai  failli  me  nèyer;  il  faut  nétàyer  cela; 
que  le  bon  Dieu  soè  béni;^oè  et  moè,))  «cet.habitant  s'exprime 
absolument  comme  s'exprimaient  ceux  qui  au  commence- 
ment du  XVIIe  siècle,  se  piquaient  de  parler  le  bon  langage.» 
Il  établit  que  tel  spécialiste  du  XVII le  siècle  recommande 
de  prononcer    i  zaiment  pour  ils  aiment,  note  maison,  note 
chambre,   pour  notre  maison  et   notre   chambre,   sfoiseau, 
sthonneur,  stefemnie,  pour  cet  oiseau,  cet  honneur,  cette  femme, 
quèque  et  quèqu'mi  pour  quelque  et  quelqii'un,  su  lui  pour  sur 
lui.     La  démonstration,  que  l'on  trouvera  tout  entière  dans 
la  Langue  française  au  (-anada,     s'acheva  au  miheu  des 
applaudissements.     Vous  entendez  bien  que  Tardivtl  —  et 
il  le  précisait  avec  soin  —  ne  \onlait    point  qu'on  m  revint 
à  ces   vieilles  formes  de  la  prononciation  française,  mais 
il  prétendait  qu'en  se  conformant  à  la  prononciation  mo- 
derne, on  n'avait  pas  le  droit  de  ti'aiter  do  patois  ou  de  jar- 
gon  ce  cjui  n'est  qu'archaïsme  fidèlement  conservé.     VA, 
pour  un  motif  analogue,  il  démontrait  que  les  Canadiens 
fran(;ais  n'ont  prestiue  pas  iiiV(Mité  de  mots,  qu'(>n  dehors 


l'actiox  française  489 

jdes  anglicismes  que  tout  le  monde  déplore,  les  vocables  qui 
déroutent  les  demi-renseignés  appartiennent  au  vieux  fonds 
français,  aux  parlers  populaires  de  là-bas,  que  nous  avons 
importé  de  France  jusqu'à  nos  fautes  les  plus  usuelles. 

L'ardent  polémiste  défendait  ainsi  contre  la  légende 
du  French  Canadian  patois,  la  langue  de  ses  compatriotes 
en  même  temps  qu'il  s'efforçait  de  la  purifier  de  ses  princi- 
pales scories,  de  la  protéger  contre  l'anglicisme  et  d'opposer 
à  ses  ennemis  politiques  la  plus  vigom^euse  défense.  Il 
faisait  autre  chose,  dont  nous  lui  sommes  particulièrement 
reconnaissants  ici  et  qui  le  classe  spécifiquement  parmi 
les  «  précurseurs  ».  Il  apprenait  à  ses  compatriotes  l'im- 
portance de  cette  lutte  par  le  détail  dont  nous  parlions  plus 
haut,  il  en  donnait  énergiquement  l'exemple.  Nous  nous 
demandons  même  s'il  n'a  pas  été  le  premier  à  réclamer  avec 
méthode,  avec  persévérance,  l'emploi  du  français  sur  les 
timbres,  les  monnaies,  etc.  Ses  voj'ages  en  Suisse  et  en 
Belgique  l'avaient  rendu  particulièrement  intransigeant 
sur  ce  point.  Il  savait  aussi  que  le  meilleur  moyen  d'assu- 
rer à  notre  langue  la  place  qui  lui  convient  c'est  de  commen- 
cer par  la  lui  faire.  «  Ne  craignons  pas  de  la  parler  en 
toute  circonstance,  disait-il.  Ne  mettons  jamais  notre 
drapeau  dans  notre  poche .  .  .  N'y  a-t-il  pas  une  tendance 
parmi  nous  à  nous  servir  trop  facilement,  sans  nécessité 
réelle,  de  la  langue  anglaise  ?  Je  le  crains.  Réagissons 
contre  cette  tendance.  »  On  tirerait  facilement  de  ses 
œu\res  une  collection  de  mots  d'ordre,  dont  l'actualité  est 
aussi  vive  que  jamais. 


Dans  ces  pages  trop  rapides,  déplorablement  incom- 
plètes, il  n'a  été  question  encore  que  de  Tardivel  et  du  fran- 


490  l'action    FEANÇAIgE 

çais.  C'est  l'aspect  d'une  rude  et  belle  carrière  qu'il  nous 
a  semblé  particulièrement  opportun  de  souligner  ici.  Le 
lutte  pour  le  français  est  du  reste  l'un  des  domaines  où  Tar- 
4ivel  a  le  plus  visiblement  fait  œuvre  de  pionnier.  Mais  i 
faut  ajouter  qu'en  mainte  autre  sphère  encore  il  fit  figuri 
de  précurseur.  Cet  homme  dont  toute  la  vie  extérieur( 
pourrait  se  résumer  en  quelques  phrases,  ^  qui  n'a  pour  ains 
dire  vécu  que  par  et  pour  ses  idées,  a  exercé  une  infiuenci 
dont  la  profondeur  apparaît  chaque  jour  plus  gi'ande 
Dégagé  de  tout  lien  de  parti,  n'exerçant  que  sa  professioi 
d'écrivain,  faisant  du  jom-nahsme  hebdomadaire  et  débar 
rassé  par  conséquent  des  mille  superfluités  qui  submergen 
presque  ses  confrères  de  la  presse  quotidienne,  il  a  pu  main 
tenir  sur  les  choses  un  regard  clair,  qui  savait  aller  à  l'essen 
tiel.  Il  a  été  pour  maints  hommes  qui  forment  aujourd'hu 
l'opinion  un  excitateur  et  un  guide.  Je  sais  tel  d'entr 
eux,  parmi  les  plus  grands,  qui  le  révère  comme  un  maîtr 
et  répète  volontiers  :  Plus  je  vis,  plus  je  l'étudié,  plu 
je  trouve  qu'il  a  raison .  . . 

Tardivel  a  remué  trop  d'idées  pour  que  l'accord 
soit  fait  sur  ses  opinions,  mais,  dès  le  lendemain  de  sa  mori 
tout  ce  qui  compte  parmi  ses  compatriotes  s'inclinait  devan 
l'admirable  désintéressement,  devant  l'héroïque  dignité  d 
sa  vie.  On  saluait  en  lui,  par-dessus  tous  les  dissentiments 
cet  être  rare  :  un  homme.  C'était  déjà,  devant  sa  tomb 
à  peine  ouverte,  le  jugement  de  la  postérité. 

Omer  Hfrotjx. 


1  Tardivel,  né  aux  Etats-Unis  d'un  père  français  et  d'une  mère  ai 
glaise,  est  décédé  au  printemps  de  1905,  à  l'âge  de  53  ans.  Presqt 
toute  sa  vie  d'homme  a  été  employée  à  la  rédaction  de  la  Vérité. 
est  mort  à  la  tâche. 


COMMENT  SERVIR 


'[J Action  française  continuera,  l'année  prochaine,  la 
érie  de  ses  articles  de  tête  sous  même  rubrique.  Ce  genre 
.'études  paraît  plaire  et  rendre  service.  Un  de  nos  amis 
'eut  bien  nous  écrire  :  «  Il  n'y  a  que  l'introspection, 
;omme  disent  les  philosophes,  pour  nous  fah'e  sortir  de 
lotre  inconscience,  pour  nous  révéler  le  fond  mystérieux  de 
'être,  pour  rectifier  et  ordonner  nos  vies.  Ainsi  en  est-il  de 
^os  larges  et  lumineuses  enquêtes  sur  nos  forces  nationales 
m  sur  les  états  d'âme  du  passé.  Elles  nous  révèlent  à 
lous-mêmes  avec  un  réalisme  impitoyable  qui  commande, 
lui  détermine  de  l'action  ». 

Pour  procéder  méthodiquement,  V  Action  française  débuta, 
l  y  a  deux  ans,  par  l'inventaire  de  nos  ressources.  Elle 
îonsacra  à  l'analyse  de  nos  forces  nationales,  douze  études 
)ù  furent  exposés,  avec  netteté,  nos  richesses  et  nos  déficits. 

étte  année  la  revue  a  fait  comparaître  les  précurseurs.  Les 
lommes  du  passé  sont  venus  dire  leur  effort,  leur  façon  d'en- 
iendre  le  devoir,  d'utiliser  les  forces  de  leur  temps.  Pour 
aire  suite  à  la  direction  des  morts  nous  voudrions  mainte- 
lant  l'action  des  vivants.  Douze  collaborateurs  viendront 
épondre  à  cette  question  :  «  Comment,  à  l'heure  actuelle, 
doit-on  servir  la  cause  française  ?  » 

Les  douze  collaborateurs  représenteront,  croyons-nous, 
1  peu  près  toutes  les  catégories  sociales.  Fidèles  à  la  pensée 
ie  nos  fondateurs,  nous  n'entendons  point  borner  notre 
effort  aux  seules  questions  de  langue,  à  la  seule  lutte  contre 
angHcisation.  Chacun  de  nous,  à  quelque  profession,  à 
quelque  état  qu'il  appartienne,  a  sans  doute  des  devoirs 


492  l'actiox  française 

directs  et  précis  à  l'égard  de  la  langue  française.  Et  ces 
devoirs  nous  allons  demander  qu'on  les  accomplisse.  Tous 
nous  avons  à  fournir  notre  contribution  de  travail  et  d'éner- 
gie pour  défendre  et  illustrer  notre  parler,cl'abord  chez  nous, 
sur  nos  lèvres  et  dans  nos  écrits,  en  lui  gardant  sa  correc- 
tion, l'intégrité  de  son  verbe,  la  lo\'auté  de  son  génie.  Pour 
tous,  l'heure  presse  d'une  croisade  qui  restituera  à  ce  même 
parler  ses  droits  dans  les  administrations  fédérales,  dans  les 
services  d'utilité  publique,  qui  le  remettra  à  sa  place  dans 
le  commerce  anglais  ou  canadien-français,  qui  refera  à  nos 
villes,  à  nos  villages  une  physionomie  française.  Les  reculs 
trop  réels  que  notie  langue  a  subis  par  notre  faute  dans  ces 
divers  domaines,  depuis  cinquante  ans,  ont  déplorablement 
trompé  l'étranger  superficiel  sur  la  realité  de  nos  états 
d'âme  en  même  temps  qu'ils  ont  inspiré  à  notre  peuple  le 
goût  morbide  des  capitulations.  Que  l'on  décide  enfin  de 
ne  plus  s'en  tenir  aux  revendications  de  quelques  petits 
groupes  de  patriotes  courageux.  ]\Iais  que  les  corps  publics, 
que  les  sociétés  nationales,  que  les  journaux,  que  tout  le 
peuple  3'  aille  de  sa  collaboration  si  des  demi-victoires  ne 
doivent  pas  nous  suffire. 

Toutefois,  ne  nous  faisons  pas  illusion.  Une  action  fran- 
çaise qui  voudra  être  efficace  devra  être  faite  d'autre  chose 
que  ces  revendications  partielles,  si  nobles,  si  in-gentes 
soient-elles.  La  langue  ne  saurait  survivre  comme  une 
force  isolée,  indépendante.  Si  elle  soutient  d'autres  élé- 
ments et  d'autres  traditions,  elle  s'appuie  elle-même  sur 
un  sj'stème  de  forces  que  nous  ne  pouvons  négliger  sans 
accepter  la  vanité  de  nos  efforts.  Quelcpies-unes  de  ces 
forces  pourront  être  dénonunées  inférieures,  elles  n'en 
gardent  pas  moins  la  valeur  et  la  vocation  d'indispensables 
fondements.  Toujouis,  quoi  que  l'on  fasse,  l'harmonie  des 
fonctions  sociales,  la  sage  coordination  de  toutes  les  acti- 


l'action  française  493 

vités  seront  requises  pour  maintenir  l'équilibre  et  le  progrès 
d'une  communauté  humaine.  Et  c'est  ainsi  que  notre 
langue  ne  peut  durer  que  si  nos  prêtres  nous  gardent  nos 
croyances,  premier  soutien  de  notre  nationalité,  que  si  nos 
mères,  nos  éducateurs  façonnent  à  nos  enfants  l'âme  héré- 
ditaire, que  si  nos  publicistes,  nos  politiques  conservent 
au  parler  national  son  prestige  officiel,  que  si  nos  écrivains, 
nos  artistes,  inspirent  par  un  art  supérieur  l'orgueil  de  la 
pensée  française.  Mais  de  même  pouvons-nous  écrire, 
avec  autant  de  vérité,  que  nulle  survivance  n'est  possible 
si  nos  économistes,  nos  agriculteurs,  nos  financiers,  nos  com- 
merçants, nos  industriels,  nos  ouvriers,  non  seulement  ne 
nous  conquièrent  l'indépendance  économique,  mais  aussi 
ne  construisent  une  production,  une  organisation  du  tra- 
vail,un  commerce  de  qualité  et  d'aspirations  françaises,  au 
service  de  nos  traditions.  Aucun  effort,  aucune  activité 
n'a  le  droit  de  s'isoler  dans  la  vie  d'un  peuple.  Et  c'est 
donc  l'ensemble  de  tous  les  biens  qui  soutiennent  la  vie  de 
notre  race  que  doit  avoir  en  vue  et  que  doit  vouloir  coor- 
donner une  intelligente  et  vigoureuse  action  française. 
Et  une  telle  action,  cela  va  de  soi,  ne  saurait  être  le  monopole 
ni  le  devoir  d'une  petite  minorité. 

Ajouterons-nous  que  ce  labeur,  nous  voudrions  qu'on 
l'acceptât  avec  toutes  ses  relations  morales,  ce  qui  veut  dire 
avec  la  pleine  conscience  de  notre  situation  en  ce  pays  et  de 
notre  rôle  à  l'égard  des  autres  groupes  français  d'Amérique  ? 

Foyer  et  point  d'appui  de  la  race  française  sur  ce  con- 
tinent,nous  ne  pouvons  ignorer  les  obligations  de  cette  pater- 
nité spirituelle.  Notre  grand  devoir  est  d'accumuler  assez 
de  puissance,  assez  de  vigueur  matérielle  et  morale  pour 
qu'au  loin  nos  frères  dispersés  ne  regardent  jamais  du  côté 
de  la  province  de  Québec  qu'avec  confiance.  Aux  groupes 
lointains,  plus  abandonnés,  plus  tentés  contre  la  fierté  de 


494  l' ACTION    FRANÇAISE 

leurs  origines,  nous  devons  avoir  l'ambition  de  démontrer, 
avec  une  victorieuse  évidence,  que,  loin  d'entraver  aucun 
progrès,  nos  hérédités  françaises  peuvent  devenir  le  moyen 
de  toutes  les  supériorités.  Ne  faisons  pas  plus  vaines 
qu'elles  ne  le  sont  ces  préoccupations  idéalistes.  Elles  peu- 
vent avoir  la  valeur  d'un  stimulant  et  il  faut  à  toutes  les 
œuvres  de  l'homme  des  vues  qui  les  dépassent.  Quand 
nous  aurons  mis  ce  souci  de  charité  patriotique  au  fond  de 
toutes  nos  activités,  nous  aurons  le  goût  et  la  volonté  de 
passer  à  une  assistance  plus  pratique  et  nos  frères  appren- 
dront enfin  que  sur  nos  lèvres  la  fraternité  française  n'est 
pas  un  vain  mot.  Après  avoir  eu  tant  de  zèle  pour  toutes 
les  œuvres  de  l'étranger  nous  finirons  peut-être  par  en  avoir 
pour  les  œuvres  de  chez  nous.  Nous  éviterons  que  de 
l'Ontario,  de  l'Ouest,  de  l'Acadie  et  des  États-Unis,  l'on 
ne  nous  jette  à  la  figure  ces  reproches  d'oubli  et  d'abandon 
que  si  généreusement  nous  avons  nous-mêmes  adressés  à  la 
France.  Peut-être  aussi,  quand  des  délégués  de  nos  groupes 
éloignés  viendront  nous  demander  assistance  ou  simplement 
nous  entretenir  des  luttes  et  des  sacrifices  que, dans  leur  isole- 
ment et  leur  pauvreté,  ils  soutiennent  pour  leur  durée 
française,  auront-ils  chance  de  rencontrer  dans  notre 
monde  qu'ils  croient  dirigeant,  un  peu  moins  de  ces  airs 
distraits  ou  ennuyés  ou  de  ces  sourires  sceptiques  et  dépri- 
mants qui  leur  font  dire  parfois  :  «  Ces  gens-là  ne  se  sou- 
viennent plus;  ils  ont  perdu  tout  sens  national  ». 

Nous  n'hésitons  pas  à  l'écrire,  ce  souci  d'action  et  de 
charité  française  importe  infiniment  plus  que  beaucoup 
d'autres  préoccupations  vers  lesquelles  on  essaie,  depuis 
quelque  temps,  d'attirer  nos  esprits.  Que  l'on  ne 
vienne  pas  nous  dire  que  vouloir  concentrer  ainsi  le  labeur 
vers  les  œuvres  nationales  c'est  nous  isoler  en  ce  pays,  c'est 
faire  preuve  d'exclusivisme  de  race,     c'est  fermer  les  yeux 


l'action  française  495 

aux  plus  évidentes  contingences.  Bien  au  contraire,  une 
action  française  clairvoyante  professera  toujours  que  la 
politique  des  frontières  fermées  ne  saurait  être  celle  d'un 
patriotisme  intelligent  ni  même  simplement  habile.  Les 
Canadiens  français,  où  qu'ils  se  trouvent,  doivent  d'abord 
regarder  autour  d'eux  et  plus  loin  qu'eux-mêmes,  pour  se 
rappeler  sans  cesse  leur  état  de  minorité.  Ils  doivent  se 
souvenir  que,  par  le  seul  fait  de  leur  cohabitation  avec 
une  majorité  puissante,  opposée  à  leur  race  par  sa  consti- 
tution mentale,  aucun  des  éléments  de  leur  nationalité, 
ni  leur  foi,  ni  leur  langue,  ni  lem-s  lois,  ni  leurs  traditions 
ne  se  trouvent  en  sécurité.  Un  sentiment  très  net  de  cette 
situation  devra  même  leur  révéler  avec  quelle  hâte,  quelle 
vigueur,  leurs  forces  de  résistance  doivent  être  niobilisées 
et  quel  relief  il  importe  de  maintenir  sans  cesse  aux  caractè- 
res psychologiques  de  la  race.  Pour  les  mêmes  motifs  ils 
seront  amenés  à  observer,  plus  qu'ils  ne  l'ont  fait  jusqu'ici, 
le  mouvement  des  idées  dans  les  provinces  anglaises.  Une 
vue  plus  largement  ouverte  nous  am-ait,  dans  le  passé, 
marqué  notre  place,  à  côté  de  nos  rivaux,  dans  des  domaines 
trop  lestement  abandonnés,  d'un  geste  qui  n'a  pas  même  le 
mérite  du  désintéressement.  Que  de  fois  également,  une 
observation  plus  vigilante  des  idées  et  des  projets  que 
remuait  l'autre  race,  nous  am-ait  valu  de  nous  trouver  moins 
désorganisés  devant  quelques-unes  de  ses  attaques,  moins 
hésitants  sur  le  choix  de  nos  armes,  de  nos  tactiques  de 
défense. 

L'Action  française,  telle  que  nous  l'entendons,  voudra 
même  essayer  de  comprendre  ceux  qui,  en  ce  moment, 
nourrissent  la  noble  illusion  de  former  un  esprit  canadien. 
Les  Canadiens  français  ont  le  droit  d'exiger  que  pour  cette 
fois  on  précise  la  formule,  mais  ils  ne  sam-aient  s'abstraire 
de  cette  plus  grande  communauté  à  laquelle  les    lient  la 


496  l'action  française 

géographie,  la  politique  et  l'histoire.  Parce  que  ce  pays  est 
à  eux  plus  qu'à  tout  autre,  parce  que  plus  que  tout  autre  ils 
ont  le  sens  du  passé,  le  culte  des  vieilles  traditions  politi- 
ques, on  veut,  présumons-nous,  que  plus  que  tous  les  autres 
ils  donnent  leur  effort  pour  maintenir  l'autonomie  de  leur 
pays,  pour  le  délivrer  de  tous  les  impérialismes,  pour  faire 
triompher  la  personnalité  nationale.  A  personne  des 
nôtres,  nous  en  sommes  sûrs,  il  ne  vient  à  l'esprit  de  préten- 
dre former  une  «  mentalité  »  canadienne  par  une  sorte  de 
réduction  de  l'esprit  et  des  aspirations  des  races  ramenées  à 
un  type  plus  uniforme.  Nul  n'a  le  droit  de  l'ignorer  : 
ce  pays  est  à  base  de  provincialisme.  C'est  le  principe 
qu'ont  fait  triompher,  il  y  a  cinquante  ans,  les  pères  de  la 
Confédération  et  ce  principe  leur  fut  imposé  par  une 
politique  essentiellement  réaliste.  Prenons  garde  de  tou- 
cher à  cet  ordre  de  choses.  Nos  pères  n'ont  point  accepté 
en  1867  d'autres  devoirs,  d'autres  sacrifices  que  ceux  que 
leur  imposait  le  fédéralisme.  Et  les  fédérations  politiques 
n'échappent  point  à  la  nature  des  autres  sociétés  :  aucune 
n'existe  d'abord  pour  elle-même  mais  bien  plutôt  pour  le 
bénéfice  des  parties.  Surtout  ne  laissons  pas  dire  que 
de  pareilles  théories  rétrécissent  singulièrement  nos  pensées 
et  nos  horizons.  N'est-ce  pas  toujours  en  restant  nous- 
mêmes  que  dans  le  passé  nous  avons  le  mieux  sei'vi  notre 
pays?  A  l'heure  actuelle  vous  semble-t-il  que  l'on  com- 
prenne autrement,  même  parmi  ceux  de  la  majorité,  l'utilité 
de  notre  groupe?  Goldwin  Smith  nous  désignait  un  jour 
très  aimablement  comme  <(  un  débris  antédiluvien  de  la 
vieille  société  française  avec  sa  torpeur  et  sa  bigoterie,  sans 
valeur  aucune  pour  la  civilisation  moderne  :  »  ^  Mais 
depuis   lors,    nous    le    savons,    l'histoire    a    marché.     Et 

^  Cité^par  Seely,  L'Expansion  de  l'Angleterre,  p.  02. 


l'action  française  497 

aujourd'hui,  ce  n'est  pas,  que  je  sache,  comme  CaaadieDS 
tout  court,  mais  bien  comme  Canadiens  français,  avec  tout 
le  fond  de  nos  qualités  ethniques,  avec  l'intégi-ité  de  nos 
institutions,  que  nous  paraissons  aux  yeux  des  compatriotes 
de  Goldwin  Smith,  et  que  nous  sommes  en  réalité,  une 
force  conservatrice,  le  meilleur  élément  de  civilisation.  Ne 
soj^ons  pas  les  seuls  à  l'oublier.  C'est  uniquement  par 
les  vertus  qui  nous  viennent  de  notre  foi  catholique  et  de 
notre  vieille  formation  française,  que,  devant  l'anarchie  des 
idées  et  l'écroulement  universel  nous  représentons  la  sta- 
bilité de  la  famille,  le  respect  de  la  justice  et  de  la  propriété, 
le  culte  de  l'autorité. 

Non,  ce  n'est  pas  en  dépouillant  notre  élément  de  sa 
richesse  foncière  que  nous  enrichirons  notre  pays.  Bien 
plutôt  est-ce  dans  la  mesure  où  nous  allons  nous  développer 
dans  le  sens  de  nos  qualités  historiques,  que  nous  attein- 
drons à  l'esprit  le  plus  largement  canadien.  Et  non  point 
seulement  parce  qu'ainsi  le  veut  notre  atavisme  ancien, 
pai-ce  que  nous  tenons  de  notre  passé  l'habitude  de  regarder 
très  au  loin,  jusqu'à  ces  régions  où  les  gestes  des  aïeux 
fixaient  jadis  les  frontières  de  la  patrie,  mais  encore  parce 
que  l'âme  catholique  et  française  fut  toujours  à  base  de 
sain  humanitarisme,  à  fond  de  sympathie  universelle,  parce 
qu'avec  ses  sentiments  idéalistes  elle  comprend  mieux  que 
toute  autre,  le  respect  du  droit  et  de  la  justice,  la  vraie 
fraternité  humaine.  Xotre  passé  est  là  pour  attester  que 
nous  avons  gardé  beaucoup  de  cet  héritage.  N'avons- 
nous  pas  été  les  seuls  à  comprendre  et  à  respecter,  dans 
leur  intégi'ité,  la  lettre  et  l'esprit  du  pacte  de  1867  "?  Qui 
a  consenti  plus  de  sacrifices  que  nous  pour  le  maintien  de  la 
communauté  canadienne,  et  quelquefois  les  sacrifices  les 
plus  excessifs  et  les  plus  impolitiques?     Au  fond  de  nos 


498  l'action  française 

luttes  de  ces  derniers  temps,  nous  avons  cherché,  sans  doute, 
la  reconnaissance  des  droits  de  notre  race,  le  respect  de  la 
liberté  de  nos  •  frères.  Mais  en  même  temps  nos  vrais 
chefs  ont-ils  cessé  de  nous  montrer,  au  bout  de  ces  luttes, 
l'intéi'êt  plus  général  de  notre  pays,  qui,  plus  que  de  canaux, 
d'élévateurs  et  de  chemins  de  fer,  a  besoin  des  notions  du 
droit  et  de  la  justice,  du  maintien  de  toutes  ses  forces  mo- 
rales ? 

En  voilà  assez,  croyons-nous,  pom'  nous  justifier 
d'orienter  l'action  française  vers  des  œuvres  françaises. 
Là  est  l'avenir  parce  que  là  est  la  vérité.  Continuer  les 
lignes  traditionnelles  de  son  histoire,  développer  sa  part 
d'originalité,  défendre  son  patrimoine  moral,  sauver  son 
âme,  ce  fut  toujours  le  premier  devoir  d'une  race. 

Lionel  Gkoulx,  ptre. 


NOTRE  CONCOURS 


Nous  touchons  à  la  fin  de  notre  concours  d'abonne- 
ment. L'approche  des  Fêtes  fournit  aux  concur- 
rents une  magnifique  occasion  de  donner  un  dernier 
effort.     Nous  espérons  qu'ils  n'y  manqueront  pas. 

On  trouvera  dans  la  dernière  partie  de  cette 
livraison  les  conditions  et  le  programme  du  concours. 


LE  LIVRE  DE  LA  GENÈSE 


Je  me  rappelle  avoir  lu,  il  y  a  bien  des  années,  et  pris 
au  pied  de  la  lettre,  la  phrase  suivante  :  ((  En  art,  le  sujet 
l'est  rien  ».  C'était  Brunetière  qui  écrivait  cela.  Or,  le 
jiiaître  m'en  imposait.  !Mais  j'ai  réfléchi  depuis,  et  je  me 
~uis,  comme  qui  dirait,  ressaisi.  Et,  si  le  grand  critique 
a  toujours  à  mes  yeux  beaucoup  d'autorité,  et  si  je  n'ose- 
rais, certes,  dire  de  lui  ce  qu'en  affirme  ]M.  Alfred  Poizat, 
savoir  «  qu'il  a  tout  mesuré  avec  une  chaîne  d'arpenteur  », 
il  me  semble  pourtant  que  celle  de  ses  assertions  que  je  viens 
de  rapporter  peut  et  doit  être  discutée,  sinon  entièrement 
rejetée.  A  l'appui  de  son  principe,  le  maître  citait  ces  deux 
vers  de  ^lusset,  où  la  rime  n'est  pas  liche  —  le  poète  des 
Nuits  a  si  peu  d'art,  disait  dédaigneusement  Fromentin  — 
mais  le  sentiment  très  beau  : 

Et  pour  que  le  néant  ne  songe  point  à  ha, 
Il  suffit  d'un  enfant  sut  sa  mère  endormi. 

C'est  de  Raphaël  que  ]\Iusset  parlait.  Or,  ce  distique, 
loin  de  corroborer  la  proposition  émise,  ne  l'infirmait-il 
pas  plutôt  ?  Et  Brunetière  était-il  heureux  dans  le  choix 
de  son  argmnent  ?  «  Un  enfant  sur  sa  mère  endormi  »,  ■ — 
si  ordinaire  que  soit  ce  spectacle,  il  n'en  demeure  pas  moins 
l'un  des  plus  admii-ablcs  que  présente  la  nature,  l'un  des 
plus  émouvants  et  des  plus  inspirants.  Jt  crois  bien  qu'une 
telle  scène  pouvait  suffire  au  génie  d'un  Raphaël  ! 

Quoi  qj'il  en  soit  du  sujet  en  art,  et  que  son  rôle  soit 
nul.  indifférent,  ou  au  contraire  capital,  il  me  paraît  cer- 


500  l'action  française 

tain  qu'en  histoire  du  moins  il  importe  beaucoup,  et  qu'il 
influe  profondément  sur  le  caractère  d'une  œuvre,  qu'il 
pèse  d'un  grand  poids  sur  le  talent  de  l'écrivain,  qu'il  «  dé- 
termine »  en  quelque  sorte  sa  pensée,  l'abaisse  ou  l'élève, 
la  tient  dans  une  sphère  modeste  ou  lui  peraiet  de  planer, 
de  gravir  les  sommets.  Le  même  écrivain  pourra  se  mon- 
trer sous  un  jour  tout  à  fait  divers,  suivant  que  la  matière 
dont  il  tîaite,  qu'il  pétrit  en  quelque  sorte,  est  plus  ou  moins 
plastique,  est  d'une  essence  plus  ou  moins  généreuse.  Les 
mêmes  facultés,  appliquées  à  décrie  une  période  terne  et 
pauvre,  —  ou  se  mouvant  dans  un  cadre  tout  fourmillant 
de  vie,  s'exerçant  à  l'essusciter  une  époque  si  belle,  si  noble, 
si  riche,  si  fraîche,  si  pleine  de  promesses,  qu'elle  ressemble 
à  un  rêve,  —  aboutiront  à  des  réalisations  qui  paraîtront 
à  peine  venir  de  la  même  source,  tant  il  y  aura  de  diffé- 
rences, sinon  de  contrastes,  entre  les  unes  et  les  autres. 

Ces  i'éflexions  me  sont  inspirées  par  la  comparaison 
du  dernier  ouvrage  historique  de  M.  l'abbé  Groulx  avec 
les  deux  que  nous  lui  devions  déjà.  M.  l'abbé  Groulx  avait 
abordé  notre  histoire  par  l'étude  de-  nos  Luttes  constitution- 
nelles. Il  y  manifestait  de  très  beaux  dons;  d'un  ferme 
pinceau  il  y  brossait  des  portraits  qui  sont  bien  touchés; 
la  revendication  de  nos  droits  religieux  et  ethniques,  menée 
par  nos  pères,  y  était  évoquée  en  ime  documentation  cons- 
ciencieuse et  précise.  Mais  cette  période  de  notre  exis- 
tence est  confuse  et  embi-ouillée  ;  c'est  une  vraie  «  forêt 
obscure  »  au  sein  de  laquelle  on  a  l'impression  que  des  hom- 
mes honnêtes  et  droits  se  débattent  avec  des  serpents. 
L'historien  se  cherchait  en  quelque  sorte,  et  parvenait  mal 
à  se  définir,  au  milieu  de  c(>s  louches  ténèbres,  seulement 
éclairées  de  loin  en  loin  par  de  rassurantes  apparitions. 
Il  nous  a  donné  ensuite  les  Origines  de  la  Confédération. 
La  confédération  !     Piètre  entreprise,,  à  laquelle  ont  tâché 


l' ACTION    FRANÇAISE  501 

'les  hommes  dont  aucun  ne  dépassa  la  moyenne,  et  dont 
les  résultats,  après  cinquante  ans,  se  soldent  par  une  régres- 
sion. Avec  cette  machine,  au  lieu  de  marcher  vers  une 
nationalisation  plus  complète,  but  de  la  vie  d'un  peuple, 
l'on  est  revenu  en  arrière,  et  l'on  se  trouve  plus  que  jamais 
enserré  dans  les  mailles  du  colonialisme.  Au  moment  où 
se  fondait  ce  beau  pacte,  l'Angleterre  tii-ait  des  ficelle?  dans 
la  coulisse  —  témoin  l'incident  MacDonakl-Cartier  —  et 
se  réservait  d'intervenir  ouvertement  à  son  heure  et  de 
montrer  que  Ton  avait  travaillé  à  son  profit.  L'étude  de 
yi.  l'abbé  Groulx  a  sans  doute  de  grands  mérites  :  elle  repo- 
se sur  de  judicieuses  recherches.  Mais  y  avait-il  dans  ce 
sujet,  dans  la  contemplation  et  ranal3'se  de  cette  «  œuvre 
manquée  )),  de  quoi  favoriser  l'essor  de  l'esprit'?  La  ma- 
tière ne  se  prêtait  guère  aux  grands  coups  d'ailes.  De 
tous  les  chapitres  de  ce  livre,  le  meilleur  à  mon  avis,  celui 
où  se  laissait  deviner  le  plus  clairement  la  puissance  de  vol 
dont  l'auteur  était  capable,  est  le  dernier;  et  il  n'est  si  beau, 
si  annonciateur  de  facultés  qui  ne  demandent  qu'un  emploi 
digne  d'elles,  que  parce  que  l'historien,  brisant  le  cadre 
étroit  et  mesquin  où  il  étouffe,  embrasse  tout  l'hoi'izon  et 
se  promène  à  travers  le  passé  et  le  futiu'. 

Un  emploi  digne  de  ses  facultés,  ou  mieux  un  sujet 
qui  fût  en  pleine  harmonie  avec  elles,  qui  les  sollicitât  à  se 
produire  toutes,  les  invitât  à  se  déployer  largement,  c'est 
cela  que  M.  l'abbé  Groulx  devait  trouver  en  remontant 
aux  sources  de  notre  vie.  Le  fleuve  qui  emporte  et  roule 
notre  race  et  nos  destinées,  il  s'était  souvent  assis  sur  ses 
bords,  il  l'avait  observé  à  telle  de  ses  courbes;  le  mj^stère 
de  ses  flots  l'avait  à  la  fois  attiré  et  troublé.  Cédant  enfin 
à  une  légitime  curiosité,  et  aussi  comme  pour  se  libérer  de 
certaines  émotions  infligées  à  son  patriotisme  par  les  misères 
du  présent  et  les  menaces  qui  assombrissent  l'avenir,  il  s'est 


502  l'action  française 

plongé  dans  nos  origines,,  il  a  voulu  saisir  notre  existence 
dans  toute  la  fraîcheur  de  son  éclosion.  Et  il  en  a  éprouvé 
un  enchantement.  Ce  décor,  cette  ambiance  lui  convien- 
nent à  merveille.  Comme  il  se  sent  bien  chez  lui  dans  un 
tel  milieu  !  Il  semble  qu'il  ait  la  sensation  de  s'évader  dans 
l'irréel.  Notre  genèse  a  eu  en  effet  quelque  chose  d'idéal. 
Rien  de  plus  reposant  que  d'attacher  son  regard  sur  le  mys- 
tère déjà  lointain  qui  a  présidé  à  tout  ce  que  nous  sommes. 
Jamais  le  génie  latin  ne  s'est  montré  aussi  artiste  que  dans 
la  création  de  là  Nouvelle-France.  Sans  doute,  il  y  a  eu 
des  fautes  de  commises  dans  l'exécution  et  les  détails  de 
cette  œuvre.  Mais  elle  est  née  d'une  si  grande  pensée  et 
d'un  si  noble  vouloir!  D'ailleurs,  l'élément  humain  tout 
seul  ne  l'explique  pas.  Il  y  a  eu  des  faits  proprement  di- 
vins à  la  base  de  l'entreprise,  des  impondérables  surna- 
turels. Et  l'on  conçoit  qu'un  talent  comme  celui  de  M. 
l'abbé  Groulx  ait  travaillé  avec  amour  sur  toute  cette  subs- 
tance, et  en  ait  tiré  un  livre  qui  a  la  spontanéité  et  la  gi'âce 
d'un  poème.  Faut-il  donc  qu'un  poème  ne  soit  jamais 
que  le  fruit  de  l'imagination  et  de  la  fantaisie?  N'y  en 
a-t-il  pas,  au  contraire,  et  parmi  les  plus  beaux,  dont  le 
fond  est  d'une  solidité  scientifique  à  toute  épreuve  !  Par 
exemple  la  Divine  Comédie.  Et  encore,  les  Élévations  de 
Bossuet  sont  une  suite  d'odes  d'un  incomparable  lyrisme. 
Quelle  profondeur  de  pensée  cependant  et  quelle  précision 
de  doctrine  dans  ces  chants  !  En  disant  de  la  Naissance 
d'une  Race  qu'elle  est  un  poème,  je  ne  fais  abstraction  de 
rien  de  ce  qui  en  constitue  le  mérite  au  point  de  vue  des 
recherches,  de  la  documentation  nourrie,  de  l'enchaîne- 
ment des  preuves,  de  la  discussion  des  données  positives; 
elle  se  présente  à  nous  avec  tout  l'appareil  dont  doit  s'en- 
tourer celui  qui  traite  d'histoire.  Seulement,  l'auteur  a 
su  animer  tout  cela  d'un  tel  souffle,  le  vivifier  d'un  si  sin- 


l'action  française  503 

cère  enthousiasme,  répandre  sur  le  tableau  une  coloration 
à  la  fois  si  vive  et  si  nuancée,  en  ordonner  toutes  les  parties 
selon  un  tel  rythme  soutenu  et  croissant,  que  j'ai  eu,  en 
le  lisant,  l'impression  de  lire  un  poème. 

Cela  est  surtout  remarquable  à  partir  du  chapitre 
deuxième  :  Le  Milieu.  Car  le  chapitre  premier  :  Le  Colon^ 
a  un  caractère  un  peu  à  part.  Les  statistiques  qu'y  donne 
l'auteur  sont  d'un  grand  intérêt  :  il  n'est  pas  du  tout  indif- 
férent de  savoù'  que  presque  toutes  les  provinces  de  France 
ont  contribué  à  enrichir  notre  berceau.  Mais,  si  le  registre 
est  le  premier  document  d'archives,  les  renseignements 
qu'il  fournit  ne  sont  guère  une  matière  d'art.  L'auteur 
pose  les  substructions  de  son  œuvre.  Et  ce  n'est  pas  dans 
les  fondations  d'un  monument  que  l'on  s'attend  à  voir  bril- 
ler la  virtuosité  d'un  architecte.  Il  faut  se  résigner  de  bon 
cœur  à  la  sécheresse  nécessaire  de  cette  partie.  Je  me  per- 
mettrai plutôt  de  faire  remarquer  à  M.  l'abbé  Groulx,  qu'il 
me  semble  qu'il  ne  le  prend  pas  d'assez  haut  avec  ceux  qui 
nous  accusent  d'être  le  fruit  d'un  métissage.  11  est  de  cer- 
taines calomnies  auxquelles  l'on  répond,  sinon  par  le  silen- 
ce, du  moins  par  un  dédain  de  haut  vol.  L'accent  de  la 
polémique  perce  au  contraire  dans  la  défense  que  l'auteur 
oppose  à  Quatrefages  et  Cie.  Et  quant  à  M.  Maurice 
Barrés,  je  me  demande  si  son  malheureux  article  méritait 
l'honneur  seulement  d'une  allusion.  Péguy  disait  :  «  Vic- 
tor Hugo,  incomparable  lorsqu'il  touche  à  l'Éternel  !  » 
L'historien  doit  tâcher  de  s'élever  à  l'éternel  :  il  doit  négli- 
ger l'éphémère,  le  fait  divers,  pour  bâtir  avec  des  matériaux 
durables.  Et  Barrés,  tout  aussi  bien  que  Vogue,  a,  à 
propos  de  ses  cousins  du  Canada,  brodé  un  fait  divers. 
Ce  n'était  guère  la  peine  de  s'en  occuper  ici.  Nous  ne  des- 
cendons pas  des  sauvages.  Cela,  c'est  prouvé.  Contre 
des  faits,  il  n'y  a  rien  à  dire.     Mais,  le  contraire  serait  vi'ai, 


504  l'action  française 

faudrait-il  regarder  cela  comme  un  déshonneur?  Cela 
eût-il  en  soi  constitué  une  mésalliance,  le  mariage  des  blancs 
avec  des  Indiens  ?  Nous  en  eussions  été  un  peu  moins 
français,  mais.  .  .  Il  y  a  eu  chez  nous  des  cas  particuliers 
de  mélange  de  ces  deux  sangs,  et  ces  cas  donnent  à  réflé- 
chir. Mgr  Laflèche  avait  du  sang  indien,  et  en  forte  pro- 
portion, Chapleau  de  même.  Cependant,  ces  deux  types 
d'hommes  furent  pai'mi  les  plus  brillants  que  nous  ayons 
eus. 

M.  l'abbé  Groulx  attache  également  une  trop  grande 
importance  à  ce  que  dit  La  Bru^'ère  du  paysan  français 
de  son  temps.  Ce  portrait  est  une  charge.  L'auteur  des 
Caractères  est  un  ps^^chologue,  amer  si  l'on  veut,  mais  psy- 
chologue, il  est  un  stjdiste  merveilleux,  mais  il  n'a  aucun 
droit  au  titre  d'iiistorien,  et  ce  n'est  pas  chez  lui  qu'il  faut 
aller  se  documenter.  Quant  à  la  Hontan,  btaucoup  trop 
d'espace  est  consacré  à  ses  gasconnades.  Pour  résumer 
tout  mon  sentiment  sm*  ce  premier  chapitre,  je  dirai  que 
le  fond  en  est  très  bon,  mais  les  citations  pas  toujours  heu- 
reuses, et  que  la  matière  générale  n'en  est  pas  assez  fondue, 
assez  assimilée  :  l'auteur  ne  paraît  pas  suffisamment  la 
dominer.  Vers  la  fin  cependant  le  ton  se  relève,  prend  une 
ampleur  qui  va  s'étendre,  se  communiquer  de  chapitre  en 
chapitre  jusqu'à  la  fin.  Avec  le  Milieu,  on  effet,  l'allure 
devient  grave  sans  être  compassée;  l'auteur  maîtrise  davan- 
tage le  document,  dont  le  choix  est  d'ordinaire  très  judi- 
cieux; et  toutes  ces  pièces  d'archives  s'insèrent  dans  la  trame 
de  l'ouvrage  qu'emporte  un  grand  soufîle  lyrique.  Le  Mi- 
lieu, ce  sont  les  trois  forces  auxquelles  le  Colon  a  été  soumis, 
et  qui  lentement  l'ont  forgé  et  l'ont  modelé  :  le  Pays 
d'abord,  savoir  le  climat,  le  sol,  les  espaces  immenses.  Les 
considérations  que  ceci  inspire  à  l'auteur  pourraient  avoir 


l' ACTION'    FRANÇAISE  505 

pour  épigraphe  un  mot  —  de  qui  donc  ?.  Mais  de  ce  Barrés 
précisément,  qui  sait,  quand  il  le  veut,  dire  à  notre  sujet 
autre  chose  que  des  incongruités.  Ce  patricien  de  lettres 
avait  dû  écrire  l'article  mentionné  plus  haut  à  l'une  de  ces 
heures  où,  selon  sa  propre  expression.  «  il  se  sent  diminué  ». 
Mais  le  mot  ciue  je  vais  rapporter  ne  rachetait-il  pas  à 
l'avance  sa  bé\'iie?  a  Au  Canada,  la  race  française  s^est 
aérée.  »  Vérité  profonde,  que  M.  l'abbé  Groulx  met  en 
relief.  Il  est  indubitable  que,  sous  l'effet  des  causes  physi- 
ques, le  vieux  sang  français  s'est  régénéré  sur  nos  plages, 
au  sein  de  nos  forêts,  grâce  à  un  climat  dur  mais  extrême- 
ment salubre.  Le  Gouvernement  ensuite.  Et  enfin,  et 
par  dessus  tout,  VEçjlise.  L'on  n'insistera  jamais  trop  sur 
le  rôle  providentiel  de  cette  dernière  à  l'égard  de  nos  desti- 
nées. Cela  permet  à  l'auteur  de  faire  défiler  les  nobles 
figures  de  nos  missionnaires  et  de  nos  saintes  femmes  et  de 
rendre  un  hommage  ému  à  leur  désintéressement,  leur  pé- 
nétration de  \'nes,  la  hauteur  surnaturelle  de  leurs  desseins. 
J'effacerais  cependant,  dans  le  portrait  de  Mgr  de  Laval, 
l'expression  «  candidat  à  la  sainteté  ».  Elle  a  dû  échapper 
à  l'auteur. 

Les  deux  chapitres  Cjui  suivent  ont  trait  à  V Établissement 
de  la  colonie.  Pourquoi  faut-il  qu'ils  s'ouvrent  par  des 
références  à  Sismondi  ?  Simonde  de  Sismondi  n'a  absolu- 
ment aucune  valeur.  Et  je  préférerais  ne  pas  le  voir  invo- 
quer dans  un  travail  si  bien  ordonné  et  si  sérieux.  L'au- 
teur adopte,  si  je  peux  dire,  l'ordre  chronologique,  pour 
relater  les  succès  ou  les  faillites,  les  reprises  et  les  revers, 
dans  l'établissement  de  la  Nouvelle-France.  C'est  la  meil- 
lem-e  méthode  en  l'espèce,  probablement,  quoiqu'il  s'en 
présente  une  autre  à  mon  esprit,  savoir  celle  du  gi'oupe- 
ment,  qui  eût  consisté  à  ramasser,  d'un  côté  les  a\antages 


506  l'action  française 

des  divers  systèmes  qui  ont  été  essayés,  de  l'autre  leurs 
inconvénients  et  leurs  défectuosités.  Je  ne  tiens  pas  du 
tout  à  cette  idée,  encore  qu'il  me  paraisse  qu'elle  eût  peut- 
être  permis  à  l'auteur  d'éviter  l'écueil  de  toute  narration 
un  peu  longue,  je  veux  dire  quelque  monotonie.  Ce  dont 
je  suis  surpris,  c'est  qu'à  propos  de  la  tenure  seigneuriale, 
l'ouvi'age  de  Munro  ne  soit  pas  cité.  C'est  pourtant  l'étude 
classique  là-dessus.  M.  l'abbé  Groulx,  quand  il  en  vient 
à  parler  des  «  coureurs  de  bois  »,  fait  allusion  aux  Crusaders 
of  New  France,  du  même  autem*.  Or,  dans  Crusaders  of 
New  France,  il  y  a  un  chapitre  sm*  l'éducation  ou  l'instruc- 
tion en  Nouvelle-France  qui  appelle  la  réfutation  la  plus 
complète.  J'espérais  que  dans  son  étude  finale,  où  ce  sujet 
est  abordé,  M.  l'abbé  Groulx  y  reviendrait  pour  mettre 
les  choses  au  point.  Et  encore,  sinon  d'une  façon  générale, 
du  moins  ça  et  là  au  cours  de  la  Naissance  d'une  Race,  et 
en  particulier  dans  le  chapitre  premier  de  V Établissement, 
par  exemple  page  157,  il  y  a  des  choses  qui  sont  un  peu 
trop  «  tribune  »  et  «  discours  de  circonstance  ».  Je  cite  : 
«  Et  voilà  cet  homme,  ce  type  de  l'habitant  canadien,  non 
pas  demi-sauvage  et  demi-barbare,  comme  l'a  caricaturé 
Pat'kman,  mais  héros  d'idéal,  de  courage  et  de  simplicité, 
fondateur  de  pays  et  fondateur  de  race,  pionnier  de  la  civi- 
lisation et  pionnier  de  la  foi,  ancêtre  qui,  dans  notre  his- 
toire comme  dans  le  bronze,  n'est  à  sa  place  que  sur  un  socle, 
dans  une  attitude  de  foi  et  de  labeur,  la  tête  nue  sous  notre 
grand  ciel,  la  faucille  d'une  main,  et,  de  l'autre,  élevant  vers 
le  Créateur  sa  première  gerbe  de  blé.  » 

C'est  très  beau,  mais  n'est-ce  pas  un  peu  bien  oratoire  ? 
Je  me  disais  que  pareille  envolée  eût  admirablement  con- 
venu pour  le  dévoilement  du  monument  Louis  Hébert. 
En  cours  d'histoire,  elle  semble  un  peu  trop  «  parlée  ».     Ces 


l'action  française  507 

quelques  réserves  marquées,  il  reste  que  ces  deux  cha- 
pitres sont  pleins  de  doctrine,  de  faits,  et  qu'ils  enregistrent 
avec  la  plus  parfaite  impartialité  les  rayons  et  les  ombres 
de  notre  primitive  histoire.  Une  dernière  observation  — 
l'esprit  critique,  hélas  !  ne  cède  pas  volontiers  ses  droits  — 
qui  porte  sur  tout  l'ensemble  de  l'ouvrage.  Il  y  a  tel  pro- 
cédé par  quoi  l'on  s'incorpore  l'érudition  documentaire, 
l'on  se  s'assimile,  on  la  digère,  on  la  fait  sienne,  en  sorte 
que  l'on  bâtit  dessus,mais  sans  qu'il  y  paraisse,  de  telle  façon 
que  les  thèses  sont  fortement  étayées,  et  que  l'on  peut  don- 
ner sa  référence  pour  chacune  de  ses  afl&rmations,  et  que 
le  lecteur  peut  aller  à  la  source  et  vérifier  les  textes;  mais 
la  substance  empruntée  s'est  tellement  mêlée  à  la  forme 
de  l'auteur  qu'on  ne  l'en  distingue  pas.  Or,  chez  M.  l'abbé 
Groulx,  la  trame  personnelle  est  trop  hachée  de  longues  et 
copieuses  citations  qui  entravent  et  alourdissent  l'éian  de 
la  pensée.  L'érudition  est  l'un  des  éléments  de  l'histoire, 
un  élément  partiel;  mais,  parce  que  l'histoire  est  une 
science  et  un  art,  il  faut  faire  subir  à  la  matière  brute  une 
transformation  qui  la  hausse  aux  lois  idéales  qui  régissent 
ce   domaine. 

Le  dernier  chapitre,  ou  mieux  le  dernier  chant  de  ce 
poème,  est  synthétique.  C'est  le  complément  superbe  des 
données  acquises,  la  conclusion  enflammée  d'une  enquête 
qui  n'a  rien  négligé  pour  s'instruire  de  tout  ce  que  la  Provi- 
dence et  les  hommes  ont  mis  dans  le  berceau  de  notre  race  : 
les  richesses  naturelles  du  nouveau  type  humain  qui  y  a 
été  élaboré,  aussi  les  défauts  inhérents  à  tout  ce  qui  est 
de  la  terre;  mais  les  ressources  l'emportent  sur  les  inévita- 
bles déficiences.  Il  y  a  là  des  pages  sur  le  degré  de  culture 
intellectuelle  qui  distinguait  nos  pères,  par  conséquent  sur 


ôOS  l'action  française 

la  langue  qu'ils  parlaient,  — •  double  héritage  que  les  écoles 
ont  tout  de  suite  transmis  de  génération  en  génération, 
qui  mériteraient  d'être  serties  dans  l'or.  Et  que  de  beau- 
tés dc'tout  ordre  sont  semées  dans  cette  finale,  qui  est,  avec 
le  Milieu,  ce  qui  vibre  le  plus  dans  la  Naissance  d'une 
Race,  ce  qui  s'enveloppe  de  plus  de  charme,  ce  qui  se  colore 
de   plus   savoureuse   poésie  ! 

L'on  connaît  ce  mot  d'un  penseur  ;  «  Les  cù-constances 
ne  font  pas  le  génie;  les  circonstances  fournissent  au  génie 
l'occasion  de  se  révéler  ».  Et  de  même,  le  sujet  ne  fait 
pas  l'historien;  mais  le  sujet  fournit  à  l'historien  l'occasion 
de  montrer  sa  puissance.  Dans  ce  Livre  de  notre  Genèse, 
nous  avons  rUlustration  de  ce  que  peut  la  vertu  d'un 
incomparable  sujet  sur  un  beau  talent,  que  ses  affinités 
électives,  sa  culture,  toutes  ses  aptitudes,  prédestinaient  à 
une  telle  rencontre,  j'allais  mettre  :  à  de  telles  fiançailles. 
Car  il  y  a  vraiment  ici  quelque  chose  de  mj^stique,  et 
comme  une  harmonie  préétablie,  entre  la  matière  de 
rœu\Te  et  l'artiste  qui  allait  lui  faire  rendre  des  accents 
d'un  si  pénétrant  et  si  suave  lyrisme.  .  . 

«  il  suffit  d'un  enfant  sur  sa  mère  endo>  7ni.  » 

Il  aura  suffi  à  j\L  l'abbé  Groulx  de  contempler,  avec 
les  yeux  de  l'âme,  notre  race,  notre  race  providentielle  et 
privilégiée,  à  son  éclosion,  dans  ses  langes,  d:"^  la  voir  ber- 
cée par  la  France  très  chrétienne,  sa  mère,  plus  amoureu- 
sement bercée  par  son  autre  mère,  sa  mère  immortelle, 
l'Église   catholique, 

«...  pour  que  le  néant  ne  touche  poini  à  lui.  » 

Henri  d'An  les 


LE  PELERINAGE  DE  JACQUES 


Petit  Jacques  a  fait  Vautre  jour  son  pèlerinage  à  Carillon, 
Sa  mère  a  voulu,  avant  l'ouverture  des  classes,  lui  mettre  au 
cœur  la  passion  cVun  beau  devoir. 

Vous,  petits  écoliers  qui  êtes  allés, le  dernier  printemps, 
«  au  pays  de  Dollard  »,  vous  devinez  toutes  les  émotions  qui,  au 
départ  de  la  maison,  ont  pris  d'assaut  le  cœur  du  petit  bon- 
homme. .  .  Il  s'en  allait  au  pays  des  rêves  héroïques,  de  ses 
rêves  à  lui,  qui  lui  venaient,  le  soir  avant  de  s'endormir,  quand 
il  avait  lu  quelque  histoire  merveilleuse.  Je  passe  rapidement 
sur  le  voyage  en  bateau,  à  bord  de  la  Duchess  of  York,  le  long 
du  lac  Saint-Louis,  puis,  sur  le  lac  des  Deux-Montagnes. 
Petit  Jacques  ouvrit  bien  giands  ses  yeux  qui  se  baignaient 
dans  l'eau  bleu  foncé,  qui  s'élançaient  vers  les  rives  ombreuses 
derrière  lesquelles  apparaissaient  des  maisons,  des  fermes 
et  des  clochers  tout  blancs.  Après  la  grande  nappe  d'eau  du 
lac  des  Deux-Montagnes,  vaste  comme  un  pan  du  ciel  tombé 
sur  terre,  la  rivière  Outaouais  se  rétrécit,  et  la  mère  de  Jacques, 
lui  montrant  un  point  sombre  dans  le  lointain,  lui  dit  :  «  C'est 
là  ». 

La  mémoire  et  le  cœur  de  l'enfant  parlaient  encore  plus 
fort  que  la  voix  de  sa  maman,que  tous  les  paysages.  Qu'était  ce 
Dollard  qu'on  l'amenait  vénérer  ? — C'était  le  héros  de  sa  toute 
première  enfance,  le  héros  d'un  affreux  combat  dont  sa  mère, 
un  Eoir,  lui  avait  fait  le  récit.  Aussi,  malgré  les  attraits  du 
voyage,  il  aime  que  sa  mère  V entretienne  des  martyrs  de  1660. 
Jacques  a  tant  hâte  d'arriver,  que  le  bateau    à  peine  obordéy 


510  l'action  française 

le  premier  il  enjambe  la  passerelle,  entraînant  sa  mère  avec 
lui.  Tous  deux  ils  marchent  quelque  temps  en  silence  dans 
une  route  que  les  pèlerins  ont  maintenant  tracée  et  que  jonchent 
les  prçmières  feuilles  de  l'automne;  puis,  à  un  détour  du  che- 
min, Jacques  et  sa  mère  se  mettent  à  gravir  une  route  légère- 
ment m.ontante  qui  conduit  à  Venceinte  sacrée.  Déjà  ils  aper- 
çoivent, à  droite,  un  enclos  que -garde  une  grande  croix  blan- 
che. .  .  «  C'est  bien  ici,  dit  la  mère,  en  montrant  le  petit  tertre 
fleuri  de  peiisées,  de  marguerites  et  d'immortelles.  C'est  ici, 
mon  enfant,  qu'il  y  a  deux  cent  cinquante-neuf  ans,  le  com- 
mandant Dollard  et  ses  soldats  de  la  Sainte-Vierge  disputèrent 
aux  Iroquois,  Montréal,  Québec  et  Tr ois-Rivières,  toute  la 
Nouvelle-France.  Cela  leur  était  venu,  tu  t'en  souviens,  un 
soir  que  la  grande  nature  leur  avait  parlé,  que  leur  patrie  nou- 
velle avait  crié  :  «  à  l'aide  ».  Les  barbares  avaient  décidé  d'en 
finir  avec  elle,  dans  un  carnage  suprême.  Quel  dommage 
que  le  fortin  oit  ils  s'étaient  retranchés  ait  disparu  !  tu  verrais, 
mon  Jacques,  de  quel  héroïsme  presque  téméraire  nos  petits 
chevaliers  ont  fait  preuve.  Leur  rempart  n'était  fait  que  de 
jnisérables  pieux;  au  dedans,  ils  manquaient  d'eau  et  ils  souf- 
fraient de  la  faim.  Huit  cents  guerriers  à  face  de  démon 
ont  combattu  et  hurlé  pendant  deux  jours  autour  de  celte  poi- 
gnée de  héros.  Eux  se  sont  battus  et  ont  prié,  ils  se  sont  battus 
«  jusqu'au  bout  ))  malgré  la  trahison  ».  —  Oui,  interjeta 
Jacques,  la  trahison  de  ces  méchants  Hurons!  »  —  «  Quand 
ils  ne  furent  que  quelques-uns  à  se  battre,  les  Iroquois  abatti- 
rent la  palissade  et  entrèrent  dans  le  fort.  A  ce  moment  eut 
lieu  une  lutte  corps-à-corps;  les  agonisants  furent  achevés  et 
les  derniers  survivants  français  périrent  dans  des  tortures 
effroyables.  Oui,  mon  Jacques,  c'est  bien  ici  que  reposent, 
confondus  avec  les  sauvages  tiiés  de  leurs  maitis,  les  chevaliers 
de  Ville-Marie,  si  vaillamment  tombés.  Le  sol  qui  a  bu  si 
avidement  leur  sang,  garde  dans  son  sein  une  seînence  qui 


l'actiox  française  .511 

germera,  si  la  jeunesse  de  plus  tard  veut  être  fidèle  aux  gran- 
des leçons  des  a/niés.  » 

«  Mais  voyez  donc,  maman,  dit  Jacques,  il  produit  déjà, 
le  sol,  regardez  comme  les  immortelles  ont  poussé  dru  sur  la 
tombe  des  martyrs  ))  —  «  Mon  petit  Jacques,  c'est  la  fleur 
de  la  reconnaissance^  celle-là.  plantée  par  des  mains  pieuses. 
Mais  je  veux  parler  d'une  autre  fleur  qu'attend  cette  terre  tour- 
mentée. Ce  n'est  pas  pour  obtenir  l'immortalité  que  les  braves 
de  1660  ont  donné  leur  vie.  Quelque  chose  de  plus  saint,  de 
plus  noble,  leur  commandait  le  don  d'eux-mêmes.  Ce  qu'ils 
voulaient,  vois-tu,  c'était  d'abord  répondre^  au  commandement 
du  devoir,  puis,  montrer  aux  petits  Canadiens  qui  viendraient 
après  eux,  que  la  patrie  est  ce  qu'on  a  de  plus  cher  au  ni'ynde, 
après  la  famille,  et  qu'on  doil  être  prêt  à  tout  sacrifier  pour 
l'empêcher  de  mourir.  La  fleur  qu'attend  la  terre  de  Dollard, 
c'est  l'amour  de  notre  patrie  française  du  Canada.  )) 

((  Ils  étaient  des  saints,  chère  mère,  nos  grands  frères  de 
ce  temps-là  »,  répond  l'enfant  avec  enthousiasme,  et  les  yeux 
fixés  sur  les  coteaux  verts  et  le  firmament  plus  bleu,  il  continue, 
avec  beaucoup  d'exaltation:  «  Je  voudrais  choisir  un  aussi 
beau  décor  pour  mourir,  moi.  » 

f- Descendons,  dit  la  mère,  le  monument  n'est  pas  loin' 
Vois-tu  cette  tête  de  bronze  au  haut  d'une  stèle  de  granit  f  C'est 
lui.yt  A  mesure  qu'ils  approchent,  tout  le  monumerit  se  dresse. 
Le  médaillon  du  bas  attire  tout  de  suite  les  yeux  de  Jacques. 
((Mère,  voyez  donc  cette  tête.  Avec  ses  cheveux  épars,  son  nez 
pincé  et  ses  lèvres  amincies,  on  dirait  un  homme  qui  projette 
toute  son  ânie  dans  un  effoit  suprême.  C'est  lui  Dollard  f  » 
—  «  Oui,  cest  Dollard,  répond  la  mère,  reprenant  son  récit. 
C'est  Dollard  qui  jette  désespérément  son  dernier  comman- 
dement. Il  vient  de  parer  à  un  désastre,  comme  tu  sais.  Un 
baril  de  poudie  chargé  coniie  l'ennemi  vient  d'éclater  dans 


512  l'action  française 

Je  Jort,  se7nant  la  mort  'parmi  les  combattants  français.  Dol- 
lard  qui  reste  debout  avec  quelques  autres,  lève  une  dernière 
fois  son  épée  pour  la  Nouvelle-France  qui  là-haut  —  tu  vois 
cet  autre  médailhn  —  accueille  le  sacrifice  du  héros.  .  .  » 

«  Et  ces  noms  gravés  dans  le  granit,  reprend  l'enfant, 
ah  !  oui,  ce  sont  les  noms  des  seize.  »  Et  Jacques  commence, 
olennel,  V appellation  des  héros,  des  soldais  de  Ville-Marie 
qui,  au  mois  de  mai  1660  «  donnèrent  généreusement  leur 
vie  pour  la  Nouvelle-France.  »  Comme  ils  résonnaient 
fièrement  sur  ses  lèvres  les  noms  de  Dollard  des  Ormeaux,  de 
Christophe  Augier.  dit  Desjardins,  de  Jacques  Brassier,  de 
René  Doussin,  etc.,  etc. 

«  Je  te  Vai  déjà  dit,  compléta  la  maman,  ces  braves  étaient 
pour  la  plupart  de  petites  gens,  de  simples  gens  de  métier; 
il  y  avait  parmi  eux  un  armurier  comme  Jean  Tavernier,  un 
serrurier  comme  Nicolas  Tillemont,.  un  chaufournier  comme 
Alo7iie  de  Lestres.  Ce  qui  prouve,  mon  Jacques,  que  les  beaux 
devoirs,  les  nobles  sacrifices  sont  à  la  portée  de  tout  le  monde; 
il  suffit  qu'on  soit  généreux,  qu'on  garde  bien  son  cœur  et  qu'on 
le  laisse  grandir.  Le  bon  Dieu  quand  II  veut  opérer  de  grandes 
choses,  ne  demande  pas  à  un  jeune  homme  s'il  a  du  bien  ou 
s'il  vient  d'une  grande  famille.  Il  lui  demande  s'il  a  du  cœur, 
de  la  volonté,  du  courage.  Alors,  Il  le  remplit  de  sa  grâce  et 
lui  confie  ime  missioyi.  Les  petits  soldats  de  Dollard  travail- 
laient beaucoup,  mais  priaient  de  même;  ils  vivaient  dans  une 
compagnie  de  très  nobles  gens  oit  il  y  avait  M.  de  Maison- 
neuve,  Lambert  Closse,  Jeanne  Mance,  Marguerite  Bour- 
geoys;  ils  respiraient  une  atmosphère  d'héroïsme.  Aussi 
quand  sonna  l'appel  de  Dieu  et  de  la  N ouvelle-France,  il  les 
trouva  prêts.  Le  matin  de  leur  départ,  comme  tu  sais,  ils 
communièrent  et  tous,  entre  les  mains  du  prêtre,  firent  le  ser- 


\ 


l'action  française  513 

7nent  de  ne  jamais  demander  quartier,  de  combattre  jusqu^au 
bout.  » 

Jacques  écoutait,  bouleversé,  ému,  le  récit  où  Iq,  maman 
avait  mis  toute  son  âme  et  toute  sa  force  persuasive.  «  Maman, 
dit-il  vivement,  si  je  demandais  au  bon  Dieu  de  me  confier  une 
mission,  à  moi  aussi?  »  —  «  Mais,  mon  "petit  Jacques,  elle 
est  tout  indiquée,  ta  mission.  Elle  est  celle  de  tout  Canadien- 
français  catholique.  Etre  digne  de  sa  foi,  être  digne  de  sa 
race,  et  les  servir,  les  défendre  toutes  deux.  Jacques,  demain 
peut-être  la  patrie  aura  besoin  de  héros.  Lève  la  main  vers 
Dollard  et  vers  les  héros  du  Long-Sault  et  fais  ton  serment  à 
la  Nouvelle-France,  ce  serment  que  j'ai  formulé  pour  toi.  » 
Jacques  s'approche  du  monument,  la  main  droite  vers 
la  stèle  des  héros,  Vautre  un  peu  tremblante,  tenant  le  petit 
carré  de  papier  que  vient  de  lui  tendre  sa  mère,  et,  la  poitrine 
gonflée  par  Vémotion,  les  yeux  remplis  d'une  flamme  ardente, 
il  prononce  bien  haut  : 

«  0  Dollard,  je  t'apporte  le  serment  de  mon  enfance. 
Comme  toi,  je  veux  être  le  chevalier  de  ma  race  et  de  ma  foi. 
Par  ma  vie  d'aujourd'hui,  je  veux  apprendre  le  goût  des  nobles 
devoirs,  l'amour  des  grands  dévouements.  Je  me  souviendrai 
que  le  héros  est  le  fruit  de  nobles  semences.  Je  serai\fort,  géné- 
reux, laborieux,  pur  dans  ma  jeunesse,  pour  être  un  jour  vail- 
lant et  héroïque.  J'écouterai  la  voix  de  la  terre,  de  la  patrie, 
la  voix  des  morts;  je  laisserai  entrer  dans  mon  âme  les  inspi- 
rations de  notre  histoire;  je  laisserai  tout  féconder  par  la  prière, 
par  la  vertu  divine,  et,  jusqu'au  bout,  ô  mon  grand  frère,  je  le 
promets,  je  servirai  la  Nouvelle-France.  » 

Jacques  prononça  ces  derniers  mots  pendant  que  sa  mèret 
les  yeux  mouillés,  regardait  au  loin  l'écume  blanche  du 
Long-Sault  et,  par  delà,  le  mirage  sombre  de  la  terre  ontarienne. 

Joyberle  Soulanges. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Quelques-unes 
de  nos  faiblesses 


Un  ami,  dont  le  zèle  pour  la  langue  française 
est  inlassable,  m'adresse  une  longue  lettre 
où  il  signale,  point  par  point,  quelques-unes 
de  nos  faiblesses  dans  la  vie  courante  et  en  indique,  du  même  coup,  les 
remèdes. 

Nous  allons  parcourir  ensemble,  si  mes  lecteurs  le  veulent  bien, 
cet    intéressant   mémoire. 


Les  pïOdUltS  Et  d'abord,  écrit  notre  ami,  «  pourquoi  nos 

des  distillciteUTS       distillateurs,   même   canadiens-français,   nous 
ofïrent-ils  des  bouteilles  flanquées  d'inscrip- 
tions anglaises?     Mexican  Cream  Soda,  Minerai   Water,  Ginger  Aie,' 
Cidcr,  etc.,  ne  peuvent-ils  pas  se  traduire?  » 


^^^     Boisson  de  Luxe     ^^^ 

I         HYGIÉNIQUE    ET    DÉLICIEUSE  | 

I     AUX  SUCS  DE  FRUITS  FRAIS     l 

I  GARANTIE    NATURELLE  | 

tlmonade  <■»  Uichy 

SATUREE   AU    GAZ    NATUREL     ET    AVEC    EAU     MINERALE    CALEDONIA 

1^^^  parELZ.  PORTIER  &CIE.  ^^J 


fiIlSS?i!]ÎS!^'^ 


QUEBEC 


^wm^^' 


l'action  française  515 

En  effet,  le  geste  des  fabricants  de  bonbons  et  de  biscuits  devrait 
être  imité  par  nos  fabricants  de  bière  et  de  liqueurs.  Ceux-ci  peuvent 
même  le  faire  plus  facilement,  puisque  le  nombre  de  leurs  produits  est 
très  restreint.  Quelques-uns  d'ailleurs  ont  déjà  adopté  des  étiquettes 
françaises.  J'ai  signalé  dans  ma  récente  chronique  sur  les  Trois-Rivières 
l'initiative  de  la  maison  Rousseau  qui  met  sur  ses  bouteilles  :  soda  à  la 
crème.  Mais  voici  mieux  encore.  C'est  l'étiquette  :  Limonade  de 
Vichy  que  nous  reproduisons  sur  la  page  précédente.    ^ 

Une  réunion  des  fabricants  canadiens-français  d'eaux  gazeuses 
sera  bientôt  convoquée  par  V Action  française.  Nous  y  utiliserons  cette 
pièce  et  toute  autre  du  même  genre  qu'on  voudrait  bien  nous  envoyer. 

FoUTflitUTeS  Après  les  distillateurs,  les  Kbraires.  «  Pourquoi 
SCOlQlTêS  P''6sque  tous  les  blocs-notes  de  nos  librairies  sont-ils 
affligés  de  mots  anglais  ?  The  Favorite,  Eagle,  Linen 
paper,  Note  book,  Litlle  Chief,  Wriling  tablet,  etc.  ?  Allez  dono  visiter 
les  étalages  de  cahiers,  de  buvards  et  autres  fournitures  scolaires,  vous 
serez  choqué  de  la  disproportion  qui  existe  entre  le  nombre  des  articles 
et  celui  des  clients  de  langue  française,  et  pourtant  toas,  manufactu- 
riers, vendeurs,  Libraires  et  acheteurs  sont  de  notre  peuple.  Imagine- 
t-on  des  Français  de  Paris  plaquant  des  mots  allemands  ou  riisses  pour 
leurs  clients  parisiens  ?  » 

Ce  mal  est  réel.  Il  a  déjà  été  dénoncé  (Le  Devoir,  24  mars  1912) . 
Et  aussitôt  les  intéressés  sont  venas  protester.  Ils  ont  quaUfié  d'in- 
4«mpestives  les  remarques  faites  et  proclamé  leur  patriotisme.  Des 
paroles  !  Mais  les  astes. . .  ?  Nous  les  attendons  encore.  La  pape- 
terie a  peu  changé  depuis  sept  ans.  Qui  pourra  convertir  nos  libraires  ? 

Jeux  de  î^^ais  voici  un  projet  intére-ssant.     L'Adion  française, 

COîteS  ^^  demande  notre  correspondant,  ne  nous  dotera-t-elle 

pas,  un  jour,  de  «  jeiLX  de  cartes  bien  français  »  ?  Quel- 
ques lecteurs  vont  sans  doute  s'étonner  de  cette  proposition.  Des  jeux 
de  cartes  français?  Les  cartes  contiennent  des  figures,  non  des  mots. 
EUes  ne  sont  d'aucune  langue.  Mais  on  précise  :  «  français  par  l'enve- 
loppe, les  lettres  des  figures  et  le  dos.  »     On  a  dû  en  effet  le  remarquer  : 

^  Cette  étiquette  véritablement  artistique  est  en  caractères  noirs 
et  rouges  sur  fond  crème,  avec  filets  d'or.  Noue  regrettons  de  ne  pou- 
voir la  reproduire  en  couleurs. 


516  l'action  française 

«  la  boîte  annonce  toujours  Playing  cards,  etc.  ;  sur  les  coins,  les  figures 
portent  J.  —  Q.  —  K.  au  lieu  de  V.  —  D.  —  R.  qu'exigent  nos  Valets, 
Dames  et  Rois;  enfin  sur  le  dos  des  cartes,  pour  amuser  ceux  qui  n'ont 
pas  d'atout,  on  pourrait  représenter  quelque  chose  d'intéressant,  des 
scènes  historiques  avec  ou  sans  légendes,  les  monimients  de  IMaison- 
neuve,  Montcalm,  Dollard  ou  Frontenac,  un  dessin  vieux-canadien 
de  Massicotte  ou  Franchère,  que  sais-je  ?  On  tirerait  dix  ou  vingt  mille 
jeux  de  chaque  série  qui  s'enlèveraient  vite,  sans  coûter  plus  cher  que 
les  insipides  cartons  roses  ou  bleus  qui  nous  trichent  notre  langue  chaque 
hiver.  Ce  ne  sera  pas  pour  cette  année,  mais  sûrement  pour  1920  si 
l'entreprenante  Action  française  le  veut.  » 

IJ entre-prenante  Action  française.  .  .  C'est  dit  comme  sans  en  avoir 
l'air,  mais  ça  y  est  quand  même  !  Et  allez  donc  résister  à  ces  qualifi- 
catifs ensorceleurs,  fussiez-vous  débordés  par  vingt  autres  initiatives  : 
l'Almanach,  les  conférences,  l'exposition  de  biscuits,  etc.,  etc.  Aussi 
je  crois  bien  que  les  directeurs  de  V Action  française,  à  qui  le  projet  a  été 
soumis,  feront  en  sorte  qu'il  se  réalise  le  plus  tôt  possible. 

Scèfie  Mais  arrêtons-nous.     Ce  diable  de  correspon- 

txulcfyieyitdiy C      ^^"^^  ^^^  ^^^^  ^"^^^  entreprenant.    A  le  suivre  jus- 
qu'au  bout,   il   nous  mènerait  très  loin.     Nous 
le  retrouverons  peut-être  plus  tard. 

Et  notons  d'un  mot,  avant  de  terminer,  la  jolie  scène  dont  le  Parle- 
ment fédéral  fut  récemment  le  théâtre.  Ce  jour-là,  notre  ministre  du 
commerce  était  en  verve.  Avait-il  ouï  dire  que  quelques-uns  de  ses 
collègues  s'étaient  montrés  sceptiques  sur  sa  fameuse  heure  de  français, 
lors  de  son  séjour  à  Paris,  ou  que  d'autres  en  avaient  fait  des  gorges 
chaudes?  Toujours  est-il  qu'il  voulut  donner  des  preuves  irréfutables 
de  ses  progrès  linguistiques.  De  lui-même,  sans  aucune  provocation, 
il  ouvrit  le  bal  en  présentant  en  français  le  nouveau  ministre  des  Finan- 
ces. Des  députés  de  Québec  le  relancèrent  aussitôt:  il  leur  tint  tête 
avec  succès  à  chaque  assaut,  si  bien  qu'un  grand  Écossais,  peu  habitué 
à  ce  spectacle  et  qui  s'ennuyait  de  ne  pouvoir  prendre  part  à  la  danse, 
se  fâcha  tout  rouge  !  Mais  sa  colère  est  passée.  Et  la  démonstration 
reste.  A  soixante-douze  ans,  on  peut  apprendre  le  français;  on  pont 
même  y  être  obligé,  fût-on  député  de  Toronto,  pour  représenter  digne- 
ment son  pays.  Alors,  ne  vaut-il  pas  mieux  commencer,  quand  on  est 
jeune,  dans  les  petites  écoles ...  ? 

Pierre  Homier. 
15   novembre    1919. 


NOTRE  CONCOURS 


$100.  EN  PRIX  —  LES  CONDITIONS 


Voici  le  dernier  mois  de  notre  concouiis  d'abonnement.  A  nos  di- 
vers amis,  aiLx  différents  groupes  d'accentuer  leur  effort.  Les  derniers 
venus  peuvent  encore  l'emporter.  Tout  dépend  de  ]'inten.sité  de  l'ef- 
fort, et  le  mois  de  décembre  offre  aux  conciu-rents  une  période  d'ac+ion 
particulièrement  fructueuse.  On  peut  à  la  fois  vendre  les  collections 
de  1919  et  recueillir  les  abonnements  de  1920. 

Pour  l'information  des  nouveaux  venus,  nous  répétons  ici  les  con- 
ditions générale;:!  du  concour.»  : 

Seize  prix  sei-ont  attribués,  selon  le  nombre  des  points  recueillis  : 

1  premier  prix  de     $25 

1  deuxième  prix  de  $15 

2  prix  de  .$10 

4  prix  de  $  5 

5  prix  de  $  2 .  50 

Les  points  seront  calculés  d'après  l'échelle  suivante  : 

Abonnements  de  1919,    5  points  chacun 
Abonnements  de  1920,  10  points  chacun 
Abonnements  de  1918,  10  points  chacun 
Les  trois  abonnements 
à  la  même  adresse,,         30  points 

En  tout  cas,  il  ne  peut  s'agir  que  d'abonnements  nouveaux.  Les 
renouvellements  et  prolongatiotus  ne  comptent  point,  pas  plus  que  les  soldes 
abod'nnements.  en  cours    La  collection  de  1918  sera  toui  de  suite  adressée 


518 


L  ACTION    FRANÇAISE 


aux  nouveaux  abonnés,  de  inêtne  que  les  livraisons  parues  de  1919.  La 
colleclion  de  1918  se  vend  $2,  l'abonnement  de  1919  et  de  1920  est  de  SI 
par  année,  payable  d'avance. 

Le  concours  s'est  ouvert  le  1er  juillet  pour  se  terminer  avec  le  dernier 
courrier  distribué  à  Montréal  le  31  décembre.  Le  résultat  sera  proclamé 
dans  la  livraison  de  janvier  1920  de  rAction  française.  Les  concurrents 
sont  libres  de  recueillir  les  abonnements  où  ils  veulont,  de  grouper  leurs 
efforts,  etc.  Nous  ferons  simplement  le  total  des  abonnements  et  des  points 
obtenus. 

Nous  prions  qu'on  ait  bien  soin,  en  expédiant  chaque  nouvel  abonne- 
ment, de  spécifier  :  Poxir  le  concours .  .  .  Doit  être  attribué  à  X .  .  . , 
en  précisant  bien  les  noms  et  les  adresses. 

Que  tous  ceux-là  prennent  part  au  concours  qui  le  peuvent  !  Que 
ceux  qui  ne  peuvent  s'engager  dans  cette  lutte  amicale  n'en  travaillent  pas 
moins  à  la  diffusion  de  la  revue  !  Au-dessus  du  concours,  il  y  a  la  besogne 
générale  de  propagande,  et  le  concours  n'est  qu'un  moyen  de  la  faciliter  et  de 
l'accélérer. 

A  l'œuvre  donc,  tout  de  suite  et  partout  ! 

L'Action  française. 

P.  S. — Toute  la  correspondance  doit  être  adressée  à  Concours  d'abon- 
nement. TAction  française,  32,  Immeuble  de  la  Sauvegarde,  Montréal 


POUR  LES  ËTRENNES 


Offrez  à  vos  amis  l'abonnement  à 

l'Action  française  (1920) 

et  la  collection  de  la  revue  de  1919. 
S2.00 


LA  VIE  DE  r ACTION  FRANÇAISE 


A  Montréal  —  Noas  ne  pouvions  souhaiter  pour  nos  réunions  de 
Montréal  plus  brillant  début.  Nos  lecteurs  savent  déjà  par  les  quoti- 
diens que  la  conférence  de  Mgr  Gauthier  sur  La  Mission  de  l'Université 
est  l'une  des  pièces  leS  plus  remarquables  qui  aient  été  données  à 
Montréal,  depuis  longtemps.  Elle  a  été  précédée  et  suivie  d'allocutions 
éloquentes  et  spirituelles,  prononcées  par  M.  l'abbé  Philippe  Perrier  et 
M.  Athanase  David.  Le  tout  sera  prochainement  pubUé  en  une 
brochure  de  la  Bibliothèque  de  l'Action  française,  série  verte.  C'est 
une  plaquette  que  tout  le  monde  voudra  avoir  sous  la  main. 

Elle  apportera  à  la  campagne  qui  va  s'organiser  en  faveur  de  l'Uni- 
versité de  Montréal  —  si  douloureusement  atteinte  ces  jours-ci  —  une 
force  et  un  appoint  précieux. 

La  deuxième  conférence  de  la  série  montréalaise  (Xohlesse  oblige) 
aura  heu,  salle  Saint-Sulpice,  le  jeudi  11  décembre  prochain.  Elle  sera 
donnée  par  Isl.  Edouard  Montpetit,  professeur  à  l'L'niversité  de  Mont- 
réal, sous  ce  titre  énigmatique  et  prometteur  :  La  caravane  passe. .  . 
M.  le  juge  Lafontaine,  doj-en  de  la  Faculté  de  Droit,  a  bien  voulu  accep- 
ter la  présidence  d'honneur  de  cette  réunion.  M.  Léon  Lorrain,  profes- 
seur à  l'École  des  Hautes  Études  commerciales,  présentera  les  orateurs 
au  nom  de  l'Action  française. 

Les  quatre  autres  conférences,  données  par  le  R.  P.  Louis  Lalande 
S.J.,  M.  Antonio  Perrault,  M.  l'abbé  Olivier  Maurault,  P.S.S.,  et  M' 
Guy  Vanier,  se  succéderont  régulièrement,  salle  Saint-Sulpice  toujours" 
les  deuxièmes  jeudis  de  chaque  mois,  de  janvier  à  avril.  Nous  prioUg 
nos  amis  de  ne  pas  l'oubher  et  de  faire  autour  d'eux  une  active  propa. 
gande.  Outre  les  cartes  d'abonnement  de  $3,  S2.50  et  $2,  des  billetg 
détachés,  au  prix  de  75  et  de  50  sous,  seront  mis  en  vente  pour  chaque 
séance.  Tous  les  sièges  sont  réservés  et  numérotés.  Les  porteurs  de 
cartes  d'abonnement  ont  droit  aux  mêmes  sièges  pendant  toute  la  saison. 


520  l'action  française 

A  Ottawa  —  C'est  M.  l'abbé  Grouk,  membre  de  notre  comité 
db-ecteur,  qui  inaugurera  la  série  de  conférences  que  l'Action  française 
donnera  à  Ottawa,  d'accord  avec  l'Institut  canadien.  Il  parlera  le  7 
décembre.  Les  conférences  se  succéderont  ensuite  de  mois  en  mois. 
M.  Emile  Miller,  professeur  de  géographie  canadienne  à  l'Université 
de  Montréal,  M.  Jean  Désy,  professeur  à  l'Ecole  des  Hautes  Études 
commerciales.  M.  l'abbé  Olivier  Maurault,  P.S.S.,  M.  Léon  Lorrain,  pro- 
fesseur à  l'École  des  Hautes  Études  commerciales.  M.  Louis  Durand, 
avocat,  des  Trois-Rivières,  donneront  les  autres  conférences.  Les 
journaux  indiqueront  l'ordre  dans  lequel  parleront  les  divers  orateurs. 

* 
*         * 

A  Sherbkooke  —  Nos  amis  de  Sherbrooke  préparent  de  leur  côté, 
sous  Je  patronage  de  l'Actiori  française,  une  série  de  conférences  qui  se 
poursui\Tont  pendant  les  prochains  mois.  La  première  aura  lieu  le 
jeudi  11  décembre,  dans  la  grande  saUe  du  séminaire  Saint-Charles  Bor- 
romée.  Elle  sera  donnée  par  M.  l'abbé  Groulx  et  traitera  des  Raisons 
de  notre  fierté. 

Cette  série  de  conférences  n'est  que  le  début  d'initiatives  intéres- 
santes, au  courant  desquelles  nous  tiendrons  nos  lectem-s. 

* 

Aux  Tkois-Rivieres  —  Aux  Trois-Rivières  s'est  donnée,  à  la  fin 
d'octobre,  une  conférence  qui  n'était  point  sous  le  patronage  de  l'Action 
française,  mais  que  nous  avons  le  devoir  de  signaler  avec  une  particulière 
gratitude.  Cette  réunion  avait  été  organisée,  à  notre  bénéfice,  par  nos 
amis  de  l'Éveil.  M.  Edouard  IMontpeiit  y  parla,  avec  un  grand  succès, 
de  la  France  vivante  et  M.  Louis  Dm'and,  avocat,  fit  à  V Actio7i  française 
une  très  aimable  publicité.  On  avait  eu  le  soin  en  même  temps  de  faire 
distribuer  dans  la  salle  une  notice  fort  élogieiLsc  sur  V  Action  française  et 
ses  œuvres. 

h'Éveil  donnera  cette  année  quatre  ou  cinq  conférences  publicjucs. 
M.  Athanase  David  vient  de  prononcer  la  conférence  de  novembre  et 
M.  Henri  Bourassa  parlera  en  décembre. 


Comment  servir  —  M.  l'abbé  Groubc  indique  plus  haut  le  caractère 
de  notre  enquête  de  1920.  Nous  pouvons  tout  de  suite  montrer  ici 
par  la  liste  des  sujets  et  de  ceux  qui  les  traiteront  l'intérêt  profond  qu  ellr 
ne  saurait  manquer  d'offrir. 


l'action  française  521 

Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  la  série  s'ouvrira  en  janvier,avec  un 
article  de  M.  Caron,  ministre  provincial  de  l'Agriculture,  sur  le  cultiva- 
teur, pour  se  terminer  en  décembre  avec  l'étude  de  Mgr  Paquet  sur  le 
prêtre.  Dans  l'intervalle,  et  selon  un  ordre  à  déterminer,  paraîtront  des 
articles  de  Mme  Fadette  sur  la  mère  de  famille,  de  M.  C.-J.  Magnan, 
inspecteur  général  des  écoles  catholiques,  sur  l'instituteiu',  de  M.  J.-E  - 
A.  Dubuc,  le  grand  industriel  de  Chicoutimi,  sur  l'industriel,  de  M. 
Thomas  Viens,  député  de  Lotbinière,  sur  le  député,  de  jM.  Jules  Dorion, 
directeur  de  VAcUoti  catholique,  siu-  le  publiciste,  de  M.  J.-A.  Bernier, 
président  de  V Association  catholique  des  Voyageurs  de  commerce,  sm-  le 
voyageiu-  de  commerce,  de  M.  Damase  Saint-Maurice,  cigarier,  prési- 
dent de  l'Union  régionale  montréalaise  de  l'A.C.J.C,  sur  l'ouvrier,  de 
M.  Arthur  Laurendeau,  l'artiste  bien  connu,  siu*  l'artiste,  de  M.  Léo- 
Paul  Desrosiers,  im  jeune  de  talent,  sur  l'étudiant,  et  de  M.  Antonio 
Perrault,  professeur  à  l'Université  de  Montréal,  sur  le  professionnel. 


Notre  Almanach  —  Plus  de  trente  miUe  exemplaires  de  notre  Alma- 
nach  de  La  Langue  française  sont  déjà  vendus.  Il  nous  en  reste  donc 
moins  de  dix  mille.  A  ceiux  de  nos  amis  qui  veulent  faire  de  la  propa- 
gande, nous  conseillons  vite  de  se  hâter  et  de  donner  un  dernier  couji 
de  collier.  Il  faudrait,  non  seulement  que  ces  quelques  milliers  d'alma- 
nachs  fussent  très  rapidement  vendas,  mais  qu'ils  fussent  dispersés  aux 
quatre  coins  du  Canada  et  des  États-Unis.  Ainsi  s'amorcerait  pour 
l'arjiée  prochaine  une  fructuease  propagande.  Que  chacun  voie  donc 
ce  qu'il  peut  faire  autour  de  lui  et  se  demande  s'il  n'est  pas  tel  ou  tel  de 
ses  amis  qui  pourrait  aussi  donner  ailleurs  im  peu  d'aide.  Les  conditions 
de  vente  facilitent  beaucoup  le  travail.  Les  commandes  un  peu  im- 
portantes comportent  des  réductions  considérables  et  il  est  loisible  à 
plusieurs  de  grouper  lem's  commandes,  de  les  faire  expédier  à  des  adres- 
ses différentes  et  de  bénéficier  quand  même  des  réductions,  pourvu  que 
notre  service  de  librairie  n'ait  affaire  qu'à  un  client.  Ainsi,  des  amis  de 
quatre  ou  cinq  paroisses  différentes  peuvent  s'entendre  pour  commander 
cinq  ou  six  cents  almanachs,  les  faire  expédier  par  paquets  de  cent  ou 
cent  cinquante,  à  leurs  adresses  respectives,  et  les  obtenir  à  14  soas 
l'exemplaire  (frais  de  port  en  plus),  pourvu  qu'un  seul  écrive  en  leur  nom 
et  se  tienne  responsable  du  paiement.  On  connaît  l'échelle  générale 
des  réductions  :  de  .50  à  99  exemplaires,  16  .sous;  de  100  à  499  oxomplai- 


522  l'action  française 

res,  15  8ous;  de  500  à  999  exemplaires,  14  sous;  poiH-  1,000  exemplaires 
et  plus,  12  sous  \4-     (Port  en  plus  toujours). 

En  beaucoup  d'endroits,  la  vente  s'est  faite  par  des  écoliers;  en 
certains  autres,  par  les  membres  d'im  cercle  qui  se  sont  assuré  de  la  sorte 
quelque  profit  pour  les  œuvres. 

La  variété  de  V Almanach,  son  abondante  illustration  aident  beau- 
coup à  la  vente.  *    *   * 

Les  Refr.uns  de  chez  nous  —  Quinze  mille  exemplaires  des 
Refrains  de  chez  nous  sont  déjà  épuisés.  Une  nouvelle  édition  s'impose. 
Elle  sera  bientôt  faite,  avec  des  améliorations.  Une  nouvelle  série  de 
Refrains  est  aussi  en  préparation.  Nous  saurions  gré  à  nos  lecteurs  de 
nous  signaler  les  morceaux  qu'ils  désireraient  particulièrement  voir 
paraître  dans  cette  seconde  série.  Nous  ne  pourrons  natm-ellement 
satisfaire  les  goûts  de  tous,  mais  ces  indications  nous  seront  sûrement' 
précieuses.  D'ailleius,  ce  qui  ne  pom-ràit  prendre  place  dans  la  deuxiè- 
me série  sera  peut-être  utilisée  dans  uae  troisième. 

* 

*  * 

Do  THE  French  Canadian  speak  patois? — On  sait 
quelle  est  la  persistance  de  la  légende  du  French  Canadians  Patois  et 
quel  mal  elle  nous  fait  en  certains  milieux.  Poiu-  aider  à  la  destruc- 
tion de  cette  légende,  l'Action  française  vient  de  publier,  en  anglais, 
l'étude,  déjàremar  quée,  de  M.  L.-A.  Richard  sur  La  Langue  que  nous 
varions.  Une  jeune  Franco-Américaine,  IMlle  Gladys-L.  Légaré,  a  bien 
voulu  traduire  cette  étude  en  anglais. 

Do  the  French  Canadians  speak  patois  f  inaugure  une  série  nouvelle 
à  5  sous  l'exemplaire  ($4  le  cent,  $35  le  mille)  port  en  plus.  C'est  une 
brochurette  qu'il  faut  répandre  dans  les  milieux  anglais  particulièrement. 

* 

*  * 

M.  Napoléon  Lafortune — M.Napoléon  Lafortunc  qui,depuis  près 
d'un  an  déjà,  nous  apportait  le  précieux  concours  d'une  vive  énergie  et 
d'ime  activité  toujours  en  éveil,  consacrera  désormais  tout  son  temps 
aux  œuvres  de  VActioii  française.  Il  assume,  sous  le  contrôle  du  comité 
général,  la  direction  de  nos  services  administratifs. 

* 

*  * 

PotiR  LES  Fêtes  —  Les  Fêtes  ramènent  les  cadeaux.  Excellente 
occasion  de  faire  pénétrer  dans  les  familles  des  ouvrages  canadiens.  On 
trouvera  avantage  à  consulter,  avant  de  choisir  ses  étrennes,  le  catalogue 
de  notre  service  de  librairie.  jpan  Beattchemin. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


NUANCES  1 

Mlle  Charette  débute  avec  grâce  dans  le  monde  des  lettres.  Son 
volume  de  chroniques  rappelle  la  gerbe  sjinbolique,  que  tient  en  ses 
mains  fines,  l'adolescente  conviée  à  sa  première  fête.  Cette  vision  de 
jeunesse  fleurie  s'évoque  dès  que  l'on  ouvre  le  livre  délicat.  L'auteur  ' 
penche  son  ardent  et  méditatif  visage  sur  les  fleurs  dont,  sans  doute, 
elle  se  pare  et  s'entoure  volontiers.  Et  violettes,  marguerites,  tulipes 
blanches,  chrysanthèmes  tendent  vers  elle  leurs  mélancoliques  ou  pâles 
corolles.  D'un  léger  trait  de  plume  ]Mlle  Charette  les  anime.  Elle 
scrute  leur  charme  frémis-sant.  Elle  le  définit.  C'est  merveille  de 
l'entendre.  Aux  violettes  de  serre,  s' épanouissant  sous  l'œU  d'un  jardi- 
nier savant,  elle  reproche  avec  douceur  leur  «  air  de  mystérieuse  auda- 
ce »,  qui  les  rend,  semble-t-il,  «  d'une  autre  famille  que  leurs  timides 
sœurs  du  printemps  ».  Les  pétales  d'une  marguerite,  effeuillée  d'un 
joU  geste  ancien,  apparaissent  à  l'écrivain  ainsi  que  «  des  doigts  uni- 
formément longs  et  blancs,  autour  d'un  cœur  jaune  ».  Et  quelle  déli- 
cate ironie  voile  l'apologue  où  est  narrée  la  révolte,  par  un  soir  de  prin- 
temps, des  hautaines  tulipes  blanches.  «  Sûrement,  fait  l'auteur  toute 
triste,  sûrement,  les  fleurs  ressemblent  aux  hommes  !  » 

Quel  saisissant  regard  Mlle  Charette  pose  sur  les  choses  !  Sur 
ce  qui  bruit  et  chante,  brille  et  se  colore,  s'agite  et  frissonne.  Sa  vision 
se  reflète  dans  des  mots  qui  fixent  le  mouvement  et  l'attitude  des  êtres. 
Habilement,  les  vocables  s'agencent,  se  rapprochent  et  s'opposent.  Tra- 
vail d'artiste,  de  chercheuse  de  syllabes  harmonieuses  et  fines.  Son 
don  plastique  nous  étonne  parfois.     Elle  modèle  les  formes  fuyantes 

1  N'uaiices,''p&T  Yvonne  Charette.  —  Édité  au  Devoir.  60  sous, 
plus  5  sous  pour  le  port.  ('Distributeur  pour  le  commerça  :  Ser\-ice  de 
librairie  de  1  Action  française,  32,Immeuble  de  La  Sauvegarde,  Montréal.) 


524  l' ACTION'    FRANÇAISE 

des  choses  eu  d'emblématiques  figmes  dont  elle  perçoit  et  nous  révèle 
le  sens.  La  grande  ombre  de  Verlaine,  invoquée  au  début  de  l'ouvrage, 
la  guide,  sans  doute,  à  travers  «  la  forêt  de  sj^mboles  ».  •  Peut-être  aussi, 
«  les  doigts  longs  et  blancs  »  de  la  lettrée  s'attardent-ils  souvent  aux 
pages  de  l'auteiu*  de  «  Sagesse  ».  Elle  subit  l'ascendant  de  ce  beau 
génie  .du  repentir...  littéraire.  Elle  s'en  libère  cependant.  Avec  un 
tact  discret,  elle  s'éloigne,  allant  puiser  à  d'autres  sources  sa  moralité 
saine.  Mlle  Charette,  et  c'est  là,  il  me  semble,  ime  note  personnelle, 
originale,  entend  sans  cesse  une  autre  voix,  une  voix  austère,  limpide 
et  grave.  Son  âme  se  rythme  aux  lois  dune  morale  très  élevée.  Elle 
est  doucement  dominée,  disciplinée  par  sa  foi  de  chrétienne.  Et  alors, 
avec  quelle  sérénité  apaisée,  sans  ce  charme  légèrement  capiteiux  qui 
'a  distingue  parfois,  Mlle  Charette  nous  parle  d'actes  dé.sintéressés, 
fraternels    et    pacifiants  ! 

L'auteur  de  Nuances  nous  donnera  sans  doute  bientôt,  —  ses  essais 
littéraires  nous  rendent  exigeants,  —  une  œu\Te  plus  ample,  plus  forte, 
où  elle  gardera  ce  même  souci  de  la  forme  délicatement  ornée. 

Et  je  ne  puis  clore  ce  mot  d'appréciation  sans  lui  dire  avec  quel 
plaisir  attendri  j'ai  lu  le  billet  intitulé  :  En  tricotant.  .  .  «  Et  la  laine 
mauve,  chante  l'auteur,  glis.se  sur  l'ambre  clair  ».  En  tricotant  !  Mlle 
Charette  sait-elle  combien  son  geste,  à  la  couleur  près,  rappelle  un  geste 
coutimiier  d'autrefois?  A-t-eUe  songé  à  nos  mères  grandes,  nouant 
dextrement,  elles  aussi,  les  mailles  innombrables?  Les  revoit-elle,  les 
bonnes  aïeules,  celles  de  nos  campagnes,  allant,  par  les  routes  odorantes, 
bordées  de  trèfle  rose,  les  «  yeux  rivés  au  tricot  »,  qu'elles  regardaient.  .  . 
sans  voir,  elles  aussi  !  Xos  grand'mères,  souvenons-nous,  se  rendaient 
«  en  tricotant  »  chez  la  voisine,  se  refusant  ainsi  à  distraire  la  moindre 
parcelle  de  leur  temps.  Et  la  laine,  grise  ou  noire,  glissait  alors  sur 
leurs  aiguilles  d'acier,  qui  recevaient.  —  tout  comme  l'ambre,  —  les 
reflets  lumineiLx.  Elles  rêvaient  beaucoup  moins  que  leurs  petites - 
filles,  nos  aïeules.  La  beauté  des  matins  et  des  soirs  les  jm'lii  l 
sans  que  jamais  elles  songeassent  à  le  dire.  ]\Iais  comme  leur  activité 
paisible,  leur  silence  même  se  cadençaient  et  chantaient.  Ils  sem- 
blaient i'.hymnc  s;ior<'  du  travail  qu'elles  ne  .savaient  plus  interrompre. 

Marie-Claire  D.weluy. 


Forcément  ajourné  :  Un  article  sur  les  Silhouelles  paj-oUsisales  du 
K.  P.  Louis  Lalande,  S.J. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LE  DISCOURS  DU  PRINCE  DE  GALLES 


Le  28  octobre  1919,  à  l'hôtel  Viger,  à  Montréal,  le  Prince  de  Galles  a 
prononcé  un  discours  très  commenté.  A'ous  en  empruntons  le  texte  ci'jlais 
à  la  Gazette  du  lendemain  : 

His  Roj'al  Highness  expressed  his  thanks  in  English  and  in  French 

for  the  luncheon  at  which  he  liad  been  entertained  and  for  the  cordial 
way  in  which  his  health  had  been  drunk. 

Continuing,  in  English,  he  said  : 

"I  should  like  to  say,  Mr.  Major,  that  I  .vas  particularly  touched  bj- 
one  passage  'in  the  adclress  with  which  j'ou  welcomed  me  to  Mont- 
réal yesterday — I  mean  the  passage  in  which  you  referred  to  the  mutual 
understanding  between  the  English-speaking  and  French-speaking  sec- 
tions of  the  Canadian  nation  as  a  matter  which  I  had  verj'  much  at 
heart.  You  described  very  truly  mj'  feehngs  in  that  respect.  I  had 
it  much  at  heart  when  I  fir-ït  landed,  and  I  hâve  it,  if  possible,  even  more 
a%  heart  now  that  I  hâve  traversed  Canada  from  coast  to  coast.  The 
um'on  of  the  two  races  in  Canada  was  never  a  matter  of  mère  political 
convenience.  On  the  contrary,  it  was,  and  will  always  remain,  an 
example  of  the  highest  political  wisdom,  for  which  the  Empire  owes  an 
inestimable  délit  to  Cartier,  Macdonald  and  the  other  statesmen  of 
])oth  races  who  brought  it  about. 

"Much  has  been  \ATitten  and  said  about  the  success  of  the  British 
Empire  in  establishing  political  union  between  peoples  of  différent  race, 
language  and  history  But  when  you  corne  to  think  of  it,  the  political 
.unions  established  in  Canada  and  South  Africa,  were  only  later  exam- 
ples of  the  political  union  between  England  and  Scotland  which  brought 
(  Ircat  Britain  itself  into  existence  as  a  political  unit  only  two  centuries 
ago.  Till  that  time  England  and  Scotland  had  been  constantly  and 
bitterly  at  war;  since  that  time  they  hâve  grown  so  close  that  we  hâve 
ail  forgottcn  that  they  were  cvcr  scparatc  peoples. 


526  l'action    FKAXÇA.1SE 

"The  union  of  England  and  Scotland  has  been  in  existence  for  two 
centuries  :  the  union  of  British  and  French  Canada  has  been  in  existence 
for  Uttle  more  than  haK  a  century — but  who  can  doubt  that  the  un'on 
in  Canada  will  produce  as  great,  as  powerful  and  ae  united  a  nation  as 
the  British  nation  itself  ?  No  one  can  read  Canadian  history — much  less 
can  anyone  travel  in  Canada  as  I  hâve  done  in  the  last  three  months— 
without  realizing  that  the  spirit  and  genius  of  both  races  is  closely  inter- 
woven  throughout  the  great  Dominion,  not  only  in  the  East  but  in  the 
West,  where  both  races  share  the  honors  of  the  early  explorers  and 
pioneers. 

"But  what  is  the  secret  of  the  success  of  British  polic}'  in  this  respect  ? 
I  can  see  that  the  secret  in  Canada  is  jiist  the  same  as  in  Great  Britain. 
It  b'es  in  freedom  of  speech,  freedom  of  language,  and  mutual  respect. 
Montréal,  gentlemen,  has  many  daims  to  admiration  as  the  largest 
centre  of  business  and  population  in  Canada.  I  am  deeply  inipressed 
by  ail  I  hâve  seen  hère,  and  I  hâve  been  touched  to  the  lieart  by  the 
wonderful  welcome  which  INIontreal  has  given  me.  But  what  I  value 
most  in  that  welcome  is  that  it  has  been  given  with  equal  warmth  by 
citizens  of  both  the  great  races  which  are  united  in  Montréal.  Your 
city  has  the  great  distinction  of  being  in  this  respect  typical  of  the  union 
of  races  in  the  Dominion  as  a  whole.  I  therefore  value  its  welcome  in  a 
very  spécial  sensé,  and  I  thank  ail  its  citizens,  British  and  French,  rich 
and  poor,  young  and  old,  from  the  bottom  of  my  heart." 

He  concluded  by  repeating  in  the  French  language  the  closing  sen- 
tences of  his  address. 


LE  TRAITE  AUTRICHIEN  ET  LA  PROTECTION 
DES  MINORITÉS 


On.  trouvera  ci-dessous  la  paitie  du  traité  autrichien,  signé  à  Saint- 
Germain  le  10  septembre  1919,  qui  vise  la  protection  des  minorilés.  Le 
représentant  du  Canada,  M.  Kemp,  a  apposé  sa  signature  au  bas  (U  ce 
traité. 

Section  V  —  Protection  des  minorités 

Art.  62.  —  L'Autriche  s'engage  à  ce  que  les  stipulations  contenues 
dans  la  présente  Section  soient  reconnues  comme  lois  fondamentales, 
il  ce  qu'aucune  loi,  aucun  règlement  ni  aucune  action  offioielle  ne  soient 
m  contradiction  ou  en  opposition  avec  ers  stipulations  et  à  ce  qu'aucune 


l'actiox  française  527 

loi.  aucun  règlement  ni  aucune  action  oflScielle  ne  prévalent  contre  elles' 

Art.  G3.  — L'Autriche  s'engage  à  accorder  à  totis  les  habitants  de 
l'Autriche  pleine  et  entière  protection  de  le\u:  vie  et  de  leur  liberté 
sans  distinction  de  naissance,  de  nationalité,  de  langage,  de  race  ou  de 
religion. 

Toas  les  habitants  de  l'Autriche  auront  droit  au  libre  exercice,  tant 
public  que  privé,  de  toute  foi,  reUgion  ou  croyance,  dont  la  pratique  ne 
sera  pas  incompatible  avec  l'ordre  public  et  les  bonnes  mœurs. 

Art.  64.  —  L'Autriche  reconnaît  comme  ressortissants  autrichiens, 
de  plein  droit  et  sans  aucune  formahté,  toutes  les  personnes  a3'ant  l'in- 
digénat  (pertinenza)  sur  le  territoire  autrichien  à  la  date  de  la  mise  en 
\'igueur  du  présent  Traité  et  qui  ne  sont  pas  ressortissants  d'un  autre 
État. 

Art.  65.  —  La  nationalité  autrichienne  sera  acquise  de  plein  droit, 
par  le  seul  fait  de  la  naissance  siu*  le  territoire  autrichien,  à  toute  per- 
sonne ne  pouvant  se  prévaloir,  par  sa  naissance,  d'une  autre  nationaUté. 

Art.  66.  —  Tous  les  ressortissants  autrichiens  seront  égaux  devant 
la  loi  et  jouiront  des  mêmes  droits  civils  et  politiques  sans  di.stinction  de 
rar'e,  de  langage  ou  de  religion. 

La  différence  de  rehgion,  de  croyance  ou  de  confession  ne  devra  nmre 
à  aucun  ressortissant  autrichien  en  ce  qui  concerne  la  jouissance  des 
droits  ci\ils  et  poUtiques,  notamment  pour  l'admission  aux  emplois 
publics,  fonctions  et  honneurs  ou  l'exercice  des  différentes  professions 
et  industries. 

Il  ne  sera  édicté  aucune  restriction  contre  le  hbre  usage  poiur  tout 
ressortissant  autrichien  d'une  langue  quelconque  soit  dans  les  relations 
privées  ou  de  commerce,  soit  en  matière  de  reUgion,  de  presse,  ou  de 
pubUcations  de'toute  natvire,  soit  dans  les  réunions  pubUques. 

Nonobstant  l'étabUssement  par  le  Gouvernement  autrichien  d'ime 
langue  officielle,  des  facUitcs  appropriées  seront  données  aux  ressortis- 
sants autrichiens  de  langue  autre  que  l'allemand,  pour  l'usage  de  leur 
langue,  soit  oralement,  soit  par  écrit,  devant  les  tribimaux. 

Ar^67. — Les  ressortissants  autrichiens,  appartenant  à  des  minorités 
ethniques,  de  religion  ou  de  langue,  jouiront  du  même  traitement  et  des 
mêmes  garanties  en  droit  et  en  fait  que  les  autres  ressortissants  autri- 
chiens. Ils  auront  notamment  un  droit  égal  à  créer,  diriger  et  contrôler 
à  leurs  frais  des  institutions  charitables,  reUgieuses  ou  sociales,  des  écoles 
et  autres  établissements  d'éducation,  avec  le  droit  d'y  faire  Hbrement 
u.sage  de  leur  propre  langue  et  d'y  exercer  librement  leur  religion. 


528  l'action  française     - 

Art.  68.  —  En  matière  d'enseignement  public,  le  Gouvernement 
autrichien  accordera  chins  les  villes  et  districts  où  réside  une  proportion 
considérable  de  ressortissants  autrichiens  de  langue  autre  que  la  langue 
allemande,  des  facilités  appropriées  pour  assvirer  que,  dans  les  écoles 
primaires,  Tinstruction  sera  donnée,  dans  lem-  propre  langue,  aux  en- 
fants de  ces  ressortissants  autrichiens.  Cette  stipulation  n'empêchera 
pas  le  Gouvernement  autrichien  de  rendre  obligatoire  l'enseignement  de 
la  langue  allemande  dans  lesdites  écoles. 

Dans  les  villes  et  districts  où  réside  une  proportion  considéral:)le  do 
ressortissants  autrichiens  appartenant  à  des  minorités  ethniques,  de 
religion  ou  de  langue,  ces  minorités  se  verront  assm^er  une  part  équitable 
dans  le  bénéfice  et  l'affectation  des  sommes  qui  pourraient  être  attri- 
buées sur  les  fonds  publics  par  le  budget  de  l'État,  les  budgets  munici- 
paux ou  autres,  dans  un  but  d'éducation,  de  religion  ou  de  charité. 

Art.  69.  —  L'Autriche  agrée  que,  dans  la  mesure  où  les  stipulations 
des  articles  précédents  de  la  présente  Section  affectent  des  personnes 
appartenant  à  des  minorités  de  race,  de  religion  ou  de  langue,  ces  sti- 
pulations constituent  des  ol)ligations  d'intérêt  international  et  seront 
placées  sous  la  garantie  de  la  Société  des  Nations.  Elles  ne  poiuront 
être  modifiées  sans  l'assentiment  de  la  majorité  du  Conseil  de  la  Société 
des  Nations.  Les  Puissances  alliées  et  associées  représentées  dans  le 
Conseil  s'engagent  respectivement  à  ne  pas  refuser  leur  assentiment  à 
toute  modification  desdits  articles  qui  serait  consentie  en  due  forme  par 
une  majorité  du  Conseil  de  la  Société  des  Nations. 

L'Autriche  agrée  que  tout  membre  du  Conseil  de  la  Société  des 
Nations  aiua  le  droit  de  signaler  à  l'attention  du  Conseil  toute  infraction 
ou  danger  d'infraction  à  l'une  quelconque  de  ces  obligations,  et  que  le 
Conseil  pourra  procéder  de  telle  façon  et  donner  telles  instructions  qui 
paraîtront  appropriées  et  efficaces  dans  la  circonstance. 

L'Autriche  agrée  en  outre  qu'en  cas  de  divergence  d'opinion  sm-  des 
questions  de  droit  ou  de  fait  concernant  ces  articles,  entre  le  Gouver- 
nement autrichien  et  l'une  quelconque  des  Puissances  alliées  et  asso- 
ciées. Membre  du  Conseil  de  la  Société  des  Nations,  cette  divergence 
sera  considérée  comme  vm  différend  ayant  un  caractère  international 
selon  les  termes  de  l'article  14  du  Pacte  de  la  Société  des  Nations.  Le 
Gouvernement  autrichien  agrée  que  tout  différend  de  ce  genre  sera,  si 
l'autre  partie  le  demande,  déféré  à  la  Cour  permanente  de  justice.  La 
décision  de  la  Cour  permanente  sera  sans  appel  et  aura  la  même  force 
et  valetir  qu'une  décisii^n  rendue  on  vertu  do  l'article  1.1  du  Pacte. 


l'action    FBANÇAlan 
DÉCEMBRE  1919 


Les  précurseurs 


LE  PÈRE  CAMILLE  LEFEBVRE 


On  a  quelquefois  accusé  le  Canadien-français  d'avoir 
oublié,  ou  du  moins  négligé,  son  cousin  d'Acadie.  Je  ne 
crois  point  cette  accusation  fondée.  Dès  le  commence- 
ment ou  plutôt  dans  la  première  partie  de  la  vie  du  peuple 
acadien,  celle  d'avant  le  grand  dérangement  de  1755,  nom- 
breux furent  les  missionnaires  envoyés  de  Québec  pour 
évangéliser  et  guider  les  colons  de  Port-Roj'al,  de  la  Grand- 
Pré,  et  d'autres  centres  acadiens.  Alors  comme  main- 
tenant les  deux  groupes  français  d'Amérique  se  sentaient 
frères  par  l'origine,  les  coutumes,  la  religion  et  la  langue. 
Le  plus  jeune,  mais  aussi  le  plus  nombreux  et  le  plus  fort, 
venait  du  superbe  rocher  de  Québec  au  secours  de  son  aîné 
plus  faible,  modestement  caché  dans  les  anses  profondes 
de  la  Baie  française,  et  l' Acadien  ne  perdra  jamais  le  sou- 
venir ému  et  profond  des  services  qui  furent  rendus  à  ses 
ancêtres  par  les  Petit,  les  Thury,  les  Geoffroy,  les  Trouvé 
et  tant   d'autres. 

Cette  belle  tradition  de  cordiale  sympathie  ne  devait 
point  s'éteindre.  Au  contraire,  elle  devait  gi-andir  en  pré- 
sence des  malheurs  qui  fondirent  bientôt  sur  le  peuple 
acadien.  On  a  écrit,  il  est  vrai:  ((»Le  plus  grand  malheur 
des  Acadiens  n'a  pas  été  leur  dispersion,  mais  l'abandon 
presque  complet  dans  lequel  ils  ont  été  laissés  durant  près 
d'un  siècle  ».  Ce  siècle  s'écoula  de  1755  à  1864.  Il  ne 
faut  rien  exagérer,  pourtant.     Les  Acadiens  n'avaient  pas 

\0L.  ITI.No  12 


530  l'action  française 

été  abandonnés,  du  moins  au  point  de  vue  religieux,  pen- 
dant ces  nombreuses  années.  Des  prêtres  de  Québec  tout 
d'abord  leur  avaient  donné  les  soins  zélés  de  leur  minis- 
tère, et  plus  tard  lorsque  la  Nouvelle-Ecosse  fut  érigée  en 
vicariat  apostolique,  et  le  Nouveau-Brunswick  et  l'Ile 
Saint-Jean  furent  devenus  territoire  ecclésiastique  dis- 
tinct, avec  un  titulaire  suffragant  de  Québec,  le  Canada 
français  continua  à  envoyer  des  prêtres  de  langue  fran- 
çaise aux  exilés  revenus  en  leur  pays. 

Mais  si  la  religion  n'avait  pas  souffert  chez  les  Aca- 
diens,  il  n'en  fut  pas  de  même  de  l'instruction  profane. 
Depuis  des  années,  un  saint  prêtre,  M.  François-Xavier- 
Stanislas-de-Kotska  Hyanveux,  dit  Lafrance,  avait  formé 
le  projet  d'établir  dans  la  grande  paroisse  de  Memram- 
cook  un  petit  séminaire  pour  le  relèvement  du  peuple 
acadien,  abattu  par  la  tempête  de  1755.  Un  premier  essai 
ne  fut  pas  fructueux  et  le  saint  missionnaire  prit  le  parti 
d'intéresser  à  son  œuvre  le  premier  pasteur  du  diocèse  de 
Saint-Jean,  Sa  Grandeur  Mgr  Sweeney.  En  1864,  celui- 
ci  se  mit  en  quête  d'une  communauté  qui  voulut  bien  se 
charger  de  l'éducation  de  la  jeunesse  acadienne.  Il  alla 
frapper  à  la  porte  des  religieux  de  Sainte-Croix  et  en  obtint 
un  des  leurs,  le  R.  P.  Lefebvre,  fondateur  du  Collège  Saint- 
Joseph  de  Memramcook,  le  Précurseur  heureux  de  l'édu- 
cation   secondaire    française    en    Acadie. 

Si  V Action  française  a  voulu  faire  paraître  ce  modeste 
article,  ce  n'est  point  pour  faire  revivre  l'un  des  plus  grands 
bienfaiteurs  des  Acadiens  dans  l'esprit  et  dans  le  cœur  de 
ses  obligés.  Il  n'y  a  pas  en  Acadie  de  village  si  reculé,  de 
demeure  si  obscure  où  le  nom  du  saint  P.  Lefebvre  ne  soit 
connu  et  béni.  Mais  dans  la  galerie  des  Précurseurs  de- 
vait apparaître  la  grande^  figure  du  prêtre-éducateiu'  qui, 


l'acïiox  française  •  531 

pendant  plus  de  trente  ans,  fit  profiter  de  ses  lumières  et 
de  son  zèle  le  peuple  dont  il  avait  épousé  les  aspirations 
et   les  luttes. 

A  l'arrivée  du  P.  Lefebvre,  en  1864,  TAcadie  ne  pos- 
'sédait  point  d'école  un  peu  supérieure,  encore  moins  de 
collège  classique.  «  Tout  est  à  créer  »,  écrivait-il  au  su- 
périeur-général de  sa  congrégation.  Créer  une  maison 
d'éducation  avec  une  construction  non  aménagée  pour 
recevoir  des  élèves  et,  pour  faire  l'achat  des  choses  les  plus 
indispensables,  huit  piastres  en  poche,  —  auxquelles  heu- 
reusement Mgr  Sweeney  en  avait  ajouté  cinquante,  — 
c'était  une  entreprise  au-dessus  des  forces  humaines.  Mais 
les  âmes  fortes  et  vertueuses  comme  celle  du  P.  Lefebvre 
ne  se  laissent  pas  rebuter  par  les  difficultés.  La  grande 
Carmélite  ne  disait-elle  pas  :  «  Thérèse  et  cinq  sous,  ce 
n'est  rien;  mais  Thérèse,  cinq  sous  et  Dieu,  c'est  tout.  » 
Le  bon  P.  Lefebvre,  lui  aussi,  comptait  sur  Dieu  avec  une 
confiance  sans  limite  et  il  eut  recours  à  lui  par  l'interces- 
sion de  saint  Joseph.  Ce  grand  saint,  autrefois  pour- 
voyeur de  la  sainte  famille  de  Nazareth,  se  devait  à  lui- 
même  de  venir  en  aide  au  nouvel  apôtre  qui  allait  au  mi- 
lieu de  son  peuple  d'adoption  fonder  une  famille  pour 
Téducation  de  ses  enfants. 

Cette  famille  fut  modeste  d'abord.  La  première 
année,  une  quarantaine  d'enfants  seulement  vinrent  s'as- 
seoir sur  les  bancs  du  pau\Te  collège,  sous  la  direction  de 
trois  prêtres  et  de  trois  frères,  tour  à  tour  professeurs,  sur- 
veillants, vicaires  et  fermiers.  Les  fondateurs  d'œuvres 
similaires  savent  combien  ces  commencements  deman- 
dent de  sacrifices,  de  patience,  de  souffrances  et  de  désin- 
téressement de  la  part  de  ceux  qui  les  entreprennent  et 
Içs  mènent  à  bonne  fin.  Ils  savent  aussi  combien  long- 
temps durent  ces  commencements  qu'on  s'est  plu  en  cer- 


532  l'action  fk  ANC  aise 

tains  endroits  à  appeler,  avec  tant  de  justesse,  les  temps 
héroïques.  Les  temps  héroïques,  pour  le  P.  Lefebvre,  du- 
rèrent toute  sa  vie;  mais  ils  le  trouvèrent  toujours  plus 
grai^d  et  plus  fort  que  toutes  les  situations  les  plus  péni- 
bles et  les  plus  embarrassantes.  Faut-il  s'atteler  lui- 
même  au  traîneau  et,  suivi  de  ses  élèves,  com'ir  les  bois 
francs  pour  recueillir  le  combustible  nécessaire  au  chauf- 
fage de  son  collège,  il  n'hésite  pas  un  instant.  Son  esprit 
inventif  lui  fait  trouver  un  mo3^en  de  couper  ce  bois,  et  le 
moulin  à  vent  de  la  butte,  tout  de  son  invention,  est  resté 
célèbre  dans  les  annales  du  collège  Saint-Joseph. 

Au  milieu  des  peines,  il  y  tut  pom-tant  des  moments 
de  joie  et  de  consolation.  Ce  fut  l'agrandissement  de  sa 
maison  et  surtout  la  construction  d'une  chapelle  par  re- 
connaissance à  saint  Joseph  qui  avait  préservé  le  collège 
de  l'incendie.  Ce  fut  encore  l'attachement  de  ses  chers 
élèves.  C'était  une  fête  pour  ceux-ci  de  se  grouper  au- 
tour de  leur  père  pour  entendre  le  récit  de  ses  histoires  in- 
téressantes et  instructives.  Chacune  d'elles  avait  sa  mo- 
rale particulière.  Pour  apprendre  aux  petits  Acadiens 
à  se  tenir  la  tête  haute  devant  les  hommes  de  la  race  supé- 
rieure, il  aimait  à  leur  raconter  l'histoire  des  démêlés  que 
son  père  eut  un  jour  avec  deux  Anglais.  Ces  derniers  arri- 
vaient un  soir  à  la  maison  paternelle  et  entraient*  sans 
frapper.  Aussitôt,  ils  sommaient  le  vieillard  d'aller  abreu- 
ver leur  cheval.  «  Le  puits  est  là  :  allez  vous-mêmes  vous 
servir.  »  L'un  d'eux,  voyant  le  ton  décidé  du  vieux  cou- 
reur des  bois,  s'avança  pour  prendre  un  des  seaux  desti- 
nés au  service  des  gens  de  la  maison.  «  Pas  celui-là,  cria 
le  vieillard;  il  y  en  a  un  à  l'usage  des  animaux  attaché  à 
la  bringuebale  du  puits.  ))  Mais  l'Anglais  continua  de 
se  diriger  vers  la  porte,  le  seau  en  main.  «  D'un  boncj, 
racontait  le  P.  Lefebvre  avec  émotion,  mon  père  fut  au- 


l'actiox  française  533 

près  de  l'Anglais,  lui  arracha  des  mains  le  seau  et  lui  lança 
le  contenu  en  pleine  figure.  »  L'autre  Anglais  voulut  dé- 
fendre son  compagnon:  mais  mal  lui  en  prit  :  il  fut  saisi 
d'une  main  au  chignon,  de  l'autre  un  peu  plus  bas  et  lancé 
dehors  à  travers  la  croisée.  Le  premier,  revenu  de  la  sur- 
prise causée  par  son  aspersion,  s'avança  vers  ]\L  Lefeb- 
vre,  menaçant  et  les  poings  fermés;  mais  le  pau\Te  homme 
reçut  une  gifle  qui  l'envoya  rouler  à  dix  pieds  sur  le  par- 
quet. La  leçon  était  donnée,  le  moment  d'impatience 
passé  et  le  fier  Canadien-français,  reconduisant  ses  vic- 
times à  leur  voiture,  leur  souhaita  le  bonjour,  ajoutant 
comme  dernier  avis  :  «  Si  vous  buvez  chez  vous  dans  les 
mêmes  vaisseaux  que  les  animaux,  vous  saurez,  mes  gars, 
que  les  Canadiens  sont  baptisés  et  qu'ils  boivent  à  part.  » 
«  Et  nous,  ajoutait  un  de  ses  jeunes  auditeurs,  nous  ad- 
mirions le  courage  de  ce  vieillard  et  nous  nous  disions  : 
«  Xous  aussi  nous  saurons,  comme  lui,  nous  faire  respec- 
ter  des   Anglais  ». 

«  C'est  par  le  cœur  que  régnait  le  P.  Lefebvre  »,  nous 
dit  un  de  ses  biographes.  C'est  aussi  par  l'intelligence 
et  surtout  par  son  talent  oratoire  qu'il  acquit  un  ascen- 
dant immense,  une  influence  complète  sur  toute  l'Acadie. 
Dès  l'âge  de  dix  ans,  Camille  Lefebvre  avait  déjà  la  répu- 
tation d'être  le  meilleur  liseiix  de  Saint-Philippe  de  La- 
prairie,  sa  paroisse  natale.  Sa  mémoire  heureuse  lui  fai- 
sait retenir,  même  dans  son  enfance,  les  prédications  qu'il 
entendait.  Il  les  répétait  avec  tant  de  force  et  de  chaleur 
qu'il  faisait  pleurer  ceux  qui  l'entendaient.  «  Dès  ses  pre- 
miers prédications,  raconte  un  de  ses  admirateurs,  il 
étonna  ses  auditeurs  par  le  nombre  et  l'abondance  de  sa 
phrase.  Sa  voix  était  sonore,  vibrante,  sj'mpathique  ;  sa 
logique  serrée,  déconcertante.  Formidable  quand  il  dé- 
fendait une  opinion,  il  terrassait  son  adver.saire;  mais  l'ai- 


534  l'action    FRAXiÇAISE 

dait  doucement  à  se  relever.  En  chaire,  il  était  majes- 
tueux et  imposant,  le  geste  approprié  et  souverain.  Quand 
on  voulait  faire  un  grand  compliment  à  un  orateur  on  di- 
sait de  lui  :  «  Il  parle  comme  le  P.  Lefebvre.  )) 

Cette  réputation  de  talent  et  aussi  la  curiosité  de  voir 
son  œuvre  de  INIemramcook  lui  valment  un  jour  la  visite 
de  Mgr  Connolly,  archevêque  d'Halifax.  Rien  dans  cette, 
nouvelle  et  pau\Te  maison  n'était  de  natm'e  à  séduire  l'ad- 
miration de  ce  brillant  prince  de  l'Église;  mais  tel  fut  l'as-, 
cendant  qu'exercèrent  sur  lui  la  gracieuse  simplicité  et  la 
charmante  distinction  du  P..  Lefebvi'e  que  Sa  Grandeur 
le  nomma  immédiatement  son  grand  vicaire  pendant  le 
voj^age  qu'Elle  allait  i^ire  à  Rome,  avec  la  charge  de  régler 
les  différends  survenus  chez  les  Acadiens  de  la  Baie  Sainte- 
]\Iarie.  «  Vous  les  visiterez  et  vous  arrangerez  les  choses, 
avait  dit  l'évêque  :  vous  pourrez  même  fonder  un  collège 
au  milieu  d'eux.  »  Le  temps  n'était  pas  encore  arrivé  de 
faire  cet  établissement  :  la  fondation  du  collège  Sainte- 
Anne  ne  devait  avoir  lieu  que  vingt-et-un  ans  plus  tard  et  se 
faire  par  un  autre  grand  bienfaiteur  du  peuple  acadien, 
le  regretté  Mgr  Blanche,  de  la  Congrégation  de  Jésus  et 
Marie,  dite  des  Eudistes.  Il  ne  fut  pas  plus  loisible  au 
P.  Lefebvre  d'accepter  l'invitation  de  ]\Igr  Cameron,  évê- 
que  d'Antigonish,  de  continuer  à  Arichat  l'œuvre  de  l'édu- 
cation des  Acadiens  commencée  par  les  Frères  des  Écoles 
Chrétiennes.  Il  fit  pourtant  un  voyage  dans  cette  capi- 
tale du  comté  de  Richmond  et,  quelques  années  plus 
tard  à  Grand  Étang  et  à  Chéticamp.  Là,  les  Acadiens  du 
Cap  Breton  eurent  le  bonheur  d'entendre  sa  parole  évan- 
gélique  et  éloquente.  C'était  surtout  les  âmes  françaises, 
en  effet,  qu'il  voulait  évangéliser.  D'ailleurs,  s'il  s'était 
rappelé  l'avis  d'apprendre  l'anglais  que  lui  avait  un  jour 
donné  Mgr  Sweene}-,  le  temps  et  les  aptitudes  n'avaient 


l'action  française  535 

peut-être  pas  toujours  servi  assez  jBdèlement  sa  bonne  vo- 
lonté dans  l'étude  de  la  langue  de  Shakespeare.  Quel- 
quefois même  ses  expressions  anglaises  prêtaient  au  sou- 
rire et  à  l'équivoque,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte 
par  l'anecdote  suivante.  Dans  un  voyage  qu'il  fit  sm*  mer, 
le  P.  Lefebvre,  que  l'air  vif  et  salin  avait  mis  en  appétit, 
appela  le  garçon  de  table  pour  lui  demander  une  nouvelle 
portion.  Il  fallait  bien  sortir  son  meilleur  anglais  pour 
se  faire  comprendre  de  ce  grand  Écossais  de  six  pieds  qui 
ne  parlait  que  la  langue  supérieure.  «  I  will  take  one  more 
turkey  again  »,  lui  signifia  le  bon  père.  Un  sourire  avec 
pincement  de  lèvres  sur  la  figure  des  convives  lui  fit  com- 
prendre que  son  anglais  avait  dû  manquer  de  correction 
ou  au  moins  d'une  certaine  élégance.  Son  compagnon  lui 
traduisit  sa  phrase,  dont  il  fut  le  premier  à  rire,  provoquant 
ainsi  l'hilarité  bruyante  de  ses  compagnons  de  table.  Il 
en  était  heureux  et  il  ajoutait  avec  finesse,  à  l'oreille  de 
son  trucheman  :  «  Vo3^ez  comme  mon  dindon  en  a  mis  d'au- 
tres  en   joie  ». 

Fondateur  du  premier  collège  acadien  et  missionnaire 
de  l'Acadie,  le  P.  Lefebvre  fut  encore  l'instituteur  de  la 
première  (et  de  la  seule)  communauté  de  religieuses  aca- 
( tienne.  Dans  la  suite  des  années,  son  collège  avait  pris 
de  l'importance  et  le  nombre  des  élèves  s'était  accru.  L'or- 
ganisation du  personnel  domestique  devenait  une  néces- 
sité. Le  P.  Lefebvre  fit  venir  de  l'Indiana  un  groupe  de 
sept  religieuses  de  Sainte-Croix  pour  le  service  domestique 
du  collège.  Ces  sœurs  étaient  autorisées  à  recevoir  des 
postulantes,  à  condition  qu'elles  fissent  leur  noviciat  à 
Notre-Dame  de  l'Indiana.  Le  supérieur  de  Saint-Joseph 
ne  trouva  la  chose  ni  pratique,  ni  même  réalisable  et  il  for- 
ma le  projet  de  fonder  une  nouvelle  famille  religieuse.  La 
supérieure  de  sa  petite  communauté  de  Memramcook,  la 


536  l'action  française 

Sœur  Marie  Léonie,  était  remarquable  par  sa  piété  et  par 
son  grand  talent  d'organisation.  Elle  avait  aussi  un  culte 
pour  le  P.  Lefebvre.  Elle  se  mit  donc  à  la  tête  du  nouvel 
institut,  qui  prit  d'abord  le  nom  de  Petites  Sœurs  et  plus 
tard  celui  de  Petites  Sœurs  de  la  Sainte-Famille.  La  Divi- 
ne Providence  a  fait  connaître  combien  cette  fondation 
Lui  était  agréable  en  multipliant  les  sujets  de  cette  com- 
munauté, et  leur  père  fondateur  eut  la  consolation  de  les 
voir  de  son  vivant  essaimer  en  quatre  maisons. 

La  vie  de  l'apôtre  des  Acadiens  était  pleine  à  débor- 
der de  bonnes  et  saintes  œu\Tes.  Le  grand  ouvrage  de 
sa  vie  était  solidement  assis.  Il  pouvait  maintenant  chan- 
ter son  Nunc  dimittis.  Le  lundi  28  janvier  1895,  les  Père  s 
de  la  communauté  du  collège  Saint-Joseph  fm-ent  étonnes 
de  voir  inoccupé  le  prie-Dieu  de  leur  supériem*.  Tous  l*  > 
jom'S  on  était  habitué  à  le  voir  à  cette  place,  dès  cinq  heu- 
res et  demie  du  matin.  On  pénétra  dans  sa  chambre  ot 
on  le  trouva  mort,  les  mains  croisées  sur  la  poitrine,  les 
paupières  closes  et  la  bouche  souriante  comme  celle  d'un 
enfant  réjoui  dans  son  sommeil  par  une  vision  d'anges. 
Trois  jours  plus  tard,  sur  sa  précieuse  dépouille,  l'un  de 
ses  anciens  élèves  devenu  prêtre  redisait  à  tous  les  assis- 
tants les  vertus  de  sa  vie,  et  terminait  cet  éloge  funèbre 
par  un  chant  de  reconnaissance  et  par  une  prière.  «  Sois 
assuré,  cher  et  bien-aimé  Père,  que  ta  mémoire  vivi*a  dans 
nos  cœurs  aussi  longtemps  que  vivra  le  peuple  acadicn. 
Toi,  du  haut  du  ciel,  tu  veilleras  sur  tes  enfants,  sur  le  peu- 
ple que  tu  as  tant  aimé,  et  pour  lequel  tu  as  tant  fait  î 
Adieu  !  Adieu  !  » 

Un    ACADIEN. 


PHILOSOPHIE  ET  ACTION  FRANÇAISE 


L'enseignement  de  la  philosophie  vient  d'être  remis 
à  l'ordre  du  joiu\  Les  lecteurs  assidus  des  ouvrages  de 
Mgr  Paquet  avaient  déjà  présent  à  l'esprit  le  magistral 
chapitre  de  notre  grand  théologien  sur  l'histoire  de  l'en- 
seignement philosophique  canadien,  dans  son  dernier  vo- 
lume. ^  L'attention  du  public  vient  d'être  éveillée  de  nou- 
veau par  une  conférence  du  P.  Lamarche,  0.  P.,  à  la  salle 
de  Saint-Sulpice,  sur  nos  études  philosophiques.  Une 
assistance  assez  nombreuse  a  goûté  ce  sujet,  au  dii-e  de  l'ora- 
tem'  «  d'une  frivolité  douteuse,  assez  en  marge  des  événe- 
ments sociaux  de  l'automne.  »  Des  lectem'S  plus  nom- 
breux encore  ont  lu  dans  le  Devoir  du  21  novembre  le  compte- 
rendu  de  cette  conférence  :  ils  ne  se  sont  nullement  effrayés 
d'entendre  parler  de  l'urgence  d'un  Institut  supérieur  de 
philosophie,  «  où  la  jeunesse  pourra  garder  et  l'âge  mûr 
prendre  contact  avec  des  doctrines  vitales  ».  Il  nous  plaît 
assez  de  revenir-  sm-  cette  suggestion,  pour  dire  quel  ser- 
vice l'enseignement  de  la  philosophie  scolastique  peut  ren- 
dre à  toutes  les  sciences,  et  en  particulier  à  la  culture  fran- 
çaise. 


Sans  doute  ciu'il  ne  s'agit  pas  de  bouleverser  l'ensei- 
gnement des  collèges  classiques  :  c'est  l'arche  sainte  qu'il 
ne  fait  pas  bon  de  toucher;  et  du  reste,  c'est  une  discipline 
qui  doit  demeurer  la  base  de  tout  :  elle  fournit  à  ceux  qui 
devront  un  jour  exceller  dans  les  différentes  branches  du 

^  Études  et  appréciations, — Mélanges  canadiens,  Québec,  Im- 
primerie   franciscaine    missionnaire,    1918. 


538  l'action  française 

savoir  les  premiers  éléments  de  lem-  cultm-e.  Mais  au- 
dessus  de  cette  formation  première  nécessaire,  il  faut  pour- 
voir à  une  formation  d'ordre  plus  élevé.  Notre  ambition  — 
nous  ne  sommes  pas  modestes — ^  serait  de  voii'  dans  l'Uni- 
versité de  Montréal,  un  Institut  supérieur  de  Philosophie .  .  . 
comme  à  Louvain.  Et  pom-quoi  pas?  On  nous  a  parlé 
de  la  reconstruction  de  l'Université  de  Louvain.  Nous 
voudrions  voir  créer  chez  nous  une  institution  comme  celle 
de  là-bas,  placée  sous  le  vocable  de  saint  Thomas. 

Léon  XIII  venait  de  restaurer  renseignement  de  la 
doctrine  de  l'Ange  de  l'école  (1879).  C'était  retourner 
aux  âges  passés  que  d'aucuns  regardaient  avec  dédain  et 
condamnaient  sans  les  connaître.  La  philosophie  aristo- 
télicienne, telle  qu'interprétée  par  et  beau  génie  du  Moyen 
âge,  revenait  donc  à  l'honneur  et  à  bon  droit,  parce  qu'elle 
repose  sur  les  plus  solides  fondements  et,  «  que  c'est  là  que 
se  trouvent  encore  aujourd'hui  les  principes  les  plus  sûrs 
de  la  science  la  plus  solide  et  la  plus  utile  entre  toutes  ». 
Les  évêques  belges  créèrent  une  chaii'c  de  philosophie.  Ils 
la  confièrent  à  M.  IMercier  en  1882.  Dès  1888,  au  lieu 
d'une  chaue,  il  y  avait  un  institut  de  philosophie  thomiste 
et  M.  Mercier  en  devenait  le  premier  président.  L'assem- 
blée générale  des  catholiques  réunie  à  Malines  en  1891  en- 
tendit avec  le  plus  vif  intérêt  le  beau  rapport  où  le  jeune 
maître  dit  ce  qu'il  se  proposait  :  rajeunir  au  contact  des 
sciences  nouvelles,  étudiées  d'après  leur  propre  méthode, 
la  philosophie,  qui  est  la  science  des  sciences  :  ce  but  très 
vaste  élargissait  les  cadres  de  l'ancienne  philosophie,  et 
promettait  des  développements  indéfinis  :  l'organisation 
du  cours  des  théories  sociales  devait  suivre;  puis  l'organi- 
sation du  cours  et  du  laboratoire  de  physiologie  expérimen- 
tale prouvait  qu'on  ne  s'arrêtait  pas  sur  la  voie  du  progrès. 


l'action  française  539 

Vous  plairait-il  de  connaître  l'organisation  de  ces  cours  ? 
lui   voici  les  lignes  principales  : 

L'enseignement,  qui  comprend  trois  années,  se  divise 
en  cours  généraux  et  cours  spéciaux.  Les  premiers,  obli- 
gatoires pour  tous  les  étudiants,  embrassent  toute  la  phi- 
losophie de  saint  Thomas.  Les  seconds,  entre  lesquels 
on  peut  opter,  se  divisent  en  section  des  sciences  mathé- 
matiques et  natm-elles,  et  section  des  sciences  politiques 
et  sociales.  Cet  enseignement  se  donne  par  les  professeurs 
ou  sous  forme  de  conférence  par  des  savants  étrangers  à 
ce  corps.  L'Institut  confère  des  grades  de  bachelier,  licen- 
cié, docteur,  agrégé.  Le  grade  de  docteur  est  subordonné 
à  la  rédaction  d'une  dissertation.  Le  grade  de  docteur 
agrégé  exige  un  travail  imprimé  et  la  défense  de  cinquante 
thèses. 

Sous  quelle  forme  précise  pourrait-on  organiser,  chez 
nous,  pareil  institut,  dans  le  futur  rouage  de  notre  univer- 
sité ?  Il  ne  m'appartient  pas  de  le  dire.  Mais  si  l'on  prête 
l'oreille  aux  rumeurs  diverses,  on  se  rend  compte  de  la  né- 
cessité des  études  supérieures  de  philosophie  chrétienne. 
Un  champ  immense  est  ouvert  à  l'observation  scientifique. 
L'homme  a  multiplié  sa  puissance  de  vision,  il  pénètre  dans 
le  monde  des  infiniment  petits  et  dans  l'immensité  des  cieux. 
Le  monde  sidéral  ne  résiste  pas  à  l'analyse  spectrale.  Qui 
dira  les  progrès  de  la  physique  et  de  la  chimie  ?  L'une  for- 
mule la  loi  générale  de  l'équivalence  des  forces  de  la  nature 
et  le  principe  de  la  -conservation  de  l'énergie,  tandis  que 
1  autre  décompose  les  corps  et  détermine  les  lois  de  combi- 
naison de  leurs  éléments.  L'homme  a  pénétré  dans  les 
entrailles  de  la  terre  pour  refaire  l'histoire  de  notre  pla- 
nète. Et  que  sais-je  encore?  Mais  ce  qui  frappe,  c'est 
qu'il  ne  suffit  pas  de  Se  livrer  aux  travaux  d'analyse;  il  ne 


540  l'action  française 

suffit  pas  d'accumuler  des  faits,  de  collectionner  des  résul- 
tats acquis,  il  faut  les  synthétiser  sous  la  direction  d'uii< 
science  supérieure;  de  là,  la  nécessité  de  la  philosophi". 
Écoutons  à  ce  sujet  le  cardinal  Newman,  qui  a  si  bien  com- 
prisse rôle  de  l'enseignement  supérieur  aux  temps  actuels  : 
«  En  présence  du  li\Te  immense  que  la  vérité  étale,  nou- 
avons  comme  la  vue  basse;  nous  ne  pouvons  le  lii-e  qu'à  la 
condition  de  regarder  de  tout  près  les  mots,  les  syllabe-, 
les  lettres  dont  il  est  fait;  de  là,  la  nécessité  de  sciences  par- 
ticulières. Mais  celles-ci  ne  nous  donnent  pas  la  repré- 
sentation exacte  de  la  vérité.  Les  sciences  particulièrt  - 
abstraient.  Or  les  relations  qu'elles  isolent  par  la  pensée 
se  tiennent  dans  la  réalité;  elles  s'enchaînent  les  unes  aux 
autres,  et  c'est  pour  cela  que  les  sciences  spéciales  appel- 
lent une  science  des  sciences,  une  S3'nthèse  générale,  en  un 
mot    la    philosophie.  » 

La  philosophie  chrétienne  doit  apparaître  à  l'L'niver- 
sité  avec  une  figure  défensive  et  conciuérante.  Elle  maiii- 
tiendra  avec  vigueur  ce  qu'elle  ne  saurait  li\'i'er  sans  trahi- 
son :  les  notions  métaphysiques  de  puissance  et  d'acte, 
le  caractère  objectif  de  la  causalité,  la  notion  de  substan- 
ce, celle  de  la  liberté  à  la  base  de  la  morale,  de  la  hberté 
de  Dieu  à  la  racine  de  la  création.  Elle  saura  se  rajeunir 
par  des  acquisitions  hemeuses,  tout  en  entretenant  un  com- 
merce habituel  avec  les  anciens  maîtres,  avec  Aristote  et 
saint  Thomas.  Elle  ne  perdra  jamais  contact  avec  la  théo- 
logie, non  certes  pour  abdiquer  son  indépendance,  mai?^ 
pour  s'assurer  elle-même  contre  l'esprit  d'aventure  et  l:i 
séduction  des  chimères.  Toutefois,  elle  se  demandori 
avec  les  modernes  ce  que  ferait  saint  Thomas,  s'il  dispo- 
sait de  l'immense  appareil  dont  nous  ont  dotés  cent  cin- 
quante années  de  labem*  fécond  dans  l'ordre  des  sciences 
expérimentales.     Écoutons  l'un  d'eux  :  «  Cet  esprit  sou- 


l'action  française  541 

pie  et  si  bien  ouvert  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand  et  de  digne 
de  notre  connaissance,  s'approprierait  avec  toute  l'ardeur 
de  son  zèle  les  conquêtes  de  la  civilisation  depuis  son  épo- 
que; il  nous  donnerait  une  édition  corrigée  de  sa  Somme, 
ce  système  que  nous  attendons  encore  et  qui  serait  le  fruit 
mûr  d'une  évolution  de  deux  mille  ans,  conforme  à  l'éter- 
nelle vérité  du  salut,  ainsi  qu'aux  plus  strictes  exigences 
de  la  formation  intellectuelle.  Ce  noble  esprit,  si  prudent 
dans  ses  décisions,  constamment  en  progrès,  se  corrigeant 
fréquemment  lui-même,  à  mesure  de  son  développement, 
serait  fort  étonné  de  voir  qu'on  a  fait  de  ses  écrits  un  dogme 
rigiàe  et  mort.  Ce  penseur  si  modeste  et  si  éloigné  de  vou- 
loir se  déifier  lui-même,  quels  reproches  n'adresserait-il 
pas  à  ses  partisans  pour  avoir  mis  tous  leurs  soins  à  em- 
pêcher le  grain  semé  par  lui  de  pousser  et  de  germer  en  plei- 
ne terre  et  en  plein  air,  et  pour  l'avoir  laissé  sécher  dans 
leurs  granges  au  lieu  de  faire  fructifier  avec  abondance  ce 
riche    capital    intellectuel.  ))  ^ 

U Action  française,  plus  que  toute  autre  association 
se  réjouira  de  la  création  de  l'Institut  de  philosophie,  et 
de  philosophie  scolastique.  S  il  est  vrai,  comme  on  l'a 
dit,  que  <f.  la  littérature  jaillit  comme  de  source  de  la  psy- 
chologie exacte  et  de  la  saine  morale  )),  il  est  urgent  pour 
quiconque  veut  composer,  d'avoir  des  notions  précises  sur 
ces  sujets. 

Mais  en  plus,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  l'apport  pré- 
cieux que  la  scolastique  a  fourni  à  la  formation  de  l'esprit 
français,  fait  de  clarté  et  de  justesse.  Si  vous  en  doutez, 
écoutez  un  maître  de  la  critique  dont  on  ne  saurait  contes- 
ter l'autorité.  Lisez  cette  page  que  vous  ne  me  pardon- 
neriez pas  d'omettre  :     «  Nous  nous  bornerons  à  dire  que, 

1  Dr    Millier. 


542  l'action  française 

si  ((  tout  l'art  d'écrire,  selon  le  mot  de  La  Bruj^ère,  con- 
siste à  bien  définir  et  à  bien  peindre  »,  la  scoiastiqiie  nous 
en  a  certainement  appris  une  moitié.  Faute  d'une  con- 
naissance assez  étendue,  mais  faute  surtout  d'une  connais- 
sance assez  expérimentale  de  la  nature,  les  définitions  de 
la  scolastique  n'ont  rien  de  «  scientifique  »,  au  sens  véri- 
rable  du  mot;  mais  elles  n'en  ont  pas  moins  discipliné  l'es- 
prit français  en  lui  imposant  ce  besoin  de  clarté,  de  préci- 
sion et  de  justesse  qui  ne  laissera  pas  de  contribuer  pour 
sa  part  à  la  fortune  de  notre  prose.  Peut-être  encore  de- 
vons-nous à  l'influence  de  la  scolastique  cette  habitude, 
non  pas  d'approfondir  les  questions,  mais  de  les  retourner 
sous  toutes  leurs  faces,  et  ainsi  d'en  apercevoir  des  as- 
pects inattendus,  et  des  solutions  ingénieuses  peut-être, 
trop  ingénieuses  peut-être,  assez  voisines  pourtant  quel- 
quefois de  la  vérité,  qui  est  complexe,  et  qu'on  mutile  dès 
qu'on  veut  l'exprimer  trop  simplement.  Mais,  à  coup 
sûr,  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  lui  être  reconnaissants 
de  nous  avoir  appris  à  «  composer  »  ;  et  là,  comme  on  le 
sait,  dans  cet  équilibre  de  la  composition,  dans  cette  subor- 
dination du  détail  à  1  idée  de  l'ensemble,  dans  cette  juste 
proportion  des  parties,  là  sera  l'un  des  traits  éminents  et 
caractéristiques  de  la  littérature  française.  C'est  comme 
si  l'on  disait  qu'en  même  temps  qu'il  se  manifestait  comme 
un  esprit  de  satire  et  de  fronde,  l'esprit  français  se  déter- 
minait d'autre  part  comme  un  esprit  de  logique  et  de  clar- 
té. »  ' 

Dans  tous  les  centres  intellectuels  de  notre  patrie, 
des  esprits  d'élite  se  livrent  avec  ardeur  aux  généreux  la- 
beurs de  la  pensée.     Quand  ils  jettent  un  coup  d'œil  sur 


>  Manuel  de  l'Histoire  de  i,a  Littj'.rature  française,  par 
Brjnetière   (page  24). 


I 


l'actioxfhaxçaise  543 

le  vaste  domaine  des  connaissances  actuelles  et  possibles, 
ils  constatent  que  les  trois  ordres  de  connaissances  humai- 
nes :  la  science,  la  métaphysique,  la  théologie  réfléchissent 
les  aspects  divers  d'une  seule  et  même  vérité  éternelle;  elles 
sont  les  manifestations  multiples  d'une  même  lumière.  Puis- 
se cette  lumière  s'installer  dans  notre  Université  de  Mont- 
réal, unir  la  triple  clarté  qui  provient  de  la  science,  de  la 
métaph^'sique  et  de  la  foi  en  une  seule  clarté  brillant  du 
plus  vif  éclat  dans  la  plus  vaste  synthèse  doctrinale  qu'il 
soit  permis  d'espérer  ici-bas  ! 

Abbé   Philippe  Perrier. 


peui(  national 


Au  moment  de  fermer  ce  numéro,  nous  apprenons  la  mort, 
hélas  !  trop  prévue,  de  M.  Landry,  président  de  l'Association 
canadienne  française  d'Éducation  de  VOntario,  décédé  le  20  dé- 
cembre, après  une  longue  et  douloureuse  maladie. 

L'Action  française  essaiera,  dans  sa  prochaine  livraison, 
de  rendre  hommage  à  la  mémoire  du  grand  patriote  dont  la  dis- 
parition crée  un  deuil  national.  Elle  prie  respectueusement 
Madame  Landry  et  la  famille  du  défunt,  ainsi 
que  l'Association  d'Éducation,  d'agréer  l'hommage  de  ses  pro- 
fondes et  respectueuses  sympathies.  Elle  sollicite,  pour  le  repos 
de  Vùme  de  M.  Landry,  les  prières  de  tous  ses  lecteurs. 

Le  20  janvier  prochain,  en  l'église  du  Saint-Enfant  Jésus 
de  Montréal,  ^'Action  française /ero  célébrer,  pour  le  très  regrette 
défunt,  une  messe  solemielle.  M.  l'abbé  Perrier,  curé  de  la  pa- 
roisse et  membre  du  comité  directeur  de  /'Action  française,  offi- 
ciera. 


LES  GRANDES  PRESSIONS 


La  critique  n'est  plus  une  sorte  de  sinécure  pour  l'écri- 
vain de  bon  goût.  Cette  dernière  faculté  est  toujours  in- 
dispensable, sans  doute,  mais  ce  n'est  plus  la  seule  chose 
nécessaire.  Au  xixème  siècle,  Villemain,  puis  Sainte- 
Beuve  et  Taine  ont  élargi  le  cadre  des  études.  Il  faut  non 
seulement  connaître  l'œuvre,  ses  défauts  et  ses  beautés, 
mais  l'homme,  son  ascendance,  la  terre  où  il  est  né,  la  so- 
ciété où  il  a  vécu,  tous  les  événements  et  toutes  les  person- 
nes qui  ont  agi  sur  lui.  Si  les  influences  de  race, 
de  milieu  et  de  moment  ne  sont  pas  une  explication  par- 
faite d'un  auteur,  elles  montrent  du  moins  les  racines 
des  productions  et  la  matière  employée.  On  les  a  appe- 
lées les   «  grandes  pressions  environnantes  ». 

Bien  qu'il  faille  se  défier  du  dogmatisme  littéraire, 
on  peut  soutenir  qu'un  écrivain  augmente  sa  puissance 
intérieure  et  ses  chances  de  succès  toutes  les  fois  qu'il  faci- 
lite en  lui-même  et  qu'il  sait  utiliser  les  «  grandes  pres- 
sions ». 

*  * 

Que  demandons-nous  à  un  penseur  ?  Et  qu'est-ce 
qui  fait  sa  supériorité?  Nous  lui  demandons  d'abord  la 
vérité  et  de  clab-es  démonstrations;  non  pas  des  vérités 
banales  ou  des  répétitions,  mais  des  acquisitions  qui  enri- 
chissent le  capital  intellectuel  de  l'humanité.  S'il  apporte 
des  raisons  péremptoircs,  des  faits  probants;  si  l'abondan- 
ce de  ses  aperçus  nous  ouvre  sur  beaucoup  d'horizons  des 
perspectives  nouvelles,  nous  le  lirons  avec  joie,  dans  le  si- 
lence des  cabinets,  et  nous  admirerons  la  valeur  construc- 
tive  de  son  esprit.     Nous  exigeons  surtout  qu'il  connaisse 


l'action  française  545 

parfaitement  son  sujet;  son  information  doit  être  sûre  et 
complète.     Sa  sagacité  apparaîtra  dans  son  information. 

Le  penseur  ne  pourra  réunir  toutes  les  conditions 
de  réussite  que  s'il  écrit  sur  les  questions  religieuses,  so- 
ciales, politiques  ou  économiques  qui  se  discutent  de  son 
temps  dans  le  milieu  où  il  existe.  Il  y  a  vécu,  il  y  vit  ea- 
core  tous  les  jours.  Il  a  pu  observer  longtemps  cette  so- 
ciété en  travail  d'évolution.  Une  vaste  expérience  se  pour- 
suit continuellement  sous  ses  yeux.  Les  doctrines  mises 
en  pratique  engendrent  des  résultats  qui  l'affectent  dans 
sa  vie.  L'intérêt  rend  perspicace.  Placé  au  centre  de 
tout,  esprit  attentif  et  délié,  l'écrivain  peut  voir  et  péné- 
trer, recueillir  toutes  les  données;  il  peut  juger  et  conclure 
avec  aplomb.  Plus  il  amasse  de  faits,  plus  ses  idées  sont 
nombreuses  et  appuyées.  Ainsi,  l'amateur  de  théâtre, 
qui  chaque  soir  à  son  poste,  contemple  la  scène,  du  meil- 
lem-  balcon:  il  distingue  les  cothurnes  de  l'acteur,  son 
fard  et  sa  perruque,  l'allongement  artificiel  des  sourcils, 
et,  même,  la  voix  du  souffleur  dans  sa  boîte.  Témoin  au- 
riculaire et  oculaire^  ses  affirmations  sont  difiiciles  à 
récuser. 

Se  servir  de  l'observation  des  autres  est  délicat* 
Seule  l'observation  personnelle  est  vraiment  utile.  Et 
même  alors  il  faut  y  prendre  garde.  Car  il  se  creuse  dans 
notre  esprit,  des  ornières  où  nous  retombons  souvent. 
Nous  avons  des  tendances  inconscientes  et,  sans  le  savoir, 
en  accord  avec  elles,  nous  avons  récolté  un  bien  particu- 
lier. Les  pensées  qui,  soudain,  s'éveillent  dans  notre  es- 
prit, ont  dans  notre  mémoire  leur  lointaine  préparation. 

Si  le  littérateur  veut  philosopher  sur  les  événements 
qui  se  passent  en  pays  étrangers,  aussitôt  lui  font  défaut 
mille  connaissances.  Il  puise  dans  des  articles  de  revue, 
des  livres  et  des  jom'naux,  une  information  fragmentaire  et 


546  l'action  française 

souvent  contradictoire,  des  faits  triés,  des  renseignements 
choisis.  Toujours  certains  éléments  lui  échappent.  Les 
âmes  nationales  lui  demeurent  impénétrables,  le  passé  des 
races  pe  lui  est  pas  suffisamment  ouvert.  Et  s'il  a  en  main 
une  série  de  faits,  les  faits  économiques,  par  exemple;  une 
autre  série,  les  faits  religieux  ou  autres,  lui  est  moins  con- 
nue. La  complexité  des  uns  et  des  autres,  leur  mutuelle 
interdépendance  ne  sont  pas  claires  à  son  esprit,  ni  vivan- 
tes sous  son  regard,  et  l'opinion  qu'il  se  forme  n'est  pas 
toujours  juste.  Il  dit  une  vérité  approximative  et  l'erreur 
lui  est  facile. 

De  plus,  une  intelligence  un  peu  haute  et  fière  ne  se 
fie  qu'à  elle-même,  autant  que  possible.  ■  Elle  se  croit  le 
meilleur  interprète  et  le  meilleur  juge.  Elle  veut  être  cons- 
ciencieuse, et  tient  à  s'informer  de  tout  avant  de  se  pro- 
noncer. Quelle  époque,  quel  milieu  réunissent  toutes  les 
circonstances  qu'elle  exige  ? .  .  .  C'est  pourquoi,  travailler 
pour  son  paj's  lui  est  une  joie.  Le  patriotisme  est  un  amour, 
et  l'amour   est   intelligent. 

En  étudiant  le  passé,  les  historiens  ont  souhaité  sou- 
vent vivre  au  temps  qu'ils  décrivaient.  Un  certain  nom- 
bre d'événements  dont  tous  conviennent,  des  témoigna- 
ges écrits:  c'est  tout  ce  qu'ils  avaient  pour  se  guider.  Aussi 
leur  marche  reste-t-elle  un  peu  tâtonnante  et  hésitante, 
comme  celle  de  l'aveugle  qui  réussit  à  aller  partout,  à  force 
de  flair,  d'attention  et  d'habitude.  Un  effort  redoublé 
lem*  est  indispensable.  Beaucoup  d'indications  leur  man- 
quent qui  seraient  nécessaires,  surtout  ces  connaissan- 
ces que  les  contemporains  possédaient  sans  s'en  rendre 
compte,  et  qui  donneraient  aux  reconstitutions  plus  dé  jus- 
tesse et  de  précision. 


l'actiox  française  547 

Lorsqu'on  en  vient  à  la  littérature  lyrique  et  d'ima- 
gination, quelques-uns  ouvrent  à  l'essor  de  leius  ailes  l'in- 
fini du  monde.     Il  faudrait  pourtant  se  défier. 

Le  poète  est  un  homme  capable  de  sentir  les  choses 
jusqu'au  paroxysme  et  de  pénétrer  le  tréfonds  des  âmes. 
La  moindre  émotion  s'amplifie  chez  lui  et  se  gonfle  sans 
mesure.  Abstraction  faite  de  la  forme,  il  marquera  sa 
supériorité  sur  tel  autre  poète  par  l'originalité,  le  nombre 
et  la  force  de  ses  impressions. 

Or  l'originalité  n'existe  pas  sans  le  contact  immédiat 
et  direct  des  êtres.  Si  quelque  scène  décrite  en  des  pages 
merveilleuses,  a  le  don  de  plus  émouvoir,  nous  devons  en 
louer  l'autem-,  qui  a  su  nous  communiquer  sa  vision.  Mais 
si,  après  lui,  nous  voulons  dire  l'émotion  éveillée  par  le  même 
objet,  sans  l'avoir  vu,  nos  productions  resteront  colorées 
de  son  esprit .  Nous  travaillons  sur  une  matière  qui  appar- 
tient à  autrui,  nous  suivons  des  traces  qu'il  a  gravées  dans 
notre  âme.  L'étoffe  est  toujours  reconnaissable  sous  les 
arabesques  dont  nous  voulons  l'embellir.  L'écrivain  a 
vu  un  aspect  de  l'objet,  et  qui  l'émeut  d'une  certaine  ma- 
nière; écrivant  après  lui,  nous  ne  décou\i-irons  pas  autre 
chose. 

Un  poète  passe  à  travers  le  monde,  sensible  à  tous  les 
attouchements,  vibrant  à  tous  les  chocs,  à  toutes  les  ren- 
contres. De  tout  cela  s'empare  sa  méditation.  Selon 
la  qualité  de  chaque  expérience,  il  s'élève  d'un  jet  jusqu'au 
ciel,  ou  se  laisse  écraser  par  le  dégoût,  à  moins  qu'il  ne  se 
réfugie  dans  un  hautain  mépris.  Les  hem-es,  les  unes 
après  les  autres,  voient  s'accmnuler  en  lui  un  riche  trésor 
intérieur. 

Et  pour  que  les  impressions  soient  profondes  et  non 
pas  seulement  à  fleur  d'âme,  il  est  sans  doute  nécessaire 
qu'elles  soient  répétées,  et  qu'elles  reposent  au  fond  de  nous- 


548  l'action  française 

mêmes  pendant  des  joui-s.  Une  chose,  quand  nous  étions 
petits  et  que  notre  nature  était  malléable  comme  une  cire, 
une  chose  a  insinué  en  nous  des  sensations,  sans  que  notre 
esprit  s'en  soit  occupé.  Par  la  suite,  comme  la  goutte  de 
pluie  inlassable,  la  même  émotion  nous  a  frappés.  Un 
jour,  elle  est  montée  du  fond  de  l'être  pour  s'épanouir  au 
monde  !  Il  y  a  de  même  une  éducation  de  la  sensibilité 
qui  nous  permet  de  mieux  sentir  certains  objets.  Des  liens 
spéciaux  s'étabUssent  de  notre  âme  au  monde  extérieur 
qui  laissent  passer  une  sève  généreuse. 

Enfin  on  n'imagine  bien  que  les  choses  dont  on  a  quel- 
que notion.  L'homme  n'est  pas  créateur.  Il  ne  peut  s'en- 
lever dans  le  vide  absolu.  L'imagination  nounie  de  réali- 
tés est  la  plus  puissante.  Lorsque  nous  aurons  bien  ob- 
servé notre  société,  les  intrigues  et  les  scènes  de  roman  naî- 
tront d'elles-mêmes  dans  notre  esprit;  et  quand  nous  au- 
rons bien  senti  et  bien  vu  notre  milieu  physique,  les  images 
se  presseront,  touffues,  lumineuses  et  diverses. 


Afin  de  tracer  des  directives  utiles  à  notre  littérature, 
nous  avons  exposé  les  avantages  dont  un  écrivain  peut  pro- 
fiter s'il  s'attache  à  exprimer  son  pays  et  sa  race.  Nous 
n'avons  pas  tenu  compte,  —  bien  qu'elles  soient  réelles, 
mais  cependant  réfractaires  à  l'analyse,  —  de  toutes  les 
manières  subtiles,  laborieuses  et  sûi-es,  par  lesquelles  pays 
et  race  infiltrent  en  nous  des  sentiments  et  des  idées.  Et 
c'est  ce  qui  constitue  proprement  les  ((  grandes  pressions 
environnantes  ».  Des  influences  extériem-es  nous  pé- 
nètrent :  perpétuel  phénomène  d'endosmose.  Nous  nous 
enrichissons  sans  y  penser.  Nous  ne  pouvons  empê- 
cher nos  3'eux  de  voir,  nos  oreilles  d'entendre.  Intéressés 
par  les  problèmes  particuliers  à  notre  pays,  toujours  nous 


l'actiox  française  549 

y  réfléchissons  sans  le  trop  remarquer.  Les  journaux  amas- 
sent des  faits;  les  conférences,  les  discours,  les  écrits  dé- 
posent de  la  matière  dans  nos  mémoires.  Les  causeries 
entre  amis  et  les  discussions  nous  instruisent  et  nous  éclai- 
rent. Les  rêves,  les  pensées,  le  songe  ambiant  des  multi- 
tudes, épars  dans  l'air,,  tous  les  désirs  inassouvis,  empri- 
sonnés au  fond  des  âmes,  emplissent  de  leurs  exhalaisons 
l'atmosphère  qui  exerce  sur  nous  sa  pression  immense. 
Et  les  grands  paysages  oii  s'ouvrent  les  larges  issues  qui  con- 
viennent aux  aventm-es,  aux  poursuites  merveilleuses  de 
gloire,  nous  forment  silencieusement  à  leur  ressemblance. 

Il  serait  inintelligent  de  dédaigner  en  nous  rœu\Te 
de  la  nature.  Laissons  nos  préventions  tomber.  Armons- 
nous  de  sympathies,  d'enthousiasmes  ardents,  pour  que 
notre  nationalité  grandisse  dans  le  désir  des  supériorités. 
Par  les  faits  particuliers  bien  étudiés,  bien  compris, 
élevons-nous  aux  principes  généraux.  On  ne  lem*  donnera 
jamais  de  bases  solides  avec  des  connaissances  vagues. 
Quant  à  la  nature  humaine,  c'est  le  diamant  aux  multiples 
facettes.  Nos  émotions  canadiennes  et  nos  rêves  sont 
humains.  Nous  pouvons  les  dire  mieux  que  d'autres;  ils 
les  diraient  plus  mal  que  nous. 


Toute  littératm-e  qui  tend  au  régionalisme,  au  parti- 
cularisme, au  nationalisme,  réunit,  par  le  fait  même,  plus 
de    chances    de    succès. 

Notre  monde  littéraire  est  aujourd'hui  partagé  en 
deux  écoles.  L'une  s'est  acharnée  à  la  perfection  de  la 
forme;  elle  n'avait  pas  tort.  Cette  réaction  fut  très  utile. 
Mais  aboutissant  plus  tard  à  une  doctrine  de  l'art  pom* 
l'art,  réduisant  la  production  Httéraire  à  une  œuvre  de  mots, 


550  l'action  française 

elle  risquait  de  la  vider  de  réalités,  elle  la  condamnait  à 
l'étiolement.  Alors  vint  l'autre  école  qui,  voulant  remplir 
le  verbe  d'une  riche  matière,  a  cru  qu'elle  ne  pouvait 
mieux  faire  que  de  le  combler  de  réalités  canadiennes.  La 
forme  n'eut  pas  toujours,  chez  elle,  son  importance;  elle 
a  reproduit  trop  servilement  son  modèle.  Que  les  uns 
affinent  et  cisèlent  leur  instrument,  que  les  autres  ne  lais- 
sent pas  une  macliine  fonctionner  à  vide;  que  les  uns  ne 
méprisent  plus  les  beautés,  les  ressources  de  la  langue,  que 
les  autres  ne  se  cuirassent  point  contre  notre  nature,  nos 
mœurs,  nos  originalités,  et  la  réconciliation  sera  parfaite. 

A  nous  cependant,  il  semble  plus  opportun  d'insister 
sur  la  matière  des  œuvres.  Dans  ce  domaine,  il  faut  pres- 
que tout  commencer  à  pied  d'œu^Te,  tandis  que  les  mo- 
dèles de  style  sont  éternels.  Il  faut  que  notre  littératm-e 
se  pose  sur  une  assiette  solide  :  notre  âme  canadienne,  les 
réalités  canadiennes.  Aujourd'hui  nos  connaissances 
livresques  ne  sont  pas  les  mêmes  que  nos  connaissances 
réelles.  Il  en  est  de  même  de  nos  émotions.  Cette  situa- 
tion écartèle,  en  quelque  sorte,  notre  âme,  entre  deux  pays, 
deux  races,  deux  mondes.  Nous  connaissons  aussi  bien 
la  France,  par  ses  livres,  que  nous  connaissons  le  Canada, 
par  l'observation;  nous  ne  connaissons  parfaitement  ni 
l'un,  ni  l'autre  pays.  Les  lectures  ne  nous  aident  pas  à 
nous  comprendre,  n'accusent  pas  les  tendances  innées  qui 
feraient  notre  force;  elles  n'éclairent  pas  nos  observations. 
Et  le  poème  de  Charles  Gill,  les  romans  et  les  nouvelles 
du  terroir,  n'ont  pas  rempli  toutes  leurs  promesses,  parce 
que  la  matière  canadienne  n'a  pas  encore  été  travaillée, 
ni  triturée,  ni  maîtrisée  par  des  intelhgences  assez  robus- 
tes. Devant  l'obstacle,  ne  pensons  pas  à  nous  asseoir, 
tranquilles.  .  .    et    gouailleurs. 


l'action  française  551 

M.  OKvar  Asselin,  parlant  de  M.  ISIarcel  Dugas,  dit 
quelque  part  :  ^  «  Il  est  d'avis  que  le  meilleur  nationalisme 
littéraire,  au  Canada,  serait  encore  de  produire  des  chefs 
d'oeuvre,  peu  importe  que  les  sujets  fussent  ou  non  cana- 
diens; et  si  ce  n'est  pas  là  du  pur  bon  sens,  nous  aimerions 
à  en  avoir  d'autres  démonstrations  que  celles  que  nous  ap- 
portent la  plupart  des  plaidoj^ers  en  faveur  de  la  nationa- 
lisation de  notre  littératm'e  ».  Pour  nous,  la  question 
ne  se  pose  pas  ainsi.  Nous  voulons  tous  le  chef  d' œuvre 
vainement  attendu  jusqu'ici.  Il  s'agit  d'en  faciliter  la 
venue.  Et  si  nous  avons  quelque  idée,  quelque  doctrine 
que  nous  croyons  utile,  il  est  opportun  de  la  prêcher  afin 
que  notre  attente  soit  plus  vite  comblée.  Et  si  elle  ne  sert^ 
pas  à  tous,  il  nous  restera  toujours  le  bénéfice  d'une  disci- 
pline appropriée  à  nos  tendances. 

Pom^'atteindi-e  au  succès,  exciter  en  nos  âmes  l'influen- 
ce des  «grandes  pressions  environnantes»;  marcher  tou- 
jours avec  sa  hotte  sur  l'épaule  afin  de  glaner,  de  récolter, 
le  long  des  routes;  contempler,  d'un  regard  attendri  et 
accueillant,  d'un  bon  regard  fraternel,  ami  des  choses  ; 
écouter  les  harmonies  chanter,  les  harmonies  des  forêts 
d'automne  et  des  grands  vents  crépusculaires  battant  les 
monts  comme  des  récifs;  dans  la  solitude,  sm*  son  pays, 
sur  sa  race,  s'exalter  un  peu;  s'exalter  ensuite  beaucoup, 
et  de  plus  en  plus,  jusqu'aux  sommets  sublimes;  et  tout 
contenir,  tout  retenu-,  tout  refouler  :  souffrances,  obsti- 
nations, tumultes,  révoltes,  détresses  qui  nous  laissent 
pleins  de  défaillances;  tout  comprimer  en  soi  énergique- 
ment  et  sans  pitié;  pour  que  jaillisse  un  jour,  hautaine, 
violente  et  superbe,  la  fleur  de  son  âme  ! . .  . 

Léo-Paul  Deseosiers 

^  La  Revue  Moderne,  1er  numéro. 


POUR  1920 


L'Action  française  commence,  avec  une  vigoureuse  volon- 
té de  vivre  et  de  grandir,  sa  quatrième  année.  Chose  plus 
singulière,  en  dépit  de  la  hausse  du  papier  et  de  V augmenta- 
tion du  prix  de  la  mxiin  d' œuvre  —  toutes  choses  qui  reten- 
tissait douloureusement  sur  le  prix  de  revient  des  publica- 
tions —  elle  prétend  ne  pas  élever  son  tarif  d'abonnement. 
Elle  compte,  pour  le  même  piix,  donner  à  ses  lecteurs  une  ma- 
tière aussi  abondante,  toujours  plus  substantielle  et  plus  va- 
,  riée.  De  toute  évidence,  elle  ne  réussira  ce  tour  de  force  qu'avec 
l'appui,  actif  et  constant,  de  ses  ajnis. 

Cet  appui,  Z' Action  française  le  sollicite  avec  une  par- 
faite aisance.  Elle  travaille  pour  tous  et  ne  vit  que  de  dévoue- 
ment. Ceux  qui  sont  à  la  tâche  depuis  le  début  ont,  ce  nous 
semble,  le  droit  de  demander  aux  autres  un  coup  de  main. 

Premier  sernice  :  régler  immédiatement  tous  ses  arréra- 
ges. L'abonné  ne  pense  point  assez  à  ce  fait  qu'en  acquit- 
tant son  abonnement  à  la  fin  de  l'année  au  lieu  du  début,  ainsi 
que  le  prévoit  le  tarif,  il  frustre  sa  revue  de  l'intérêt  de  l'ar- 
gent, sans  compter  les  nombreuses  lettres  et  démarches  qu  il  im- 
pose à  l  administration  —  ce  qui,  pour  une  revue  à  SI,  a  tôt 
fait  de  représenter  10,  12,  15  et  parfois  20  pour  cent  du  prix 
de  l  abonnement.  Si  la  proportion  vous  paraît  élevée,  faites 
le  compte  de  l  intérêt,  des  frais  de  correspondance  exigés  par 
les  retards.  Pour  chaque  abonné,  ces  12  ou  15  sous  sont  peu 
de  chose,  mais,  pour  la  revue  et  multipliés  par  qu£lqv£s  mille, 
cela  finit  par  faire  une  somme  —  plus  exactement  peut-être, 
un  trou  dans  le  budget.  Et,  notez  bien  que,  de  la  majeure  par- 
tie de  ce  dommage  infligé  à  la  revue,  l  abonné  ne  profite  aucu- 
nement. 


l'actiox  française  553 

Donc,  régler  tout  de  suite  tous  les  arrérages.  Puis,  pour 
éniter  de  nouveaux  arrérages,  pour  ne  pas  frustrer  la  revue 
de  ce  qui  lui  appartient,  acquitter  immédiatement  Vahonne- 
ment  de  1920.  Puis  encore,  pour  apaiser  peut-être  des  re- 
mords, pour  faire  en  tout  cas  une  bonne  œuvre,  p)  ovoquer  et 
susciter  de  nouveaux  abonnements.  Ainsi  s'étendra  le  rayon 
de  notre  influence;  ainsi  grandiront  auprès  des  clients  d'an- 
nonces, notre  prestige  et  la  puissance  d'attraction  de  nos  pages 
rouges.  —  On  nous  pardonnera  ces  détails  prosaïques;  mais, 
si  nous  poursuivons  un  dessein  très  élevé,  nous  savons  aussi 
que  Vun  des  moyens  de  notie  progrès,  cest  la  possession  d'une 
solide  armatwe  économique.  Et  cette  armature,  nous  nous 
efforçons  de  la  constituer  le  plus  rapidement  possible. 

Recueillir  de  nouveaux  abonnés  est  souvent  la  chose  du 
monde  la  plus  facile.  Beaucoup  de  gens  n'at'endent  pour 
donner  leur  nom  et  leur  piastre  qu'un  appel  opportun.  La 
publicité  faite  autour  de  notre  œuvre,  la  connaissance  frag- 
mentaire qu'ils  en  possèdent  les  ont  depuis  longtemps  pré- 
parés à  s'abonner  ■ — •  mais  il  faut,  pour  les  décider-  à  faire  le 
dernier  pas,  une  légère  poussée.  A  nos  amis  de  la  donner. 
S'ils  veulent  y  mettre  un  peu  d'ensemble,  nous  auions  tôt  fait 
de   doubler   notre   liste   actuelle   d'abonnés. 

De  notre  côté,  nous  sommes  assurés  de  fournir  à  nos  lec- 
teurs une  matière  fort  intéressante.  Ils  connaissent  déjà  noire 
série  d'articles  de  tête,  ils  savent  qu'elle  réunira  quelques-uns 
des  noms  les  plus  remarquables  et  des  compétences  les  plus 
certaines  du  Canada  français.  A  elle  seule,  cette  collection 
vaudrait  plus  que  l'abonnement.  Nous  inaugurerons  dès 
janvier  une  série  de  chroniques  trimestrielles  qui  traiteront 
de  la  vie  des  groupes  français  en  dehors  de  notre  province,  du 
mouvement  artistique,  des  livrées  anglais  et  français  publiés 
au  Canada.     Nou^  donnerons  en   même  temps  des  articles 


554  l'actiox  fraxçaise 

d'actualité,  la  Vie  courante  de  Pierre  Homier,  la  Vie  de  l'Ac- 
tion française  et  cette  précieuse  Partie  documentaire,  dont 
le  temps  augmente  chaque  jour  la  valeur.  Pour  en  citer  qu'un 
exemple  :  où  trouverez-vous  facilement,  en  dehors  de  Z' Action 
française,  ces  extraits  des  traités  de  paix  qui  visent  la  pr- 
tection  des  minorités  et  qui  permettent  de  si  intéressantes  com- 
paraisons ?  Où,  trouverez-vous  un  texte  comme  celui  du  con- 
grès de  Winnipeg,  que  nous  citons  ce  mois-ci  ? 

Il  faut  donc  propager  la  revue.  Il  faut  la  propager  à 
force.  Il  faut  la  propager  pour  soji  intérêt  propre.  Il  faut 
la  propager  parce  qu'elle  est  le  centre  et  le  moteur  de  toutes  nos 
œuvres,  le  lien  entre  le  comité  directeur  de  Z' Action  française 
et  le  grand  public.  Il  faut  accentuer  aussi  la  diffusion  des 
brochures,  multiplier  les  conférences,  les  manifestations  et 
les  interventions  fécondes.  Sur  tous  les  terrains  le  mot  d'ordre 
reste  le  même  :  Agir. 

De  mois  en  mois,  dans  la  revue  même,  dans  les  tracts, 
des  conseils  précis  sont  venus  illustrer  ces  observations  géné- 
rales. D'autres  suivront.  Nous  n' entendons  pas  ici  tracer 
les  détails  d'un  programme.  Nous  voulions  simplement  aver- 
tir nos  amis  que  nous  commençons  Vannée  1920  avec  la  ferme 
volonté  de  faire  —  et  de  leur  faire  faire  —  le  plus  de  travail 
possible.  Nous  voulions  les  prier  de  nous  aider  de  toutes  leurs 
forces.  Nous  voulions  par-dessus  tout  —  nous  avons  gardé 
le  plus  a-gréable  pour  la  fin  —  les  remercier,  du  fond  du  cœur, 
de  ce  qu'ils  ont  fait  pour  Z'Action  française  et  ses  œuvres. 

Nous  avons  reçu  de  beaucoup  des  témoignages  répétés 
de  la  plus  efficace  et  de  la  plus  touchante  sympathie.  Que 
tous  nos  collaborateurs,  connus  et  inconnus,  veuillent  bien 
eux-mêmes  recevoir,  au  seuil  de  Vannée  nouvelle,  Vhommage 
de  notre  profonde   gratitude. 

Orner  Héroux. 


A  TRAVERS  LA  VIE  COURANTE 


Les  lauréats  de  Sous    ce    titre,    nous    annoncions    dans 

V actiofl  iyancaise  notre  chronique  de  juin  une  initiative  que 

voulait  réaliser  notre  œiTvTe  :  couronner 
les  gestes  fiers  accomplis  par  les  nôtres.  Différents  projets  étaient  à 
l'étude  dont  une  séance  solennelle  où  l'un  de  nos  directeurs  raconte- 
rait, dans  un  rapport  vivant,  les  exploits  de  l'année  et  proclamerait  les 
lauréats  de  l'action  française. 

Déjà  plusievirs  dossiers  nous  sont  parvenus.  L'un  relate  le  geste 
de  M.  Dupré,  de  Ver  chères,  protestant  contre  l'article  paru  dans  le 
Tooke  Talk  ;  un  autre  celui  de  l'avocat  Demers,  de  Montréal,  exigeant 
du  percepteur  de  biUets,  sur  un  train  du  Pacifique-Canadien,  qu'il  lui 
parle  en  français;  im  troisième,  l'intervention  d'un  marchand  de  l'Al- 
berta  obtenant  d'une  compagnie  ontarienne  d'Hamilton  qu'elle  mette 
de  côté  son  Parisian  Franck  ;  un  quatrième,  l'attitude  du  conseil  mu- 
nicipal de  la  Rivière-du-Loup  décidant  de  retourner  au  Bureau  d'hy- 
giène provincial  la  circulaire  anglaise  qu'il  lui  avait  envoyée  et  d'en 
eager  une  rédigée  en  français. 


liîfOTTnationS  Comme  on  le  voit,  nos  informations  viennent 

et  doSSieïS  ^^  différents  endroits.     Cela  démontre  l'oppor- 

tunité de  notre  projet,  et  nous  encourage  à  le 
mettre  à  exécution.  Nous  faisons  donc  de  nouveau  appel  à  nos  lec- 
teurs pour  qu'ils  nous  signalent  leurs  interventions  ou  celles  de  leurs 
amis,  dignes  d'être  couronnées.  Il  restera  au  rapporteur  de  glaner  à 
travers  ces  faits  et  d'en  recueiUir  les  plus  méritoires. 

Ce  sera  nous  rendre  service  —  qu'on  me  permette  d'j'  insister  — 
de  rédiger  les  dossiers  aussi  clairement  que  possible,  d'y  mettre  les  dates 
précises  ainsi  que  les  noms  des  compagnies  ou  des  individus  en  cause 
(nous  les  omettrons,  si  on  le  désire,  dans  le  rapport),  d'y  joindre  enfin 
tous  les  documents  nécessaires.  A  titre  de  modèle,  voici  une  lettre 
qui  m'arrive  de  Québec.  Elle  était  accompagnée  de  chacime  des  pièces 
indiquées,    dûment    numérotées. 


556  l' ACTION    FRANÇAISE 


«  Cher     monsieur, 

Aij  mois  d'août  dernier,  je  recevais  deux  prospectus  d'ime  maison 
anglaise-américaine  de  Toronto  :  «  The  Canadian  Laitndry  Machinery 
Co.  ».  L'un  de  ces  prospectus  (  dociunentation  i  )  était  écrit  dans 
un  tel  français  que  je  résolus,  pour  le  bien  de  la  cause  canadienne-fran- 
çaise, de  signaler  à  l'encre  noire  les  incorrections  les  plus  saillantes  sans 
les  corriger,afin  d'attirer  l'attention  des  éditeurs  et  de  les  obliger  à  cher- 
cher près  d'eux  les  compétences  françaises.  Quant  au  prospectus  an- 
glais (documentation  ii)  je  me  contentai  de  le  retourner,  en  écrivant  : 
Du  français,  s.  v.  p.  J'accompagnai  le  tout  d'une  lettre  digne  autant 
qu'aimable,  disant  que  le  public  de  la  pro\'ince  de  Québec  se  refuserait 
à  acheter  leurs  machines  tant  qu'ils  ne  respecteraient  pas  notre  langue 
et  que  ce  n'était  pas  en  «  massacrant  »  notre  parler  qu'ils  «  laveraient  » 
notre  linge.  Et  j'attendis  la  réponse  jusqu'au.  .  .  28  octobre.  Le 
président  m'écri\-it  (documentation  m)  poiur  m'annoncer  qu'il  avait 
fait  préparer  un  texte  nouveau  des  deux  prospectus,  me  priant  de  les 
revoir  en  dernière  main.  Malheureusement  on  avait  oublié  de  glisser 
dans  l'enveloppe  ladite  épreuve.  Je  me  permis  alors  de  corriger  sa 
letlie,  et  dans  un  mot  à  part,  tout  en  l'encourageant  à  bien  faire,  je  lui 
montrai  les  avantages  qu'il  aurait  à  s'entourer  d'employés  bilin- 
gues. Il  me  répondit  aussitôt  (documentation  iv)  en  m'envoyant  les 
copies  d'épreuves  (documentation  ibis,  ii  bis).  Vous  constaterez  qu'il 
y  a  progrès  continuel  dans  cette  bonne  volonté.  J'ai  cru  devoir  m'im- 
poser  tout  ce  travail  pour  faire  ma  petite  part  dans  le  grand  travail  na- 
tional que  vous  avez  entrepris  et  que  vous  menez  si  vaillamment.  Avant 
de  corriger  les  dernières  épreuves  (certes,  elles  en  ont  besoin)  j'aimais 
à  vous  faire  connaître  le  tout,  que  vous  pourrez  utiliser  quand  bon  vous 
semblera. 

Croyez-moi   votre   tout   dévoué, 

J...  J...  » 


l'action  française  557 

IntBYVCntioU  H  est  une  intervention  qui  mériterait  certes, 

OÙÙOïtUHC  ^^  ^^^^  réussissait,  un  diplôme  d'honneur.      Dès 

maintenant  nous  nous  engageons  à  couronner 
l'heureux  mortel  capable  d'obtenir  de  quelque  marchand  montréalais 
du  papier  à  photographie  avec  l'inscription  française  :  Carte  postale. 
Impossible  actuellement,  paraît-il,  d'en  trouver.  J'ai  déjà  raconté 
comment,  de  passage  à  Paris,  j'étais  allé  aux  bureaux  de  la  maison 
Lumière  exposer  mes  doléances.  Notre  succursale  montréalaise, 
m'avait  répondu  le  gérant,  relève  de  notre  agence  de  New- York  qui 
fabrique  elle-même  la  plupart  des  produits  utilisés  en  Amérique.  Rien 
d'étonnant  qu'ils  portent  des  inscriptions  anglaises.  Mais  que  cette 
agence,  mise  en  branle  par  des  cHents  de  Montréal,  nous  demande  les 
cartes  que  vous  désirez,  elle  les  aiu-a  sans  tarder.  De  loin,  je  confiai 
aussitôt  l'affaire  à  un  ami.  Elle  ne  me  paraît  pas  avoir  abouti.  Pour- 
quoi ne  pas  la  reprendre  aujourd'hui  ?  Je  suis  persuadé  qu'un  ama- 
teur de  photographies,  qui  fait  ime  dépense  courante  assez  considéra- 
ble de  ces  cartes,  peut  finir  par  les  obtenir.  De  quelle  manière  ?  Voici. 
Qu'il  se  présente  chez  son  foiuriisseur  habituel  et  expose  sa  demande. 
Il  essuiera  un  refus.  Qu'il  s'adresse  alors  directement  au  gérant  du 
magasin  et  lui  explique  son  cas  : 

—  Je  suis  un  de  vos  bons  clients.  J'achète  chez  vous,  chaque  mois, 
tant  de  cartes  et  vous  fais  faire  tel  et  tel  ouvrage.  Or  vous  me  refu- 
sez une  chose  bien  simple  :  des  cartes  avec  inscriptions  françaises,  une 
chose  que  vous  pouvez  m'accorder,  si  vous  le  voulez.  Vous  n'avez, 
en  effet,  qu'à  en  commander  soit  à  la  maison  Lumière, —  elle  en  a, — 
soit  encore,  ce  qui  ira  plus  vite,  à  votre  fabricant  de  Toronto  :  c'est  facile 
pour  lui  d'en  imprimer.  Devant  votre  inertie  ou  votre  mauvaise  vo- 
lonté, je  me  vois  obligé  de  vous  retirer  mes  commandes.     J'irai  ailleurs. 

—  En   obtiendrez-vous   ailleurs  ? 

—  J'essaierai.  Et  si  je  ne  réussis  pas  du  premier  coup,  parce  que 
nouveau  chent,  probablement  qu'avec  le  temps  et  de  grosses  comman- 
des je  finirai  par  gagner  mon  point. 

—  Mais  c'est  une  dépense  supplémentaire  que  vous  nous  deman- 
dez. Le  débit  de  ces  cartes  n'étant  pas  considérable  —  vous  êtes  le 
premier  qui  en  exigez  —  elles  nous  coûteront  plus  cher. 

—  Je  vous  promets  que  vous  en  vendrez  beaucoup.  Nous  vous 
ferons  une  grosse  réclame,  nous  les  signalerons  dans  V Action  française 
que  lisent  tous  les  patriotes  (  !  )  etc.,  etc. 


558  l'action  française 

Si  le  marchand  ne  se  rend  pas,  qu'on  mette  à  exécution  le  projet, 
qu'on  aille  aillevirs,  même  si  on  n'est  pas  mieux  servi.  L'important 
est  de  faire  marcher  son  homme.  Puis  on  reviendra  le  voir  au  bout 
de  quelque  temps  pour  savoir  s'il  persiste  toujours  dans  son  refus,  pour 
lui  dirç  qu'il  a  perdu  ce  mois-ci  telle  et  telle  commande,  et  qu'il  en  per- 
dra encore  bien  d'autres ... 

Lq,  lice  est  Un  seul  client  réussira-t-il  avec  cette  tactique? 

OUVêTtê  ^^  ^^  crois.     Dans  tous  les  cas,  ce  dont  je  suis  abso- 

lument certain,  c'est  que  trois  ou  quatre,  agissant 
de  concert  auprès  du  même  fovu-nisseur,  réussiront  infailliblement. 

Allons  !  qui  va  commencer  ?  qui  va  rendre  ce  service  à  sa  langue  ? 
qui  va  devenir  lauréat  de  l'action  française  ?  Il  n'j^  a  pas  de  temps  à 
perdre.  C'est  aujourd'hui  même  qu'il  faut  se  décider,  qu'U  faut  dres- 
ser ses  plans,  qu'il  faut  voir  à  leur  prompte  exécution.  La  lice  est  ou- 
verte :  jeunes  gens,  jeunes  filles,  hommes  ou  femmes  qui  aimez  le  clair 
parler  français,  entrez-y.  C'est  pour  lui,  poiu:  sa  sm^ivance,  que  vous 
allez  guerroyer  !  Si  vous  le  voulez,  les  paysages  de  chez  nous  ne  s'en 
iront  plus  à  l'étranger  —  comme  j'en  ai  vu  jusque  sur  les  tables  de  notre 
commissariat  à  Paris  et  jusque  dans  les  Salles  de  l'Exposition  univer- 
selle de  Gand  —  promener  des  inscriptions  anglaises  et  laisser  croire 
que  la  langue  des  pionniers  de  la  terre  canadienne  y  est  maintenant 
éteinte.  Il  dépend  de  vous  qu'on  nous  sache  fidèles  au  parler  ances- 
tral,  et  qu'en  admirant  la  beauté  de  notre  sol  on  admire  aussi  la  vita- 
lité de  nos  traditions  et  l'irréductible  fierté  de  notre  sang. 

L€S  fêtes  du  Comme  je  ne  sais  si  cette  chronique  par^-ien- 

HOUVCl   GH  ''^^^  ^  °^^^  lecteurs  avant  les  fêtes  du  nouvel  an, 

j'hésite  à  leur  en  parler.  Un  mot  du  moins  pour 
demander  qu'on  les  célèbre  suivant  l'esprit  de  la  race.  Échanges  do 
cadeaux  et  de  bons  souliaits,  dîners  de  famille,  —  au  foyer  et  non  dans 
les  hôtels,  —  bénédiction  paternelle:  conservons  ces  saines  coutumes, 
telles  que  les  ont  établies  nos  pères.  Ne  permettons  pas  qu'on  les  amé- 
ricanise, qu'on  les  vide  de  leur  parfum  français  et  catholique.  Elles 
sont  puissantes  sur  l'âme  de  notre  peuple,  elles  le  gardent  des  assimi- 
lations funestes  et  des  dégradations  mortelles. 

Pierre  Ho.mier, 
8  décembre  1919. 


JOURNAUX,  LIVRES  ET  REVUES 


«  COULEUR  DU  TEMPS  »  i 

Michelle  Le  Normand  réunit,  sous  un  titre  qui  en  indique  assez 
la  variété  de  tons,  un  certain  nombre  d'articles  parus  dans  le  Devoir 
et  le  Nationaliste.  Ces  chroniques  —  ou  billets  —  dont  aucune  ne  se 
rapporte  étroitement  à  l'actualité,  ont  conservée  la  fraîchem*  et  la  nou- 
veauté    de    l'inédit. 

Michelle  Le  Normand  est  cette  jeune  fille  qui,  en  1916,  eut  l'au- 
dace de  se  présenter  au  public,  —  plutôt  sceptique  quant  aux  talents 
de  son  âge  et  de  son  sexe  —  tenant  d'une  main  ferme  un  premier  livre 
immortel  !  Le  public  le  lut  d'abord  pour  voir;  le  charme  opéra,  et  la 
masse  des  lecteurs  fut  conquise  au  point  que  le  petit  Uvre  :  Autour  de 
la  Maison,  en  est  au  cinquième  nulle,  en  attendant  les  autres. 

C'est  que  l'auteur  avait  fait  entendre  une  musique  nouvelle  aux 
oreilles  blasées,  qu'il  avait  parlé  des  enfants  de  chez  nous  sans  puéri- 
lités, —  ce  qui  est  extrêmement  difficile  —  et  qu'il  avait  mis  sous  les 
yeux  de  tous  des  choses  que  tout  le  monde  avait  vues  et  que  personne 
n'avait  dites  aussi  bien  que  lui.  Il  s'était  penché  affectueusement  sur 
le  coin  de  terre  natal,  avait  regardé,  écouté,  puis  écrit.  Il  en  résulta, 
n'hésitons  pas  à  l'affirmer,  un  chef-d'œuvre  du  terroir,  un  li^nre  qui  res- 
tera tant  que  des  enfants  canadiens  joueront  dans  les  vieux  \-illages, 
autoiu"  des  vieilles  maisons,  et  tant  qu'il  y  aura  des  papas  et  des  mamans 
cjui   voudront   revi\Te   leur   enfance. 

Le  nouvel  ou^Tage  de  Michelle  Le  Normand,  s'il  n'a  pas  l'unité 
de  composition  de  son  prédécesseur,  démontre  de  pareils  dons  de  style 
et  d'observation.  Les  pièces  qui  le  composent  pourraient  être  divi- 
sées en  trois  groupes  principaux,  sous  la  désignation  respective  :  ana- 
lyse du  «  moi  »,  d'un  «  moi  »  non  haïssable  !  —  portraits  ou  «  carac- 
tères »  —  description  ou  tableaux  de  nature.  Chacim  de  ces  genres 
est  marqué  d'un  signe  original  qui  l'apparente  à  une  personnalité  bien 
distincte.  Chaque  page  présente  un  aspect  de  ce  riche  talent.  Rien 
de  prétentieux,  de  tendu,  de  femme  de  lettres,  mais  la  parfaite  simpli- 

'  Couleur  du  Temps,  par  Michelle  Le  Normand.  Édition  du 
Devoir,  Montréal,  1919.  (Prix  :  75  sous,  plus  5  sous  pour  le  port.  Dis- 
tributeiu:  pour  le  commerce  :  Service  de  librairie  de  l'Action  français  e. 


560  l'action  française 

cité  dans  le  bon  sens  et  la  joie  de  vivre,  où  les  dons  de  l'esprit  et  d  u  cœur 
s'équilibrent,  s'harmonisent  et  se  fondent  :  charme,  grâce,  intelligen- 
ce ! 

Michelle  Le  Normand  regarde  curieusement  en  elle-même;  elle 
s'examine,  réfléchit,  médite.  .  .  En  apprenant  à  se  connaître,  elle  ap- 
prend à  se  décrire,  elle  et  les  autres,  puisqu'il  est  un  fond  commun  par 
quoi  tous  les  humains  se  ressemblent.  Bien  qu'elle  s'étonne  de  l'étran- 
ge compUcation  de  son  «  moi  »  et  qu'elle  déclare  maintes  fois  n'y  rien 
comprendre,  nous  pouvons  en  déduire  que  c'est  déjà  posséder  vme  gran- 
de connaissance  de  soi-même  que  de  se  rendre  compte  qu'on  n'y  com- 
prend rien  !  C'est  se  connaître  autant  qu'il  est  possible  que  de  se  sa- 
voir «  divers  et  ondoyant  ».  Xe  se  «  déchiffre  »  pas  qui  veut;  l'âme 
est  im  abîme  où  l'on  s'enfonce,  où  s'accimaulent  d'épaisses  ténèbres  qui 
n'ont  pas  de  fin;  c'est  déjà  beaucoup  que  d'y  rencontrer  un  peu  de  lu- 
mière et  de  la  faire  briller  aux  yeux  d'autrui,  par  charité  chrétienne. 

Michelle  Le  Normand  revient  souvent  du  fond  d'elle-même  avec 
des  rayons  dans  les  mains,  qu'elle  offre  aux  moins  bien  douées,  en  di- 
sant :  Voyez  comme  je  suis,  voyez  comme  vous  êtes  !  La  lumière  qui 
m'éclaire  vous  éclaire  aussi.  Regardons  en  nous  :  il  y  a  du  bon  et  du 
mauvais.  Extirpons  le  mauvais,  cultivons  le  bon,  améUorons  le  meil- 
leur. Embellissons-nous,  mes  sœurs,  pour  Dieu  et  la  patrie  !  Sau- 
rait-on   mieux     prêcher  ? 

Presque  tous  les  mouvements  de  l'âme  sont  envisagés  dans  ce  vokune 
La  tristesse  s'y  montre  quelquefois,  et  même  l'angoisse  devant  l'inconn, 
de  la  vie.     Mais  ces  troubles,  ces  inquiétudes  sont  vite  maîtrisés,  com 
me  supérieurement  dominés  par  une  confiance  illimitée  en  la    divine 
Providence,  et  suivis  de  l'abandon  serein  du  petit  enfant  dans  les  bras 
de  sa  mère  !     Si  nous  ne  craignions  d'écraser  l'auteur  délicat   sous  le 
poids  de  termes  trop  lourds  à  porter,  nous  dirions  que  Michelle  Le  Nor- 
mand est  par-dessus  tout  un  moraliste  pénétrant,  un  excitateur  de  bien, 
un  professeur  de  vertu  sociale  et  patriotique.     Et  nous  ajouterions  au 
plus  vite:  tout  cela  est  coupé  d'éclats  de  rire,  de  propos  enjoués,  d'en- 
train .  . .  endiablé,  —  dont    s'accommodent  fort  bien  la  mora  le    et  le 
lecteur  !     Un  parfum  de  saine  jeunesse  flotte  entre  les  chapi  très,  un 
souffle  frais  et  pur  circule  dans  les  phrases,  tandis  qu'une  pieus  c  ardeur 
spiritualise  souvent  le  style,  qui  prend  alors  des  ailes. 

Méditez  sur  les  morceaux  suivants  :  Mauvais  silences,  Paroles  vives, 
La  Girouette,  Les  pires  heures.  Anxiété,  Le  Phare,    etc. 


l'action  française  561 

Isolons  - —  car  il  ne  cadre  bien  nulle  part  —  l'article  intitulé  Psycho- 
logie dentaire,  si  plein  de  verve  et  d'enfantine  drôlerie.  Il  y  a  là  une 
admirable  étude  en  raccourcis  de  la  lâcheté  commune  aux  deiLx  sexes, 
devant  la  perspective  d'une  sieste  dans  le  fauteuil  de  torture,  de  la  peur 
qui  temporise  et  retarde  la  fatale  opération.  Une  page  où  tout  le  mon- 
de revit  ses  transes  est  mie  page  parfaite. 

Un  des  côtés  les  plus  brUlants  du  talent  de  Michelle  Le  Normand 
consiste  en  une  faculté  d'observation  aiguë.  Les  types,  tous  les  per- 
sonnages sortant  de  l'ordinaire  uniformité,  sont  croqués  sur  le  vif  com- 
me par  un  appareil  cinématographique,  avec  leurs  tics,  leurs  manies, 
leurs  mouvements  caractéristiques  des  membres  et  du  visage,  et  cam- 
pés siu"  la  page  gesticulants,  grimaçants,  —  nous  serions  tentés  d'écri- 
re :  pantelants,  —  ridicules  ou  touchants.  Voyez,  par  exemple  :  Atti- 
tudes de  qucteux,  La  Commère,  Sa  Clairvoyante,  etc.;  et  les  autres,  ceux 
qui  frappent  par  leur  frivolité  ou  leur  snobisme  :  La  jeune  jllle  bien,  etc.  ; 
et  ceux  qui  sont  presque  sublrhies  dans  leur  accoutrement  ancien  et  dont 
le  cœur  est  un  ti'ésor  toujours  neuf  :  Le  «  docteur  »  ;  et  encore,  cette 
courageuse  vieille  paysanne  qui  se  détache  en  relief  :  Grand' tnkre  Audet, 
noble  fille  des  ancêtres  qui  sauvèrent  la  race  en  l'implantant  ferme- 
ment dans  la  campagne  canadienne. 

Il  faut  aussi  s'arrêter  un  moment,  pour  l'admii'er  en  détail,  devan  t 
ce  morceau  de  sentiment  exquis  :  La  -petite  fdle  au  turban  ;  elle  est  la 
sœur,  par  la  délicatesse  et  la  grâce,  de  cette  autre  petite  morte  nommée 
Gabnelle,  et  qu'une  page  à'Aidour  de  la  Maison  a  tendrement  ressus- 
citée. 

Michelle  Le  Normand  ne  fait  jamais  de  description  toute  pure; 
ses  paysages  sont  des  états  d'âme,  selon  le  mot  d'Amiel.  Ils  n'en  sont 
que  plus  vrais.  Sa  touche  est  fine,  les  détails  abondent  sans  nuire  à 
l'ensemble,  les  couleurs  sont  justes.  Elle  a  du  goût,  de  l'ordre,  de  la 
mesure.  Elle  dessine  d'un  trait  net,  sans  hésitations,  presque  sans 
retouches.  Bref,  elle  a  le  don.  Lisez  :  Raquetteurs,  dans  la  nuit  sereine, 
Les  Quais,  Chez  7wus,  chez  vous.  Qui  me  donnera. . .,  etc. 

Si  ces  notes  rapides  —  c'est  l'heure  d'aller  sous  presse  !  — 
avaient  la  prétention  d'être  une  critique,  il  nous  faudrait,  pour  doimer 
du  poids  à  nos  éloges,  reprocher  quelque  chose  à  MicheUe  Le  Normand. 
On  peut  toujours  signaler  des  négligences  ou  des  faiblesses  aussi  bien 
chez  un  auteur  jeune  que  chez  un  vieux  !  Personne  n'est  parfait.  Et 
puis,  nous  préférons  avouer  tout  de  suite  que  nous  n'avons  relevé  aucun 
gros  défaut  dans  ce  livre.     Au  contraire,  nous  en  avons  goûté  le  style 


562  l'action  française 

nuancé  mais  solide,  riche  mais  discipliné,  harmonieux  et.  .  .  facile,  qua- 
hté  que  l'on  remarque  plutôt  avec  inquiétude,  tant  elle  dégénère  rapi- 
dement à  l'usage.  Nous  sommes  tranquilles  pom*  le  reste.  Que  l'au- 
teur garde  profondément  enraciné  cet  amour  du  terroir  qui  le  classe  à 
part,  et  qui  l'a  élevé  si  haut  dès  son  premier  essai.     Et  qu'il  continue  ! 

Albert  Lozeau. 


LE  QUART  DE  SIÈCLE  DU  BULLETIN  DES  RECHERCHES 
HISTORIQUES 


Laissez-moi  vous  signaler  l'événement  du  jom-  :  un  périodique  de 
langue  française,  entièrement  consacré  à  l'histoire  cauacUenne,va  attein- 
dre   ses    vingt-cinq    ans  ! 

Ce  périodique  extraordinaire,  c'est  le  Bulletin  des  recherches  histo- 
riques fondé  par  Pierre-Georges  Roy,  à  Lé\'is,  au  mois  de  janvier  1895, 
en  pleiae  jeunesse,  en  pleine  illusion,  en  pleine  audace  ! 

Oui,  le  Bulletin  a  vécu  \-iugt-cinq  ans,  mais  si  vous  croyez  que  son 
existence  s'est  écoulée  dans  les  fleurs  et  dans  la  soie,  vous  ne  connaissez 
pas  notre  pubhc. 

Qui  dira  ce  que  Pierre-Georges  Roy  a  dépensé  d'activité,  de  volonté 
et  d'argent  pour  maintenir  sa  pubhcation  à  flot  ? 

Qui  dira  combien  sa  revue  lui  a  appris  à  mesurer  l'apathie  et  la  mes- 
quinerie des  uns,  ou  l'ignorance  et  la  fatuité  des  autres  ? 

Pas  Roy,  assurément,  car  U  garde  son  expérience  «  éditoriale  » 
poui"  lui-même  et  ne  veut  même  pas  y  penser. 

Faible  de  constitution,  mais  puissant  d'énergie,  Pierre-Georges 
se  traça  un  programme  et  se  fixa  un  but;  il  décida  que  le  Bulletin  vivrait 
aussi  longtemps  que  lui-même  et  il  accompht  le  prodige  !  11  réussira 
jusqu'au    bout,  .n'en    doutez    pas. 

Donc,  malgré  les  embarras  et  les  tracas,  depuis  cinq  fois  cinq  ans, 
le  Bulletin  tous  les  mois,  fournit  à  ses  lecteurs  des  pages  inédites,  des 
documents  oubhés  ou  inconnus,  des  notes  précieuses,  des  études  syn- 
thétiques et  des  nomenclatures  qu'on  chercherait  vainement  ailleurs. 
A  telle  enseigne  que  le  Bulletin  constitue,  aujourd'hui,  une  collection 
indispensable  qu'on  songe  à  consulter  d'abord,  qu'on  aime  à  garder  près 
de  soi  toujours,  ]\arcc  que  c'est  une  mine  dans  laquelle  les  historiens 


l'action  française  563 


comme  les  simples  cui'ieux  vont  puiser  sans  l'épuiser  des  informations 
de  toutes  sortes  sur  toutes  sortes  de  gens  et  de  choses  d'autrefois.      ' 

Aussi,  des  œu\Tes  nombreases  et  justement  appréciées  de  Pierre- 
Georges  Roy,  c'est  celle-là,  j'imagine,  qui  auréolera  davantage  sa  mé- 
moire, aux  jours  éloignés,  nous  l'espérons  tous,  où  le  vaillant  écrivain 
ne  sera  plus. 

Et  maintenant,  distingué  collègue,  au  seuil  de  la  vingt-sixième 
année  du  Bulletin,  je  voudrais  formuler  un  souhait  mirifique,  de  réali- 
sation tellement  improbable  et  impossible  que  l'imagination,  rien  qu'à 
l'entendre  énoncer,  s'élance  dans  le  monde  des  fées  et  des  gnomes. 

Je  souhaite  au  Bulletin,  durant  son  prochain  quart  de  siècle,  au- 
tant d'abonnés  payant  leur  abonnement  d'avance  qu'il  y  en  a  sur  ses 
listes  qui  n'ont  jamais  versé  un  sou  ! 

Après  un  tel  souhait  force  m'est  bien  de  mettre  un  point  final. 

E.-Z.  Massicotte. 


SILHOUETTES  PAROISSIALES  i 


Nous  comptions  publier  dans  cette  livraison  une  étude  détaillée 
des  Silhouettes  paroissiales  du  R.  P.  Louis  Lalande,  s.  J.  Un  contre- 
temps imprévu  nous  contraint  d'ajoiu-ner  au  mois  prochain  cette  étude, 
mais  nous  voulons  tout  de  suite,  pour  donner  à  nos  lecteurs  quelque 
idée  du  volume,  inscrire  ici  quelques  extraits  de  la  préface  qu'écrivit 
pour  lui  M.  l'abbé  Groulx.     Nous  citons  donc  : 

«  Des  Silhouettes  !  Voilà  une  étiquette  qui  annonce  mal  un  beau 
livre.  En  réalité  il  y  a  beaucoup  plus  et  beaucoup  mieux  que  des  sil- 
houettes en  ce  volume  de  silhouettes.  Plus  que  dans  Causons  et  plus 
que  dans  Entre  amis  l'on  retrouve  ici  l'attachante  personnalité  de  l'au- 
teur. Elle  y  est  avec  toute  la  force  qui  lui  vient  de  la  variété  de  ses 
dons,  de  la  souplesse  de  ses  ressources. 

«  Le  Père  Louis  Lalande  a  trop  fait  de  conférences  pom*  cesser  d'en 
faire  tout  à  fait.     Et  c'est  tout  d'abord  leur  conférencier  favori,  le  pein- 

1  Silhouettes  pakoissialbs,  par  le  R.  P.  Louis  Lalande,  s.  J. 
Imprimerie  du  Messager.  Prix  :  75  sous,  plus  5  soas  pour  le  port.  Dis- 
tributeur pour  le  commerce  :  Service  de  librairie  de  l'Action  française, 
32,  Immeuble  de  la  Sauvegarde,  Montréal. 


564  l'action  française 

tre  des  brillants  tableaux  de  mœurs,  l'oratexir  des  censures  intrépides 
que  beaucoup  croiront  retrouver  en  ce  dernier  volume.  Des  pages 
nombreuses  passeront  sous  leiu^s  doigts,  pleines  d'idées  serrées,  entraî- 
nantes, d'allure  oratoire,  à  grand  orchestre,  d'ime  rare  puissance  ver- 
bale, phrases  parlées  qu'il  faut  écouter  plus  que  lire,  qui  portent  avec 
elles  la  véhémence  d'ime  action. 

«  Parfois  entre  ces  morceaux  plus  graves,  d'autres  se  gUssent,  d'un 
ton  plus  léger,  d'une  prose  qui  veut  soiuire  ou  charmer.  Le  conféren- 
cier se  fait  tout  à  coup  miniatiuiste,  ciscleiu-  de  figurines,  j'allais  pres- 
que dire  billettiste.  L'esprit  et  le  cœur  du  Père  Lalande  se  donnent 
ici  plein  triomphe.  Quelle  vie  et  quelles  ressources  du  crayon  !  Les 
johs  traits,  les  jolis  mots  abondent,  les  uns  à  facettes,  d'ime  finesse  jail- 
lissante, ailée;  les  autres  qui  font  penser,  qui  remuent  plus  que  la  tête, 
qui  sont  tout  mouillés  d'émotion.  Lisez  Dvfour,  Mon  casque,  le  Capot 
de  mon  curé,  DcJaïte.  Il  y  a  là  beaucoup  de  cœui.  presque  trop  d'es- 
prit. Et  tout  cela  soutient  sans  doute  des  caricatures  amusantes,  des 
éreintements  spirituels,  mais  aussi  et  toujours  de  soUdes  leçons  morales, 
des  portraits  de  beauté  mâle,  de  \  alliance  laborieuse,  presque  toujours 
croquis  de  tj'pes  de  chez  nous    cueillis  au  passage  par  le  missionnaire. 

«  Les  portraits  font  le  nombre,  ccmmie  il  convient,  en  ce  recueil 
de  silhouettes.  Et  par  là  s'affirme  une  fois  de  plus  la  personnahté  de 
l'écrivain.  Voudrais-je  définir  le  talent  du  Père  Lalande  que  tout  spon- 
tanément j'écrirais  le  mot  «  moraliste  ».  Et  le  mot,  ai-je  besoin  d'y 
appuyer?  évoque  de  très  nobles  facultés.  Il  veut  dire  la  pmssance  de 
voir,  le  don  d'une  intelligence  active,  qui  réagit  au  contact  des  choses, 
du  vaste  spectacle  humain,  qui  a  le  goût  des  paysages  d'âme,  qui  voit 
plus  loin  que  les  apparences,  qui,  sous  les  paroles  et  les  gestes,  va  cher- 
cher une  psychologie.  Il  veut  dire  encore  et  par-dessus  tout  une  âme 
en  hauteur,  de  droiture  honnête,,  vigoureuse,  capable  d'aimer  le  bien 
fortement,  de  beaucoup  souffrir  des  laideurs.  Et  j'ajoute  qu'au  mora- 
liste qui  veut  s'achever  en  écrivain  il  faut  enfin  le  don  du  mot,  le  don 
du  pittoresque,  la  puissance  même  de  la  satire  qui  renvoie  en  fresques, 
en  eaux-fortes,  en  peintures  à  relief  les  visions  aiguës  du  p.çychologue.  » 


NOTRE  CONCOURS 


Nous  prions  ceiLx  qui  ont  bien  voulu  prendre  part  à  notre  concours 
d'abormements  de  se  rappeler  que  les  derniers  abonnements  comptés 
seront  ceux  qui  seront  apportés  par  le  dernier  courrier  distribué  à  Mont- 
réal le  31  décembre. 


LA  VIE  DE  L'ACTION  FRANÇAISE 


Nos  CONFÉRENCES  —  La  séiie  de  nos  conférences  montréalaises 
se  déroule,  avec  un  su:'ccs  croissant,  à  la  salle  de  la  Bibliothèque  Saint- 
Sulpice.  Nous  avons  débuté  avec  Mgr  Gauthier,  rectem*  de  l'Univer- 
sité de  Montréal;  nous  avons  eu  poiu  deuxième  conférencier  M.  Edouard 
Montpetit  et  la  série  se  poursuivra,  le  jeudi  8  janvier  prochain,  avec 
M.  l'abbé  Olivier  Maurault,  p.  s.  S.  M.  l'abbé  Maurault  a  pris  pour 
sujet  Noblesse  oblige  et  sera  présenté  par  M.  le  docteur  Joseph  Gauvreau, 
premier  secrétaire  général  de  la  Licjve  des  Droits  du  français.  M.  Ar- 
thur Surveyer  a  bien  voulu  accepter  la  présidence  d'honneur  de  cette 
séance. 

M.  Montpetit  a  traité  d'un  sujet  d'importance  très  considérable  : 
le  progrès  numérique  des  Canadiens  français  et  les  dangers  qui  le  me- 
nacent. Cette  conférence,  parlée  sur  des  notes,  sera  bientôt  rédigée. 
Nous  ne  savons  encore  toutefois  si  elle  prendra  place  dans  une  brochu- 
re spéciale  ou  dans  un  volume  d'ensemble  que  prépare  l'auteur.  Peut- 
être  les  deux  modes  de  publication  pourront-ils  être  successivement 
adoptés. 

C'est  M.  Léon  Lorrain,  professeur  à  l'École  des  Hautes  Études 
commerciales  et  Vxm  des  premiers  directeius  de  la  Ligue  des  Droits  du 
Jrançais,  qui  avait  bien  voulu  accepter  de  prononcer  l'allocution  d'ou- 
verture. Il  en  a  profité  pour  évoquer,  de  façon  très  spirituelle,  les  mo- 
destes débuts  de  la  Ligue  et  de  V Actioii  française.  Le  président  d'hon- 
nexir,  M.  le  juge  Laf ont  aine,  doj^en  de  la  Faculté  de  Droit  de  l'Univer- 
sité de  Montréal,  a  déclaré  —  et  c'était  bien  l'un  des  plus  grands  éloges 
qu'on  pût  nous  faire  —  que  V Action  française  est  un  professeur  d'éner- 
gie  et   de  fierté. 

En  même  temps  que  M.  Montpetit  donnait  à  Montréal  cette  con- 
férence du  13  décembre,  M.  l'abbé  Groulx  faisait  à  Sherbrooke  une  pre- 
mière conférence  d'Action  française,  où  il  traitait  des  Raisons  de  notre 
fierté.  Quelques  jours  plus  tôt,  il  avait  inauguré  la  série  que  nous  don- 
nons à  Ottawa,  d'accord  avec  V Institut  canadien  français,  par  une  puis- 
sante, pittoresque  et  touchante  évocation  de  la  Vie  de  nos  pères.  Le 
deuxième  orateur  de  cette  série  a  été  M.  Jean  Désy,  professeur  à  l'École 
des  Hautes  Études  Commerciales,  qui  a  traité  de  Marc  Lescarbot.  H 
sera  suivi  de  MM.  l'abbé  Olivier  Maurault,  p.  s.  S.,  Emile  Miller,  pro- 
fesseur de  géographie  canadienne  à  l'Université  de  Montréal,  Louis 
Durand,  avocat,  et  Léon  Lorrain. 


566  l'action  française 

Notre  Ai,m.o«*ach  —  Trente-cinq  mille  exemplaires  de  notre 
almanach  ont  déjà  été  enlevés.  La  vente  dépasse  déjà  de  dix  mille 
le  chiffre  total  de  la  précédente  édition,  et  nous  ne  sommes  qu'aux  der- 
niers jours  de  1919.  Il  faut  que  les  quelques  mille  qui  sont  encore  dis- 
ponibles partent  au  plus  tôt.  Les  quinze  jours  qui  restent  d'ici  les  Rois 
devraient  régler  leur  compte.  Notons  à  ce  propos  que  nous  tenons  à 
la  disposition  de  nos  amis  un  certain  nombre  d'exemplaires  reliés,  pleine 
toile,  de  V Almanach,  au  prix  de  35  sous  (40  sous  franco).  C'est  un  joli 
cadeau  de  Jour  de  l'An. 

Nous  ne  pouvons  signaler  tous  les  efforts  faits  pour  la  diffusion 
de  y  Almanach  —  nous  remercions  à  ce  propos  nos  amis  connus  et  in- 
connus —  mais  il  en  est  im  que  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de 
noter,  parce  qu'il  a  été  l'occasion  d'une  manifestation  particulière  et 
qu'il  tend  à  créer  une  tradition.  C'est  l'école  Sainte-Madeleine,  à 
Ahuntsic,  qui  en  a  été  le  théâtre.  Cette  année,  comme  l'an  dernier, 
on  y  a  établi  une  sorte  de  concours  entre  les  élèves  pour  la  diffasion  de 
V Almanach  et  l'on  a  organisé  en  l'honneur  des  vainqueurs  une  fort  johe 
fête.  Il' Action  française  a  été  heureuse  de  s'associer  à  cette  manifes- 
tation par  la  présence  et  la  parole  de  M.  l'abbé  Maïu^ault,  l'un  de  ses 
meilleurs  amis,  et  de  son  secrétaire  général,  M.  Anatole  Vanier,  avocat. 

Rappelons,  pour  qui  l'aïuait  oublié,  les  conchtions  de  vente  de 
V Almanach  :  20  sous  l'exemplaire  (plus  3  sous  pour  le  port);  $2.00  la 
douzaine;  de  50  à  99  exemplaires,  16  sous  l'exemplaire;  de  100  à  499 
exemplaires,  15  sous;  de  500  à  999  exemplaires,  14  sons;  poui- 1000  exem- 
plaires et  plus,  12  sous  l^.  Port  en  plus  dans  tous  les  cas.  On  peut 
grouper  les  commandes,  les  faire  expédier  à  des  adresses  différentes  et 
bénéficier  quand  même  des  réductions  justifiées  par  la  commande  glo- 
bale, pourvu  que  l'administration  n'ait  affaire  qu'à  un  correspondant. 

L.-v  Mission  de  L'IlNivEnsiTÉ  —  La  première  de  nos  publications 
sera  la  Mission  de  l'Université,  texte  de  la  grande  conférence  de  Mgr 
Gauthier,  qu'accompagneront  les  brèves  allocutions  prononcées  le  même 
soir  par  M.  l'abbé  Perrier  et  M.  Athanasc  David.  Il  a  été  finalement 
décidé  de  publier  ce  texte,  dont  il  sera  fait  un  grand  tirage,  dans  notre 
collection  orange,  à  dix  sous.  (A  la  douzaine,  $1;  au  cent,  $S;  au  mille 
S70  (.port  en  plus  toujours).  Au  moment  où  s'organise,  en  faveur  de 
l'Université  de  Monttéal,  une  retentissante  campagne,  jette  brochu- 
rette  offrira  un  intérêt  tout  particulier. 

D'autres  publications,  sur  lesquelles  nous  donnerons  en  janvier 
des  détails  précis,  sont  pareillement  en  préparation,  notamment  Au 


l'action  française  567 

service  de  la  Tradition  française,  de  M.  Montpetit,  uiie  édition  copieu- 
sement illustrée  de  Chez  nos  ancêtres  de  M.  l'abbé  Groulx  et  les  Lenae- 
mains  de  conquête  du  même  auteur. 

Changements  d'adresse  —  Chaque  changement  d'adresse  com- 
porte des  frais  de  composition  nouvelle,nous  est  charge  à  part  par  nos 
imprimeurs  et  diminue  d'autant  le  prix  réel  de  l'aboimement.  Si  l'Ac- 
tion française  était  ime  revue  à  88  ou  SIO,  cela  n'aurait  guère  d'impor- 
tance; mais,  sur  un  maximum  de  $1,  alors  que  le  coût  de  revient  aug- 
mente avec  tant  de  rapidité,  tout  compte.  C'est  pourquoi,  à  l'avenir, 
nous  ne  pourrons  effectuer  qu'un  seul  changement  sans  frais,  et  cela 
pour  les  aboimés  qui  seront  en  règle  avec  l'administration.  Une  som- 
me de  10  sous  devra  être  paj'ée  pour  tous  les  autres  changements. 

Cette  petite  modification  ne  surprendra  guère  la  plupart  de  nos 
lecteurs.  Il  y  a  longtemps  qu'un  grand  nombre  de  publications  fran- 
çaises font  payer  à  part  les  changements  d'adresse. 

Notre  service  de  librairie  —  Plusieurs  de  nos  clients  sont  en 
retard  aA-ec  notre  Service  de  librairie.  Xous  les  prions  de  s'acquitter 
au  plus  tôt,  afin  de  nous  éviter  d'inutiles  frais  de  correspondance.  Nous 
fermons  nos  livres  au  31  décembre  et  A'oulons  lefplus^possible^simplifier 
le    travail    de    notre    administration. 

Abonneiîexts  de  So  et  de  SIO  —  On  sait  que  Tabonnement  de  .?5 
donne  droit  à  l'envoi,  sans  commande  spéciale,  de  toutes  les  publica- 
tions de  l'Action  fraiiçaise,  sauf  la  revue;  l'abonnement  de  $10  donne 
droit  à  l'envoi  des  principales  nouveautés  canadiennes,  en  plus  de  nos 
publications  —  jusqu'à  épuisement  des  deux  souscriptions,  cela  va 
de  soi.  Le  grand  avantage  de  ces  deux  abonnements,  c'est  d'éviter 
d'inutiles  frais  de  correspondance.  Si  telle  brochure,  par  exemple, 
vous  plaît,  vous  n'avez,  après  avoir  reçu  le  premier  exemplaire,  qu'à 
jeter  une  carte  à  la  poste  pour  en  commander  deux,  trois  ou  dix  autres. 
Autrement,  il  vous  aurait  fallu  faire  deux  lettres  et  deux  chèques  ou 
bons    postaux. 

Les  abonnements  sont  naturellement  payables  d'avance. 

SI  et  plus  —  Plusieurs  de  nos  amis  nous  ont  souvent  dit  :  Nous 
paierions  volontiers  $2  ou  $3  pour  l'Act^^on  française.  . .  Au  prix  où 
sont  le  papier  et  la  main  d'œuvre,  ils  iieuvent,  sans  le  moindre  danger 
de  trop  nous  enrichir,  se  passer  cette  futile  fantaisie. 

Jean  Reauchemin. 


PARTIE  DOCUMENTAIRE 


LES  VOEUX  DU  COXGEÈS  DE  WIXXIPEG 


Voici,  textuellement  reproduits,  avec  leur  préambule  et  les  notes  qui 
les  accompagnent  dans  la  brochurette  officielle,  les  vœux  du  congrès  de  Win- 
nipeg.  Ces  vœux  appellent  des  commentaires  que  fera  prochainement  l'un 
de   nos    collaborateurs. 

Resolutions  adoptée!  by  National  Conférence  on  Character  Educa- 
tion in  relation  to  Canadian  Citizenship,  October  20,  21,  22,  1919,  Win- 
nipeg. 


PERSONNEL  OF  NATIONAL  COUNCIL 


BRITISH    COLUMBIA 


Principal  W.  H.  Vance  H.  Charlesworth,  Esq. 

W.  H.  Leckie,  Esq.  Mrs.  R.  C.  Boyle 

John  Sully,  Esq. 

ALBERTA 

Mrs.  L.  C.  Mcivinney,  M.L.A.  W.  G.  Carpenter,  Esq. 

H.  W.  Wood,  Esq.  J.  T.  J.  Collisson,  Esq. 

Alex.  Ross,  M.L.A.  Dr.  A.  M.  Scott 

Saskatchewan 

Dr.  J.  A.  Snell  C.  M.  Hamilton,  M.L.A. 

Jas.  F.  Bryant,  Esq.  Miss  Jean  Brownc 

J.  A.  Maharg,  Esq.  Dr.  J.  T.  ]\L  Anderson 

Manitoba 

W.  J.  Bulinan,  Esq.  Dr.  D.  Mcintyre 

Prof.  W.  F.  Osborne  Rev.  E.  Leslie  Pidgeon 

Mrs.  R.  F.  McWilliams  William  Iverach,  Esq. 


L  ACTION    FE  ANC  AISE 


569 


Hon.  Dr.  Cody 
Sir  John  Eaton 
Tom  Moore,  Esq. 


Hon.  Athanase  David 
Howard  Murray,  Esq. 
William  Birks,  Esq. 


Dr.  Soloan 

Chas.  J.  Burchell,  Esq. 


W 


Ontahio 

Sir  Robert  Falconer 
Prof.  H.  T.  J.  Coleman 
Dr.  Helen  MacMurchy 
H.  Sedgwick,  Esq. 


QtTEBEC 

Hon.  Cyrille  Delage 
Dr.  G.  E.  Parmalee 
Prof.  Carrie  M.  Derrick 
Sir  George  Garneau 

Nova  Scotia 

Mrs.  Se.xton 

Rev.  Dr.  J.  J.  Tompkins 
John  T.  Joy,  Esq. 


New  Brunswick 
Rt.  Rev.  Bishop  Richardson  Inspector  Peacock 

Ex-Governor  Josiah  Wood  Mrs.  James  F.  Robertson 


Prince  Edward  léLAND 
Dr.  McLellan  Dr.  S.  E.  Roljertson 

J.  G.  Hyndman,  Esq.  Miss  Carrie  EUen  Holman 

THE  National  Conférence  on  Character  Education  in  Relation 
to  Canadian  Citizenship  was  held  in  Winnipeg,  October  20th,  21st  and 
22nd,  1919.  This  gathering  was  the  culmination  of  a  campaign 
inaugurated  by  a  group  of  citizens  of  Winnipeg  some  two  and  a  half 
years  ago,  and  participated  in  by  interested  groups  in  ail  parts  of  Can- 
ada. 

The  extent  of  the  interest  aroused  may  be  inferred  from  the  fact 
that  fifteen  hundred  and  fovir  accredited  delegates  attended  the  Confér- 
ence and  took  part  in  the  proccedings.  The  popular  attendance  at 
several  of  the  sessions  ran  as  high  as  five  thousand  and  at  no  session 
were  there  fewer  than  two  thousand  persons  présent. 

The  formai  programme  included  at  least  thirty  speakers.  Anlong 
thèse  were  :  One  from  Great  Britain,  Mr.  Peter  Wright;  four  from  the 
United  States  :  Président  Suzzallo  of  Seattle,  Dr.  Soares  of  Chicago, 
Dr.  Milton  Fairchild  of  Washington,  Président  Finley  of  Albany,  New 


570  l'action  française 

York.  The  remainder  of  the  thiity  speakers  were  Canadians,  eminent 
in  their  respective  fields  of  scholarsliip  or  other  activity.  Six  of  the 
nine  provinces  of  Canada  were  represented  bj^  the  chief  administrative 
officers  of  their  Departments  of  Education.  The  presiding  ofBcers 
of  the  various  sessions  included  the  Lieutenant-Governor  of  Manitoba, 
the  Chief  Justice  of  the  ^urt  of  the  Iving's  Bench  of  ]\Ianitoba,  the 
Primate  of  Canada  and  the  Premier  of  Saskatche\A-an. 

As  an  outcome  of  the  Conférence  a  Council  of  fîftj'  members,  to 
carry  on  the  work  done  by  the  Conférence,  was  appointed.  Copies  of 
the  various  resohitions  passed  are  given  herein.  The  proceedings  of 
the  Conférence  will  be  printed  and  made  available  for  the  use  of  the 
delegates.  A  hmited  nvunber  of  copies  will  also  be  available  for  pur- 
chase  by  others  than  delegates  who  may  be  interested. 

The  f  unds  for  carrying  on  the  campaign  and  holding  the  Conférence 
were  obtained  by  popular  subscription  mainly  through  the  interest  of 
the  Rotary  Clubs  throughout  the  Dominion. 

NATIONAL  EDUCATIONAL  CONFERENCE 


RESOLUTIONS 

EDUCATION  PROGRESS 

THAT  the  whole  question  of  the  best  methods  of  carrying  out  the 
purposes  of  the  Conférence  be  ref erred  to  the  National  Council  for  their 
fuUest  considérations  and  such  action  as  they  decm  wise  to  take.  Said 
action  to  be  reported  upon  to  the  next  meeting  of  the  Conférence. 

THAT  for  purposes  of  cducational  investigation  ând  as  a  clearing 
house  for  educational  data,  a  NATIONAL  BUREAU  be  estabUshed 
under  the  direction  of  the  National  Council  of  the  Conférence,  and  that 
such  Bureau  be  maintained  by  voluntary  support  and  such  financial 
assistance  as  may  be  given  by  Provincial  and  Dominion  GoA'cruments 
without  any  restrictions  as  to  policy. 

CHARACTER  EDUCATION 

THAT  this  Conférence  puts  itself  on  record  as  rccognizing  the 
necessity  for  the  deepening  and  strengthening  of  the  moral  and  spiritual 
factors  in  our  National  Education,  alike  in  the  School,  the  Church  and 
the  Home,  and  instructs  the  newlj-  appointed  National  Council  to  make 
a  considération  of  the  prolilom  hère  involved  a  first  charge  upon  its 
délibérations. 


l'action  française  ^  571 

THAT  this  Conférence  recognizing  that  development  of  child 
morality  is  largely  achieved  through  the  objective  side  of  his  nature, 
expresses  its  hearty  approval  of  ail  those  auxiliary  agencies,  such  as 
the  Boys'  Brigade,  The  Boj-  Scouts,  the  Cadet  Corps,  the  Canadian 
Standard  Efficiencj'  Training,  and  the  Canadian  Girls  in  Training, 
the  Girl  Guides  and  the  Little  jMothers'  League,  ^vhich  aid  in  developing 
among  children  of  school  âge  physical  fitness  and  the  spirit  of  service 
and   citizenship   in   the   community. 

BELIEVING  that  the  moral  éducation  of  the  youth  of  our  countrj- 
must  dépend  on  the  development  of  sound  phj'sical  bcdies,  the  Confér- 
ence desires  to  express  its  conviction  that  every  possible  means  should 
be  taken  for  safeguarding  and  promoting  the  hcalth  of  the  children  in 
ail  parts  of  the  countrj-.  To  this  end  we  believe  that  a  complète  System 
of  médical  and  dental  inspection  imder  compétent  doctors  and  nurses 
should  be  organized  in  every  Province  for  both  rural  and  urban  schools; 
also  thaht  provision  should  be  made  for  the  adéquate  and  spécifie  train- 
ing of  ail  teachers  in  the  principles  of  hygiène,  particularly  applied 
to  the   conditions  o'f  school  life. 

THAT  inasmuch  as  the  prcvailing  emphasis  on  compétitive  me- 
thods  in  industrj-  and  commerce  has  tended  to  a  weakening  of  the  sensé 
of  sohdarit}'  among  the  citizens  of  Canada,  and  the  perversion  of  mo- 
tive resulting  from  imdue  regard  to  the  rewards  of  work  as  compared 
with  interest  in  the  service  rendered,  this  Conférence  reccmmends  that 
ail  our  schools  promote  by  every  rcasonable  means  the  spirit  and  practice 
of  co-operative  effort  both  in  teani-games  and  in  class  work. 

THAT  this  Conférence  expresses  its  conviction  that  provision 
should  be  made  for  free  and  compulser}^  éducation  up  to  the  âge  of  16 
j'^ears  and  part-time  éducation  for  ail  the  youth  of  Canada  up  to  the 
âge    of   eighteen. 

WHEREAS  on  accomit  of  the  waste  of  the  récent  ■nar  and  the 
demands  of  the  présent  task  of  reconstruction  the  conservation  of  the 
youth  of  our  comitry  is  of  such  vital  importance;  Resolved  that  this 
National  Conférence  on  Character  Education  expresses  its  conviction 
that  provision  for  state  aid  should  be  made  for  parents  \\ho  would  other- 
wise  be  forced  through  économie  necessity  to  take  their  children  away 
from  school  during  the  compulsory  period  : 

AND  further,  in  the  opinion  of  this  Conférence,  there_should  be 
Factory  Acts  or  other  légal  enactments  rigidly  cnforeed  in  every  Prov- 
ince prohibiting  the  em]-)loymont  bf  children  under  the  âge  of  compul- 
sory school  attendance. 


572  ^  l'action  française 

THAT  inasmuch  as  éducation  cannot  fuJfil  its  proper  functioii 
without  the  playgroimds  and  equipmcnt  siiitable  for  the  développent 
of  organized  play,  this  Conférence  calls  the  attention  of  our  Canadian 
School  authorities  to  the  fact  that  many  of  our  school  groimds  are  in- 
adéquate to  this  purpose. 

THAT  this  Conférence  having  regard  to  the  fact  that  Canada  is 
largely  an  agricultm-al  countrj',  expresses  its  conviction  that  it  is  in  the 
best  interests  of  the  whole  country  that  a  high  type  of  rural  schools  be 
developed;  AND  THAT  as  a  means  to  this  end  continuation  work  in 
rural  schcols  be  encouragcd  and  every  inducement  be  offered  to  rural 
pupils  to  attend  thèse  schools  iintil  such  time  as  attendance  to  the  âge 
of  16  years  be  made  compulsory. 

WHEREAS  the  effect  of  the  Moving  Pictiue  on  school  children 
is  incalculably  powerful  for  good  or  evil,  and  whereas  much  of  what  is 
now  offered  as  entertainment  is  based  upon  suggestions  that  tend  to 
familiarize  the  minds  of  children  with  situations  that  are  sensational 
and  frequently  immoral  and  vulgar; 

THEEEFORE  be  it  resolved  that  this  Conférence  direct  attention 
to  the  vital  necessity  of  developing  an  active  public  opinion,  demonstrat- 
ed  by  attendance  at  théâtres,  for  the  support  of  good  pictures  —  which 
oan  only  be  hcped  for  when  it  bcconies  good  business  to  exhibit  such 
pictures,  and  also  for  the  strengthening  of  the  hands  of  the  varions 
boards  of  censorship  in  their  efforts  to  raise  the  standard  of  the  Moving 
Picture  industrj-;  and  that  every  effort  be  made  to  secure  films  depicting 
Canadian  and  British  life  and  sentiment. 

WHEREAS  it  bas  been  coiiclusively  shown  that  posters  and  ad- 
vertisements  of  a  suggestive  and  immoral  natui-e  are  used  to  attract 
attendance  to  performances  and  moving  pictmes  otherwise  compara- 
tively  harmless;  be  it  recolvcd  that  this  Conférence  urge  a  strict  censor- 
ship of  posters  and  advertisemcnts. 
THE  TEACHING  PROFESSION 

THIS  Conférence  records  its  opinion  that  to  obtain  the  highest 
ediicational  rcsults  for  our  people  the  commimity  must  provide  enlarged 
opportunity  for  the  éducation  and  training  of  tcachers,  raise  the  stand- 
ard of  éducation  for  admission  to  the  teaching  ];rofession,  taking  mea- 
surcs  at  the  samc  time  to  attract  men  and  womcn  of  spécial  giflsforthis 
high  service  by  raising  the  social  status  of  the  tcachers  and  providing 
a  scale  of  rémunérât  ion  so  libéral  as  tofrce  them  from  économie  anxiety. 

THAT  having  regard  to  the  pvincij)le  of  fair  and  opcn  discussion 
as  a  fundaiiienlal  principle  of  deniocracy,  the  Conférence  lU'ges  ujxin 


i-'ACTIOX    FRANÇAISE  573 

ail  bodies  in  -wliom  is  vested  the  control  of  educational  affairs  tbe  neces- 
sity  of  dcaling  in  a  franlc  and  public  manner  with  cases  involving  the 
réduction  in  rank  or  dismissal  of  teachers  or  instructors  luider  their 
control. 
CAXADIAXIZATIOX 

THAT  this  Conférence  recommends  to  the  Fédéral  Government 
the  adoption  of  a  distinctive  Canadian  flag. 

THAT  Avith  a  view  to  ectablishing  a  more  gênerai  appréciation 
of  the  dignity  and  responsibilities  of  Canadian  Citizenship  the  Confer- 
encre  recommends  that  under  the  auspices  of  the  National  Govern- 
ment an  appropriate  fimction  be  held  in  eacli  commimity  preferably 
on  Dominion  Daj'  in  each  j-ear  for  the  Public  réception  into  citizen- 
ship of  those  who  hâve  met  ail  the  conditions  of  natiu-aUzation. 

WHEREAS  vmder  the  Canadian  constitution  the  administration 
of  Public  éducation  is  assigned  to  the  Provinces; 

AND  WHEREAS  in  piu-suance  of  pohcies  approved  by  the  Parha- 
ment  of  this  Dominion  and  carried  into  effect  by  Fédéral  Governments, 
great  bodies  of  immigrants  imf amihar  with  Canadian  and  British  institu- 
tions and  ideals  hâve  been  settled  in  varions  parts  of  Canada; 

AND  WHEREAS  the  initiation  of  thèse  new  Canadians  into  effi- 
cient Canadian  citizenship  is  a  National  problcm  of  vital  concern  to  ail 
Canada  ; 

AND  WHEREAS  the  solution  of  the  problem  through  the  main- 
tenance of  the  propaganda  essential  to  the  adéquate  support  of  this 
great  National  enterprise,  through  the  provision  of  such  spécial  equip- 
ment  as  the  work  demands  and  through  supplying  teachers  who  are 
expert  settlement  workers  wilhng  to  make  their  home  in  thèse  immi- 
grant settlements  for  prolonged  periods  calls  for  a  financial  support  diffi- 
cult  if  not  impossible  for  Provincial  revenues,  unaided,  adequately  to 
support  ; 

THEREFORE  be  it  resolved  that  it  is  the  duty  of  the  Fédéral 
Government  to  assimie  without  avoidable  delay  its  fair  share  in  the 
financial  burden  incidental  to  the  Canadianizing  of  an  immigi-ant  popu- 
lation by  ])roviding  suitable  spécial  Dominion  grants  to  be  expended 
and  administered  bv  the  Provincial  Government  concerned. 


The  National  Comicil  will  meet  at  Ottawa;  early  in  February,  1920. 
The  Honorary  Secretary  will  be  glad  to  rcceive  any  suggestions 
that  will  aid  the  National  Conférence  in  its  work. 

Office:  511  Electric  Railway  Chambers,  Winuipep. 


TABLE  DES  MATIERES 


JANVIER  — 

Les  Clôtures,  vers, (Jean  Nolin) •,  ■  '  W  '  '  '  i  '  "^ 

Les  précurseurs  —  Errol  Bouchette  et  l'indépendance  économique  du  Canada 

français  (Edouard  Montpetit) 5 

Les  Précurseurs,  (abbé  Lionel  Groulx) ^- 

A  travers  la  rie  courante.  (Pierre  Homier) ^^ 

La  Vie  de  l'Action  française,  (O.  H.) .";"■,■■; 07 

Journaux,  livres  et  revues  —  La  puissance  du  Canada,  (Henri  d'Arles) ^7 

A  propos  d'instruction  obligatoire *1 

Jj'anglais  et  le  français 1  '  '  '  i, aI 

Partie  documentaire  —  La  loi  Lavergne  et  les  Tribunaux,  —  En  Saskatchewan ...  4-1 

FÉVRIER  — 

Une  lettre  de  S.  E.  le  Cardinal  Bégin ■  • J^ 

Les  précurseurs  —  Napoléon  Bourassa,  (abbé  Olivier  Maurault,  p.  s.S.K .-  •  •  ■  ol 

La  Nationalisation  de  notre  littérature  par  l'étude  de  l'histoire,  (éo-Paul  Desrosiers)  d5 

A  travers  la  vie  courante,  (Pierre  Homier) ;  ;  V  '  '  '  ' 

Journaux,  livres  etrevues  —  Les  "Billets  dusoir"  de  M.  Albert  Lozeau,  (Alphonse 

de  Grandpré,  C.  S.  V.) |^ 

La  Vie  de  l'Action  française  —  (Jeau  Beauchemin) ^ 

Tribune  de  nos  lecteurs ,■  : ^f 

Partie  documentaire  —  Ligue  de  Ralliement  français  eu  Amérique »■* 

MARS  — 

A  la  mémoire  de  Charles  Gill,  vers,  (Albert  Lozeau) ^J7 

Les  précurseurs  —  Le  docteur  Jacques  Labrie,  (abbé  Georges  Courchesne) Î^S 

Il  nous  faudra  combattre  longtemps  —  (Orner  Héroux) 1-0 

La  Colonisation  française  dans  l'Ontario,  (Fr.  Alexis,  cap.) |^^ 

L'École  et  la  rue,  iLéon  Lorrain) 1^| 

A  travers  la  vie  courante  (Pierre  Homier) 1^1 

La  Vie  de  l'Action  fra7içaisc,  (Jean  Beauchemin) 140 

Partie  documentaire  —  En  Saskatchewan  —  La  Fédération  franco-américaine  et 

l'américanisation * l '^ 

AVRIL  — 

Les  précurseurs  —  Ferdinand  Gagnon  et  la  survivance  française  aux  Etats-Unis, 

(Henri  d'Arles) }ji;,' 

Le  pèlerinage  Dollard,  (abbé  Lionel  Groulx) JVr 

A  nos  amis,  (Orner  Héroux) |'.':.' 

A  rarers  la  vie  courante  —  (Pierre  Homier) J'" 

La  vie  de  l'Action  française  —  (Jean  Beauchemin) 17.j 

Noms  français  des  bonbons  et  des  biscuits 1 1  •) 

Journaux,   livres   et   revues  —  Les  "Cailloux",    de  ilSI.  Jean  Nolni,    (Alexandre 

Ducré    8.  J.) ''^' 

—  Les  Syndicats  catholiques,  une  digue  contre  le  bolchevisme,  (A.  D.) lSt> 

• —  Le  Droit  paroissial  de  la  province  de  Québec,  (G.  P.) J^''^ 

Tribun f  de  nos  lecteurs  —  Pour  la  Saiiit-Jrnn-Bapfistc,  (Yves) l'-'n 


l'actiox  française  575 


MAI  — 


Les  précurseurs  —  Edmond  de  A'eiers,   (Antonio  Perrault) 193 

Les  Contes  de  la  Société  Saint-Jean-Baptiste,  (Louis  Dupire) 219 

A  traversa  vie  courante  —  (Pierre  Homier) v^  . •  •  222 

Journaux,  Utrea  et  rerues  —  Un  Chevalier  de  nos  jours  :  Paul-Emile  Lamarche 

(abbé    J.-A.-M.    Brosseau) 226 

—  Les  rôcits  laurentiens,  (M.  H.  B.) ; 229 

—  En  veillant  avec  les  petits  de  chez   nous,    (Adélard  Dugré,  s.  J.) 230 

Propagande  !     Propagande  !     (Jean  Beauchemin) 232 

La  Vie  de  l'Action  française,  (J.  B.) 234 

Partie  documentaire  —  La  question  bilingue  ontarienne  —  Mgr  Rice  et  les  Fran- 
co-américains —  La  renaissance  de  la  langue  irlandaise 235 


JUIN  — 

Les  précurseurs  —  Pierre  Bédard  et  la    esponsabilité  ministérielle,  (Léon  Mer- 

cier-Gouin) 241 

Un  grand  concours  de  propagande 251 

Le  pèlerinage  au  Long-Saul,    (abbé  Olivier  Maurault,  p.s.S.)   252 

Souvenirs  d'hier.  Menaces  de  demain,  (Omer  Héroux) 257 

Jeanne  Mance  et  la  fondation  de  Montréal,  (Marie-Claire  Daveluy) 260 

A  travers  la  rie  courante,  (Pierre  Homier) 265 

La  vie  de  l'Action  française,  (Jean  Beauchemin) ••  ■  •  ^^^ 

Journaux,  livres  et  revues  —  Pour  la  défense  de  nos  lois  françaises,  (abbé  Lionel 

Groubc) : 272 

—  Les  Rapaillages,    (Louis   Dupire) 274 

Pour  la  fête  nationale  —  Quelques  projets  de  discours,  (Yves) 278 

Partie  documentaire  —  Discours  de  M.  l'abbé  Groulx  au  Long-Sault 286 


JUILLET  — 

Les  précurseurs  - —  Mgr  Langevin,  (abbé  PhiUppe  Perrier) 289 

Le  patriotisme  de  Jeanne  Le  Ber,  (Marie-Claire  Daveluy) 300 

Innocens  Ego  Sum,  (Henri  d'Arles) 306 

On  demande  un  mécène,  (Léon  Lorrain) ; .  317 

A  travers  la  vie  courante,  (Pierre  Homier) 321 

Journaux,  livres  et  revues  : 

— Le  Canada  apostolique,  (C.-E.  Dorion) 324 

— Le  petit  monde,   (L.  L.)   326 

La  Vie  de  l'Action  française  —  (Jean  Beauchemin) 327 

Partie  documentaire  —  Le  Saint-Siège  et  les  Canadiens-français  de  l'Ontario  — 

Discours  de  M.  le  Dr  Gauvreau  au  Long-,Sault 329 


AOUT  — 

Les  précurseurs  —  Jérôme-Adolphe  Chicoyne,  (chanoine  Emile  Chartier) 337 

La  mère  des  Le  Moyne,  (Marie-Claire  Daveluy) 345 

Question  de  pédagogie  —  L'enseignement  du  français,  (Adélard  Dugré,  s.  J.) .  .  350 

A  traters  la  rie  courante,   (Pierre  Homier) 362 

Journaux,  livres  et  revues  —  Charles  Gill,  (abbé  01i\"ier  Maurault,  p.s.S.)    .... 

La  Naissance  d'une  race,  (Léo-Paul  Desrosiers) 360 

Tribune  de  nos  lecteurs  —  L'Action  française  et  nos  collèges  classiques,  (Gérard 

Tremblay)-. 375 

Xotre^     concours 378 

La  Vie  de  V Action  française,  (Jean  Beauchemin) 379 

Partie  documentaire  —  En  Saskatchewan  —  L'influence  du  nombre,  (J. -Albert 

Foisy) 3S1 


5/6  L  ACTION    FRANÇAISE 

SEPTEMBRE  — 

Les  précurseurs  —  l'abbé  Lr.on  Pro:anch-.r,  (Fr.  Marie-Victorin  des  É.  C.) SSô 

Le  Congrès  de  Chicoutimi,  (abbé  Lionei  Groulx) 39 1 

Xotre  concours 401 

Grand-Pré,  (abbé  Ernest  Dubois^   403 

.4.  trsrers  la  tie  courante   (Pierre  Homier) 413 

La  Vie  de  l'Action  française,  (J.B.) 416 

Journaux,  litres  et  revues       Lettres  de  Fadette,(R.  P.  ^L-A.  Lamarche) 417 

Tribune  de  nos  lecteurs — Faut-il  tant  d'anglais  au  programme?     (Un  profes- 
seur)     424 

Partie  documentaire  —  Le  traité  polonais  et  le  droit  des  minorités 428 


OCTOBRE  — 

La  toix  de  la  terre,  vere,  (Hermas  Bastien) 433 

Les  précurseurs  —  Calixa  LaralUe,  (Arthur  Letondal) 434 

Que  les  femmes  s  en  mêlent .  .  (Annette  Saint- Amant) 445 

Le  témoignage  de  trois  Anglo-canadiens,  (Antonio  Perrault) 449 

A  l'aube  d'une  tocation,  (Âlarie-Claire  Daveluy) 467 

A  travers  la  vie  courante,  (Pierre  Homier) 473 

La  Vie  de  V Action  française,  (Jean  Beauchemin) 477 

Partie  documentaire  —  L'n  témoignage  anglais,  (Fred  WiUiams) 4S0 


XO\'EMBRE  — 

Survirance,  vers,  (Blanche  Lamontagne) 481 

Les  précurseurs — -  Jules-Paul  Tardirel,  (Orner  Héroux) 483 

Comment  servir,  (abbé  Lionel  Groulx) 491 

Le  livre  de  la  Genèse,  (Henri  d'Arles) 499 

Le  pèleririage  de  Jacques,  (.Toyberte  Boulanges) 509 

A  travers  la  tie  courante — (Pierre  Homier) 514 

Notre  concours 517 

La  Vie  de  V Action  française,  (Jean  Beauchemin) 520 

Journaux  litres  et  rerues  —  Nuances,  (Marie-Cla  re  Daveluy) 523 

Partie  documentaire  —  Le  discours  du  prince  de  Galles  —  Le  traité  autrichien 

et  la  protection  des  minorités ô25 


DÉCEMBRE  — 

Les  précurseurs  —  Le  P.  Camille  Lefebvre,(,Vn  Acadien^ 529 

Philosophie  et  Action  française,  (abbé  Philippe  Perrier) 537 

Deuil    national, 543 

Les  grandes  pressions,  (Léo-Paul  Desrosier*) 544 

Pour  1920,  (Omer  Héroux) 552 

-4  travers  la  rie  courante  —  (Pierre  Homier) 55.'j 

Journaux,  livres  et  revues  —  "Couleur  du  temps",  (Albert  Lozeau) 559 

I.p  quart  de  siècle  du  "Bulletin  des  Recherches  historiques",  (E.-Z.  Massicotte.)  562 

'.Silhouettes  paroissiales' 563 

Deux    Almanachs 564 

/.a  Vi>  de  l'Action  française,  (Jean  Beauchemin) 565 

Partie  documentaire  :     I.<es  vaux  du  congrès  de  Winnipeg 56S 

Taille  des  matières ■ 57-4 


BINDING  SECT.  OCT  811966 


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F       L» Action  canadienne-française 
5029  ^ 


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V.3 


I  CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 


1 


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